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Introduction

La restructuration industrielle dans les années 1980 a favorisé la naissance de l’entreprise-réseau qui était une réponse au besoin d’une structure organisationnelle plus souple, moins lourde et concentrée sur les technologies et les processus clés de l’entreprise (Powell, 1987). L’augmentation de la concurrence, les changements technologiques et le fait qu’on a statué que l’accès à l’information est une ressource stratégique (Rindfleisch et Moorman, 2001) ont fait que la collaboration entre les entreprises sous différentes formes de partenariat s’est développée à un rythme impressionnant (Achrol, 1997). Cependant, ces partenariats demeurent souvent fragiles et sujets à une grande instabilité, avec un taux d’échec élevé atteignant les 90 % (Harrigan, 1985; Porter et Fuller, 1986).

Pour faire face à l’émergence et la prolifération de nouvelles formes de partenariats, les chercheurs dans plusieurs domaines (marketing, gestion stratégique, etc.) ont tenté d’appliquer les théories existantes (théorie des coûts de transactions, théories de l’avantage concurrentiel et théorie de l’organisation) pour analyser et prédire la formation de réseaux d’entreprises, les comportements des membres et les résultats de ces partenariats (Grabher, 1993; Gnyawali et Madhavan, 2001; Walker, 1988). D’autres chercheurs se sont concentrés sur l’élément « nouveau » dans ces partenariats à savoir les relations entre les membres d’un réseau. C’est ainsi qu’on s’est penché sur les dimensions politiques (tels que la dépendance et le pouvoir) et sociales (comme la confiance, les normes sociales et le risque d’apparition de comportements opportunistes) des relations entre les membres du réseau (Achrol, 1997; Garène, 1992; DeSanctis et al., 1999; Heide et John, 1988; Heide, 1994; Larson, 1992; Parkhe, 1991; 1993; Turner et al., 2000; Varadarajan et al., 2001). En étudiant ces aspects dans le cas des relations dyadiques, plusieurs chercheurs espéraient pouvoir généraliser les résultats aux réseaux des relations interentreprises. Bien que la généralisation ne soit pas du tout triviale, ces recherches ont tout de même permis d’identifier certains caractères spécifiques à l’entreprise réseau qui la distinguent de l’entreprise dite classique ou traditionnelle. Ces recherches ont également motivé plusieurs (Addleson, 2001; Beimans, 1996; Elfring et De Man, 1998; Emshoff, 1993; Furubotn, 2001; Miller, 2001; O’Farrel et Wood, 1999; Piercy et Cravens, 1995; Salancik, 1995; Scheffran, 1993; Walker, 1997) à se poser des questions sur la validité, pour l’entreprise réseau, du cadre théorique de l’entreprise basée essentiellement sur la théorie économique néoclassique, appelée aussi théorie de l’équilibre concurrentiel (Tirole, 1993; Guerrien, 1989; Stigler, 1968). Notons que cette dernière a été à la base du développement de théories telles la théorie des coûts de transaction (Williamson, 1975, 1996), la théorie de l’avantage concurrentiel basé sur les activités (Porter, 1985, 1991) et la théorie de l’organisation industrielle (Tirole, 1993; Stigler, 1968).

L’objectif de cet article est, dans un premier temps, de montrer l’inadéquation des hypothèses de base des théories existantes par rapport aux particularités de l’entreprise réseau. Dans un deuxième temps, nous souhaitons proposer un ensemble d’hypothèses sur lesquelles un cadre théorique pour l’entreprise réseau pourrait s'appuyer. La méthodologie utilisée pour cette fin est constituée de trois étapes. La première consiste à identifier les hypothèses de base du cadre théorique de l’entreprise traditionnelle et discuter des changements qu’elles ont subi à travers le temps et qui ont donné naissance à différentes écoles de pensée. La deuxième étape revient à définir l’entreprise réseau et déterminer ses caractéristiques particulières. La troisième étape compare les hypothèses du cadre théorique de l’entreprise classique aux caractéristiques de l’entreprise réseau dans le but d’évaluer leur adéquation et de proposer de nouvelles hypothèses mieux adaptées à cette dernière.

Le cadre théorique de l’entreprise traditionnelle

Le cadre théorique de l’entreprise traditionnelle considère généralement quatre régimes de marché dans lesquels l’entreprise pourrait opérer. Ces régimes de marché peuvent être associés à un continuum allant de la concurrence parfaite au monopole pur. Entre les deux, on retrouve le marché oligopolistique et le marché à concurrence monopolistique (Dominique, 1987, traite en détail ces quatre régimes de marché ainsi que les hypothèses correspondantes). Dans un contexte de concurrence parfaite, chaque producteur est supposé avoir un « poids négligeable » sur le marché et ne peut pas « faire pression » sur les prix (Guerrien, 1989 : 86). De plus, pour ce marché, les produits sont supposés être homogènes et la rivalité considérée comme absente entre les producteurs qui sont présumés infinis (Dominique, 1987 : 285). La situation de monopole consiste en un seul vendeur d’un produit qui n’a pas de proche substitut à cause de sa forte différenciation (Douglas, 1992 : 363). La concurrence monopolistique est une situation où le nombre de producteurs est assez grand et les produits sont légèrement différenciés mais avec de proches substituts. Finalement, l’oligopole ou le marché oligopolistique est caractérisé par l’existence de quelques producteurs, pour ne plus considérer la situation comme monopolistique, et par le fait qu’il n’y ait pas assez de producteurs pour considérer le marché comme une concurrence monopolistique. De plus, dans un marché oligopolistique, les produits offerts ne sont pas homogènes. Ils sont plutôt différenciés en terme de design, d’effort de promotion et de lieu de vente (Douglas, 1992 : 363).

