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Introduction

Parmi les facteurs susceptibles d’influencer les intentions comportementales du consommateur, la réputation et l’image organisationnelles jouent un rôle déterminant dans la stratégie de positionnement d’une organisation, lequel rôle est généralement bien reconnu dans la littérature des sciences de la gestion, et en particulier celle du marketing (Barich et Kotler, 1991; Zeithaml, 1981). Plusieurs auteurs soulignent la contribution de la réputation et de l’image au développement et au maintien d’une relation de fidélité avec les divers groupes cibles (Andreassen et Lindestad, 1998; Dick et Basu, 1994; Porter, 1985; Raj, 1985; Reynolds et al., 1974-1975; Robertson, 1993). Par ailleurs, la réputation et l’image sont généralement considérées comme deux concepts distincts, mais intimement reliés. Cette relation peut paraître bien fondée en raison du fait que la réputation et l’image sont issues vraisemblablement d’un même processus de globalisation fondé sur la perception et la socialisation des relations entre le consommateur et l’organisation. En fait, Rao (1994) considère la réputation et l’image organisationnelles comme le résultat global d’un processus de légitimation ou d’un mécanisme de « crédibilisation » de l’organisation. Cependant, l’examen des écrits antérieurs révèle que la réputation et l’image ont surtout été analysées séparément. De plus, il existe peu d’études empiriques qui examinent séparément ou simultanément le rôle de la réputation et de l’image dans la démarche de l’organisation visant à maintenir ou modifier le comportement de sa clientèle, en particulier la fidélité de celle-ci envers l’organisation.

L’objectif de la présente étude consiste donc à examiner, à l’aide des données recueillies dans une institution coopérative, l’influence de la réputation et de l’image organisationnelles et leurs effets interactifs sur la fidélité du consommateur, laquelle fidélité constitue en quelque sorte l’un des indicateurs les plus fiables de la réussite de l’organisation. En outre, la compréhension de ces relations contribuerait à établir la distinction entre la réputation et l’image, deux notions complexes et difficiles à mesurer, particulièrement dans le cas des organisations de service en raison du caractère largement immatériel de l’offre de services. Soulignons que le caractère impalpable de la plupart des services découle de l’absence de leur représentation physique : on ne peut toucher, ni goûter, ni voir un service. Le résultat global du service demeure totalement immatériel malgré la présence de produits ou d'actions tangibles dans le processus de prestation. Au plan pratique, la connaissance de l’influence de la réputation et de l’image organisationnelles sur la fidélité du consommateur devrait inciter le gestionnaire à les utiliser plus efficacement dans sa stratégie de communication pour renforcer le positionnement de l’organisation face à la concurrence.

Pour atteindre cet objectif, nous présenterons dans un premier temps une synthèse des écrits antérieurs sur les construits de réputation et d’image, la relation entre eux ainsi que sur leur impact sur la fidélité. Deuxièmement, la méthodologie utilisée pour évaluer empiriquement cet impact sera explicitée. Troisièmement, les résultats de l’étude seront présentés et discutés. Finalement, nous discuterons des implications de ces résultats en termes de pratiques de gestion et d’avenues de recherche.

Revue de la littérature

1. La réputation organisationnelle

Le concept de réputation organisationnelle a surtout été étudié par des économistes, des chercheurs en théorie organisationnelle et en marketing. En économie, la réputation est mise en relation avec le prix et la qualité du produit (Shapiro, 1983; Wilson, 1985). Les chercheurs en théorie organisationnelle analysent la réputation dans l’optique de l’identité sociale et la décrivent comme une ressource intangible importante ayant un impact très significatif sur la performance, voire la survie de l’organisation (Fombrun et Shanley, 1990; Hall, 1993; Rao, 1994). Les auteurs de marketing examinent la réputation sous la rubrique de « brand equity » (Aaker, 1996) et l’associent à la crédibilité de la firme (Herbig et al., 1994). En dépit de l’usage du vocabulaire varié et de la difficulté de conceptualisation, force nous est de constater qu’il y a consensus sur l’essence même de la notion de réputation. En fait, la réputation d’une organisation est le résultat direct de ses décisions et actions antérieures. Elle est considérée comme un reflet de l’histoire de la firme, un actif surtout lorsque le nom de la firme est également un nom de marque. La réputation informe en quelque sorte les divers groupes cibles de l’organisation sur la performance de ses produits et services en comparaison avec ceux des concurrents (Yoon et al., 1993). Herbig et Milewicz (1993 : 18) définissent la réputation organisationnelle comme « la constance des actions d’une firme observée dans le temps et évaluée sur un attribut donné » [2]. Il en résulte qu’une organisation peut avoir plusieurs réputations, une pour chacun des attributs sur lesquels l’organisation établit ses stratégies, par exemple le prix, la qualité du produit, la capacité d’innovation ou le style de gestion. L’organisation peut aussi avoir une sorte de réputation globale qui représente sa capacité à remplir ses promesses envers le client. Dans la même veine, Wartick (1992) considère que la réputation organisationnelle est la perception d’un individu ou d’un groupe d’individus de la capacité de l’organisation à satisfaire les besoins et les attentes de l’ensemble des groupes qui font affaire avec l’organisation. Cette conception de la réputation organisationnelle fait référence à la fois à un groupe cible et à l’ensemble des groupes, de sorte que la réputation n’est pas nécessairement identique pour tous les groupes. Ainsi, il est possible de dire que la multiplicité de la réputation organisationnelle correspond à des combinaisons d’attributs de l’organisation et de groupes visés par cette dernière.

