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Introduction

Depuis plusieurs années les recherches effectuées dans le domaine de l’environnement brossent un tableau peu optimiste de l’état de la Terre : pollution, effet de serre, changement climatique et bien d’autres nuisances pour la santé. Plusieurs groupes d’individus se sentent interpellés par ce qui se passe dans leur milieu et posent des gestes concrets. Cependant, il semble qu’une partie de la population se sente peu concernée par l’urgence d’agir. Pour quelles raisons ? Existe-t-il un manque d’information ? Un sentiment d’impuissance à agir de façon efficace ? Une absence de sensibilité face aux situations environnementales ? Un manque d’intérêt ?

Dans le domaine de l’éducation relative à l’environnement (ERE) [1], diverses méthodes pédagogiques ont été proposées pour favoriser l’implication des personnes dans l’amélioration de la qualité de leur environnement : la résolution de problèmes (Hungerford, Litherland, Peyton, Ramsey, Tomera et Volk, 1992) la méthode accélérée de recherche participative (Chambers, 1994), la recherche action (Stapp et Bull, 1988). Si les personnes accordent peu d’importance à l’environnement, ces méthodes pédagogiques seront peu efficaces, puisqu’elles ne pourront investir du temps et de l’énergie pour sauvegarder un élément comportant pour eux peu de signification. Les anthropologues qui étudient notre mode de vie contemporain observent une diminution graduelle de la qualité de la relation des gens avec le milieu biophysique de génération en génération (Pruneau et Chouinard, 1992). Malmberg (1992) décrit ce changement en termes de perte d’identité, de non-conscience de l’espace et du temps et d’oubli du sens du territoire. Pyle (1992) parle d’extinction de l’expérience, c’est-à-dire de contacts moins fréquents et moins directs avec le milieu naturel. Par contre, d’autres études soutiennent que certains individus entretiennent une relation significative avec leur environnement. Ces personnes ont appris, grâce à des expériences particulières, à accorder une valeur importante aux espaces situés dans leur milieu et à s’y attacher (Pruneau et Chouinard, 1992).

Qu’en est-il de la relation à l’environnement des adolescents ? Ces jeunes personnes sont préoccupées à la fois par leurs transformations physiques, leur insécurité personnelle et leurs besoins d’affirmation et d’appartenance à un groupe. Les adolescents ont-ils suffisamment de disponibilité pour s’intéresser à la qualité de leurs milieux naturel et construit ? Ces milieux ont-ils de l’importance pour eux ? Les recherches contemporaines n’offrent pas de réponses à ces questions qui sont pourtant d’un intérêt capital en éducation relative à l’environnement.

Si l’on parvenait à mieux comprendre ce qui favorise chez les adolescents le développement d’une sensibilité environnementale et d’un attachement au milieu naturel, il serait possible de mettre sur pied des activités pédagogiques destinées à favoriser un attachement à ces espaces. Il apparaît alors important de préciser et de décrire les types de relations à l’environnement de ces apprenants particuliers afin d’être en mesure de choisir des stratégies pédagogiques adaptées à leurs besoins.

Cet article se divise en trois parties. Dans la première partie, nous présenterons les principales phases d’un projet d’éducation relative à l’environnement qui s’est constitué autour de l’étude de trois moments : un trajet pour se rendre à l’école, une aventure en milieu naturel et une action environnementale. Les résultats sont ensuite exposés et analysés. Enfin, la discussion portera sur les éléments dégagés et l’élaboration d’un modèle visant à mieux comprendre le développement de la sensibilité environnementale.

Cadre général de la recherche

1. La relation à l’environnement

Sauvé (1994) affirme que la spécificité du domaine de l’éducation relative à l’environnement (ERE) se situe dans l’amélioration de la relation personne-groupe social-environnement. Cette amélioration est un objectif stimulant mais difficile à atteindre puisqu’on connaît très peu les types de relations que les individus entretiennent avec leur milieu biophysique et leur communauté. Quelques projets ont été réalisés afin de comprendre la relation personne-groupe social-environnement (Pruneau, Chouinard, Arsenault et Breau, 1999). Ces études mettent en lumière que l’attachement aux différentes composantes des paysages, le degré d’implication face à l’environnement et les manifestations du lien sont dynamiques et semblent pouvoir se transformer.

Différents concepts comme l’identité écologique (Thomashow, 1995), le sens du lieu (Hay, 1988), la sensibilité environnementale (Tanner, 1980; Pruneau, 1994; Chawla, 1998) et l’attachement aux lieux (Low et Altman, 1992) sont utilisés pour désigner une relation significative avec l’environnement.