De ces quatre régimes, la théorie économique néoclassique a traité les deux cas extrêmes : le cas du monopole et celui de la concurrence parfaite qui sont considérés comme des cadres de référence hypothétiques accompagnés de modèles robustes. Quant aux deux régimes intermédiaires, l’oligopole et la concurrence monopolistique, ils sont traités par la théorie de l’organisation industrielle (Tirole, 1993), et ce sont eux qui se rapprochent le plus de la réalité des entreprises. Mais, pour ces deux régimes, il existe, selon Dominique (1987 : 308), autant de modèles qu’il y a de situations. Selon lui, étant donné que plusieurs variables ne sont pas quantifiables et vu la diversité des hypothèses de base, aucun des modèles ne peut être généralisé à l’ensemble des cas.

Bien que la théorie économique néoclassique ait traité deux cas de marché hypothétiques, elle a énormément influencé la théorie de l’entreprise traditionnelle. Par contre, les hypothèses auxquelles cette théorie fait appel sont souvent critiquées et qualifiées par certains d’irréalistes (Guerrien, 1989 : 1). On pourrait se demander alors pourquoi on s’intéresse à une théorie dont la portée pratique est plus que contestée. Plusieurs raisons peuvent être avancées, dont celles-ci : (1) en respectant les hypothèses de cette théorie, on arrive à faire des développements mathématiques cohérents, rigoureux et relativement simples de plusieurs concepts; (2) cette théorie et les modèles développés sur la base de ses hypothèses constituent des références pertinentes pour tout développement concernant l’entreprise; (3) plusieurs écoles de pensée ont pris naissance dans cette théorie. Il est alors important de remonter à la source pour comprendre la portée de ces différentes écoles de pensée qualifiées souvent de théories.

1. Les hypothèses de base de la théorie néoclassique

Dans cette sous-section, les hypothèses du cadre de référence de la théorie économique néoclassique sont analysées. Comme il a été mentionné, cette théorie est souvent associée aux deux extrêmes du continuum de régimes de marché : le monopole pur et la concurrence parfaite. D’une manière générale, la théorie économique néoclassique considère l’entreprise comme une boîte noire qui répond automatiquement et instantanément aux changements du monde extérieur. Les hypothèses fondamentales de cette théorie touchent huit aspects qui sont présentés au tableau 1 en tenant compte des deux régimes de références : le monopole et la concurrence parfaite (Naylor et Vernon, 1969; Guerrien, 1989; Conner, 1991).

2. Les écoles de pensées issues de la théorie néoclassique

Comme le montre le tableau 1, les hypothèses de la théorie néoclassique constituent un cadre conceptuel qui permet de construire des modèles relativement simples en ce qui concerne la recherche de l’optimum. Néanmoins, à travers les années, plusieurs critiques ont été formulées qui ont fait ressortir le manque de réalisme de certaines hypothèses. Les changements alors opérés sur ces dernières ont donné naissance à plusieurs écoles de pensée ou théories. Le tableau 2 récapitule les principales hypothèses de la théorie néoclassique remise en question par chacune des écoles de pensée ainsi que les nouvelles hypothèses que ces dernières proposent.

Tableau 1

Hypothèses de base de la théorie néoclassique de l’entreprise

Hypothèses de base de la théorie néoclassique de l’entreprise

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Tableau 2

Théories de l’entreprise issues de la théorie néoclassique

Théories de l’entreprise issues de la théorie néoclassique

Tableau 2 (suite)

Théories de l’entreprise issues de la théorie néoclassique

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Après avoir présenté le cadre théorique de l’entreprise classique constitué essentiellement de la théorie néoclassique et des modifications qui lui ont été apportées par diverses écoles de pensée, on peut se demander si ce cadre théorique est adéquat pour l’entreprise réseau. Pour répondre à cette question, il faut d’abord analyser les principales caractéristiques de l’entreprise réseau.

L’entreprise réseau et ses principales caractéristiques

Cette section analyse et synthétise les principales recherches qui ont traité de la définition, des caractéristiques et de la typologie des entreprises réseau. Les résultats de ces recherches seront exploités pour définir les hypothèses de base d’un cadre théorique pour l’entreprise réseau (dernière section). Dans un premier temps, nous allons définir l’entreprise réseau. Ensuite, nous allons présenter ses principales caractéristiques.

1. Définition de l’entreprise réseau

Selon les travaux de Kranton et Minehart (2000), O’Farrell et Wood (1999), Poulin et al. (1994), l’entreprise réseau est une entreprise qui se concentre sur quelques activités qu’elle maîtrise mieux que les autres. Elle crée des partenariats avec des clients « privilégiés » de manière à faciliter la conception et la fabrication des produits. Elle améliore ses processus de production en étroite association avec ses fournisseurs. Elle confie certaines de ses activités à d’autres partenaires capables de les réaliser à moindres coûts et à une meilleure qualité. Elle mise sur ses relations stratégiques, plutôt que sur sa taille, pour réaliser ses objectifs.

Autrement dit, c’est une entreprise qui profite de la compétence de ses partenaires pour externaliser des activités qui auraient pu être gardées à l’interne. En agissant ainsi, l’entreprise réseau espère essentiellement baisser ses coûts, gagner de la flexibilité, accéder à des sources plus variées, profiter d’une expertise de pointe, réduire le risque associé à ses projets et alléger sa structure interne. Tout ceci permet à l’entreprise d’être plus concurrentielle, de conquérir de nouveaux marchés et d’augmenter sa valeur économique.