Selon Herbig et Milewicz (1993), pour comprendre le processus de formation de la réputation, il est important de l’analyser en relation avec un autre concept, celui de crédibilité, qui se définit comme le niveau de confiance accordée à l’intention déclarée d’une organisation à une date donnée. La crédibilité est évaluée à chaque transaction sollicitée par le consommateur, alors que la réputation est fonction de la somme des crédibilités observées sur plusieurs transactions. La crédibilité peut être évaluée par la concordance entre ce que fait une organisation et ce qu’elle dit, c’est-à-dire entre l’action et le message. La réputation peut aussi être influencée par l’expérience vécue par le consommateur avec la firme et par l’information disponible sur ses activités, véhiculée soit à l’aide d’un réseau de communication usuel, soit par le bouche à oreille (Fombrun et Shanley, 1990). En l’absence de l’information pertinente, le consommateur a tendance à inférer de la réputation d’une firme la qualité de son produit ou service. Donc, une bonne réputation contribue à augmenter les ventes (Shapiro, 1982), permet une meilleure pénétration du marché visé et de bâtir une relation de fidélité avec la clientèle (Robertson, 1993; Yoon et al., 1993). Cependant, la réputation est fragile et peut facilement être détruite par les mauvaises actions de l’organisation. Rétablir une réputation nécessite souvent beaucoup de temps et d’efforts (Herbig et Milewicz, 1993) en raison probablement du caractère cumulatif de son processus de formation.

2. L’image organisationnelle

L’image organisationnelle est considérée comme un portrait englobant un ensemble d’impressions et d’attitudes qu’ont les gens à l’égard de l’organisation (Barich et Kotler, 1991; Dichter, 1985; Dowling, 1986; Kotler, 1982; Zimmer et Golden, 1988). Elle peut être issue des expériences d’achat et de consommation (Andreassen et Lindestad, 1998) et comporte deux volets : fonctionnel et émotionnel (Kennedy, 1977). Le volet fonctionnel correspond aux caractéristiques tangibles, mesurables et pouvant facilement se comparer à celles des organisations concurrentes, tandis que le volet émotionnel s’appuie sur des éléments psychologiques exprimés sous forme de sentiments ou d’attitudes face à l’organisation. Ces sentiments découlent d’une évaluation, propre à l’expérience de chaque individu avec l’organisation, des descripteurs fonctionnels de l’image. Dans le processus de formation de l’image, le volet émotionnel constitue habituellement un élément prédominant. Bref, l’image organisationnelle est un produit du processus de globalisation par lequel le consommateur cherche à positionner l’organisation par rapport à ses concurrentes. Elle est donc quelque chose de global, mais de relatif, car elle est souvent comparée à celle des autres organisations pour fins d’évaluation.

Une organisation ne projette pas une seule et unique image. Au contraire, elle est l’objet d’images variées selon ses groupes cibles (Gray, 1986; Kotler, 1982). Par exemple, les clients de l’organisation ne la perçoivent pas nécessairement comme ses employés; ou encore, l’image que les actionnaires se font de leur organisation peut différer de celle de la communauté ou du public. La multiplicité de l’image organisationnelle s’explique par la nature de l’expérience et le degré de contact qu’ont ces groupes cibles avec l’organisation, ainsi que par l’information relative aux activités de l’organisation qu’ils reçoivent.