L’identité écologique fait référence à un lien d’attachement avec le milieu naturel grâce à un haut niveau de compréhension écologique englobant des dimensions cognitive et intuitive formées à partir d’expériences directes avec la nature. Le sens du lieu consiste en des sentiments de familiarité, de territorialité et de protection, par exemple, l’attribution d’une valeur symbolique à un espace. La sensibilité environnementale fait référence à un intérêt marqué pour l’environnement et à une capacité de lire et de ressentir ce dernier.

Enfin, l’attachement aux lieux est défini comme « une structure complexe, caractérisée par un grand nombre d’attitudes, de valeurs, de pensées, de croyances, de significations et de tendances comportementales qui vont plus loin que des attachements émotifs et des appartenances à des endroits particuliers » (Proshansky, Fabian et Kaminoff, 1983 : 59). Cette définition s’applique autant au milieu naturel qu’au milieu construit. L’attachement aux lieux peut se développer suite à des expériences significatives et positives dans ces espaces (Chawla, 1992), des moments intensifs avec la nature, l’influence de parents et d’amis (Proshansky et al., 1983), le vécu d’expériences de qualité avec des personnes (Rubinstein et Parmelee, 1992), la constatation de signes de détérioration (Hummon, 1992) et le vécu d’éléments qui ont stimulé la fantaisie (Riley, 1992). De même, les conséquences de cet attachement sont nombreuses : le sentiment de sécurité, de contrôle, la tendance à partager ce sentiment d’attachement (Brown et Perkins, 1992), l’engagement dans le maintien ou la restauration des lieux (Proshansky et al., 1983).

L’attachement aux lieux peut se développer grâce à des expériences positives avec des lieux ou grâce à la qualité des lieux eux-mêmes. De même le vécu d’expériences de qualité avec des personnes significatives a un impact puissant. Ces expériences procurent sécurité, liberté, créativité et occasions d’explorer (Rubinstein et Parmelee, 1992).

La présente étude s’intéresse à la relation personne-environnement et plus particulièrement au développement de la sensibilité environnementale d’un groupe d’adolescents, c’est-à-dire à leur perception de l’environnement d’un point de vue empathique.

2. La sensibilité environnementale

Pruneau (1995) définit la sensibilité environnementale comme :

un sentiment d'empathie pour l’environnement qui se manifeste par des habitudes et des attitudes d’ouverture, d’intérêt et d’attention pour les composantes d’un milieu et par des habiletés à percevoir et ressentir ces composantes.

Pruneau, 1995 : 97

Selon Chawla (1998), la sensibilité environnementale est une prédisposition à avoir le goût d’apprendre à propos de l’environnement, à se sentir concerné par cet environnement et à agir pour le conserver sur la base d’expériences significatives. C’est une forme de participation à l’environnement et à ses émotions, c’est, en quelque sorte, une perspective empathique vis-à-vis l’environnement, une prédisposition à assumer une action environnementale responsable.

Le terme empathie est utilisé en psychologie pour décrire une faculté de s’identifier à un être vivant et de ressentir ce qu’il ressent. L’empathie est cette capacité de comprendre ce que l’autre vit et de pouvoir le lui communiquer.

Figure 1

-> Voir la liste des figures

Le processus empathique se divise en cinq phases (Barret-Lennard, 1993) qui éclairent la compréhension du développement de la sensibilité environnementale. La première phase se nomme la disposition empathique et peut se comparer à une ouverture, une préoccupation envers l’autre, un intérêt pour ce que l’autre vit. La disposition empathique est un élément essentiel au développement de l’empathie. Elle englobe la conscience de soi, la présence à l’autre et une écoute sensible. Elle contribue à rendre l’individu disponible au message provenant de l’extérieur, qui peut se manifester par la souffrance d’une personne, les ravages causés par la pollution ou encore des informations concernant un problème environnemental. La deuxième phase, résonance empathique, est l’attitude par laquelle le monde de l’autre nous devient accessible, que ce soit sa souffrance, sa joie ou ses peines. En d’autres mots, cela signifie être touché par ce que vit ou subit l’autre. Cette phase nous intéresse tout particulièrement en ce qui a trait à l’expérience d’être touché par ce qui arrive à l’environnement. La réception de ce message suscite une résonance qui éveille chez l’individu le sentiment d’être concerné par ce qui se passe. La troisième phase, appelée la communication, est la phase dans laquelle l’individu montre qu’il a compris le message, par exemple, par la formulation de sa compréhension d’un problème environnemental d’un point de vue affectif et cognitif. Il se réfère à une expérience personnelle qui ressemble à celle qu’il perçoit et essaie d’identifier des référents communs. Il peut aussi se référer à sa capacité de contagion (sa sensibilité), sa réponse naturelle à la détresse qu’il perçoit chez l’autre. Il s’ensuit une réponse de l’individu qui démontre qu’il a bien saisi la nature et la gravité du problème. Dans le contexte de cette étude, il peut s’agir d’une action environnementale. Dans la quatrième phase survient la rétroaction, c’est-à-dire, la constatation des fruits de l’intervention ou les suites de l’action entreprise. Enfin, dans la dernière phase, une réciprocité s’établit et amène l’individu à se sentir de plus en plus concerné pour l’autre et à s’engager de façon encore plus proactive envers lui. Ici, il est possible de parler des fruits d’une action environnementale et de l’encouragement qu’ils suscitent dans les efforts pour sauvegarder l’environnement. La rétroaction concerne les fruits ou effets de l’action sur le milieu naturel. Cet aspect du feed-back n’a pas été inclus dans la recherche puisque pour constater les fruits de l’intervention, il aurait été nécessaire de retourner, plusieurs mois après l’intervention, sur les lieux de l’action environnementale.

