Corps de l’article

Introduction

Dans la foulée du mouvement de réformes du système de la santé des dernières années, le discours politique insiste sur l’importance que les individus et les collectivités prennent en charge leur santé et adoptent les mesures nécessaires pour l’améliorer. On recommande ainsi d’investir davantage dans des initiatives de promotion et de protection de la santé axées sur la population ainsi que dans des services de santé personnels principalement par l’entremise de modèles de prestation de services de santé communautaires. Le secteur des soins à domicile est particulièrement ciblé comme l’un de ces modèles de prestation et est un secteur en pleine croissance, autant au plan national que dans la province du Nouveau-Brunswick (Association canadienne des soins et services à domicile, 2004; Gagnon et al., 2002; Province du Nouveau-Brunswick, 2008; Santé et Mieux-être Nouveau-Brunswick, 2004).

Parallèlement au discours politique s’est développé un certain discours professionnel qui préconise une modification des pratiques professionnelles pour soutenir l’autoprise en charge de la santé des individus et des collectivités. Ce discours met l’accent sur des pratiques qui favorisent leur participation active dans cette autoprise en charge, dans un esprit de collaboration et de soutien de la part des professionnels de la santé (Kérouac, Pepin, Ducharme et Major, 2003; Villeneuve et MacDonald, 2006). Malgré l’importance accordée à l’autoprise en charge de sa santé, les recherches sur les interventions pour la soutenir ne sont qu’à leur début. Cette situation est possiblement attribuable au fait qu’il existe de multiples appellations pour la désigner. Elles sont représentées par des concepts comme celui de l’« empowerment », de l’autosoin, de l’autogestion ou de l’entraide, rendant difficile l’exercice de cerner les études à cet effet (Santé Canada, 1997). D’ailleurs, l’Office de la langue française (2003) suggère d’utiliser le terme « autonomisation » pour désigner l’ensemble des appellations consacrées à une forme ou une autre de l’autoprise en charge de sa santé. Toutefois, l’utilisation de ce terme comme entité conceptuelle ne fait pas encore l’unanimité car il est juger trop généraliste et ne reflète pas les différentes dimensions qui vont au-delà de la question de l’autonomie (Charpentier et Soulières, 2006; St-Cyr Tribble, Paul, Gallagher et Archambault, 2003). Il y a donc lieu d’entreprendre des recherches qui vont au-delà des multiples appellations ou concepts et de se concentrer sur les processus impliqués. Selon St-Cyr Tribble et al. (2003, 2005, 2006), l’un des moyens suggéré est de concevoir l’ensemble de ces concepts comme possédant deux dimensions complémentaires : un processus d’habilitation et un processus d’appropriation. Le premier renvoie à l’intervention professionnelle visant à reconnaître, soutenir et mettre en valeur les capacités des individus à contrôler leur vie. Quant au processus d’appropriation, il renvoie au renforcement du sentiment de contrôle sur sa vie que l’individu acquiert suite à l’intervention. De cette manière, il est possible d’outrepasser une appellation spécifique et d’examiner l’une ou l’autre des dimensions en fonction de l’intérêt du chercheur.

Selon cette perspective, une recherche doctorale a été entreprise dans le but d’explorer en profondeur les éléments impliqués dans l’intervention infirmière favorisant l’habilitation à l’autoprise en charge de sa santé, dans le contexte des soins à domicile (Godbout, 2007). Deux objectifs ont guidé cette recherche, soit de 1) décrire les interventions infirmières d’habilitation à l’autoprise en charge de sa santé à partir d’observations dans des situations réelles de soins à domicile, et 2) décrire les représentations des infirmières et des infirmiers de l’autoprise en charge de sa santé par la clientèle desservie à domicile. Le présent article s’attarde à l’atteinte du premier objectif par l’utilisation d’une stratégie d’observation in situ. Dans un premier temps, nous présentons un cadre de référence éclectique qui a servi à orienter l’étude et qui a été élaboré en fonction des recherches existantes sur le sujet. Dans un deuxième temps, nous abordons les aspects méthodologiques liés à cette étude qualitative, notamment le devis de l’étude, le développement d’un outil d’observation et l’analyse des données. Nous présentons ensuite les résultats saillants à la lumière de la contribution de l’observation pour capter la nature multidimensionnelle de l’intervention d’habilitation, en plus de raffiner nos connaissances sur les indicateurs et les fonctions de ces interventions. En guise de conclusion, nous discutons de l’utilisation de l’observation comme stratégie méthodologique pertinente et des retombées possibles pour la discipline infirmière.

Cadre de référence et recension sommaire des écrits

Afin de guider la présente étude, un cadre de référence éclectique a été élaboré par les auteurs en intégrant plusieurs éléments qui se dégagent des connaissances en émergence sur l’intervention d’habilitation à l’autoprise en charge. Il s’agit d’une synthèse de la recension des études qui se sont penchées sur un aspect ou un autre de l’intervention d’habilitation. La représentation schématique de ce cadre est à la figure 1. Il est formé de trois cercles pour illustrer les composantes de base qui sont présentes dans un processus d’intervention. Le cercle à la gauche représente l’intervenante ou l’intervenant et celui de droite, la clientèle desservie. Le cercle du centre illustre l’espace relationnel qui se crée entre le deux. Celui-ci est délibérément de circonférence plus grande parce que les écrits sont presque unanimes à souligner la centralité de cet aspect qui sert de point de départ pour expliquer le cadre.