L’image organisationnelle a un caractère à la fois dynamique et complexe. Sa transformation nécessite une harmonisation des activités de l’organisation, car la dissonance peut détruire l’impression créée par cette image. De plus, la création de l’image organisationnelle, souvent reliée à des symboles, est habituellement un processus de longue haleine, fondé sur les associations psychologiques des valeurs ou des concepts véhiculés. Dans certaines circonstances, toutefois, l’image organisationnelle peut être modifiée rapidement par des succès technologiques, particulièrement pour les entreprises qui présentent des réalisations spectaculaires.

Pour une organisation de service, la mise en évidence de l’association entre son image et le service offert présente certaines difficultés en raison de l’immatérialité de ce dernier. Ce caractère fondamental du service incite le gestionnaire à recourir à d’autres caractéristiques tangibles, surtout celles de l’organisation elle-même, pour rendre son image plus facilement saisissable. Ainsi, des éléments tels le personnel de contact, l’instrument de production du service et l’environnement dans lequel il est produit et utilisé sont souvent privilégiés dans le processus de création de l’image de l’organisation de service. Dans sa démarche visant à convaincre le consommateur, l’organisation de service présente des arguments fondés sur ces éléments qui constituent en quelque sorte les promesses de bénéfice de l’achat du service. Par exemple, un magasin coopératif met en évidence l’amabilité de son personnel dans les relations entretenues avec ses membres et clients comme indice de qualité de ses services dans l’effort de forger une image favorable.

La présence soutenue des éléments matériels dans l’effort promotionnel reflète non seulement la démarche de l’organisation de service visant à rendre le service plus tangiblement évident, mais aussi à créer une image organisationnelle plus concrète, plus facile à saisir et à retenir dans ce que les spécialistes de marketing appellent « ensemble évoqué » du consommateur. L’image organisationnelle devient donc une forme de garantie de la qualité du service offert et des bénéfices promis au consommateur, particulièrement lorsqu’il n’existe pas de différence notable quant au prix exigé par la concurrence. En règle générale, il est reconnu que l’image de l’organisation joue un rôle déterminant dans le processus d’achat du consommateur (Andreassen et Lindestad, 1998; Fornell, 1992; Gray et Smeltzer, 1987; Hildebrandt, 1988; Reynolds et al., 1974-1975).

3. La fidélité du consommateur

Bien qu’un consommateur fidèle soit celui qui fait des achats répétés d’une même marque dans le temps, la fidélité à la marque ne peut pas se mesurer uniquement par ce comportement d’achat, car la décision du consommateur peut être justifiée non par ses sentiments à l’égard du produit, mais plutôt par le prix ou la disponibilité de celui-ci. Il faut donc inclure dans la notion de fidélité la dimension psychologique habituellement exprimée sous forme d’attitude ou de préférence (Jacoby et Kyner, 1973). Selon certains auteurs, la présence des deux composantes comportementale et psychologique donne un portrait plus complet du phénomène de la fidélité (Jacoby et Chesnut, 1978; Laaksonen, 1993). En fait, cette approche dite « composite » de concevoir la fidélité repose sur l’hypothèse selon laquelle les décisions d’achat du consommateur sont guidées par une évaluation consciencieuse des marques en présence. En revanche, il est reconnu que dans plusieurs circonstances d’achat, le recours au processus d’évaluation avant achat ne constitue pas toujours une règle observée chez le consommateur. Il existe donc un danger qu’une véritable fidélité, même si elle ne résulte pas d’un engagement psychologique du consommateur à l’égard de la marque, ne soit pas reconnue par l’approche « composite ». Pour compléter l’approche « composite » qui demeure la plus acceptée dans la littérature, il est nécessaire d’analyser le comportement d’achat répété dans des contextes où le consommateur subit des pressions visant à changer son comportement (Sheth et Park, 1974). Ainsi, la fidélité à la marque existe réellement lorsque le consommateur résiste au changement de marque (Newman et Werbel, 1973; Woodside et al., 1980).