Quant au réseautage (networking), il est défini par D’Amours (1995 : 16) comme étant : « un processus stratégique qui consiste à configurer le réseau en sélectionnant ses noeuds et en forgeant ses liens et à l’orchestrer pour remplir sa mission, selon les besoins et les aspirations des interacteurs qu’elle vise à satisfaire et selon les opportunités d’affaires ». Au risque de dénaturer un peu le réseautage, sur le plan opérationnel, celui-ci revient à décider quelle activité garder à l’interne dans le cadre de « faire » ou « faire ensemble » et quelle activité externaliser en la confiant à un partenaire extérieur dans le cadre d’une relation de faire ou faire ensemble d’une manière ponctuelle ou durable. Il faut aussi déterminer si certaines activités externes devraient être internalisées. L’option de faire une activité ensemble implique la co-responsabilité de l’entreprise avec un ou plusieurs partenaires externes.

Grandori et Soda (1995) mettent l’accent sur le mode particulier de gestion de l’interdépendance entre les membres du réseau. Ils le différencient de l’intégration et de la coopération à travers les signaux du marché comme les prix ou les changements stratégiques. Notons que la collaboration et la communication constituent les principaux éléments de ce mode. Les auteurs mentionnent également le manque de consensus sur le statut des entreprises-réseau. En effet, d’un côté, il y a ceux qui les considèrent comme une forme hybride ou intermédiaire (Williamson, 1991; Thorelli, 1986). De l’autre, on les identifie comme une catégorie à part avec des caractéristiques et des formes propres qui les rendent qualitativement différentes des marchés et des entreprises « classiques » (Powell, 1987; 1998).

Achrol (1997) distingue l’entreprise réseau d’un réseau d’entreprises. Il exprime cette difference dans les termes suivants : « a network organization is distinguished from a simple network of exchange linkages by the density, multiplicity, and reciprocity of ties and shared value system defining membership roles and responsibilities. » Selon l’auteur, cette définition a l’avantage d’être assez large pour inclure une grande variété d’entreprises réseau. Elle inclut au moins les quatre formes d’entreprise réseau identifiées par l’auteur qui sont : (1) le réseau marché interne (internal market network), (2) le réseau marché vertical (vertical market network), (3) le réseau inter-marché ou concentrique (intermarket network), et (4) le réseau d’opportunité (opportunity network). L’auteur reconnaît que la logique économique (economic rationale) et le type de mécanismes de coordination et de contrôle spécifiques à l’entreprise réseau sont très distincts de ceux qui caractérisent les paradigmes d’échange basés sur les relations dyadiques.

Venkatraman et Henderson (1998) définissent l’entreprise réseau comme suit : « strategic approach that is singularly focused on creating, nurturing, and deploying key intellectual and knowledge assets while sourcing tangible, physical assets in a complex network of relationships. » Ils placent ainsi les technologies de l’information au coeur de l’entreprise virtuelle et proposent trois dimensions de virtualité qui sont : (1) le comptoir virtuel (interaction avec les clients); (2) l’acquisition virtuelle (virtual sourcing) et (3) l’expertise virtuelle (les connaissances).

Comme nous le laissent croire ces quelques définitions, on ne semble pas s’entendre sur le ou les éléments les plus importants qui permettent de distinguer l’entreprise réseau des autres formes d’entreprises. Pour les besoins de cette recherche, nous adoptons la définition d’Achrol (1997) puisqu’elle présente l’avantage d’être assez large pour inclure plusieurs formes d’entreprises réseau. De plus, elle traite d’un aspect distinctif de l’entreprise réseau qui est le système de valeur partagée entre les membres du réseau.

2. Caractéristiques typiques de l’entreprise réseau

Comme déjà mentionné à l’introduction de ce document, les caractéristiques de l’entreprise réseau seront présentées sous forme de comparaison avec l’entreprise classique afin de montrer l’inadéquation des hypothèses de la théorie classique pour le cadre des entreprises réseau. Dans ce sens, Symon (2000) mentionne plusieurs aspects typiques à l’entreprise réseau comme la structure plus aplatie et plus légère, la grande flexibilité, la prise de décision rapide, la grande capacité d’apprentissage de leur environnement, la perméabilité plus élevée des fonctions traditionnelles et des frontières conventionnelles, le volume élevé de communication directe, l’implantation d’équipes temporaires, et la grande exploitation des connaissances de chaque individu dans le réseau. Snow (1997) mentionne que les réseaux et particulièrement ceux avec plusieurs firmes sont très différents des organisations de type hiérarchiques traditionnelles dans leur façon de faire les affaires. Le tableau 3 retrace quelques-unes de ces différences.

Miles et Snow (1992) se sont intéressés aux raisons potentielles d’échec de l’entreprise réseau. Ils ont examiné l’évolution des formes organisationnelles à travers le temps afin d’expliquer ce qui a contribué fortement à l’émergence de ce type d’entreprise. Ils ont mentionné quatre formes organisationnelles à savoir la forme fonctionnelle (début du 20ième siècle), la forme divisionnelle (avec la révolution industrielle), la forme matricielle et la forme réseau. Eux aussi sont d’accord sur le fait que la turbulence de l’environnement (consommateurs, technologies, etc.) et l’hyperspécialisation expliquent en grande partie l’arrivée de l’entreprise réseau. Ils proposent trois différences majeures entre l’entreprise réseau et l’entreprise classique qui sont : (1) dans l’entreprise réseau, la plupart des ressources sont réparties sur plusieurs partenaires; (2) l’entreprise réseau se base plus sur les mécanismes de marché que sur les processus de gestion des flux de ressources. Ceci demande à chaque partenaire du réseau de reconnaître leur interdépendance et de partager de l’information, de coopérer et d’adapter son produit/service afin de maintenir sa place dans le réseau; (3) dans l’entreprise réseau, chaque membre se doit d’être proactif et de livrer plus que ce que le contrat stipule afin de maintenir sa place dans le réseau si celui-ci lui est profitable.