Figure 1

Cadre de référence pour guider l’étude sur l’intervention d’habilitation à l’autoprise en charge de sa santé

Cadre de référence pour guider l’étude sur l’intervention d’habilitation à l’autoprise en charge de sa santé

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1. Relation entre l’intervenante ou l’intervenant et la clientèle

L’intervention d’habilitation se manifeste dans le cadre de la relation qui se développe entre les deux parties au cours de laquelle se réalisent les multiples interventions à l’autoprise en charge de sa santé. L’étude de l’intervention d’habilitation peut être abordée sous différents angles, soit comme un processus d’intervention (Chang, Liet Liu, 2004; Falk-Rafael, 2001; Ouellet, René, Durand, Dufour et Garon, 2000), des dimensions d’intervention (St-Cyr Tribble et al., 2003, 2005, 2006) ou des catégories d’intervention (Cossette, Frasure-Smith et Lespérance, 2002; Hughes et al., 2002; McBride, White, Sourial et Mayo, 2004; Naylor, Bowles et Brooten, 2000; Robinson et al., 1999, 2006). Quoiqu’il en soit, l’ensemble des recherches met en évidence son caractère multidimensionnel, voire holiste.

Les études décrivant un processus d’habilitation et d’autoprise en charge rendent compte du cheminement des personnes à travers d’étapes non-linéaires, mais toutes interreliées. Ce processus est influencé par la relation qui s’établit avec l’intervenante ou l’intervenant qui ajuste son intervention en fonction des réactions des personnes (Chang, Li et Liu, 2004; Falk-Rafael, 2001; Ouellet et al., 2000). C’est à partir des études qui décrivent des dimensions ou des catégories d’intervention que l’on commence à obtenir une vision plus intégrée de la nature de l’intervention susceptible de soutenir l’autoprise en charge de sa santé. Les dimensions ou catégories identifiées sont le reflet des multiples fonctions de l’intervention. Il peut s’agir d’interventions qui renforcent le lien thérapeutique, soutiennent la prise de décision ou facilitent l’apprentissage. Ces recherches diffèrent dans leur description des dimensions ou catégories respectives, mais elles ont en commun la nature multidimensionnelle de l’intervention, laquelle se réalise avec la participation active de la clientèle et s’ajuste en fonction de leurs besoins (Cossette et al., 2002; De Vliegher et al., 2005; Hughes et al., 2002; McBride et al., 2004; Naylor et al., 2000; Robinson et al., 1999; 2006; St-Cyr Tribble et al., 2003, 2005, 2006).

La plupart de ces recherches, qui sont de nature descriptive, ont été réalisées dans différents milieux de soins et plusieurs d’entre elles incorporent autant la perspective de la clientèle que celle des intervenantes ou intervenants. Ces études représentent un courant d’investigation qui vise la documentation de l’intervention d’habilitation. Ainsi, une base de connaissances sur le sujet est en train de se construire à laquelle s’ajouteront d’autres pouvant l’alimenter davantage.

2. Prédispositions pour l’intervention professionnelle

Plusieurs études s’intéressant à l’intervention d’habilitation font état de certaines prédispositions qui sont susceptibles d’influencer positivement ou même négativement, le cas échéant, le parcours vers l’autoprise en charge de sa santé de la part de la clientèle. Ces prédispositions sont apparentées à des valeurs, attitudes, croyances ou des philosophies d’intervention ayant un apport dans la manière dont l’intervention se réalise. Elles peuvent s’adresser à des caractéristiques individuelles de l’intervenante ou de l’intervenant, mais elles sont aussi apparentées à des éléments systémiques tels la philosophie générale d’un système de santé qui cultive la dépendance de la clientèle au détriment de son autoprise en charge.

Parmi les prédispositions identifiées, on retrouve les suivantes : reconnaître et soutenir le potentiel de la clientèle, mettre l’accent sur ses forces et tenir compte de son point de vue. Il importe de distinguer les connotations plus positives par opposition aux attitudes axées sur les faiblesses, les déficits et le manque de valorisation de l’expérience de la clientèle. Ces prédispositions sont issues de recherches qui ont tenté d’opérationnaliser certains concepts reliés à l’habilitation et leurs instrumentations ont subi des tests de validation auprès d’utilisateurs de divers services (Dunst, Trivette et Hamby, 1996; Faulkner, 2001a, 2001b; Trivette, Dunst et Hamby, 1996; Trivette, Dunst, Boyd et Hamby, 1995). D’autres prédispositions proviennent de devis descriptifs qui incorporent d’une part la perspective des intervenantes et intervenants (McNaughton, 2000) et d’autre part celle de la clientèle (Falk-Rafael, 2001; Pooley, Gerrard, Hollis, Morton et Astbury, 2001; St-Cyr Tribble et al., 2003, 2005, 2006). Certaines autres études recensées s’inscrivent dans un courant critique des pratiques professionnelles en démontrant les défis de l’actualisation des pratiques d’habilitation dans un système résistant au changement de mentalité (Loft, McWilliam et Ward-Griffin, 2003; McWilliam, Ward-Griffin, Sweetland, Sutherland et O’Halloran, 2001; Patterson, 2001).

3. Conséquences et résultats pour la clientèle

Des études ont incorporé la dimension de l’appropriation à leurs devis afin de documenter les conséquences et résultats des pratiques d’habilitation pour la clientèle desservie. Un consensus se dégage : ces pratiques, qui sont susceptibles de faciliter chez la clientèle l’acquisition de compétences, aide celle-ci à faire face à la situation. Certaines études corrélationnelles ont démontré que le sentiment du contrôle perçu était amélioré (Dunst et al., 1996; Trivette et al., 1995, 1996). Des études descriptives évaluatives démontrent que le sentiment d’appropriation se répercute à plusieurs niveaux de la vie de la personne, entre autres l’amélioration de l’estime de soi, l’apprentissage et le développement d’habiletés pour faire face à leur situation, et la prise de décision éclairée (St-Cyr Tribble et al., 2003, 2005, 2006). Des études qui décrivent des processus d’habilitation abondent dans le même sens et ressortent plusieurs éléments similaires (Chang et al., 2004; Falk-Rafael, 2001; Ouellet et al., 2000).