Il s’avère donc que la sensibilité environnementale peut se développer tout au long de l’histoire d’un individu. À notre connaissance, aucune étude n’a décrit les relations que les adolescents entretiennent avec le milieu naturel, ni de quelle façon peut être encouragé le développement de cette empathie face à l’environnement.

Les objectifs de cette recherche étaient de décrire les types de relations que les adolescents entretiennent avec leur environnement, d’identifier les éléments qui favorisent le développement d’une sensibilité environnementale et d’explorer des moyens d’améliorer la relation des adolescents avec leur milieu naturel.

Méthodologie

Cette recherche, dont le but était de mieux comprendre comment se manifeste la sensibilité environnementale des adolescents, se situait dans un paradigme compréhensif. Les chercheurs n’avaient pas pour objectif de mesurer les attitudes ou de chercher des causes, mais de décrire le plus fidèlement possible le cheminement des participants et des participantes en tenant compte de leur contexte de vie (Karsenti et Savoie-Zajc, 2000).

Pour y parvenir, les chercheurs ont planifié des expériences pédagogiques et des entrevues avec une classe de 24 élèves de septième année, à Bathurst, petite ville du Nouveau-Brunswick.

Trois moments de la relation à l’environnement ont été choisis pour fins d’analyse. Le premier moment se référait à l’absence d’intervention pédagogique. C’était le trajet que les élèves effectuaient pour aller à l’école qui a été analysé. L’analyse a porté sur la description des types d’attention à l’environnement et les manifestations de celles-ci. L’attention à l’environnement est une composante essentielle de la relation à l’environnement (De Young, 1999). En effet, selon cet auteur, la compréhension du comportement environnemental d’un individu débute par l’analyse de la manière dont il remarque son environnement.

Le deuxième moment correspondait à la première sortie des élèves d’une durée d’une demi-journée, animée par des spécialistes en éducation relative à l’environnement et des enseignants à la retraite. Elle consistait en une aventure à la Réserve écologique de la Pointe Daly, à Bathurst. L’aventure, adaptée aux adolescents et intitulée Les phytothérapeutes en herbe (Breau, sous presse) comportait des jeux de rôles, l’identification de plantes thérapeutiques, des défis d’équipe à caractère physique (exemple : traverser une grande toile d’araignée sans la toucher) et un court moment de solitude dans la nature appelé le solo (Pruneau, 1994). L’analyse a porté sur la disposition des élèves à s’ouvrir au monde naturel et à leur capacité de se laisser toucher par celui-ci.

Enfin, le troisième moment d’analyse correspondait à la seconde sortie des élèves et a surtout porté sur trois caractéristiques de la sensibilité environnementale, soit le désir d’apprendre à propos de l’environnement, la capacité de se laisser toucher par ce qui lui arrive et la volonté d’agir pour le conserver. L’activité, d’une durée d’une demi-journée animée par les mêmes personnes, a débuté par une session d’information sur les besoins écologiques des chauves-souris et s’est terminée par la construction et l’installation de maisons de nidification pour ces mammifères. Les élèves étaient libres, suite à la session d’information, de participer à la construction des cabanes de chauves-souris.

Le premier outil de cueillette de données a consisté en des questionnaires écrits qui ont été remplis par toute la classe. Les questionnaires concernant le trajet à l’école ont été remplis à l’entrée en classe et ceux, concernant l’aventure en milieu naturel et la construction des cabanes des chauves-souris, ont été remplis au retour des sorties.