Tableau 3

Différence entre l’entreprise classique et l’entreprise réseau selon Snow (1997)

Différence entre l’entreprise classique et l’entreprise réseau selon Snow (1997)

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Peck et Jüttner (2000) mentionnent que l’entreprise réseau est caractérisée par une confédération de compétences et habiletés spécialisées qui sont données par tous les membres du réseau. Il est admis que de tels arrangements peuvent permettre d’améliorer la satisfaction du consommateur et les profits dans les conditions de grande turbulence environnementale.

Pour Markham (1998), les entreprises réseau se caractérisent par une dispersion géographique importante, des relations réseau temporaires, une utilisation extensive des communications via les ordinateurs (communications électroniques jusqu’à faire les affaires presque totalement dans le cyberespace), et une emphase extrême sur les connaissances et l’apprentissage.

Walker (1997) identifie deux catégories de différences entre les entreprises classiques et l’entreprise réseau. Il s’agit des différences structurelles et des différences de coordination et de formes de gouvernance. L’élément crucial pour la première catégorie concerne la spécialisation. L’auteur argumente que l’entreprise réseau sous toutes ses formes a vu le jour suite à une période de grande turbulence au niveau de l’environnement. Pour y faire face, les organisations se sont orientées vers une hyperspécialisation qui leur permette d’être efficaces dans leurs domaines de compétence (d’où l’acquisition d’avantages compétitifs). Cependant, cette spécialisation les rend vulnérables pour les autres domaines. D’où ce mouvement « spontané » de s’associer avec d’autres qui excellent chacun dans un domaine particulier pour une meilleure performance globale (plus grande capacité à s’adapter à l’environnement). L’hypothèse d’hyperspécialisation soulève plusieurs questions. La première est : cet objectif (réaliser une meilleure adaptabilité à l’environnement en s’associant avec des membres ayant des expertises pointues pour partager les investissements et éviter tous les inconvénients du fardeau bureaucratique) est-il viable ? Chaque membre pris individuellement, peut-il compter sérieusement sur l’expertise spécialisée des autres membres sans compromettre sa performance (surtout à moyen terme) et sans affecter sa capacité d’adaptation à l’environnement ? Si la réponse à cette dernière question est l’affirmative, alors quels sont les domaines de spécialisation qu’il faut garder sous le contrôle interne de chaque membre du réseau et quels sont les domaines qu’il faut chercher à l’extérieur ?

La deuxième catégorie de différences est en quelque sorte la conséquence de cette spécialisation accrue. Puisque l’expertise et l’information se trouvent entre les mains de plusieurs spécialistes à l’intérieur et à l’extérieur des frontières de l’organisation alors des mécanismes (nouveaux et différents) sont nécessaires pour synthétiser, résumer et disséminer cette connaissance. Le fait que plusieurs parties se trouvent impliquées dans la résolution de problèmes interdépendants de l’organisation (baisser les coûts de production par exemple) rend nécessaires les mécanismes permettant de fixer des objectifs consistants ou convergents, d’allouer les ressources efficacement, de coordonner les interactions d’une manière optimale et de distribuer la valeur ajoutée créée parmi les membres du réseau. D’ailleurs, l’évolution des structures organisationnelles classiques (fonctionnelles, divisionnelles puis matricielles) traduit ce besoin de coordination des activités des organisations au fur et à mesure que le degré de spécialisation augmente. Comme la spécialisation s’est accrue davantage dans le cas de l’entreprise réseau, ces structures s’avèrent peu adéquates et le besoin pour de nouvelles structures devient assez évident. Plusieurs (Walker, 1997; Achrol, 1997; Achrol et Kotler, 1999) ont mentionné le manque d’efficience des structures classiques et l’ont attribué essentiellement à la sous-optimisation et aux coûts engendrés par l’inflexibilité et l’inertie bureaucratique créées par ces dernières. La deuxième différence cruciale entre l’entreprise réseau et les entreprises classiques concerne les formes de gouvernance. Achrol (1997) a mentionné que certaines entreprises réseau se basent sur une combinaison de différentes formes de gouvernance (marché, relation, etc.). Plusieurs sont d’avis que les formes de gouvernance de l’entreprise réseau qui sont en émergence (Jacobs, 1974; Morgan et Hunt, 1994; Walker, 1997; Achrol, 1997; Achrol et Kotler, 1999) se caractérisent par une place plus importante pour les facteurs sociaux des relations multilatérales dont la confiance et l’engagement. Ceci ne veut pas dire que les dimensions économiques perdent de leur importance. Bien au contraire, elles demeurent dominantes puisqu’elles justifient et constituent une nécessité pour que le réseau puisse exister (O’Farell et Wood, 1999). De plus, ces nouvelles formes de gouvernance semblent favoriser davantage les ajustements mutuels basés sur les normes sociales des relations comme la flexibilité, la mutualité, la solidarité et l’intégrité. Notons que ces facteurs étaient également importants dans les relations dyadiques. En revanche, puisque les relations sont multilatérales et les flux circulant entre les membres du réseau englobent de plus en plus d’éléments aussi précieux que la connaissance, le développement et la gestion des éléments sociaux de la relation deviennent plus complexes et nécessitent de nouveaux mécanismes ou du moins une révision des mécanismes existants (Graham, 1993; Gulati, 1999). Prenons l’exemple de la confiance. Dans une relation dyadique, les deux partenaires investissent pour développer une confiance entre eux. Dans le cas d’une entreprise réseau, la confiance doit se développer entre plusieurs partenaires à la fois. En effet, si deux membres du réseau se font confiance et qu’ils n’éprouvent pas un haut niveau de confiance pour un troisième, quatrième, etc. membre alors, les actions de l’entreprise réseau vont être affectées négativement et même bloquées. Il ne peut y avoir d’asymétrie majeure au niveau de la confiance, de l’engagement, etc. entre les membres d’une entreprise réseau dont la caractéristique principale est l’hyperspécialisation de ses membres.

