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Introduction

Le français est l’unique langue officielle du Québec, ce qui fait de cette province le seul territoire au Canada et en Amérique du Nord à ne pas offrir à l’anglais un statut identique. Après deux siècles de domination anglaise, au cours desquels la langue française n’avait aucun prestige économique ou social, le Québec a acquis sa souveraineté linguistique en se dotant d’une politique de valorisation et de revitalisation du français qui vise, en partie, à enrichir son lexique et à limiter les emprunts provenant d’autres langues, notamment l’anglais, dans les domaines spécialisés des sciences et des techniques. Dans le cadre de cette politique, l’Office québécois de la langue française (OQLF) propose et officialise des termes français dont la loi linguistique impose l’usage au sein de l’administration publique, des entreprises et de leurs communications, ainsi que dans tout l’affichage public au Québec. Néanmoins, le contexte géographique, économique et politique éminemment anglophone dans lequel se situe le Québec, d’une part, et la domination de l’anglais dans certains domaines spécialisés tels que l’informatique et les technologies de l’information et des communications, d’autre part, sont autant de facteurs en mesure d’avoir un impact sur l’implantation des termes français officialisés par l’OQLF. C’est pourquoi il m’a semblé intéressant de me pencher sur une question du processus d’enrichissement de la langue française au Québec trop rarement posée, à savoir dans quelle mesure les termes officialisés sont-ils implantés? Pour répondre à cette question et tenter d’évaluer l’impact de l’aspect « production et diffusion de la terminologie » de la politique linguistique québécoise, j’ai choisi de mesurer le degré d’implantation de termes représentant 15 notions des périphériques informatiques, au sein d’un corpus constitué de sites Web d’entreprises multinationales de produits et services informatiques. Avant de présenter les résultats de mon enquête d’implantation terminologique[1], réalisée à l’aide du protocole terminométrique élaboré par Jean Quirion (2000), et d’ouvrir la discussion sur quelques-uns des facteurs ayant pu favoriser ou non l’ancrage des termes officialisés dans l’usage, l’article rappellera les conditions exceptionnelles qui ont mené certains politiciens québécois à s’engager dans un domaine aussi sensible que la langue de leurs concitoyens (Corbeil, 1980, p. 7), à doter le Québec d’une loi linguistique et à investir l’OQLF du pouvoir d’en imposer le respect.

1. L’aménagement linguistique au Québec

1.1. Le français et l’anglicisation au Québec

Dès 1608, l’unité linguistique de la Nouvelle-France se forme rapidement autour de la langue française, à la fois lingua franca des premiers colons venus de régions de France aux patois divers et langue du roi, de l’administration et des autorités politiques et religieuses (Corbeil, 2007, p. 61). À partir de la conquête anglaise de 1763 (le traité de Paris), le statut et la langue des Canadiens français se trouvent menacés. L’interdiction de tout contact avec la France, l’arrivée de nombreux immigrants britanniques et loyalistes américains et la création du Canada-Uni en 1840 sont autant de facteurs qui amènent la population francophone à passer, en moins de 100 ans, de majorité à minorité démographique sur le territoire[2]. La Confédération de 1867, réunissant en un seul pays les quatre provinces du Canada, dont trois majoritairement anglophones, « marqu[e] la fin de “la domination française au Canada” et le début d’une nouvelle nationalité britannique. Pour les francophones, c’[est] le début de leur minorisation définitive » (Leclerc, le 15 janvier 2014, section 3.2, paragr. 2).

Au début de la colonisation britannique, seule l’élite lettrée souvent engagée dans la politique se voit touchée par l’anglicisation. Le reste de la population, sous l’influence d’un fort nationalisme de conservation qui dominera jusqu’en 1945, est encouragé à parler français, à valoriser le travail de la terre, à rester fidèle à l’Église catholique, à rejeter l’urbanisation, l’industrie et le commerce, et à garantir sa survie par le biais d’une fécondité très élevée[3]. Ainsi, « retranchés dans l’agriculture, les paysans canadiens continu[ent] de parler le français, sans être trop importunés par l’anglais qui gagn[e] les villes » (Leclerc, le 15 janvier 2014, section 2.5, paragr. 4). C’est l’industrialisation, au 19e siècle, qui « anglicisera la population [...] et qui modifiera le statut de la langue française sur le territoire québécois, l’anglais devenant la langue dominante » (Corbeil, 1980, p. 15). En effet, la population ne cessant d’augmenter dans les campagnes et les emplois s’y faisant de plus en plus rares, de nombreux francophones gagnent les villes pour travailler dans des entreprises et des usines généralement tenues par des anglophones où ils finiront par devenir le prolétariat du Québec. Soudain en contact permanent avec l’anglais, symbole « de l’avancement et de l’ascension sociale [...] auréol[é] de prestige » (Coster, 2007, p. 36), la langue de cette nouvelle classe de travailleurs s’anglicise très rapidement :