4. La relation réputation-image et son influence sur la fidélité du consommateur

Quelle est la relation entre la réputation d’une organisation et son image ? La recension des écrits révèle très peu de résultats empiriques sauf quelques énoncés généraux. Par exemple, Porter (1985) suggère qu’une bonne réputation permet à une organisation pionnière dans son champs d’activité de forger une image innovatrice auprès de ses clients et de ses concurrents. Pour sa part, Franklin (1984) avance que la réputation organisationnelle est le résultat global et final du processus de formation de l’image organisationnelle. Néanmoins, si l’on se fie au sens généralement accepté de chacun des deux construits, la réputation et l’image sont toutes les deux vues comme des perceptions externes de l’organisation. Plus spécifiquement, la première est le degré de confiance (ou méfiance) en la capacité d’une organisation à respecter ses promesses et à satisfaire les attentes de sa clientèle, alors que la deuxième est le portrait de l’organisation formé dans l’esprit des gens. La réputation et l’image sont donc issues d’un processus de globalisation qui s’appuie sur un ensemble d’informations utilisées par le consommateur dans son processus d’évaluation de la performance de l’organisation. Ces informations proviennent de sa propre expérience avec l’organisation ou d’autres sources comme la publicité ou le bouche à oreille.

À notre avis, il peut exister un lien très étroit entre la réputation et la composante émotionnelle de l’image en raison des dimensions psychologiques qui contribuent à leur formation respective. Ces dimensions sont, pour l’essentiel, celles qui définissent les attitudes et les croyances du consommateur à la suite de ses expériences avec l’organisation ou des actions antérieures de cette dernière observées dans le marché. Dans le contexte des services qui sont essentiellement intangibles et dont la qualité ne peut être évaluée qu’après la consommation, la réputation et l’image organisationnelles peuvent constituer les indices les plus fiables pour prédire la capacité de l’organisation dispensatrice à satisfaire les attentes du consommateur. L’image possède les caractéristiques généralement intangibles et difficilement mesurables qui dépendent en grande partie de caractéristiques sous-jacentes provenant de celles de la réputation. Le niveau d’abstraction de l’image est donc plus élevé que celui de la réputation en dépit du fait que les deux concepts sont issus d’un même processus d’évaluation de la performance de l’organisation. Le consommateur a généralement une estimation plus personnelle de la réputation en raison de ses propres expériences vécues avec l’organisation. En ce sens, la réputation est plus difficilement transférable d’une personne à une autre. Quant à l’image, elle peut être véhiculée par une tierce personne sans que le consommateur effectue au préalable de transaction avec l’organisation. Le consommateur peut avoir une vraie ou une fausse image de l’organisation dépendant de la fiabilité des sources d’information. Si l’on fait l’hypothèse que la réputation d’une organisation peut être à l’origine de son image, la formation de cette dernière devrait, à notre avis, nécessiter plus de temps au consommateur.

Quel est l’impact de la réputation d’une organisation et de son image sur la fidélité du consommateur ? La recension des écrits permet de constater que, dans quelques rares études empiriques, le rôle de ces deux formes d’évaluation de l’organisation a été examiné dans certains secteurs de service. Par exemple, dans une étude réalisée dans les services d’assurance et de communication, Andreassen et Lindestad (1998) ont confirmé que l’image organisationnelle exerce une influence significative non seulement sur la satisfaction du consommateur mais aussi sur sa fidélité à l’organisation. Dans une autre étude portant sur la qualité du service et la fidélité du consommateur dans l’industrie de transport aérien, Ostrowski, O’Brien et Gordon (1993) trouvent que l’image d’un transporteur, formée des expériences du consommateur échelonnées sur une longue période, est un facteur plus important que l’évaluation de l’expérience courante de ce dernier dans le développement de sa fidélité envers la compagnie. Ces auteurs expliquent que le consommateur, qui a tendance à former son impression d’une organisation à partir de l’ensemble de la performance de celle-ci, peut considérer une mauvaise expérience comme une exception à la règle. De plus, ils notent une relation significative entre la réputation du transporteur, qui est définie dans cette étude comme une dimension de son image, et la fidélité du passager. Par ailleurs, d’autres auteurs affirment qu’une bonne réputation organisationnelle contribue à accroître les chiffres d’affaires de l’organisation, sa part de marché (Shapiro, 1982), à développer et à renforcer une relation de fidélité avec la clientèle (Robertson, 1993; Yoon et al., 1993).

En somme, la recension des écrits nous a permis de faire deux constatations : l’incertitude quant à l’ordre causal de la relation réputation-image et le besoin de recherches empiriques sur l’effet principal de ces deux construits ainsi que leur effet interactif sur le comportement d’achat du consommateur, ce qui souligne grandement la pertinence de la présente recherche.

