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La diversité culturelle représente de plus en plus l’un des enjeux majeurs de l’éducation du XXIème siècle. Si ce constat n’a rien de nouveau, la nouveauté réside dans le questionnement sur les modèles et pratiques d’intégration aux sociétés d’accueil (Akkari et Tardif, 2006). Au Canada, le visage des écoles change de plus en plus avec l’arrivée d’élèves immigrants et réfugiés. Parce que l’école représente un élément clef de la cohésion sociale (Ghosh et Abbi, 2004), elle doit s’adapter à cette diversité dans son quotidien pour répondre à sa mission d’instruction et d’éducation sociale. Comme l’école est le premier lieu de contact avec la société d’accueil, l’éducation joue un rôle essentiel auprès des nouveaux arrivants (Anisef, Blais, Mc Andrew, Ungerleider et Sweet, 2002). Les jeunes immigrants représentent un grand potentiel pour le marché du travail dans les années à venir, d’où l’importance de valoriser leur processus éducatif et de les aider à dépasser les défis de langue et d’adaptation (Ministère du Patrimoine canadien, 2005). Pour ce faire, plusieurs pistes se présentent, les unes se situent au niveau macro-scolaire (comme le curriculum) et les autres au niveau micro-scolaire (qui portent sur les pratiques quotidiennes à l’école).

Analyser les enjeux de l’immigration pour l’éducation, implique l’étude du processus d’intégration de l’élève immigrant, sa réussite scolaire, son sentiment d’appartenance et son identité etc. Du côté de l’école, il est question de s’intéresser aux représentations que se font les différents acteurs du milieu scolaire de ce qui est l’immigration et l’élève immigrant, des pratiques pédagogiques, l’adaptation des curricula, la préparation des différents acteurs scolaires à la diversité culturelle, le lien école-famille, etc.).

Ce numéro thématique présente le travail de quatre chercheures spécialistes dans le domaine de l’immigration dans les écoles, Donatille Mujawamariya de l’Université d’Ottawa, Gina Lafortune, Laetitia Duong et Fasal Kanouté de l’Université de Montréal. Les trois articles présentent des résultats de recherches empiriques dans le domaine. En résumé, les trois articles s’articulent autour de deux grands thèmes : le curriculum et la socialisation des jeunes immigrants à l’école en contexte de diversité culturelle.

Dans une société plurielle, le curriculum doit être un indice de justice sociale et de démocratie puisqu’il permet de reconnaître les contributions des différentes civilisations sur le plan théorique mais aussi dans la pratique au moment de sa concrétisation en classe. Basé sur une vision antiraciste et un cadre théorique des paradigmes d’éducation multiculturelle de Banks (1989), Donatille Mujawamariya traite de la diversité ethnoculturelle dans le curriculum à travers les attentes, les contenus d’apprentissage et la grille d’évaluation de sciences de l’Ontario. Elle part du principe selon lequel l’enseignement de sciences devrait aujourd’hui dispenser une éducation scientifique qui valorise la diversité ethnoculturelle en science et en technologie et assurer une éducation scientifique multi/interculturelle/antiraciste. Son étude montre que la diversité ethnoculturelle des écoles francophones de l’Ontario demeure négligée dans le programme-cadre de sciences et technologie de 1998 à 2008. Un décalage visible sépare les attentes des contenus d’apprentissage. Ainsi, les politiques antiracistes et d’équité ethnoculturelle du Ministère d’éducation et de formation et de l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario n’ont pas été prises en considération dans le curriculum de sciences de 1998 à 2008 en Ontario.

Dans le deuxième article « Vécu identitaire d’élèves de 1ère et de 2ème génération d’origine haïtienne », Gina Lafortune et Fasal Kanouté observent que les stratégies identitaires des répondants ne semblent pas être fonction de l’appartenance à la première ou à la deuxième génération. Ces auteures ont relevé une plus grande affinité avec la culture d’origine chez la première génération et une plus grande tendance au métissage culturel chez la deuxième génération. La comparaison de la synthèse du vécu identitaire et de celle du vécu scolaire révèle qu’un vécu scolaire plus positif semble relié à une meilleure intégration identitaire et sociale (stratégie par cohérence complexe), tandis qu’un vécu scolaire moins favorable paraît relié à une forme de polarisation de l’identité vers l’assimilation ou la séparation (stratégie par cohérence simple). Les participants des deux générations partagent un même vécu de jeunes d’origine immigrée, soucieux de leur avenir dans la société québécoise et touchés par le racisme et l’image négative auxquels fait face la communauté haïtienne à Montréal. Les résultats montrent le besoin de reconnaissance et de respect des jeunes qui refusent d’être étiquetés et enfermés dans une « image collective stigmatisée » (p. 65 de ce numéro). Cette stigmatisation existe aussi à l’école alors que, celle-ci, est normalement appelée à être un milieu de vie qui doit promouvoir et pratiquer l’équité et le « vivre ensemble », en affichant sa volonté de ne pas reproduire le même schème.

Dans le troisième article qui porte sur les interactions sociales de l’élève immigrant à Montréal, les auteures Laetitia Duong et Fasal Kanouté montrent que les élèves immigrants vivent souvent un stress supplémentaire, lié à toutes les démarches qu’ils doivent entreprendre pour s’intégrer dans leur nouvelle société d’accueil. Il s’agit là d’un enjeu important car un enfant qui n’arrive pas à créer des liens d’amitié est plus à risque en ce qui concerne les troubles de comportement ou d’isolement à l’adolescence, au décrochage scolaire, à la délinquance et à la criminalité. En effet, la mission de socialisation de l’école s’exerce sur les élèves dans l’ensemble de l’espace scolaire, mais de manière plus intense en classe, par le curriculum (implicite et explicite) et par l’entremise de la dynamique relationnelle de la microsociété constituée par les enseignants, les élèves et les autres intervenants. En contexte de classe à pluriethnicité marquée, les questions préalables auxquelles il faut répondre avant toute intervention sont celles qui sont liées à l’aspect relationnel. Cependant, à cause de leur caractère délicat, les considérations ethnoculturelles ou linguistiques sont souvent dissimulées. Pourtant, une meilleure connaissance de la situation globale des élèves immigrants par l’enseignant permet d’améliorer la gestion de classe et surtout de minimiser le stress scolaire chez les élèves. Les auteures observent que chaque acteur (enseignant, élève, parent) capte, selon sa posture, un fragment de ce vécu social, dont la qualité joue sur l’académique et sur l’équilibre global de l’enfant. Dans le cas des élèves immigrants nouvellement arrivés, cette affirmation montre que la (re) construction du réseau de l’élève est intensive et qu’il faut la soutenir à l’école, dans la famille et dans la communauté.

En somme, l’école avec ses différents acteurs et ses différentes instances, autant au niveau macro qu’au niveau micro, laisse ses empreintes sur l’élève immigrant. Les perspectives présentées dans ce numéro thématique contribuent à l’avancement des connaissances et à la réflexion sur deux thèmes importants, soit le curriculum et la socialisation en contexte de diversité culturelle à l’école et soulèvent par là, de nouveaux questionnements.