Devis de recherche

La recherche a utilisé un devis qualitatif d’orientation ethnométhodologique. Aussi appelé ethnographie centrée sur une expérience particulière (connue en anglais sous le nom de « particularistic or focused ethnography »), ce type d’approche ethnographique permet de centrer l’attention sur un groupe social, en l’occurrence les infirmières et les infirmiers du secteur des soins à domicile. Cette démarche permet d’une part de comprendre les normes, règles et valeurs culturelles partagées par ce groupe dans le contexte de leur travail et, d’autre part, d’apprécier comment elles sont reliées au phénomène d’intérêt (Holstein et Gubrium, 2000). Ce devis permet aussi la triangulation des méthodes de collecte des données. Exigeant un travail sur le terrain (fieldwork), on peut utiliser les données provenant d’entrevues, d’observations participantes directes ou indirectes, ou d’autres sources, contribuant ainsi à la profondeur et à l’authenticité de l’analyse (Miles et Huberman, 2003). Dans le cadre de la présente recherche, l’observation directe non-participante des situations réelles de soins constitue l’une des méthodes de triangulation des données (l’entrevue semi-structurée en est une autre, mais n’est pas rapportée ici). L’observation permet d’obtenir des données in situ durant l’intervention. Elle favorise une connaissance du milieu d’intervention et fournit au chercheur des données ancrées dans une situation réelle (Boutin, 1997; Jacoud et Mayer, 1997; Spradley, 1980).

Développement d’un outil d’observation

Pour effectuer l’observation des situations réelles, une grille d’observation s’inspirant de la méthodologie proposée par Miles et Huberman (2003) et des techniques préconisées par Spradley (1980) est utilisée. Ces auteurs avisent qu’un chercheur novice procédant à l’observation directe pour la première fois risque d’être submergé par la multitude d’éléments se déroulant devant ses yeux. Il est alors difficile de discerner entre l’essentiel et l’accessoire, et entre l’utile et le futile. Pour pallier ce danger, plusieurs techniques sont proposées. L’une des plus simples est de procéder à l’enregistrement audio des entretiens entre les différents « acteurs » afin que l’observateur puisse se concentrer sur les actes ou actions qui se déroulent. De plus, Miles et Huberman (ibid.) suggèrent d’élaborer une grille d’observation en fonction des objectifs de recherche et des écrits de sorte à ce que l’observateur ait une idée des grandes composantes et des grandes catégories d’éléments à observer. On indique que cette grille doit être suffisamment structurée pour centrer les observations sur les aspects d’intérêts et suffisamment souple pour capter les éléments qui se situent à l’extérieur des catégories et composantes attendues. À cet effet, les catégories larges d’interventions d’habilitation devant faire l’objet d’observations ont été établies à partir des résultats de la recherche de St-Cyr Tribble et al. (2003) sur l’intervention d’habilitation. Cette recherche a été réalisée auprès d’intervenantes ou d’intervenants de première ligne en service d’aide familiale et leur clientèle. Ces résultats ont permis de classifier les interventions d’habilitation en cinq catégories ou dimensions. Ces catégories, ainsi que les exemples d’interventions qui en découlent, ont servi à concevoir la grille tout en faisant quelques adaptations pour les soins à domicile. Le tableau 1 résume ces catégories et fournit des exemples d’interventions ayant servi à l’élaboration de la grille d’observation (dont un exemplaire se trouve à l’annexe A). Cette grille permettait au chercheur d’inscrire ses observations lors de la visite à domicile alors que l’enregistrement audio captait les entretiens entre la clientèle et l’infirmière. La grille a été soumise à un processus de validation de contenu et a été mise à l’essai lors de la phase préparatoire à la collecte.

Tableau 1

Catégories d’intervention ayant servi à l’élaboration de la grille d’observation[*]

Catégories d’intervention ayant servi à l’élaboration de la grille d’observation*
*

Inspirée et adaptée de St-Cyr Tribble et al. (2003)

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Terrain de recherche, participants à l’étude et déroulement

La recherche s’est déroulée dans trois unités locales du Programme Extra-Mural (PEM) de l’ancienne Régie régionale de la santé Beauséjour, située dans le sud-est de la province du Nouveau-Brunswick. Ces unités font partie d’un programme provincial de soins à domicile. Elles desservent des territoires spécifiques à l’intérieur du bassin populationnel de la régie régionale et sont composées de l’Unité Blanche-Bourgeois (région métropolitaine de Moncton et ses environs), l’Unité de Shédiac (municipalité de Shédiac et ses environs) et l’Unité Stella-Maris-de-Kent (comté de Kent).

Dans le cadre de la recherche, 14 infirmières et un infirmier ont été recrutés pour participer à l’étude. Chaque infirmière devait choisir deux clients ou clientes à l’intérieur de leur charge professionnelle afin que le chercheur, aux fins d’observation, l’accompagne lors de la visite à domicile. Une adaptation des stratégies de l’incident critique et des cas contrastants a servi à guider les infirmières dans leur sélection de situations réelles de soins pouvant faire l’objet d’observation. La première, l’incident critique, permet à l’infirmière de réfléchir sur une situation de soin pour effectuer un choix qui lui est significatif (Minghella et Benson, 1995; Redfern et Norman, 1999a, 1999b). En ce qui a trait à la stratégie des cas contrastants, elle permet de varier les données à la source parce que le locuteur doit comparer, expliquer ou mettre en évidence les raisons pour lesquelles une situation diffère d’une autre lors de l’entrevue (Miles et Huberman, 2003). Dans cette optique, les infirmières participantes ont volontairement sélectionné deux cas de soins parmi leur clientèle : soit un cas où l’habilitation à l’autoprise en charge de sa santé se déroule relativement bien et un autre cas où cette autoprise en charge présente certaines difficultés.