Dans cette même veine, Walker (1997) a souligné quelques réserves concernant la capacité d’adaptation de l’entreprise réseau et ses mécanismes de gouvernance. Il critique principalement la proposition d’Achrol (1997) qui préconise des mécanismes de gouvernance basés sur l’auto-contrôle, la confiance mutuelle, l’engagement et le développement de normes sociales relationnelles fortes. Ces mécanismes sont sensés permettre aux membres du réseau de générer et de partager de la valeur en plus de s’adapter efficacement aux changements de l’environnement. La première critique concerne l’existence même de tels mécanismes dans la vie réelle des organisations. La deuxième traite des difficultés liées à la mesure de la valeur créée dans une entreprise réseau et à l’identification des critères justes de partage de cette valeur. Une troisième critique encore plus fondamentale questionne l’impact de tels mécanismes de gouvernance sur la capacité (1) des membres du réseau à perfectionner leur expertise et à la mettre à jour et (2) de l’entreprise réseau à substituer des membres du réseau par de nouveaux et par conséquent à s’adapter efficacement aux changements de l’environnement.

Tableau 4

Caractéristiques typiques de l’entreprise réseau

Caractéristiques typiques de l’entreprise réseau

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Sans prétendre présenter une analyse exhaustive des études traitant des particularités de l’entreprise réseau, nous résumons dans le tableau 4 ses caractéristiques typiques et majeures.

En tenant compte des aspects spécifiques de l’entreprise réseau, il est clair que le cadre théorique de l’entreprise classique ne peut pas être appliqué à l’entreprise réseau. Il devient donc indispensable de développer un cadre théorique s’adaptant à la réalité de ce type d’entreprise. La nécessité d’un tel cadre a été exprimée de diverses manières et par plusieurs chercheurs. Dans ce sens, Williamson (1991 : 90) écrivait : « A core theory to another economizing is the pressing need. ». Aussi, Burgers et al. (1993 : 419) identifient ce besoin à travers les propos suivants : « There has been a lack of theory development regarding the overall configuration of alliance activity ». Ils ajoutent aussi : « New theoretical approaches may be needed to explain the behavior and performance of organizations operating as parts of larger inter-organizational networks. » (Burgers et al., 1993 : 431). Emshoff (1993) avance la même idée et intitule son article « Is it Time to Create a New Theory of the Firm ? ». Cet article met plus en exergue la nécessité et la pertinence d’un cadre théorique pour l’entreprise réseau. D’après cet auteur, les facteurs qui militent pour le développement d’une nouvelle théorie pour la firme sont le souci d’une meilleure réponse aux attentes des clients, la création de réseaux horizontaux entre les entreprises et la prolifération de services spécialisés de gestion.

Partant des constatations des deux premières sections, un ensemble d’hypothèses qui pourrait servir de fondement pour l’élaboration d’un cadre théorique de l’entreprise réseau est avancé dans la section suivante.

Cadre théorique de l’entreprise réseau

Dans cette section, nous discutons dans un premier temps des caractéristiques globales du cadre théorique de l’entreprise réseau. Ensuite, nous reprenons les hypothèses du cadre théorique de l’entreprise classique (voir tableau 1) en apportant les modifications nécessaires pour respecter les particularités de l’entreprise réseau.

1. Caractéristiques globales du cadre théorique de l’entreprise réseau

Pour Walker (1997), une théorie de l’entreprise réseau doit aller plus loin que la théorie basée sur les relations dyadiques (théorie du marketing relationnel par exemple). Salancik (1995) propose que la théorie de l’entreprise réseau doit permettre de répondre au moins à une des deux questions suivantes : (1) comment l’ajout ou le retrait d’une interaction dans le réseau va-t-il affecter la coordination entre les nouveaux membres du réseau ; (2) comment la structure d’un réseau peut-elle empêcher ou encourager les interactions efficaces entre les dyades du réseau ? En somme, on doit proposer une théorie qui permet d’expliquer comment la structure des interactions au sein de l’entreprise réseau permet à ses membres de coordonner leurs actions de manière à réaliser leurs objectifs individuels et collectifs. La première conclusion qu’on peut tirer de ce que propose Salancik est que l’entreprise réseau doit être considérée comme une unité organisationnelle globale et, par conséquent, le niveau d’analyse doit être l’ensemble des relations dyadiques y compris leurs effets directs et indirects les unes sur les autres. Walker (1997) appuie également cette idée. En effet, en comparant l’entreprise réseau et l’entreprise classique, il souligne l’existence d’un consensus sur le fait que le réseau est plus que la somme des relations dyadiques qui sont en interaction dans une entreprise réseau. Chacune de ces relations dyadiques va être influencée et influencera, à son tour, le contexte dans lequel elle prend place. Cette influence se fait à travers les effets secondaires (positifs ou négatifs) qui se dégagent de chacune des relations dyadiques au sein du réseau (voir aussi Anderson et al., 1994).