Deux types de questions ont été posés aux élèves. En voici des exemples :

Des questions ouvertes :

  • Le trajet

    • Décris dans tes mots le trajet que tu fais le plus souvent pour te rendre à l’école.

    • Décris ce que tu fais, ce que tu vois, ce que tu penses, etc.

  • L’aventure en milieu naturel

    • Quelle activité as-tu le plus aimé pendant cette journée ?

    • Décris ce que tu as vécu, comment tu t’es senti, etc.

  • La chauve-souris

    • Raconte dans tes mots ce que tu as vécu pendant que tu étais en train de fabriquer la cabane de chauves-souris.

Des questions à choix multiples :

À l’aide des chiffres 1-2-3, place par ordre d’importance les 3 raisons qui t’ont aidé à prendre ta décision de participer à l’activité des chauves-souris.

  • Les informations que Nicole t’a données

  • Le goût d’être avec tes amis

  • Tes valeurs personnelles (exemple ton amour de la nature, ton désir d’aider la nature, ton éducation dans ta famille, etc.)

  • Ton habitude d’aider

  • Ton impression que l’action à poser est facile

  • Ton impression que cette action va vraiment aider la chauve-souris

  • Ta perception que le problème des chauves-souris est grave

  • La fierté de faire cette action

  • Autre raison ____________________________________

Le second outil de cueillette de données a consisté en des entrevues semi-structurées d’environ 20 minutes avec 15 élèves volontaires[2]. Ces rencontres avaient pour objectif d’inviter les participants à préciser les réponses fournies lors de la passation des questionnaires. La méthode était simple : l’interviewer parcourait le questionnaire avec l’élève et lui demandait de préciser une réponse en particulier qui était difficile à comprendre ou qui était peu développée.

Les données des questionnaires et des entrevues d’explicitation ont été retranscrites et analysées selon la méthode de l’analyse thématique (Paillé, 1996) qui consiste en un repérage de thèmes abordés dans un corpus et en leur analyse en vue de dégager une compréhension contextuelle.

L’analyse a été effectuée à l’aide du logiciel Atlas/ti, un logiciel de traitement de données de nature qualitative. La première étape consistait à inscrire toutes les données recueillies, entrevues et questionnaires, dans le logiciel Atlas/ti qui est un outil de classement de données permettant leur analyse sous plusieurs facettes. La première analyse a consisté à analyser l’expérience de chaque élève de façon à pouvoir tracer un portrait de chacun et de chacune à travers les différents moments étudiés : il était donc possible de décrire l’évolution de leur relation au milieu naturel à l’aide de mots-clés, qui ont finalement été regroupés en thèmes. Un exemple de mot-clé ou code serait ennui, indifférence, préoccupation, intérêt. Pour leur part, les thèmes regroupent ces mots-clés en des termes plus englobants comme attention flottante, attention spécifique.

Une seconde analyse a consisté à traiter tous les propos recueillis pour chaque moment étudié, soit le trajet pour l’école, l’activité en milieu naturel, le solo et l’action environnementale afin de mettre en lumière les différences et les ressemblances entre les élèves. Ces deux analyses ont permis de décrire les relations des adolescents avec leur milieu naturel permettant ainsi de mieux caractériser l’expérience vécue par ces jeunes. Un degré d’accord inter-codeurs de 95 % a été obtenu sur le plan du choix et de la classification des unités de signification.

Résultats

1. Premier moment : le trajet pour se rendre à l’école

Le moment du trajet[3] pour aller à l’école a été choisi pour fins d’analyse afin de décrire le type d’attention qui est porté à l’environnement et comment cette attention se manifeste. Dans les données disponibles, il a été possible de faire ressortir deux types d’attention à l’environnement : une attention flottante et une attention spécifique à ce qui se passe dans l’environnement.

1.1 Une attention flottante

Les élèves qui sont regroupés dans cette catégorie perçoivent leur trajet comme un moment d’arrêt, un temps pour réfléchir aux préoccupations scolaires. Lorsqu’ils sortent de leur réflexion, c’est pour parler avec leurs amis. Les arbres, les maisons et les autres éléments défilent devant leurs yeux comme sur une toile de fond et leur permettent de se perdre dans leurs pensées. Ils décrivent ce qu’ils ont vu en se remémorant ce qu’ils connaissent du paysage.