Les vocabulaires semi-techniques et techniques se sont implantés en anglais au sein de la population québécoise, non pas parce que la langue française était incapable d’exprimer les différentes réalités qu’ils recouvrent, mais tout simplement parce qu’elle n’était jamais utilisée dans ces mêmes domaines.

Corbeil, 1980, p. 30

L’anglicisation du vocabulaire se double d’une assimilation des us et coutumes venus de Londres. Les Canadiens français reproduisent par mimétisme la culture britannique et, chez les élites francophones urbaines, on voit poindre une anglomanie largement motivée par le désir d’accéder à des rangs sociaux plus élevés (Dickinson, 2000, p. 91). Après la Seconde Guerre mondiale, la vague d’immigration allophone venue combler le déficit de la population active canadienne accroît l’anglicisation du Québec, car les nouveaux immigrants préféraient apprendre l’anglais, trouvant la langue française « mal adaptée aux exigences de la vie et du monde des affaires » (Coster, 2007, p. 141).

1.2. La prise de conscience linguistique des Québécois

La reprise des contacts avec la France au milieu du 19e siècle et la prise de conscience de l’écart qui existe entre le français pratiqué en France, soit le « vrai français parisien », et celui parlé par les Canadiens[4], un French Canadian patois comme l’appellent avec mépris les Anglais, font naître un sentiment identitaire négatif chez les Canadiens français alors qu’ils subissent déjà « génération après génération […] un véritable déclassement social » (Bouchard, 2000, p. 201). À mesure que le français se détériore chez les masses populaires, les condamnations des élites lettrées se font de plus en plus violentes et, à partir de 1940, les propos négatifs sur le français canadien qu’émettent les anglophones sont repris par les francophones. En 1959, un éditorial du quotidien Le Devoir qui qualifiait la langue des Canadiens français de joual[5] et en critiquait son usage pousse Jean-Paul Desbiens, un religieux et enseignant, à envoyer une série de lettres au journal, sous le pseudonyme de Frère Untel. Dans ces lettres, il exprime sans ménagement sa colère face à la dégradation de la langue française parlée et écrite au Québec; il critique vertement le joual, s’insurge contre l’affichage public en anglais qui défigure les villes québécoises et demande une intervention de l’État dans la question linguistique.