L’adoption de ces stratégies découle de la phase préparatoire à la collecte. Lorsqu’il a été question du type de clientèle pouvant faire l’objet d’observation, il est devenu évident que la combinaison des méthodes de l’incident critique et des cas contrastants s’avérait la plus pertinente. Les infirmières étaient capables d’identifier les cas représentatifs d’une bonne autoprise en charge et ceux où cette autoprise en charge était plus difficile. Ce choix se faisait sans égard aux diagnostics médicaux, à l’âge ou au motif de référence aux soins à domicile. Une fois les cas sélectionnés, ceux-ci devaient cependant être conformes à quelques critères d’inclusion et d’exclusion. L’infirmière devait être la gestionnaire primaire du cas sélectionné et avoir eu un suivi d’au moins cinq visites avec cette personne afin d’être bien connaissante des particularités de la situation. Étaient exclues les personnes en phase terminale de leur maladie de sorte à éviter une intrusion à cette étape de leur vie.

Le protocole de recherche a reçu l’approbation des comités d’éthique à la recherche du Centre de recherche clinique du Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke[†] et de la Régie régionale de la santé Beauséjour. Outre les garanties du respect de l’anonymat, de la confidentialité et du retrait volontaire pour tous les participants, deux mesures spécifiques à l’observation des visites à domicile ont été prises. La première est la nature volontaire de la participation de la clientèle. Puisque ce sont les infirmières qui ont sélectionné les cas pouvant faire l’objet de l’observation, il fallait s’assurer que cette clientèle ne se sente pas contrainte à participer. L’infirmière contactait la personne pour lui faire part de la recherche et si un intérêt était manifesté, elle obtenait la permission de la personne à divulguer son nom au chercheur. Ce dernier communiquait avec elle à son tour et lui expliquait la recherche et la nature de sa participation volontaire avant l’obtention du consentement éclairé. La deuxième mesure était la non-interférence dans le processus d’intervention entre l’infirmière et sa clientèle. Autant la personne faisant l’objet de l’observation que l’infirmière pouvait demander le retrait du chercheur si l’une des parties jugeait que sa présence portait atteinte à ce processus.

Le chercheur a accompagné les infirmières lors de 30 visites à domicile pour faire de l’observation. La clientèle visitée est composée de 17 femmes et de 13 hommes, dont plus de la moitié étaient âgés entre 61 ans et 90 ans et environ le tiers entre 71 ans et 80 ans. Près du deux tiers de cette clientèle a été référée aux soins à domicile pour un changement de pansement afin de traiter soit des ulcères, des plaies ou des incisions chirurgicales. L’exercice de l’observation des visites à domicile s’est très bien déroulé. Le rythme des visites permettait de bien inscrire les observations sur la grille à cet effet. L’accueil de la part de la clientèle a été très favorable et, à la surprise du chercheur, sa présence ne semble pas avoir empêché ou entravé les entretiens entre l’infirmière et la clientèle.

Traitement et analyse des données observationnelles

Une analyse qualitative de contenu des données observationnelles a été effectuée selon l’approche inspirée de la méthode mixte. Il s’agit d’un processus itératif et continu qui commence dès le début de la collecte de données et se poursuit jusqu’à la fin de l’étude. Aussi appelé la méthode du « va-et-vient » ou de « comparaisons constantes », ce processus permet le raffinement progressif des éléments et thèmes en émergence. Les étapes d’analyse des données observationnelles sont résumées au tableau 2 (Laperrière, 1997; Miles et Huberman, 2003).

Tableau 2

Étapes de l’analyse des données d’observationnelles

Étapes de l’analyse des données d’observationnelles

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Suite à la transcription des enregistrements audio, le chercheur a rédigé un rapport d’observation pour chaque visite à domicile en insérant ses observations à même la transcription. L’exercice de dégager les interventions d’habilitation a commencé en élaborant tout d’abord une grille initiale de classification en fonction de la catégorisation des interventions de St-Cyr Tribble et al. (2003) laquelle a aussi servi à l’élaboration de la grille d’observation (voir tableau 1).

Le codage de premier niveau a commencé avec le codage systématique du contenu des rapports d’observation à l’aide de la grille de classification. Pour dégager les interventions d’habilitation, il a tout d’abord fallu établir une convention de ce que constitue une telle intervention. Spradley (1980) suggère d’orienter l’analyse des données observationnelles sur les éléments « d’action » recherchés en fonction des objectifs de la recherche. Conceptuellement, il a été décidé d’isoler les segments de textes qui contiennent un élément « d’action » de la part d’une infirmière et une forme de participation de la part de la clientèle. Cette combinaison action/participation formait alors l’unité d’analyse recevant un code avec une définition correspondante de l’acte accompli par l’infirmière. Cette intervention ainsi codée était aussi assignée à une catégorie d’appartenance selon la grille d’analyse. Ce processus a été suivi pour dégager l’ensemble des interventions issues des rapports d’observation, résultant en une fiche analytique pour chaque rapport contenant les interventions d’habilitation selon sa catégorie d’appartenance. Il faut noter qu’une intervention pouvait souvent être reprise à différents moments lors d’une visite à domicile. Aux fins de la description, cette intervention n’était comptabilisée qu’une seule fois tout en notant le nombre de fois observé pour chaque visite.