Une première constatation est qu’une partie des participants manifestant une attention flottante pendant le trajet se sont dits très stressés par leur vie à l’école et semblaient éprouver de la difficulté à gérer ce stress qui ne leur laissait pas de disponibilité envers leur milieu naturel. Ils ont exprimé des préoccupations de toutes sortes et il semble que, pour certains, le seul moment où ils pouvaient « décompresser » était pendant leur trajet scolaire. Une seconde constatation concerne l’absence de curiosité par rapport au milieu naturel. Ils ne semblaient pas éprouver d’étonnement vis-à-vis ce qui se passe à l’extérieur, comme s’ils ne percevaient pas que la nature pouvait se transformer. Pour certains, « c’est toujours la même chose ». Voici des exemples de propos d’élèves qui démontrent ce type d’attention :

  • Monde extérieur considéré comme répétitif : « Il n’y a pas vraiment grand-chose à voir. Juste des arbres ». « Je le vois assez souvent! Ce n’est rien de trop impressionnant »

  • Regard engourdi : « Je regarde en arrière de la vitre et je ne pense à rien de particulier »

  • Préoccupations : « Je pense à ce qui va se passer de nouveau à l’école ou si j’ai fait mes devoirs ».

1.2 Une attention spécifique

À l’inverse, ceux qui entretiennent une relation plus active avec leur environnement semblaient plus conscients qu’il se vit des transformations dans le paysage.

Les élèves de cette catégorie décrivent leur trajet de façon détaillée. Certains sont sensibles aux oiseaux, aux animaux et aux arbres. D’autres remarquent les travaux qui sont effectués et leur progression de jour en jour ou sont sensibles au paysage défiguré par l’autoroute. Ils reconnaissent des maisons. Leurs sens sont éveillés. Il y en a qui sont conscients des odeurs dégagées par les émanations de gaz. Même, s’ils alternent entre la conversation avec des amis, la réflexion et l’observation active du paysage, le contact semble maintenu avec l’extérieur. Le paysage qui défile sous leurs yeux est perçu comme un film qui retient leur attention. Le trajet est vécu comme un temps de repos et de réflexion, comme un moment privilégié pour se ressourcer.

  • Intérêt pour les détails des paysages : « Je regarde les travailleurs sur les ponts. Ils font de nouvelles choses à tous les jours. Je remarque ça ! En ce moment, ils sont en train de travailler dans les rivières »

  • Description des paysages avec émotion : « Je regarde l’eau qui se promène dans les fleuves et la maison de mes rêves »

  • Relaxation à la vue des paysages : « Quand tu es dans ton trajet, c’est un moment à toi. Tu peux te reposer »

  • Réflexion quant à la qualité de son environnement : « Depuis un bout de temps, il font de la pollution ».

2. Deuxième moment : aventure en milieu naturel et solo

Pendant l’aventure en milieu naturel, les élèves ont pu faire des activités en équipe. Lorsque nous leur avons demandé d’identifier l’activité qu’ils avaient préférée, une minorité d’entre eux ont opté pour des activités comme la toile d’araignée, l’épreuve de la coopération et le transbordeur, activités durant lesquelles ils apprenaient à connaître la nature de façon active et accomplissaient des performances qui les valorisaient.

La plupart des élèves (n=10) ont répondu qu’ils avaient préféré l’activité du solo qui consistait en une trentaine de minutes de solitude en forêt. Les effets du solo qui ont été exprimés sont nombreux et variés : repos, réflexion au sujet de la nature, émotions personnelles agréables, sentiment de faire un avec la nature, contact privilégié avec les animaux. L’analyse du moment de solitude en forêt a permis de constater que, pour une majorité de jeunes interrogés, l’expérience du solo a favorisé l’établissement d’un sentiment de contact avec la nature. Ils ont pris le temps de s’intéresser à ce qui les entourait, d’observer sans avoir à poser de gestes précis : simplement se laisser imprégner par l’atmosphère de la forêt ou de la clairière. Il serait possible d’identifier deux types d’expériences liées au solo : un éveil et un émerveillement.

2.1 Un éveil

L’analyse des données a permis de mettre en lumière que tous les élèves qui vivaient une relation flottante avec leur milieu naturel pendant le trajet ont vécu, pendant le solo, un moment qu’il est permis de qualifier d’éveil et d’ouverture à ce qui les entoure. L’éveil s’est manifesté par une prise de conscience du bien-être ressenti. Le solo leur a permis de s’engager dans une relation de découverte et d’exploration : ils sont entrés en contact avec les animaux, les insectes et les plantes. Ils se sont senti transportés par le vent, par le bruissement des feuilles et enveloppés par les sapins. Ils ont décrit cette expérience comme un moment d’apaisement significatif.