1.3. La construction d’une politique linguistique et son dispositif d’application : l’OQLF

Les lettres de Desbiens, qui feront l’objet d’un ouvrage intitulé Les insolences du Frère Untel (1960), choquent et suscitent une grande inquiétude chez les francophones du Québec et, pour la première fois, le pouvoir politique s’engage à « prendre le relais pour conserver l’héritage de la langue et le défendre dans un océan d’anglophonie » (Corbeil, 2007, p. 81). Ainsi, en 1961, le gouvernement de Jean Lesage crée l’Office de la langue française (l’Office) qui a pour mandat de « veiller [...] à la correction et à l’enrichissement de la langue parlée et écrite » (ibid.). Dans le même temps, diverses commissions d’enquête sont mandatées pour évaluer la situation du français au Canada et au Québec, dont la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (commission Laurendeau-Dunton). Dans ses rapports qui se sont échelonnés entre 1965 et 1970, la Commission révèle, d’un côté, la non-importance économique du français au Canada, où les postes importants et bien rémunérés reviennent essentiellement aux anglophones, et de l’autre, l’ambiguïté du bilinguisme canadien qui fait que les anglophones peuvent choisir de devenir bilingues, alors que les francophones y sont contraints. Aux conclusions des rapports de la Commission, qui ont déjà l’effet d’une gifle pour les francophones canadiens et particulièrement ceux du Québec, vient s’ajouter un discours du futur premier ministre du Canada, Pierre Elliott Trudeau, qui, en 1968, mentionne que le Québec ne mérite pas de recevoir « une once de pouvoir », car les gens y parlent un « lousy French ». C’est dans ce contexte qui montre à quel point la langue détermine les droits des Québécois que la première loi linguistique est votée. Il s’agit de la Loi pour promouvoir la langue française au Québec de 1969, dite loi 63, dont le principal objectif est d’inciter les entreprises à se franciser. Une approche plus coercitive est recommandée en 1974, et la Loi sur la langue officielle, dite loi 22, vient remplacer la loi 63 et fait du français la seule et unique langue officielle de la province, tout en autorisant l’usage de l’anglais. Au final, cette loi ne parvient à satisfaire ni les francophones, qui trouvent que « le bilinguisme était dissimulé derrière le français, langue officielle » (Corbeil, 2007, p. 178), ni les anglophones, qui n’apprécient pas « qu’un gouvernement libéral ait pris position en faveur d’une seule langue officielle, le français, sans même faire allusion au statut de la langue anglaise » (ibid.). Ce mécontentement entraîne l’élection du Parti québécois, en 1976, et l’adoption, en 1977, de la Charte de la langue française, dite loi 101, dont les objectifs, toujours en vigueur, sont de :

définir la nature linguistique de la société québécoise, assurer l’intégration scolaire des enfants immigrants, franciser le monde du travail, pourvoir aux conditions de respect de la majorité francophone, créer les organismes chargés de la mise en oeuvre de la Charte.

Rocher, 2000, p. 277

Avec la Charte, le français est la seule langue officielle « de l’État et de la Loi[6] aussi bien que la langue normale et habituelle du travail, de l’enseignement, des communications, du commerce et des affaires » (Gouvernement du Québec, le 7 février 2014, préambule) et les entreprises de 50 employés ou plus doivent automatiquement se soumettre à un processus de francisation qui touche leurs employés ainsi que leurs produits, tels que les catalogues, les manuels ou les publicités.

Lorsque l’Office a été créé, ses objectifs étaient essentiellement linguistiques, et de nombreux travaux de lexicologie et de terminologie sont réalisés en vue d’aider les francophones à éliminer les anglicismes et à enrichir leur langue, dont la mise en place du service téléphonique d’aide linguistique gratuit pour le grand public et les professionnels. L’adoption de la loi 63 donne à l’Office la mission de conseiller le gouvernement sur les mesures nécessaires à prendre pour franciser l’administration publique, les entreprises et l’affichage public partout au Québec. L’Office acquiert, en outre, le rôle de commissaire de la langue française au travail; il peut ainsi recevoir et donner suite à toute plainte provenant d’employés d’entreprises. « Malgré le caractère strictement incitatif de la loi, cette disposition donne à l’Office l’autorité voulue pour engager un processus de francisation de l’économie et de l’industrie » (Corbeil, 1980, p. 55), ce qu’il fait entre 1970 et 1974, en élaborant sa propre stratégie pour faire du français la langue de travail, de l’affichage et des affaires au Québec, d’une manière qui soit cohérente et qui n’ait pas d’impact sur la rentabilité ou l’activité des entreprises. La Charte de la langue française charge l’Office de définir et de « condui[re] la politique québécoise en matière d’officialisation linguistique, de terminologie ainsi que de francisation de l’Administration et des entreprises » (Gouvernement du Québec, le 7 février 2014, art. 159). Il doit aussi s’assurer que le français est utilisé dans les communications, le commerce et les affaires. De plus, il est chargé de mener des travaux et des recherches linguistiques et terminologiques adaptés au Québec, ce qui le conduit à « activement contribu[er] à la qualité de la langue technique, commerciale et publicitaire » (Rocher, 2000, p. 282). Une modification apportée à loi 101, en 2002, ajoute au mandat du désormais dénommé Office québécois de la langue française (OQLF) les missions suivantes : « surveiller l’évolution de la situation linguistique au Québec », « en faire rapport tous les cinq ans au ministre » et « assurer le respect de la Charte de la langue française, agissant d’office ou à la suite de la réception de plaintes » (Office québécois de la langue française, le 7 février 2014a). L’OQLF a donc, légalement, un rôle de conseiller en francisation, d’élaborateur de terminologie et de normes linguistiques, d’inspecteur de la langue française au Québec, mais aussi d’administrateur de la Charte.