Méthodologie de la recherche

1. Le modèle

Nous proposons dans cette étude d’évaluer l’effet principal de la réputation et de l’image d’organisation, ainsi que leur effet interactif sur la fidélité du consommateur par le biais d’une analyse de régression multiple hiérarchique en adoptant la procédure proposée par Taylor (1997), qui suggère de détecter la présence des termes d’ordre supérieur et de les inclure, s’il y a lieu, dans le modèle de régression. Notons que l’omission de véritables termes d’ordre supérieur peut causer des problèmes d’interprétation de l’importance relative des coefficients de régression (Aiken et West, 1991; Taylor, 1997). Par exemple, cette omission peut causer un biais dans l’estimation des coefficients d’ordre inférieur. Dans la présente recherche, deux variables indépendantes, réputation et image, sont conceptualisées comme des évaluations globales et mises en relation avec la variable dépendante, fidélité, par le biais de l’équation de régression suivante :

L’utilité de ce modèle repose sur sa capacité de comparer l’effet de l’interaction réputation-image à l’effet individuel des variables. En raison des niveaux multiples de l’évaluation globale de la réputation et de l’image organisationnelles, l’interaction entre ces deux variables peut constituer une source d’information importante permettant d’expliquer davantage la fidélité du consommateur. Ainsi, l’analyse proposée ici permet de déterminer si l’une des deux variables agit comme variable modératrice dans la relation entre la fidélité et l’autre variable. Toutefois, cette analyse ne permet pas d’identifier la direction ou la forme exacte de la relation en cause.

La procédure d’analyse de ce type de modèle consiste à estimer de façon hiérarchique les équations de régression en évaluant le changement dans leurs coefficients de détermination R2 (McClelland et Judd, 1993; Slater et Narver, 1994). Par ailleurs, pour atténuer l’effet de la multicollinéarité due à l’interdépendance entre les variables indépendantes dans l’équation [1], la forme centrée des variables REPU et IMA sera utilisée dans l’analyse (Aiken et West, 1991).

2. L’échantillonnage

Les données ont été recueillies auprès des membres et des clients de deux magasins « Coop » localisés dans une ville de quelque 100,000 habitants. Les questionnaires furent distribués aux guichets de caisse une fois que le membre ou le client ait complété le processus d’achat. Le tirage d’un appareil de téléviseur fut utilisé pour encourager la participation à l’enquête. Après trois semaines de distribution, nous avons reçu par voie postale 487 questionnaires complétés et utilisables pour fins d’analyse sur un total de 1 500, soit un taux de réponse de 32.4 %. Il s’agit là d’un échantillon de convenance qui comprend à la fois des membres réguliers et des clients occasionnels des deux magasins « Coop » dans une proportion approximative de sept contre un en faveur du premier groupe. Le profil démographique des répondants, présenté au tableau 1, montre que les femmes, le groupe d’âge de 45 ans ou plus et les personnes ayant fait des études postsecondaires constituent la majorité de l’échantillon, avec 66 %, 70 % et 61 % respectivement.

Tableau 1

Profil des répondants

Profil des répondants

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3. Les mesures

Pour quantifier les trois concepts, image, réputation et fidélité, nous avons eu recours à des mesures fondées sur les évaluations globales, sachant que celles-ci ne permettent pas de mesurer les concepts à partir de leurs éléments constitutifs. Toutefois, l’utilisation de ces mesures comporte des avantages puisqu’il s’agit là d’indicateurs multiples. Pour la variable réputation, quatre mesures directes utilisées expriment la capacité de l’organisation à respecter ses promesses, la concordance entre l’action et le message de l’organisation, une évaluation globale de sa réputation et une évaluation de la réputation en comparaison avec celles des concurrents. Pour la variable image, quatre mesures directes retenues décrivent globalement ce concept : l’évocation du nom de l’organisation, l’impression du consommateur à l’égard de celle-ci, une évaluation globale de son image et une évaluation de l’image de l’organisation en comparaison avec celle des concurrents. En ce qui concerne la fidélité, nous reprenons dans cette étude les quatre mesures utilisées par Zeithaml, Berry et Parasuraman (1996) dans leur étude mettant en évidence la relation entre la qualité du service et les intentions comportementales. Ces quatre mesures sont respectivement l’intention du consommateur de considérer l’organisation comme son premier choix pour ce type de service, l’intention de continuer à faire affaire avec l’organisation, l’intention de recommander l’organisation à d’autres consommateurs comme étant la meilleure de la région et l’intention d’encourager les personnes de son entourage à faire affaire avec l’organisation. L’Annexe A fournit la liste des mesures utilisées dans cette étude. L’ensemble de ces mesures a été présenté sous forme d’énoncé sur une échelle à 7 points variant de « fortement en désaccord » à « fortement en accord ». Notons que, dans l’analyse ultérieure portant sur l’équation [1], trois indices ont été formés en faisant la somme des mesures qui les représentent respectivement. La matrice de corrélations entre les mesures, présentée au tableau 2, permet de constater que les coefficients de corrélation entre les mesures formant un même construit (variant de 0,543 à 0,840) sont généralement plus élevés que ceux entre les mesures provenant de différents construits (variant de 0,209 à 0,576). Par ailleurs, le tableau 3 montre les valeurs élevées de corrélation de Spearman entre chaque indice et ses mesures constitutives (entre 0,792 et 0,920) et les valeurs alpha de Cronbach acceptables, compte tenu de la nature exploratoire de la présente étude selon les critères de Nunnally (1978). Ces résultats constituent une démonstration, quoique partielle et limitée, de la validité et de la fidélité des mesures utilisées.