La deuxième conclusion concerne la structure de coordination et de contrôle (gouvernance) de l’entreprise réseau. En effet, Salancik (1995) semble indiquer que les mécanismes de coordination et de contrôle développés pour l’entreprise classique (théorie des transactions par exemple) ou même ceux particuliers aux relations dyadiques (théorie du marketing relationnel ou celle des alliances stratégiques) ne sont pas adéquats pour l’entreprise réseau. D’ailleurs, Salancik n’est pas le seul à suggérer le besoin de concevoir d’autres mécanismes (voir, par exemple, Walker, 1997; Achrol, 1997; Achrol et Kotler, 1999). Si on accepte ces deux conclusions, alors il faut que la théorie de l’entreprise réseau soit capable : (1) d’identifier les particularités des structures de l’entreprise réseau sous toutes ses formes comparativement à celles des entreprises classiques (structures fonctionnelles, divisionnelles et matricielles). Dans ce sens, Achrol (1997) a amorcé la discussion et a proposé une description de ces particularités. Des efforts supplémentaires sont nécessaires afin d’analyser l’impact de ces différences sur la gestion de l’entreprise réseau et sur l’évaluation de sa performance; (2) de proposer de nouveaux mécanismes ou transformer des mécanismes existants afin de tenir compte des particularités des structures de l’entreprise réseau. Il est important de mentionner ici que l’analyse doit se faire pour chacune des formes de l’entreprise réseau étant donné que les structures peuvent être très différentes d’une forme à l’autre. À titre d’exemple, Achrol (1997) en prenant comme repère l’entreprise réseau maximisant la synergie verticale (réseau vertical), a montré que certains concepts très utilisés dans les relations dyadiques comme le pouvoir, l’engagement et la confiance peuvent différer quand on se place dans la perspective réseau. Aussi, il a argumenté que les normes sociales changent et jouent des rôles différents quand on est dans le cas de l’entreprise réseau.

2. Hypothèses de base du cadre théorique de l’entreprise réseau

Tenant compte des particularités de l’entreprise réseau et des réserves soulevées quant à l’adéquation des hypothèses de base des théories de l’entreprise classique, nous proposons dans ce qui suit de nouvelles hypothèses de base adaptées à la réalité de l’entreprise réseau.

Les objectifs de l’entreprise réseau (H1) : Face à un environnement turbulent, les objectifs visent à rendre maximale la capacité d’adaptation de l’entreprise tout en diminuant les coûts et en augmentant les avantages concurrentiels durables basés sur l’expertise et la connaissance.

Les objectifs de l’entreprise réseau dépendent de la forme du réseau. Ils sont en général plus complexes, plus à long terme et pas strictement économiques (la qualité des interactions peut faire partie des objectifs). Dans ce sens, Montreuil et al. (1996) mentionnent que le problème de la détermination des objectifs est plus compliqué que dans le cas de l’entreprise classique car l’entreprise réseau peut avoir une identité non clairement définie (pour Keidel, 1994, l’identité d’une entreprise est définie par ses valeurs, sa mission, ses pratiques et son expérience). De ce fait, l’entreprise réseau optimisera son réseau d’activités internes auquel seront ajoutées les activités des fournisseurs ainsi que les activités des clients. De plus, ces objectifs doivent être consistants avec ceux des partenaires ou pour le moins, être convergents avec ces derniers. Il faut s’assurer que tous les partenaires de l’entreprise réseau aient une motivation pour l’aider à réaliser ses objectifs. Une hiérarchisation des objectifs est alors nécessaire. Au sommet, on retrouve l’objectif principal comme la recherche d’un avantage compétitif durable ou la maximisation de la valeur marchande de l’entreprise. À un niveau inférieur, on peut trouver les objectifs qui contribuent à la réalisation de l’objectif principal tels que la maximisation de la valeur ajoutée, la maximisation de la satisfaction des clients, la maximisation du chiffre d’affaires ou des échanges avec les partenaires stratégiques.

L’information (H2) : la structure réseau ainsi que les technologies de l’information vont favoriser le partage d’information entre les membres, améliorer la quantité et la qualité de l’information ainsi que les délais et les coûts pour se la procurer. L’exploitation de l’information dépendra des habilités dont dispose l’entreprise réseau.

L’entreprise réseau utilise un système de collecte et de traitement des informations en connexion avec d’autres systèmes d’information chez les partenaires (Sonnentag, 2000). Les flux d’information doivent être bien gérés pour garantir la synergie escomptée et assurer la survie de l’entreprise réseau. Cette dernière est plus favorable à l’apprentissage puisqu’elle organise les composantes fonctionnelles de manière à ce qu’elles s’ajustent bien à l’environnement externe de connaissances (Achorol et Kotler, 1999). Sur un autre plan, l’information qui est un facteur d’équilibre dans la relation entre entreprises peut aussi favoriser la bonne communication entre les membres du réseau et aider au développement ou à la consolidation de la confiance entre eux (Parkhe, 1991, 1993; Kogut et Singh, 1988).

La certitude (H3) : la structure du réseau affecte la flexibilité de l’entreprise. Plus cette flexibilité est grande, plus les dommages causés par l’incertitude de la demande et de la concurrence seront faibles.

L’incertitude reliée à la demande et à la concurrence augmentent le risque par rapport aux investissements que l’entreprise réseau sera amenée à effectuer. En effet, elle fait appel au réseautage, entre autres, dans le but de contenir cette incertitude. Harrigan (1985) a vérifié empiriquement cette hypothèse dans le cadre de la coentreprise (joint venture), alors que Burgers et al. (1993) l’ont vérifié dans le cadre des alliances avec les concurrents. Comme déjà mentionné plus haut, les objectifs des alliances qui font suite à des décisions de réseautage sont certes économiques, mais visent également un gain de flexibilité sur le plan de la quantité, de la gamme, des délais, etc.