2. Objectifs de la recherche, méthodologie et description du corpus

Pour s’assurer que les Québécois ont une connaissance des termes qu’il officialise, l’OQLF les diffuse au sein de l’administration publique, des entreprises et de la société québécoise en général en offrant, notamment, des services de consultation terminologique et linguistique gratuits, dont la Banque de dépannage linguistique[7] et Le grand dictionnaire terminologique (GDT)[8]. Cependant, « les efforts de diffusion d’une terminologie donnée ne doivent [...] pas s’arrêter à une connaissance passive des termes; ils doivent viser l’intégration de cette terminologie au discours, son implantation réelle et durable » (René, 2001, p. 9-10). Depuis la fin des années 1970, une poignée d’enquêtes ont été menées afin de vérifier le degré d’utilisation et d’implantation de la terminologie de référence du hockey (Aléong, 1979, cité dans Quirion, 2000, p. 64), des transports (Daoust, 1987), de l’éducation (Martin, 1999), de l’halieutique (Auger, 1999) ou encore de la nanotechnologie (Quirion, 2011). Ce petit nombre d’enquêtes se révèle néanmoins bien insuffisant pour rendre compte de l’ancrage dans l’usage des nombreux termes créés et répertoriés chaque année par l’OQLF. En effet, entre 2010 et 2013 uniquement, 229 nouveaux termes ont été créés et plus de 13 700 autres répertoriés afin d’enrichir la terminologie au Québec, ce qui dépasse ainsi largement les objectifs que l’OQLF s’était fixés, soit de créer 12 nouveaux termes et d’en répertorier 3 500 autres annuellement (Gouvernement du Québec, le 29 janvier 2014, p. 57). De plus, bien que les technologies de l’information aient fait partie des quatre secteurs prioritaires en matière de production terminologique (René, 2001, p. 4), aucune enquête d’implantation de la terminologie de référence dans ce domaine n’a été menée au Québec[9], ce que m’a d’ailleurs confirmé l’OQLF quand je l’ai contacté à ce sujet, en mai 2013. La mesure de l’implantation terminologique est, de toute évidence, un sujet fortement sous-étudié et il m’a donc semblé indiqué de m’y intéresser en examinant l’implantation de la terminologie de l’informatique, domaine en constant développement qui a la particularité de toucher tous les usagers de la langue. J’ai limité l’étude à l’implantation des termes officialisés[10] à l’intérieur des sites Web d’entreprises multinationales spécialisées dans les produits et services informatiques. En particulier, j’ai cherché à répondre aux questions suivantes : les termes officialisés de l’OQLF sont-ils visiblement employés ou est-ce que d’autres termes, en français ou en langue étrangère, leur sont préférés? Dans ce dernier cas, quels termes prévalent sur la terminologie de référence proposée par l’OQLF? Finalement, quels pourraient être les facteurs favorisant ou non l’usage de certains termes par rapport à d’autres?

Pour répondre à ces questions, j’ai choisi d’adopter et d’adapter le protocole terminométrique élaboré par Jean Quirion, dans le cadre de sa thèse de doctorat, en 2000. Les deux premières décennies d’enquêtes sur l’implantation terminologique ont fait appel à des méthodologies diverses rendant difficiles, voire impossibles, la reproduction des enquêtes et la comparaison des résultats entre ces dernières (Quirion, 2000, p. 94). Jugeant nécessaire d’appliquer une méthodologie « fiable, exacte, universelle et reproductible » qui mesure « la réelle diffusion et implantation d’une terminologie » (Gambier, 2004, p. 173), Quirion a proposé un protocole de mesure de l’implantation et de l’usage terminologiques, dit protocole terminométrique. Cette méthode compare le nombre total d’occurrences d’un terme à celui de tous les termes désignant la même notion. Un tel procédé permet d’obtenir le degré de fréquence relative du terme et son coefficient d’implantation compris entre 0 (usage nul du terme pour désigner la notion) et 1 (usage exclusif du terme pour désigner la notion). Pour illustrer le calcul du coefficient d’implantation, prenons l’exemple fictif d’une recherche dans un corpus qui contiendrait 80 occurrences de termes désignant la notion d’annonce publicitaire, dont le terme officialisé annonce publicitaire (60 occurrences), le synonyme publicité (15 occurrences) et l’équivalent anglais advertisement (5 occurrences). Le coefficient d’implantation de chacun de ces termes sera obtenu en divisant le nombre de ses occurrences par le nombre d’occurrences de tous les termes désignant la notion, soit 80 (Figure 1).