L’autre étape de l’analyse, le codage thématique, permet le regroupement de codes en nombre plus réduit de thèmes ou éléments conceptuels en fonction des résultats émergents (Laperrière, 1997; Miles et Huberman, 2003). Les principales activités à cette étape consistaient à raffiner la définition des codes des interventions au fur et à mesure que l’analyse progressait. Certaines interventions ont pu être regroupées sous un même code ou ont nécessité la création de nouveaux codes pour permettre ce regroupement. Aussi, certaines interventions ont nécessité un changement de catégorie lorsque la progression de l’analyse suggérait une autre fonction de l’intervention qui avait été préalablement établie au début de l’analyse. Cette activité nécessitait la révision du matériel codé préalablement pour refléter ces changements. Enfin, à l’étape de la rédaction, les résultats des étapes précédentes ont permis de générer une série d’interventions selon les catégories de la grille de classification pour chaque visite à domicile. Il devenait alors possible de rédiger une typologie descriptive des interventions pour l’ensemble de ces visites afin de répondre à l’objectif de la description des interventions d’habilitation à partir de situations réelles de soins. Pour assurer la rigueur de l’analyse, chaque étape du processus d’analyse a été soumise à une autre chercheure pour un co-codage indépendant, accompagné de réunions et de discussions pour en arriver à un consensus sur les éléments dégagés de l’analyse.

Interventions d’habilitation observées et discussion

L’analyse du contenu des rapports d’observations a permis de dégager une soixantaine d’interventions en fonction de la grille de classification issue de la recherche de St-Cyr Tibble et al. (2003). Le nombre et la distribution des interventions selon leur catégorie d’appartenance sont présentés au tableau 3.

Tableau 3

Interventions d’habilitation observées selon la catégorie d’intervention

Interventions d’habilitation observées selon la catégorie d’intervention

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Les catégories « Contribue au lien thérapeutique » et « Travaille à partir du point de vue et des forces de la personne » ont généré le plus d’interventions avec 20 chacune, alors que la catégorie « Facilite l’apprentissage » comprend dix interventions. Ces trois catégories, lorsque combinées, ont ainsi généré 84 % de toutes les interventions observées. Les deux dernières, « Permet l’exploration de différentes possibilités » et « Encourage et soutient la prise de décision », ont généré six et quatre interventions respectivement. Il faut cependant souligner que le nombre d’interventions du tableau 3 n’est qu’une typologie descriptive et ne présente pas la totalité des interventions observées. La même intervention peut avoir été observée à maintes reprises durant la même visite. Pour établir la typologie, la même intervention n’était comptabilisée qu’une seule fois. De plus, il faut souligner que les interventions se réalisent à travers toutes les catégories simultanément. La typologie descriptive ainsi obtenue permet néanmoins d’obtenir un portrait de « comment » les interventions se réalisent dans la pratique à l’intérieur de situations réelles de soins. En examinant les interventions à l’intérieur des catégories, il est possible de souligner l’apport de l’observation au plan de la nature multidimensionnelle de l’intervention, au plan du raffinement des indicateurs de l’intervention d’habilitation, ainsi qu’au plan d’en élucider leurs fonctions.

Nature multidimensionnelle de l’intervention d’habilitation

Pour illustrer cette nature multidimensionnelle, des exemples d’interventions fréquemment observées sont présentés au tableau 4. Le lecteur peut consulter la liste complète des interventions par catégorie à l’annexe B. Quoique les interventions soient présentées en termes de la fréquence de leur observation, il y a lieu de souligner que la fréquence n’est pas une indication de son importance. L’utilisation d’une intervention spécifique par les infirmières dépend du contexte de la situation qui n’est pas abordé dans le cadre de cet article. Rappelons que ces éléments contextuels sont d’ordre personnel et situationnel, par exemple la réaction de la personne soignée aux interventions. Ils sont mieux illustrés par des études de cas qui feront l’objet d’une publication ultérieure.

Tableau 4

Exemples d’interventions d’habilitation observées selon la catégorie

Exemples d’interventions d’habilitation observées selon la catégorie

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La nature multidimensionnelle de l’intervention se reflète par le mouvement de « va-et-vient » des interventions entre les catégories au fur et à mesure que les infirmières procèdent dans leur travail avec la clientèle. Ces interventions sont souvent répétées et reprises, se réalisant de façon concomitante avec d’autres interventions et avec l’exécution de tâches instrumentales. Par exemple, la catégorie « Contribue au lien thérapeutique » regroupe des interventions qui jouent un rôle pour établir, maintenir et soutenir la relation thérapeutique. L’une des interventions la plus observée est « Écoute les préoccupations ». Elle sert de fil conducteur pour soit initier ou maintenir la relation et ouvre la porte à d’autres interventions en fonction de la réaction de la personne. L’extrait qui suit est typique de cette intervention :

« Infirmière (I) : il me semble que t’avais dit au début que tu arrêterais de fumer.
Client (C) : Oui, mais c’est dur.
I : C’est dur.
C : Puis je fais rien en plus.
I : Tu fais quoi?
C : Je fais rien, tu sais qu’est-ce que je veux dire. »
(Visite à domicile 01D).

Une autre intervention fréquemment observée, « Initie une conversation hors-sujet » joue aussi un rôle dans la relation thérapeutique. Elle est particulière puisqu’aux étapes initiales de l’analyse, elle paraissait plutôt comme de la conversation anodine entre l’infirmière et la clientèle et n’a pas été codée comme une intervention. Cependant, ce genre de conversation a été observé dans de nombreuses visites à domicile et a obligé une relecture de l’analyse. Visiblement, bien que le contenu puisse a priori sembler anodin, sa fonction ne l’était pas. Il s’agissait en fait d’une intervention d’entrée en matière ou servant à remplir les temps morts lors d’une intervention longue comme l’administration d’un soluté ou l’exécution d’un pansement complexe. Souvent, elle servait de tremplin pour aborder des thèmes reliés à la situation de la personne, contribuant ainsi au lien thérapeutique. Cette intervention est l’une qui a bénéficié de l’apport de l’observation et fera l’objet de discussion un peu plus loin.