La prise de décision (H4a) : le preneur de décision n’est pas totalement rationnel, tolère un haut niveau d’incertitude et doit intégrer le mécanisme de gouvernance de l’entreprise réseau dans le processus de prise de décision.

Les principales décisions de l’entreprise réseau (H4b) : le réseautage et la fixation des prix des produits extrants (sur la base des coûts et de la valeur perçue par le client) sont les deux principales décisions de l’entreprise réseau.

Le preneur de décision n’exige pas la rationalité totale. On valorise plus la subjectivité et la créativité car elles peuvent engendrer des connaissances nouvelles. Ces dernières peuvent se conjuguer aux connaissances existantes pour les enrichir et renforcer l’avantage compétitif de l’entreprise réseau. La certitude n’est ni recherchée ni souhaitée car un des facteurs principaux qui ont donné naissance à l’entreprise réseau est l’instabilité de l’environnement. Cette instabilité encourage l’entreprise réseau et ses partenaires à développer des expertises pour mieux scruter l’environnement et réagir en conséquence. De plus, devant la grande spécialisation (beaucoup d’information sur un domaine restreint et absence d’information sur le reste) le preneur de décision n’a pas le choix que d’utiliser l’information fournie par les partenaires, si elle existe, ou de prendre sa décision avec un niveau d’incertitude assez élevé.

La coordination et le contrôle (la gouvernance) : l’entreprise réseau entretient des relations multilatérales avec ses partenaires. Le niveau d’interdépendance entre eux est assez élevé et la ressource la plus importante est immatérielle (connaissance et expertise). Tout ceci rend les éléments sociaux de la relation d’une extrême importance. La théorie des relations dyadiques peut être utile mais certainement pas suffisante puisque la survie et l’efficacité de l’entreprise réseau ne dépendent pas de la somme de toutes les relations dyadiques dans le réseau mais des interactions entre elles ainsi que du contexte dans lequel elles prennent naissance (donc l’entreprise réseau).

Le réseautage est une décision spécifique à l’entreprise réseau. Il se traduit sur le plan pratique par le choix de la forme du réseau, des noeuds (activités) et l’établissement des liens entre les noeuds. Ces choix impliquent des actions d’externalisation et d’internalisation ou de collaboration. Les actions de faire ensemble nécessitent l’exploitation conjointe des ressources de l’activité qui peut se trouver à l’intérieur ou à l’extérieur de l’entreprise. Les décisions d’externalisation nécessitent aussi la résolution du problème du sort des ressources internes associées aux activités à externaliser, en plus du problème du choix des partenaires potentiels. Ces partenaires ne sont pas considérés comme de simples fournisseurs : ils sont plutôt vus comme étant des partenaires stratégiques. Les recherches ayant traité la question du choix des partenaires stratégiques demeurent rares.

La fixation des prix a déjà été considérée par la théorie de l’organisation industrielle comme étant une décision importante pour l’entreprise traditionnelle. Cette décision est aussi importante pour l’entreprise réseau. De plus, l’entreprise réseau accordera plus d’attention à ses partenaires et partagera avec eux les fruits de l’apprentissage et des économies d’échelle. Sur le plan pratique, cela se traduirait par la fixation de fonctions de montants échangés par suite de négociations ou après avoir déterminé la valeur accordée par le client aux produits livrés. L’exploitation de la notion de valeur pour la fixation des prix est une question qui est de plus en plus étudiée par les chercheurs (Bako et Brynjolfsson, 1999; Besanko et al., 1998; Havener et Thorpe, 1994; Nucifora, 1997; Sudhir, 2001). L’entreprise réseau tient compte à la fois du marché et de sa situation particulière pour fixer les prix (et non pas l’un ou l’autre comme dans le cas de l’entreprise traditionnelle). Elle prend ses décisions après avoir négocié avec ses partenaires et en considérant les particularités de tous les membres du réseau et de l’ensemble (l’entreprise réseau elle même).

Le processus de production de l’entreprise réseau (H5a) : l’entreprise réseau privilégie un système de production à ressources durables divisibles en modules ce qui lui permet d’ajuster facilement son processus de production et de ne plus avoir à supporter les frais occasionnés par les ressources dont l’activité se trouve externalisée.

Les ressources pour la production de l’entreprise réseau (H5b) : les connaissances et l’expertise constituent les ressources les plus stratégiques. Il faut identifier les ressources qui doivent rester sous le contrôle de l’entreprise réseau et celles qui peuvent être sous le contrôle de partenaires afin de rendre la structure du réseau stable et optimale.

Par le réseautage, le processus de production de l’entreprise peut ne pas être sous le contrôle total des ingénieurs et des techniciens de l’entreprise réseau. À la limite, l’entreprise réseau peut ne posséder aucune activité ou fonction primaire et ne s’approprier que des activités ou des fonctions de soutien (au sens de Porter, 1985). Il s’agit d’un cas particulier d’entreprise réseau : l’entreprise symbiotique ou virtuelle (Montreuil et al., 1996; Miles et Snow, 1986, 1995; Achrol, 1991). L’entreprise réseau prend soin que les ressources durables des activités qu’elle décide de garder à l’interne soient divisibles en modules. Dans ce cas, il sera plus facile d’ajuster la capacité de production en fonction de la demande. Birkinshow et Hagström (2000) suggèrent que le niveau d’analyse change : de l’entreprise en tant qu’unité globale à un ensemble de sous-structures ou d’équipes (provenant de l’intérieur ou de l’extérieur) qui se mettent ensemble pour explorer et exploiter des connaissances pour des fins diverses. Kulik (2001) applaudit cette approche mais attire l’attention sur la différence entre le niveau d’analyse et l’unité d’analyse.