Figure 1

Calcul du coefficient d’implantation (tiré de Quirion, 2003, p. 23, ma traduction)

Calcul du coefficient d’implantation (tiré de Quirion, 2003, p. 23, ma traduction)

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Ainsi, le coefficient d’implantation du terme officialisé annonce publicitaire sera 0,75, alors que ceux de publicité et d’advertisement seront respectivement 0,19 et 0,06. « [L]e coefficient chiffre précisément l’usage terminologique » (Quirion, 2005, p. 2) et permet ainsi, particulièrement dans le cadre d’une étude diachronique, de déterminer si les termes sont « implantés », « en voie d’implantation » ou « en situation de concurrence terminologique » (René, 2001, p. 6). L’intérêt essentiel de l’approche de Quirion réside, selon moi, dans la description des étapes à suivre pour délimiter et constituer le corpus, car elles me semblent être les garantes d’une récolte de données la plus objective possible.

La première étape consiste à déterminer le domaine et les notions ainsi qu’à établir la liste des termes dont l’implantation sera mesurée. Comme je l’ai déjà mentionné, mon choix s’est porté sur le « domaine de l’informatique qui est un secteur technologique en expansion constante et qui présente le double intérêt d’être autant en usage dans la langue des spécialistes que dans celle du grand public » (Saint, 2013b, p. 88). Ainsi, étudier l’implantation de la terminologie d’un domaine qui a, via les communications institutionnalisées, le potentiel d’influencer le comportement de tous les usagers de la langue française m’a semblé particulièrement pertinent. Je rappellerai ici que, ma recherche originale visant à mesurer et à comparer le degré d’implantation de la terminologie de référence en France et au Québec, j’ai voulu que les notions étudiées soient identiques dans une région comme dans l’autre. Alors qu’il était possible d’accéder à l’intégralité des recommandations émises par la France dans le domaine de l’informatique, le GDT n’offrait pas cette option sur son site Web; c’est pourquoi j’ai sélectionné les notions en m’appuyant sur les termes recommandés en France. J’ai conscience qu’un tel procédé ne rend probablement pas compte de l’intégralité de la terminologie des périphériques informatiques officialisée par l’OQLF et disponible dans le GDT, mais il assurait une sélection objective des notions retenues pour mon étude originale. Je préciserai aussi que j’ai limité mon étude au sous-domaine des périphériques informatiques[11], car comme le souligne Quirion (2005, p. 4) :

La terminométrie […] étant une activité exigeante, il est généralement avisé de choisir un sous-domaine plutôt qu’un domaine entier, afin de limiter le nombre de termes étudiés [, car] notre expérience montre qu’une notion est désignée par cinq termes en moyenne, dans le cas de deux langues en contact.

Dans un contexte d’aménagement linguistique tel qu’au Québec, Quirion recommande d’examiner la terminologie de référence et de déterminer les termes en concurrence avec cette terminologie, c’est-à-dire les synonymes, les formes dérivées et les équivalents en langue étrangère, en consultant des banques de données terminologiques déjà disponibles et diverses sources lexicales comme les dictionnaires, glossaires, etc. (Quirion, 2003, p. 37). Mon corpus contenait 15 notions appartenant au sous-domaine des périphériques informatiques, chacune désignée par un terme vedette recommandé, c’est-à-dire le terme en tête de fiche terminologique dans le GDT (Tableau 1).