Les interventions de la catégorie « Travaille à partir du point de vue et des forces de la personne » sont d’autres exemples d’interventions qui ouvrent souvent la porte à d’autres. Dans cette catégorie sont regroupées des interventions pour lesquelles l’infirmière sollicite, auprès de la personne soignée et de son entourage le cas échéant, des informations l’aidant à organiser et à planifier les soins. Ce genre d’interventions incite aussi une forme de participation et d’implication de la clientèle dans leurs soins. L’une de ces interventions est « Vérifie la satisfaction des besoins ». Cette vérification se fait en lien avec le motif de la visite, mais s’étend pour enquêter sur plusieurs besoins de manière plus globale. En fait, l’analyse a permis de déceler une dizaine de thèmes reliés à cette vérification. Ceux-ci incluent la vérification du sommeil, du confort (douleur), des activités physiques et de la satisfaction des besoins tels la nutrition, l’élimination ou la respiration, selon les particularités de chaque situation. Ces vérifications permettaient d’explorer d’autres thèmes ou problèmes soulevés par la personne et ouvrent souvent la porte à des interventions d’enseignement au besoin. Dans l’extrait suivant, l’infirmière vérifie la mobilisation auprès d’une cliente avec un pansement à la jambe :

« Infirmière (I) : Est-ce que vous marchez plus?
Cliente (C) : Un petit peu, oui.
I : Oui. Est-ce que vous avez commencé avec votre « walker » (marchette)?
C : Oui.
I : Combien de fois?
C : J’ai marché comme quatre fois hier.
I : C’est bon. » (Visite à domicile 03B)

Une autre intervention observée dans cette catégorie, « Vérifie le suivi médical », a aussi plusieurs fonctions. Elle permet à l’infirmière de s’informer des derniers développements en ce qui a trait au suivi médical, en plus de permettre à la personne de s’exprimer sur ce suivi ou de demander à l’infirmière de donner de l’information supplémentaire au besoin. Pour l’infirmière, cette vérification du suivi médical permet de voir ce que la personne comprend ou ne comprend pas par rapport au suivi et, au besoin, lui permet aussi d’assurer la continuité des soins. L’extrait qui suit illustre cette intervention alors que l’infirmière s’informe auprès d’un client atteint du diabète sur la visite au médecin au sujet d’une plaie sur le pied :

« Infirmière (I) : Est-ce qu’il a regardé les pieds hier?
Client (C) : Oui.
I : Puis qu’est-ce qu’il a dit?
C : Il a seulement regardé celui-là. Il a dit que ça venait beaucoup mieux. » (Visite à domicile 02D)

En lien avec les catégories précédentes, les interventions de la catégorie « Facilite l’apprentissage » englobent diverses facettes liées à l’enseignement et à l’apprentissage. Il va de soi que l’intervention la plus observée est « Fait de l’enseignement ». Elle a comme particularité de regrouper une multitude de thèmes dont plusieurs sont souvent abordés durant une même visite. Parmi ces thèmes sont ceux reliés à l’enseignement même des techniques de soins. Il peut s’agir de la technique du pansement dans le cas des personnes ayant changé leur pansement entre les visites de l’infirmière. L’enseignement de l’utilisation d’un glucomètre a aussi été observé à plusieurs reprises. Il en est de même pour l’enseignement de l’examen physique qui était souvent relié à la surveillance des téguments afin de déceler, par exemple, l’apparition ou l’aggravation de plaies ou de gerçures chez les personnes atteintes de diabète. D’ailleurs, pour ces dernières, plusieurs interventions d’enseignement ont aussi été observées. Notons, entre autres, l’enseignement de la surveillance des paramètres physiologiques. Au-delà de leur apprendre comment utiliser un glucomètre, cette intervention englobait des aspects comme l’établissement d’un horaire routinier qui puisse mieux jauger les fluctuations ou l’enseignement des niveaux de glycémie à atteindre. Cette intervention est bien illustrée dans l’extrait qui suit dans lequel l’infirmière fait de l’enseignement auprès d’une dame âgée nouvellement diagnostiquée avec le diabète :

« Cliente (C) : Vraiment, comment faudrait que ça viendrait là pour que ça soit normal?
Infirmière (I) : Ben, pour que ça soit bien contrôlé, là, vraiment bien contrôlé, si vous pouvez les maintenir en bas de 10.
C : En bas de 10.
I : Six à huit, là, surtout en bas de 12. Il faut essayer de les garder en bas de 12, là, vous étiez vraiment haut, vous là. Vous étiez 19, 20. Oui, passé 20. 21, 22. Alors là, c’est pas mal plus beau, là.
C : Oui. » (Visite à domicile 04B).

Les interventions reliées à l’enseignement sont souvent suivies de « Vérifie ce que la personne sait et comprend ». Elle est particulièrement notoire en raison de la variété des thèmes dont une quinzaine ont été dénombrés. Cette vérification sert à évaluer ce que la personne a compris de l’enseignement fait lors de visites précédentes ou de la visite en cours. Après vérification, l’infirmière peut alors renforcer l’enseignement au besoin. Les thèmes fréquemment abordés entouraient les différentes facettes reliées au diabète tels que la surveillance des glycémies, la compréhension de la diète, les symptômes d’hyper et d’hypoglycémie et la surveillance des téguments. D’autres thèmes souvent abordés étaient notamment centrés sur la compréhension du régime médicamenteux et les techniques de soins enseignées.