  • Éveil des sens : « J’ai observé le bel endroit. On pouvait entendre les oiseaux et le vent chanter. J’ai vu des bibittes que je n’avais jamais vues auparavant »

  • Apaisement : « Je me suis senti relax »

  • Observation : « J’ai cherché des animaux et j’ai vu un écureuil dans les arbres. Il y avait des graines qui tombaient sur ma tête »

  • Réflexion à propos d’une responsabilité environnementale : « On devient plus conscient pourquoi l’environnement est important »

  • Rêve : « Ça m’a fait penser au gars que j’aime »

  • Réflexion à propos de l’utilité de la nature : « Les plantes servent à différentes choses. Nourrir, guérir… »

2.2 Un émerveillement

Le second groupe qui entretenait une relation plus active avec son environnement pendant le trajet a vécu une relation que l’on pourrait presque qualifier de symbiose avec la nature. Les élèves interrogés se sont dit sensibles à la beauté de la nature. Ils se sont reposés et se sont laissés aller à leur imagination. Certains en ont parlé comme d’un moment de contemplation : ils ont pris conscience de la beauté et de la grandeur de la nature. La forêt était perçue comme un environnement sécurisant sur lequel il est possible d’exercer un certain contrôle. Ils ont découvert les possibilités du milieu et sont devenus attentifs à la vie ambiante : ils se percevaient comme faisant partie de la nature. Ils ont réalisé à quel point il est important de conserver cette beauté et de la protéger.

  • Sentiment de faire partie de la nature : « Les arbres, les oiseaux puis tout ça. J’avais l’impression de faire partie du monde »

  • Volonté de connaître la nature : « Quelque chose que tu veux découvrir, explorer »

  • Émerveillement : « C’était impressionnant de voir toutes les choses. Puis c’était vraiment beau ».

3. Troisième moment : l’action environnementale

Les élèves ont eu beaucoup de plaisir à construire des cabanes, car c’est une activité qu’ils pouvaient réaliser eux-mêmes. Ils pouvaient partager les tâches avec leur équipe et avaient le sentiment d’aider la nature tout en s’amusant.

De façon générale, le premier groupe d’adolescents[4] a éprouvé beaucoup de plaisir à s’investir dans l’activité de construction de cabanes pour la protection des chauves-souris. Certains ont déclaré qu’ils avaient eu le sentiment de faire le bien tout en s’amusant. En ce qui a trait au second groupe d’adolescents et d’adolescentes[5], leur expérience était très proche de celle du premier groupe. Ils ont eux aussi vécu beaucoup de plaisir à s’engager dans l’activité : ils avaient le sentiment d’aider vraiment la nature tout en faisant quelque chose de facile.

Les participants, ayant tous accepté de participer à l’activité de construction des cabanes, ont été invités à expliquer ce qu’ils ont compris du problème et les raisons qui les ont poussés à s’engager dans cette action environnementale.

À la question « Qu’as-tu compris du problème des chauves-souris ? », les réponses ont touché les aspects suivants : les chauves-souris sont utiles, car elles se nourrissent d’insectes, elles sont en voie de disparition. Ils ont compris qu’elles étaient importantes et qu’elles avaient besoin de protection. Plusieurs ont été touchés par le fait qu’elles étaient méconnues et victimes de préjugés.

Quant à la question : « Qu’est-ce qui t’a décidé à participer à cette action visant leur protection ? », trois raisons sont ressorties. La première raison consistait en la perception que l’action à mettre en oeuvre était réalisable, efficace et une solution réelle au problème. La deuxième raison concernait la nature de l’information reçue. Ils ont reçu une information leur permettant de mieux connaître les chauves-souris : le nombre d’espèces de chauves-souris, leurs comportements, leur utilité. Toutefois, c’est l’information touchant les préjugés dont les chauves-souris étaient victimes qui a le plus rejoint les élèves. Ce second type d’information qui semblait se rapprocher de leur propre expérience d’être victimes de préjugés a contribué à faire en sorte qu’ils se sont sentis concernés par le sort des chauves-souris. Enfin, la troisième motivation mettait en lumière le goût des jeunes d’être ensemble afin de réaliser cette action.

  • Désir d’aider, impression que l’action va aider : « J’ai aimé aider les chauves-souris. Les cabanes vont leur donner une place où aller. », « Faire des cabanes peut vraiment les aider à survivre. », « Je crois que si j’aide, ça va faire une différence. »

  • Prise de conscience suite à l’information reçue : « Il y a plus de 1000 sortes de chauves-souris. », « Elles sont en voie de disparition. », « Nous en avons besoin et il n’y en a pas assez. », « Il y a beaucoup de légendes qui ne sont pas vraies. »

  • Plaisir de réaliser une action environnementale en groupe : « Le travail en équipe était cool! On se partageait les parties à faire. »

Discussion et conclusion

Les résultats de cette recherche exploratoire nous ont permis de constater, comme l’affirment Proshansky, Fabian et Kaminoff (1983), que l’attachement aux lieux peut se développer grâce à des expériences positives avec le milieu naturel, et d’observer l’importance de susciter des moments intensifs avec le milieu naturel et d’amener les individus à vivre des expériences de qualité (Rubinstein et Parmelee, 1992).