Pour établir la liste des termes concurrents, j’ai tout d’abord relevé les synonymes acceptés, les termes à usage restreint, ceux à éviter et ceux déconseillés, puis les équivalents anglais dans le GDT. Quatre autres sources lexicales et terminologiques ont ensuite été consultées afin de créer une liste de termes plus exhaustive pour chaque notion. Il s’agit de la banque de données terminologiques canadienne TERMIUM Plus® (http://www.btb.termiumplus.gc.ca/), de la banque de données européenne IATE (Inter-Active Terminology for Europe, http://iate.europa.eu), du site FranceTerme recensant toutes les recommandations terminologiques de la France (http://www.culture.fr/franceterme) et du dictionnaire bilingue du langage usuel Pocket Oxford-Hachette en ligne (Oxford Reference Online 2013, http://www.oxfordreference.com)[12]. L’inventaire final des termes officialisés et de leurs concurrents contient 156 termes[13], dont 59 % sont des termes français (soit 92 termes au total) et 41 % sont des termes anglais (Tableau 2). En moyenne, chaque notion est représentée par 10,4 termes, soit le double du chiffre indiqué par Quirion (2005, p. 4). Je n’essayerai pas d’apporter d’éléments de réponses dans le présent article, mais ce constat m’amène à me demander si ce foisonnement de termes est l’indice d’une terminologie française de l’informatique imprécise ou en évolution à l’image du secteur. Il est aussi tout simplement possible que trop peu d’enquêtes ayant eu recours au protocole terminométrique de Quirion existent à ce jour pour tirer des conclusions fiables concernant la moyenne générale de termes par notion.

Tableau 1

Notions du sous-domaine des périphériques informatiques et définitions du GDT, à la date du 18 mai 2013

Notions du sous-domaine des périphériques informatiques et définitions du GDT, à la date du 18 mai 2013

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Tableau 2

Inventaire des notions désignées par les termes vedettes du GDT et de leurs concurrents français et anglais, à la date du 18 mai 2013

Inventaire des notions désignées par les termes vedettes du GDT et de leurs concurrents français et anglais, à la date du 18 mai 2013

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La seconde étape du protocole consiste à constituer le corpus d’où seront extraites les données. Quirion (2000) recommande de créer un corpus représentatif des communications institutionnalisées qui, selon « un principe de la globalité » (Corbeil, 1980, p. 116), façonnent le comportement linguistique des individus. Ainsi, si l’« on souhaite modifier une situation linguistique ou en orienter l’évolution, il faut contrôler le comportement linguistique des institutions » (ibid.). Pour ma part, j’ai choisi d’examiner les communications des « institutions économiques » et plus précisément « la langue des relations de l’institution avec la clientèle [...], la langue de la publicité et de l’affichage public » (Corbeil, 1980, p. 79-80), car elle me semble refléter le discours avec lequel l’utilisateur moyen est le plus fréquemment en contact. Finalement, ce corpus de communications institutionnalisées se doit de répondre à quatre critères de base (Quirion, 2000, p. 122; 2003, p. 38) que j’énumère avant de préciser comment mon corpus y répond :

  1. un critère thématique : l’institution agit dans le domaine examiné, ici le domaine informatique;

  2. un critère géographique : l’institution est située dans l’aire géographique à l’étude, ici le Québec;

  3. un critère chronologique : l’échantillon de cette institution relève de la période de temps étudiée, dans le cas présent, la fin du mois de mai 2013;

  4. un critère linguistique : la langue de l’échantillon correspond à celle à laquelle l’étude s’intéresse, ici le français.

Ainsi, le corpus est composé de pages en français, provenant de sites Web d’entreprises multinationales où les spécificités de divers produits et services informatiques sont décrites dans le but d’informer le lecteur et le client potentiel. J’ai veillé à ce que le corpus soit en rapport direct avec le sous-domaine déterminé, c’est-à-dire les périphériques informatiques[14], et sa sélection s’est faite de manière aléatoire, ce qui signifie que le contenu du corpus n’a pas été consulté au préalable pour vérifier s’il était plus ou moins à même de présenter la terminologie qui m’intéresse. Toutefois, en raison de l’aspect comparatif de ma recherche originale qui portait sur l’implantation des termes officialisés en France et au Québec, je n’ai sélectionné que des sites présentant les mêmes produits dans chacune des deux aires géographiques et ayant recours à une traduction localisée du site original en anglais, soit une traduction adaptée pour trouver écho dans la culture française, d’une part, et la culture des francophones canadiens, d’autre part. Je suppose donc que les traducteurs des sites Web de mon corpus auront choisi, lors de leur tâche, de suivre les recommandations linguistiques émises par l’autorité de la région destinataire, ici l’OQLF[15]. Bien qu’un tel procédé de sélection ait favorisé l’analyse comparative de l’implantation terminologique en France et au Québec, j’ai conscience qu’il a eu pour effet de restreindre le corpus et, par là même, la portée des résultats que je vais présenter. De même, mon enquête est synchronique — le contenu de mon corpus ayant été récupéré en ligne entre le 21 et le 24 mai 2013 —, ce qui constitue sa plus grande limite, car on ne peut « jug[er] de l’implantation d’un terme en dehors d’une certaine diachronie » (Depecker, 1997, p. 9-10). Je ne peux donc qu’espérer poser le premier jalon d’une étude qui, grâce à la reproductibilité du protocole dont elle fait usage, se répétera dans le futur afin d’apporter la vision diachronique nécessaire.