Analyse des résultats

Selon la procédure proposée par Taylor (1997), la première étape de l’analyse de l’équation [1] consiste à identifier la nature de la relation (linéaire ou non-linéaire) entre la variable dépendante (fidélité) et chacune des deux variables indépendantes (réputation et image). Les résultats, présentés au tableau 4, révèlent que tous les termes quadratiques et cubiques ne sont pas statistiquement significatifs. Ainsi, le modèle approprié reliant la réputation, l’image et la fidélité prend la forme suivante :

L’analyse du modèle de régression [2] consiste à vérifier statistiquement l’effet de chacune des variables, réputation et image, sur la fidélité, ainsi que la signification de l’interaction entre elles (REPU*IMA), ce qui permet de prédire si une de ces deux variables agit comme variable modératrice dans la relation entre l’autre variable et la fidélité. Bien sûr, il est utile non seulement de savoir si ce type de relation existe, mais aussi de connaître sa nature exacte (Sharma et al., 1981). Toutefois, la procédure d’analyse utilisée ici ne permet pas d’identifier laquelle des deux variables agit comme variable modératrice. Cette difficulté s’accentue davantage en raison du caractère plutôt exploratoire de la présente recherche et, surtout, de l’absence d’études antérieures sur la nature de la relation potentielle entre la réputation et l’image.

Les résultats obtenus présentés au tableau 5 révèlent que l’effet individuel de la réputation (modèle 3 : β = 0,390 avec p < 0,001) et de l’image (modèle 3 : β = 0,335 avec p < 0,001) sur la fidélité est statistiquement significatif en présence de l’interaction réputation-image (terme REPU*IMA). Ce résultat confirme donc le rôle important à la fois de la réputation et de l’image organisationnelles dans la formation de la fidélité du client (Andreassen et Lindestad, 1998; Robertson, 1993; Yoon et al., 1993). L’addition du terme REPU*IMA au modèle donne une interprétation différente des coefficients de régression que celle connue dans un modèle de régression sans interaction. En fait, en présence de cette interaction, le coefficient de régression d’une variable est considéré comme effet moyen pondéré sur toutes les valeurs observées de l’autre variable. Par exemple, le coefficient de régression de REPU (β = 0,390 du modèle 3 dans le tableau 5) représente l’effet de la réputation sur la fidélité du client au niveau moyen de la perception de l’image, calculé pour tous les clients de l’échantillon. Notons que ce niveau moyen de la perception de l’image est égal à zéro, puisque les variables analysées sont présentées sous forme centrée. En comparant les deux variables, il est permis de constater que la réputation exerce une influence relativement plus grande que l’image sur la fidélité en présence de leur effet interactif dans le modèle.

Tableau 2

Matrice de corrélation entre les mesures

Matrice de corrélation entre les mesures

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Tableau 3

Corrélation de Spearman entre les mesures et leur indice, et valeurs d’alpha de Cronbach des indices

Corrélation de Spearman entre les mesures et leur indice, et valeurs d’alpha de Cronbach des indices

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Tableau 4

Identification de nature de la relation entre la réputation, l’image et la fidélité

Identification de nature de la relation entre la réputation, l’image et la fidélité