Toutefois, l’analyse du premier moment, celui du trajet vers l’école, a mis en lumière que cet attachement aux lieux pourrait être lié à la qualité de disponibilité que les participants et participantes manifestent par rapport à leur milieu naturel. L’analyse a fait ressortir deux types d’attention à l’environnement : une attention flottante et une attention spécifique. De façon spontanée, la plupart des adolescents semblaient peu intéressés à l’environnement et à ses problèmes. Certains élèves semblaient avoir perdu contact avec leur milieu naturel qui en était venu à jouer le rôle d’une toile de fond. Le contact étroit avec le milieu naturel était peu recherché, sauf par quelques individus qui vivent à la campagne et qui ont gardé l’habitude d’aller s’y ressourcer. La relation à l’environnement de ces adolescents pourrait toutefois se situer dans l’état de latence puisqu’elle peut être réanimée par des activités d’une demi-journée de contact sensoriel solitaire ou d'action environnementale.

En effet, en ce qui a trait au deuxième moment, soit le solo et l’aventure en milieu naturel, il a été surprenant de constater la préférence des jeunes pour le solo qui est en soi une activité faisant appel à l’observation et au calme. Cependant, il est possible de constater la logique de ce choix, puisque bon nombre de participants ont souligné le caractère pacifiant et relaxant de l’activité. Le solo est apparu comme étant un moyen privilégié pour reprendre contact avec soi et pour s’éveiller au milieu naturel. Ceux qui avaient manifesté une relation plus active à l’environnement lors du premier trajet ont poussé plus loin cette relation en expérimentant des moments de contemplation.

Grâce à ces deux activités, les adolescents ont redécouvert un sens au milieu naturel et son importance pour se reposer, réfléchir, s’émerveiller, aider, jouer, rêver, apprendre, etc. Les dimensions du repos, de l’aide et du jeu sont ressorties comme très importantes dans les propos des élèves. Ils ont dit qu’ils éprouvaient un grand besoin de s'arrêter et d’être immobiles, car le milieu scolaire exigeait d’eux de se montrer toujours actifs et attentifs, ce qui les rendait très fatigués. Enfin, l’aventure en milieu naturel et le solo semblent avoir mis en lumière l’importance de créer un espace de disponibilité favorisant un éveil et parfois un émerveillement chez la majorité des participants.

En ce qui a trait au troisième et dernier moment du processus, soit l’action environnementale, il est possible de constater que les participants ont beaucoup apprécié le fait de pouvoir aider l’environnement tout en ayant du plaisir, de réaliser une action par eux-mêmes et en compagnie d’amis. Le fait d’aider les chauves-souris a aussi semblé leur apporter une très grande satisfaction et un sentiment de pouvoir, qui peut s’avérer essentiel à un âge où l’on désire se prouver qu’on possède des compétences. Enfin, l’aspect ludique de l’activité des chauves-souris a suscité beaucoup d'intérêt.

Il est intéressant de constater que deux des raisons invoquées ayant motivé leur décision de s’engager dans la fabrication des cabanes pour les chauves-souris correspondent étroitement aux trois éléments permettant de développer la sensibilité environnementale expliqués par Chawla (1998).

-> Voir la liste des tableaux

Si l’on se réfère à l’expérience des jeunes s’étant engagés dans l’action environnementale visant à sauver les chauves-souris, on retrouve le goût d’apprendre, car les informations recueillies lors de l’exposé de l’animatrice leur ont permis de fonder la pertinence de leur action. Le fait d’apprendre que les chauves-souris étaient victimes de préjugés semble les avoir suffisamment touchés pour qu’ils se sentent concernés et aient le désir de s’engager dans une action concrète. Cependant, la notion de plaisir à réaliser une activité utile, le sentiment que celle-ci sera vraiment efficace et la mobilisation créée par le groupe semblent constituer une partie importante de leur expérience et avoir joué un rôle important dans leur motivation à passer à l’action.

L’analyse a mis en lumière une interrelation d’éléments provenant de l’expérience des élèves qui semblent avoir joué le rôle de catalyseur dans la décision des élèves à passer à l’action : le sentiment d’être concerné par ce que subissent les chauves-souris, le désir d’aider de façon efficace, la faisabilité de l’action envisagée, le plaisir associé à l’activité et le sentiment d’empowerment créé par la force du groupe.