Dans cette perspective, l’entreprise réseau peut être considérée comme un ensemble de connaissances et d’expertises uniques et difficiles à imiter. Cette vision s’approche de celle de la théorie des ressources. La nature des ressources est toutefois plus spécifique dans le cas de l’entreprise réseau car il ne s’agit pas seulement de les cumuler, il faut savoir comment les faire acheminer à travers le réseau pour les faire fructifier. Un type de ressource qui domine toutes les autres dans l’entreprise réseau concerne la connaissance. Étant donné l’hyperspécialisation de l’entreprise réseau et de ses membres, les ressources qui sont mises à contribution dépassent de loin les ressources plus classiques comme les capitaux et la main d’oeuvre.

Une autre particularité du processus de production de l’entreprise réseau concerne la répartition des ressources nécessaires sur plusieurs sites dont le contrôle et la propriété ne reviennent pas toujours à l’entreprise réseau. L’entreprise réseau au même titre que ses partenaires va développer les expertises reliées à son domaine de compétence à l’interne. Elle va chercher les expertises complémentaires à l’extérieur. Contrairement à la théorie des ressources qui ne prête pas une grande importance à la distinction entre les ressources sous le contrôle de l’entreprise et celles qui ne le sont pas, l’entreprise réseau se doit de délimiter clairement les connaissances et expertises inhérentes à son domaine d’expertise. Si cette distinction n’est pas faite, alors la structure du réseau peut ne pas être stable et pas optimale. D’ailleurs, chacun des partenaires de l’entreprise réseau doit identifier les ressources qui restent à l’interne sous son contrôle et qui justifient sa place dans le réseau. Notons, enfin, que l’importance des ressources internes est largement acceptée dans le domaine de la stratégie en général (Barney, 1991; Mahoney et Pandian, 1992) et dans celui des dynamiques compétitives (Chen, 1996; Grimm et Smith, 1997).

L’équilibre dynamique de l’entreprise réseau (H6) : dans sa gestion, l’entreprise réseau favorise l’équilibre dynamique plutôt que l’équilibre statique pour profiter rapidement des innovations augmentant ainsi sa flexibilité et réduisant ses coûts.

Étant donné que l’entreprise réseau est ouverte sur un environnement désormais caractérisé par un changement rapide dans les habitudes de consommation et un nombre croissant d’innovations au sens large (techniques et de gestion), bouleversant ainsi les habitudes de production, une obsolescence rapide des états d’équilibre est constatée. Pour cette raison, les modèles dynamiques prenant en compte l’apprentissage, l’évolution de la technologie, les changements conjoncturels et l’ajout, le retrait ou le redéploiement des ressources, sont privilégiés par l’entreprise réseau au détriment des modèles statiques.

L’environnement de l’entreprise réseau (H7) : l’environnement joue un rôle déterminant dans la stratégie de l’entreprise réseau. Cette dernière peut envoyer plusieurs signaux à l’environnement en plus de celui des prix.

Une première particularité de l’environnement de l’entreprise réseau est qu’il est composé de tous les acteurs qui peuvent améliorer la connaissance ou l’expertise de l’entreprise réseau (liens avec les fournisseurs, distributeurs, clients, concurrents, etc.). La deuxième particularité touche sa turbulence : il faut s’adapter continuellement en améliorant la connaissance et l’expertise à travers les partenariats, mais aussi en exploitant et en disséminant cette connaissance pour générer de la valeur pour tous les partenaires ainsi que pour l’entreprise réseau. Enfin, contrairement à la théorie économique classique de l’entreprise dans laquelle on ne considère qu’un seul signal envoyé par l’entreprise (le prix), l’entreprise réseau peut envoyer plusieurs signaux : le prix, les partenariats, etc.

L’ensemble de ces hypothèses considérées conjointement constitue les prémices d’un cadre théorique et peut servir de base pour la modélisation formelle de l’entreprise réseau. Pour qu’un modèle soit utile, il n’est pas obligatoire qu’il tienne compte de tous les éléments de complexité de l’entreprise réseau, mais il faut au moins être conscient de ses limites. Les hypothèses formulées dans cette section faciliteront cette tâche.

Conclusion

Dans ce document, le cadre théorique de l’entreprise traditionnelle et les caractéristiques de l’entreprise réseau ont été analysés. Cette analyse nous a amené à la conclusion que le cadre théorique de l’entreprise traditionnelle ne s’applique pas à la réalité de l’entreprise réseau. Pour contribuer à combler cette brèche, un ensemble d’hypothèses pouvant constituer les prémisses d’un cadre théorique a été proposé. L’épine dorsale de ce cadre théorique est la prise en considération de la structure interne de l’entreprise réseau, élément qui a été ignoré dans le cadre théorique de l’entreprise traditionnelle. En effet, l’analyse des activités internes de l’entreprise réseau est une opération indispensable pour un réseautage réussi.

De plus, la revue de la littérature présentée dans ce document a permis de constater que le développement d’un cadre conceptuel jetant des ponts entre certaines écoles de pensée et définissant formellement l’entreprise réseau serait un atout tant pour les académiciens que pour les gestionnaires. Toutefois, on a pu constater que l’effort de recherche visant à développer des outils d'analyse, des outils de configuration stratégique et des outils de choix de partenaires demeure assez faible.