Pour finir, j’ajouterai que le corpus est intégralement en français, que seules ont été retirées les marques textuelles ou graphiques pouvant fausser les résultats (par exemple, adresses URL, photos, etc.), qu’il contient 14 686 mots et que j’ai eu recours au concordancier multilingue TextSTAT[16] pour l’analyser et y vérifier la présence des termes officialisés par l’OQLF, en comparaison avec celle de leurs concurrents.

3. Présentation des résultats

3.1. Notions absentes du corpus

Un tiers des notions de notre liste, soit 5 notions sur 15, sont absentes du corpus. Cela signifie qu’elles ne sont représentées dans le corpus ni par leur terme recommandé, ni par aucun de leurs concurrents. Les notions absentes sont : boule de commande, déconnecté, lister, manche à balai et webcaméra.

3.2. Termes recommandés totalement ou très bien implantés

Sur les dix notions présentes dans le corpus, six notions sont exclusivement représentées par le terme recommandé par l’OQLF (Tableau 3). Je considère donc que les termes cliquer, connecté, écran tactile, moniteur, numériseur et souris sont totalement implantés. Le terme pavé tactile est aussi très bien implanté avec un coefficient d’implantation de 0,96 (26 occurrences contre une seule occurrence de son concurrent anglais touchpad).

Tableau 3

Relevé des termes recommandés totalement implantés ou très bien implantés selon le nombre total de leurs occurrences et leur coefficient d’implantation

Relevé des termes recommandés totalement implantés ou très bien implantés selon le nombre total de leurs occurrences et leur coefficient d’implantation

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Mentionnons que le concurrent anglais mouse du terme recommandé souris est souvent apparu dans le corpus à l’intérieur des syntagmes composés suivants : Arc Touch Mouse (cinq occurrences), Explorer Touch Mouse (sept occurrences), Magic Mouse (neuf occurrences), Sculpt Touch Mouse (quatre occurrences), Touch Mouse (huit occurrences) et Wedge Touch Mouse (six occurrences). L’utilisation de la majuscule, laissant supposer que l’on fait référence à des marques de commerce et donc à des noms propres non modifiables et non traduisibles en français, m’a amenée à ne pas retenir le terme mouse comme concurrent au terme recommandé souris. Je reviendrai cependant sur ce point lors de la discussion des résultats (section 4).

3.3. Terme recommandé en situation de concurrence terminologique

Comme l’indique le Tableau 4, le terme recommandé écran, dont le coefficient d’implantation est de 0,55, se trouve en situation de concurrence terminologique en raison de la présence de deux de ses concurrents français dans le corpus. Le terme afficheur n’apparaissant qu’une seule fois dans le corpus, je remarque que c’est le terme moniteur qui fait réellement concurrence au terme recommandé avec un coefficient d’implantation de 0,44. Il convient de préciser ici que le GDT ajoute à sa définition de moniteur que le terme écran est employé « dans l’usage, par extension de sens, [...] pour désigner aussi bien le moniteur que la surface d’affichage », ce que j’ai aussi constaté au sein du corpus. Devant la difficile distinction entre ces deux termes, j’ai choisi d’inclure les occurrences de moniteur à deux endroits. C’est pourquoi, dans les résultats, le terme moniteur apparaît comme recommandation totalement implantée, d’une part, et comme concurrent français, d’autre part.