Les interventions dans la catégorie « Permet l’exploration de différentes possibilités » regroupent celles qui permettent aux personnes d’envisager d’autres possibilités, soit en fournissant des conseils comme solutions possibles aux problèmes qui se présentent, soit en fournissant de l’information sur la continuité de soins ou sur d’autres traitements. Les interventions dans cette catégorie diffèrent de celles de la précédente dans la mesure où elles agissent comme supplément d’information, ou comme suggestions d’actions. L’une des plus observée est « Assure la continuité des soins ». L’infirmière informait la personne des mesures entreprises ou qui seront entreprises afin d’assurer la continuité des soins. Dans une bonne partie des cas, on indiquait à la personne qu’un contact avec le médecin traitant sera fait afin de l’informer de différents aspects reliés aux soins et au suivi de la personne. Il pouvait s’agir, par exemple, de rapporter les résultats d’examens de laboratoire, de l’informer de la progression de la guérison ou des difficultés particulières avec le régime médicamenteux pouvant entraîner de nouvelles ordonnances médicales. Dans d’autres cas, l’infirmière indiquait comment elle allait informer l’infirmière de relève ou un autre professionnel de la santé de certaines particularités reliées aux soins de la personne afin d’assurer la continuité. L’extrait suivant est typique de cette intervention :

« Infirmière : [Tension artérielle] était 120 sur 106, 128 sur 104. Puis la deuxième fois que je suis venue, [elle était] 140 sur 106. Moi je crois que je vais envoyer une lettre au docteur pour lui donner un compte-rendu. » (Visite à domicile 01D)

L’intervention « Donne des conseils » a aussi été fréquemment observée. Ces conseils abordent une multitude de thèmes et se distinguent d’une intervention qui facilite l’apprentissage parce qu’il s’agit, dans la plupart des cas, de suggestions d’actions que la personne est invitée à poursuivre. La variété de conseils rend difficile leur classification dans des catégories spécifiques. Certains sont centrés sur le partage de « trucs » pour faciliter des techniques de soins comme la prise de la glycémie ou comment établir un horaire pour la prise de glycémies. D’autres conseils sont reliés à la satisfaction de besoins, tels des suggestions pour maintenir une bonne hydratation ou accroître l’activité physique. Certains conseils invitaient la personne à préparer des questions à poser au médecin traitant lorsqu’une consultation était prévue. Dans certains cas, ces conseils étaient offerts en réponse à des questions spécifiques des personnes, alors que dans d’autres cas, l’infirmière prenait l’initiative de les offrir au cours de l’entretien. Un exemple de cette intervention est l’objet de l’extrait suivant :

« Client (C) : Demain il faut que j’aille le voir puis il va m’expliquer je crois ben – elle dit demande-lui des questions en masse. Elle dit de ne pas m’énerver.
Infirmière : Ben, si je peux vous donner un conseil, écrivez vos questions parce qu’une fois que vous allez arriver là, assez énervé, vous allez plus vous rappeler de rien.
C : Oui, c’est vrai. » (Visite à domicile 01B)

La dernière catégorie, « Encourage et soutient la prise décision », regroupe les interventions qui viennent renforcer la capacité de la personne de décider des actions ou mesures à entreprendre en vue de favoriser divers aspects de l’autoprise en charge de sa santé. C’est la catégorie où le nombre et la fréquence des interventions observées étaient moindres. Le peu d’interventions observées est peut-être attribuable au fait que l’observation de la majorité des visites a eu lieu à un moment où le suivi était déjà amorcé depuis plusieurs semaines, voire des mois. Il se peut que des observations faites au début du suivi aient permis de ressortir plus d’interventions dans cette catégorie. Quoiqu’il en soit, les interventions « Apporte des informations nécessaires à la prise de décision » ou « Offre des alternatives » sont des exemples d’interventions où la prise de décision est nécessaire.

L’extrait suivant est un exemple de l’intervention « Apporte des informations nécessaires à la prise de décision » au cours de laquelle l’infirmière s’entretient avec un client qui est réticent de procéder à un examen diagnostic nécessitant une admission hospitalière :

« Infirmière : Tu sais comment le médecin voulait que tu sois admis, la raison qu’elle voulait c’était que ça irait plus vite pour avoir l’artériogramme. […] elle pourrait voir pourquoi ça se fait ça. […] Aussitôt que tu dirais oui, moi j’ai juste besoin de lui dire et elle te mettrait et l’on pourrait mieux voir pourquoi ça se produit tout cela dans ta jambe. » (Visite à domicile 05D)

Cet autre extrait illustre la manière que l’infirmière offre des alternatives pour contrer le tabagisme :

« Infirmière : Tu penses pas que le jour comme ça de remplacer la cigarette par d’autre chose? T’en aller dehors prendre une marche, faire quelque chose dehors ou faire quelque chose dans la maison?
Client : Ben, si je serais chez nous ça ne serait pas pareil. Je ne suis pas chez nous ici ». (Visite à domicile 01D)

Ce survol des interventions d’habilitation, telles qu’elles ont été observées dans des situations réelles de soins, sert à illustrer leur nature multidimensionnelle. Cette catégorisation tire ses origines des résultats de l’étude de St-Cyr Tribble et al. (2003) dans laquelle on constatait justement la nature multidimensionnelle de l’intervention pour l’habilitation aux compétences parentales. D’ailleurs, des études récentes de St-Cyr Tribble et al. (2005, 2006) confirment d’autant plus l’utilité de cette catégorisation. Plusieurs autres recherches confirment également la nature multidimensionnelle de l’intervention d’habilitation (Chang et al., 2004; Falk-Rafael, 2001). Il en est de même pour des recherches émergentes en soins à domicile (Cossette, et al., 2002; De Vliegher et al., 2005; Hughes et al., 2002; McBride et al., 2004; Naylor et al., 2000; Robinson et al., 1999, 2006). À la différence de la nôtre, ces études n’utilisaient pas une composante d’observation dans leurs devis respectifs, ce qui limite, à notre avis, la capacité de soutirer les indicateurs des interventions d’habilitation en plus d’en élucider leurs fonctions.