Enfin, l’analyse des trois moments de la relation à l’environnement permet d’enrichir la compréhension de la sensibilité environnementale tel que décrite par Chawla (1998). Il est possible de reconnaître l’importance de l’ouverture au monde naturel, disponibilité intrinsèquement liée à l’éveil d’un désir de connaître. Il ne suffit pas de désirer passer à l’action pour que celle-ci se réalise : la présence du groupe semble jouer un rôle de catalyseur important dans la concrétisation de ce désir.

La figure 2 propose une compréhension du développement de la sensibilité environnementale qui pourrait inspirer les pédagogues lors de la conception d’activités d’éducation relative à l’environnement.

Le développement de la sensibilité environnementale mettrait en scène six éléments agissant en synergie les uns par rapport aux autres : la disponibilité, le goût d’apprendre, le sentiment d’être concerné, le désir de passer à l’action, la notion de plaisir reliée à l’engagement dans l’action et le sentiment d’empowerment.

Figure 2

Développement de la sensibilité environnementale

Développement de la sensibilité environnementale

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La disponibilité est caractérisée par la capacité de l’individu de disposer d’un espace permettant de recevoir des informations nouvelles, de se laisser toucher et de mobiliser l’énergie afin de passer à l’action. Cette disponibilité semblait manquer aux participants manifestant une attitude flottante face au milieu naturel. Cette capacité de créer un espace pouvant accueillir de nouvelles expériences permet à l’adolescent ou l’adolescente d’expérimenter des choses nouvelles et ainsi de s’éveiller au monde. Quant au goût d’apprendre, il doit être stimulé par une information contenant des éléments permettant à l’individu de prendre conscience de ce que subit l’environnement, afin qu’il puisse se sentir suffisamment concerné pour avoir le désir de s’engager dans une action. Une action réaliste, faisant appel aux compétences des jeunes et au jeu, semble apporter un sentiment de satisfaction manifeste.

Enfin, le sentiment d’impuissance souvent lié au fait d’être seul à faire face à un problème environnemental disparaît devant la force du groupe et le sentiment d’empowerment qui en résulte. Le sentiment d’empowerment est une disposition qui facilite l’accès à ses ressources personnelles, aux ressources organisationnelles et communautaires dans le but d’acquérir du pouvoir dans une action à entreprendre. Ce sentiment peut se développer avec le goût de mieux connaître un phénomène, le sentiment de se sentir personnellement concerné par la question et l’établissement de liens de solidarité avec la communauté (Hassenfeld, 1987). Dans ce contexte, agir pour conserver l’environnement devient alors une expérience significative qui permet l’amélioration de la relation personne-groupe-environnement.

Cette recherche comporte certaines limites quant au nombre d’individus interrogés et par rapport à la diversité des données : il aurait été intéressant de recueillir les propos des participantes et participants, sous la forme de dessins, immédiatement après la fin des activités en plus de l’entrevue individuelle.

Nonobstant ces limites, cette recherche suscite une réflexion par rapport à la possibilité de favoriser une relation adolescents-environnement en ciblant, dans les activités d’ERE, les types de mises en situation qui permettent de retisser le lien. Des activités d’éducation relative à l’environnement pourraient être élaborées en tenant compte des dimensions cognitive, affective, comportementale et communautaire. De plus, la création d’espaces permettant au jeune de s’éveiller et de se rendre disponible au milieu naturel semble être un aspect à ne pas négliger dans l’élaboration d’un programme d’activités éducatives. Les éléments jeu, plaisir et sentiment d’efficacité (correspondant à l’information reçue) semblent aussi être des atouts importants. Les programmes d’éducation relative à l’environnement pour les adolescents pourraient donc adopter la forme de multiples aventures durant lesquelles ceux-ci auraient l'occasion d’apprendre que le milieu naturel leur apporte calme et sérénité et que l’accomplissement d’actions environnementales confirme leur capacité de mener à bien des projets d’action avec d’autres jeunes. On répondrait ici aux besoins typiques de cet âge : besoins de calme, de défis, d’identification à un groupe et de rencontres sociales. On assurerait la création ou le renforcement du lien avec l’environnement et on pourrait assister éventuellement à un engagement plus profond dans la défense de la qualité du milieu.

Ces types d’activités, sans provoquer nécessairement un engagement durable et profond envers l’environnement, susciteraient des moments de rencontre positifs avec le milieu naturel. Le désir d’action environnementale pourrait éventuellement se développer, à moyen ou à long terme, grâce à la multiplication de ces moments.