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En ce qui concerne l’interaction entre la réputation et l’image, le coefficient associé au terme REPU*IMA est aussi statistiquement significatif (voir le tableau 5, modèle 3 : β = -0,178 avec p < 0,001), ce qui permet de constater que la présence de cette interaction peut contribuer à expliquer davantage le comportement de fidélité chez le client à l’égard de l’organisation de service. Autrement dit, l’une des deux variables, réputation et image, agit comme variable modératrice dans la relation entre l’autre variable et la fidélité. De plus, le test sur la variation du coefficient de détermination R2 en présence de l’interaction s’avère fortement significatif (F 1, 483 = 19,02 avec p< 0,0001). Notons cependant que le coefficient du terme REPU*IMA est négatif, ce qui peut être interprété comme étant une absence de congruence entre la perception de la réputation et celle de l’image. Statistiquement, cela signifie que le coefficient de l’interaction réputation-image diminue lorsque la perception de réputation augmente. En d’autres mots, ce résultat indique que l’influence de la réputation sur l’image a tendance à augmenter à un taux décroissant. En revanche, une valeur positive du coefficient de l’interaction réputation-image signifie que la fidélité du client est plus grande lorsque sa perception à la fois de la réputation et de l’image de l’organisation est favorable.

Tableau 5

Résultats de l’analyse de régression

Résultats de l’analyse de régression
*

∆R2 = 0,020 (en présence de l’interaction REPU*IMA), F(1,483) = 19,02, p < 0,0001

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Discussion

Les résultats de l’analyse de régression, présentés au tableau 5, confirment le rôle de la réputation et de l’image organisationnelles dans la stratégie de fidélisation de la clientèle et le lien potentiel entre ces deux construits, qui sont souvent utilisés de façon interchangeable dans la littérature (Franklin, 1984). Ces résultats sont donc concordants avec les propositions que nous avons recensées dans la littérature relativement au rôle de la réputation et de l’image d’entreprise dans le comportement d’achat. En effet, tantôt la réputation organisationnelle est mentionnée comme facteur permettant de fidéliser la clientèle (Robertson, 1993; Yoon et al., 1993), tantôt l’utilisation de l’image organisationnelle est suggérée pour développer cette fidélité (Andreassen et Lindestad, 1998; Zeithaml, 1981). Les résultats de la présente étude nous amènent par ailleurs à suggérer que l’image agit comme une variable modératrice pour renforcer davantage le rôle déterminant de la réputation organisationnelle dans la stratégie de positionnement de l’organisation visant à fidéliser sa clientèle. Cette proposition respecte la signification intrinsèque de la réputation comme une sorte de confiance (bonne réputation) ou de méfiance (mauvaise réputation) accumulée et celle de l’image comme une impression globale de ce qu’est l’organisation, laquelle confiance doit normalement contribuer à renforcer cette impression pour bâtir une relation de fidélité entre le client et l’organisation.

En ce qui concerne l’effet interactif réputation-image sur la fidélité, ce résultat ne fait que confirmer l’influence individuelle assez considérable de la réputation et de l’image sur la fidélité, en dépit du fait que la formation de ces construits repose, a priori, sur plusieurs éléments d’information en commun. Le peu d’études sur l’interaction entre les caractéristiques exclusivement extrinsèques de l’offre de services ne nous permet pas de spéculer davantage sur la nature exacte de la relation de modération impliquant la réputation et l’image. Il faut noter que, parmi les facteurs explicatifs de la fidélité, la réputation et l’image organisationnelles ne sont que les caractéristiques extrinsèques de l’offre de services. Plusieurs études ont en revanche montré que la fidélité est davantage expliquée par l’évaluation des caractéristiques intrinsèques du service. À ce sujet, la satisfaction et la qualité ont été identifiées comme les facteurs prédominants dans l’explication de la fidélité (Cronin et Taylor, 1992; Fornell, 1992). Sachant que les caractéristiques intrinsèques (satisfaction) et les caractéristiques extrinsèques (réputation et image) constituent les causes de la fidélité, certains auteurs suggèrent que la combinaison de ces deux types de caractéristiques peut aussi avoir un effet important sur la fidélité (Selnes, 1993).

Par ailleurs, il faut souligner les circonstances où la réputation organisationnelle peut être confondue avec la réputation de la marque, ou encore l’image organisationnelle avec l’image de la marque. En fait, cela peut se produire lorsque l’organisation offre un service unique ou lorsqu’elle est largement connue dans son secteur d’activités. Dans le contexte des commerces de détail (magasins « Coop »), la congruence entre la réputation organisationnelle et la réputation de la marque ou entre l’image organisationnelle et l’image de la marque n’est pas toujours présente en raison de la grande diversité des produits et services offerts (Pettijohn et al., 1992).