Indicateurs et fonctions des interventions

Une contribution originale de notre recherche est l’utilisation d’une stratégie d’observation des situations réelles de soins. Notre recherche s’inscrit dans la poursuite des travaux de St-Cyr Tribble (2003, 2005, 2006) en utilisant leurs dimensions d’intervention pour élaborer une grille d’observation susceptible de capter et de décrire les interventions en soins à domicile. Nos résultats démontrent la pertinence et l’utilité de cette catégorisation comme moyen de déceler les indicateurs d’interventions d’habilitation d’une part, et son applicabilité dans le contexte des soins à domicile, d’autre part. Cette stratégie a certes porté fruit parce qu’elle a permis de décrire de nombreuses interventions d’habilitation qui sont venues s’ajouter à celles incluses dans la catégorisation initiale. En comparant la grille d’observation utilisée à l’étape initiale de la recherche (Annexe A) avec la liste d’interventions par catégorie (Annexe B), on obtient un portrait des indicateurs d’interventions d’habilitation telles qu’elles se réalisent dans la pratique. Par ce fait, il devient possible de constituer une base de données de ces interventions, laquelle pourrait être corroborée et améliorée par des recherches subséquentes qui s’intéressent à l’intervention d’habilitation.

Un autre apport de l’observation est d’avoir permis de déceler les fonctions des interventions. La section précédente a fait part de l’intervention « Initie une conversation hors-sujet » comme un exemple d’une intervention d’apparence bénigne, mais que son observation répétée a révélé une fonction dans l’initiation et le maintien de la relation thérapeutique. Des exemples similaires se retrouvent dans la catégorie « Travaille à partir du point de vue et des forces de la personne ». C’est le cas de l’intervention « Vérifie la satisfaction des besoins ». L’analyse a démontré que sa fonction va bien au-delà de la vérification de routine. En laissant la clientèle s’exprimer sur ses besoins, les infirmières ouvrent la porte à l’exploration de thèmes autres que ceux du motif de la visite. De plus, ceci permet à la clientèle de donner leur point de vue sur la satisfaction ou non des besoins, et par ce fait, engendre une forme de participation et d’implication dans leurs soins. C’est grâce à l’observation que ces fonctions ont pu être décelées. De telles fonctions ne sont pas ressorties dans les recherches émergentes en soins à domicile citées précédemment, qui ont aussi procédé à la description d’interventions afin de les documenter. À la différence de la nôtre, ces études décrivent les interventions à même la documentation infirmière à l’intérieur de programmes d’interventions contrôlées. En l’absence de données observationnelles, la nature et la fonction de ces interventions sont peu abordées, surtout en ce qui a trait aux aspects qui incitent une forme de participation de la clientèle. À la lumière de nos résultats, il y a lieu de suggérer l’ajout d’une composante observationnelle aux recherches qui tentent de décrire les interventions infirmières comme une stratégie pertinente pour en déceler leurs fonctions.

Conclusion et retombées de la recherche

L’étude a démontré la pertinence d’utiliser l’observation in situ comme outil de recherche. Il s’agit d’une stratégie qui s’est avérée relativement non-intrusive dans le sens qu’elle n’a pas compromis le déroulement des visites à domicile, surtout en ce qui a trait aux échanges entre les infirmières et leur clientèle. De plus, à la lumière des résultats, les observations ont permis de décrire une multitude d’interventions telles qu’elles se réalisent dans le milieu « naturel ». Une limite de l’étude résulte de la nature transversale du devis qui n’a pas permis d’observer l’évolution de la situation des cas étudiés. Puisqu’une seule visite à domicile par client a été observée, il se peut, dans un premier temps, que d’autres interventions auraient pu être observées. Dans un deuxième temps, des visites subséquentes auraient aussi permis de capter comment les interventions évoluent en fonction de l’état de santé et des réactions de la clientèle aux interventions. Néanmoins, l’observation pourrait facilement être intégrée à des recherches subséquentes sur l’intervention et même servir au développement d’outils cliniques. Elle pourrait servir, par exemple, de complément aux études qui visent la documentation de l’intervention. L’observation a permis de déceler des interventions qui sont peu ou pas documentées, mais qui font néanmoins partie du « travail » infirmier. L’observation pourrait aussi être adaptée à des situations spécifiques pour étudier, par exemple, les cas où l’autoprise en charge présente des difficultés. Elle pourrait alors servir de complément à d’autres outils cliniques comme les conférences de cas qui visent la résolution de problèmes rencontrés dans des cas particuliers. Dans cette même optique, l’observation pourrait aussi servir à la formation continue des infirmières de même qu’à celle de nouvelles infirmières en leur fournissant d’autres outils dans le processus de résolution de problèmes rencontrés dans la pratique, en collaboration avec la clientèle. Enfin, la recherche a permis aux infirmières d’être exposées à un processus de recherche dans un secteur de soins qui a été peu exploré à ce jour. Il est espéré que ceci engendre l’établissement de partenariats afin de poursuivre la recherche et de continuer à augmenter les connaissances dans le secteur des soins à domicile, secteur qui est appelé à jouer un rôle grandissant dans le système de santé.