Sur le plan des pratiques de gestion, les résultats obtenus dans cette étude suggèrent au gestionnaire d’entreprise de service quelques pistes d’action susceptibles d’assurer le succès de leur stratégie de positionnement et de fidélisation de sa clientèle. La fidélité n’est pas exclusivement déterminée par les caractéristiques intrinsèques de l’offre de services. Elle peut dépendre aussi des activités traditionnelles externes bien connues des responsables de marketing comme la publicité, les relations publiques. Le choix des éléments des stratégies de positionnement et de communication doit refléter la réalité et la capacité de l’entreprise de tenir les promesses de qualité et de bénéfice faites au consommateur afin de réduire l’écart entre l’action et le discours ou entre l’image projetée et celle perçue par ce dernier. Soulignons que l’écart entre l’action et le discours peut engendrer une mauvaise réputation et que l’écart entre l’image projetée et celle perçue par le client aurait pour effet de produire une image à la fois floue et contradictoire. Par conséquent, une harmonisation des outils de positionnement est indispensable pour assurer une bonne perception de la réputation, qui à son tour peut avoir un effet favorable sur l’image de l’organisation. En raison du long processus de formation de la réputation et de l’image, et surtout de leur fragilité, les efforts de maintien de la réputation doivent être systématisés sous forme de scénario de façon à éviter les mauvaises actions susceptibles de provoquer la destruction de cette réputation ou image. Un mécanisme de prévention d’une telle destruction doit être mis en place, impliquant tous les acteurs de l’organisation et surtout ceux dont le rôle se trouve souvent à la frontière, c’est-à-dire ceux qui assument les fonctions de représentation auprès des groupes cibles. Bref, il faut soigner la réputation et l’image de l’organisation, car elles constituent indéniablement des arguments importants dans le processus de rétention du consommateur, particulièrement lorsqu’il ne possède pas de l’information détaillée sur l’offre de services.

En ce qui concerne les avenues de recherche, les résultats de cette étude permettent de mettre en relief la nécessité de procéder à des études systématiques sur la redondance (ou non-redondance) entre la réputation et l’image d’organisation pour établir clairement la distinction entre ces deux construits. Aussi, est-il nécessaire d’effectuer des analyses similaires dans d’autres secteurs de service, car l’interaction réputation-image peut varier selon la nature du service étant donné la grande diversité de l’industrie des services. Il est également important de bien comprendre la signification réelle de ces deux construits aux yeux du consommateur. La recherche de cette signification doit aller au-delà des définitions conceptuelles que nous avons recensées dans des écrits antérieurs qui sont souvent dénués de vérifications empiriques, d’autant plus que la recension des écrits ne nous a pas permis de dégager un consensus absolu quant au choix de la définition la plus acceptée et acceptable de chaque construit. Il nous apparaît important d’interroger les consommateurs eux-mêmes pour en savoir davantage. Pour ce faire, le recours à des entrevues en profondeur auprès des groupes de consommateurs choisis de différents segments en leur permettant de s’exprimer librement serait approprié. Il s’agit là d’une démarche susceptible d’obtenir des informations relatives à la structure cognitive du consommateur (Olson et Reynolds, 1983), pouvant identifier les principales caractéristiques des construits et de déterminer leur niveau d’abstraction. Par ailleurs, il faudrait aussi évaluer les différences entre la réputation et l’image d’entreprise quant à leurs causes et effets.

Il faut toutefois souligner que le caractère exploratoire de la présente étude permet difficilement la généralisation à tous les types de services en raison de leur nature très variable et de leurs caractéristiques fort différentes d’un secteur à l’autre, et bien sûr, de la représentativité limitée de l’échantillon utilisé. D’autres facteurs contribuent aussi aux limites de cette étude : l’incertitude de la validité des mesures directes et la variation, quoique significative, assez faible dans le coefficient de détermination (R2), attribuée à l’effet interactif réputation-image.

Conclusion

L’objectif de la présente étude était de vérifier l’influence de la réputation et de l’image organisationnelles, ainsi que leur effet interactif sur le comportement de fidélité du consommateur. Les résultats obtenus ont permis de confirmer le rôle significatif de ces deux concepts d’identité sociale dans la formation de la fidélité et l’existence de l’interaction entre eux. Sur le plan pratique, ces résultats présentent aux gestionnaires d’entreprise un défi important qui consiste à identifier les informations contribuant au processus de formation de la réputation et de l’image, et de les utiliser efficacement dans la stratégie de rétention de la clientèle. Par ailleurs, les résultats devraient aussi nous inciter à procéder à d’autres recherches pour déterminer la nature exacte de cette interaction, ce qui permettrait d’établir la distinction ou la redondance entre la réputation et l’image.