Tableau 4

Nombre total d’occurrences et coefficient d’implantation des termes en concurrence terminologique

Nombre total d’occurrences et coefficient d’implantation des termes en concurrence terminologique

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3.4. Termes recommandés non implantés

Deux des notions ne sont pas représentées par le terme recommandé par l’OQLF. Il s’agit de numériseur à balayage et prêt à tourner pour lesquels d’autres concurrents français semblent être préférés. Ainsi, numériseur est le terme concurrent exclusivement utilisé pour exprimer la notion numériseur à balayage, et ce sont les synonymes branchez et utilisez, prêt à l’emploi et prêt-à-brancher qui sont employés pour désigner la notion prêt à tourner (Tableau 5).

Tableau 5

Relevé des termes recommandés non implantés et des concurrents utilisés pour exprimer la notion, selon le nombre total de leurs occurrences et leur coefficient d’implantation

Relevé des termes recommandés non implantés et des concurrents utilisés pour exprimer la notion, selon le nombre total de leurs occurrences et leur coefficient d’implantation

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3.5. Implantation moyenne des termes recommandés dans le corpus

Finalement, j’ai voulu mesurer le degré d’implantation moyen des termes recommandés en comparaison avec celui de leurs concurrents. En général, les termes recommandés du sous-domaine des périphériques informatiques sont très bien implantés dans le corpus de sites Web d’entreprises spécialisées, avec un coefficient moyen d’implantation de 0,77 (Tableau 6). De plus, le coefficient moyen d’implantation reste assez faible pour les concurrents français (0,22) et nul pour les concurrents anglais.

Tableau 6

Nombre total d’occurrences et coefficient moyen d’implantation des termes recommandés et de leurs concurrents

Nombre total d’occurrences et coefficient moyen d’implantation des termes recommandés et de leurs concurrents

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4. Discussion des résultats

Comme je l’ai précisé dans la description de la méthodologie, j’ai recherché la présence de termes recommandés au sein d’un corpus assez petit (14 686 mots), ce qui pourrait en partie expliquer l’absence de certaines notions. En outre, je n’ai entré dans le concordancier TextSTAT que les termes recensés à partir de quelques sources terminologiques et leurs variantes (par exemple, les formes féminines, plurielles ou conjuguées). Il n’est donc pas à exclure que les notions en question aient pu être présentes dans le corpus, mais indiquées par des termes non répertoriés dans les ressources consultées. Cependant, je note que plusieurs notions de ma liste renvoient au fonctionnement technique des périphériques informatiques. Ce sera notamment le cas des notions lister et déconnecté, qui auraient plus de chances de se trouver dans un guide de programmation ou un document d’aide à l’installation et à l’utilisation du périphérique que dans un corpus comme le mien, à tendance publicitaire. Par ailleurs, l’absence des notions manche à balai et boule de commande pourrait s’expliquer par le fait que mon corpus ne contient ni de sites Web traitant des jeux vidéo, ni de descriptions de souris à boule de commande.

En ce qui concerne la notion webcaméra, si aucun des termes français ou anglais de ma liste n’apparaît dans le corpus, il est intéressant de noter que la notion est néanmoins présente et désignée par le terme caméra (quatre occurrences). Bien que ce dernier terme ne fasse pas partie des recommandations de l’OQLF, sa présence pourrait laisser supposer que la terminologie pour cette notion a évolué et que, pour bien la nommer et se la représenter, le qualificatif web n’est peut-être plus aussi nécessaire qu’en 2007, date à laquelle la recommandation a été officialisée au Québec. De même, il reste aussi possible que le terme webcam, retiré de ma liste, car il ne m’aurait pas permis de déterminer s’il s’agissait d’un terme français ou d’un concurrent anglais, ait été employé pour représenter la notion webcaméra.

La grande majorité des termes recommandés de ma liste, soit six termes sur dix, sont totalement ou très bien implantés dans le corpus. Bien que les recherches en implantation terminologique soient encore trop peu nombreuses pour permettre d’expliquer avec certitude les raisons de l’enracinement ou non des termes, certains facteurs ont été relevés. Par exemple, le temps écoulé depuis l’officialisation d’un terme jouerait un rôle sur son implantation, la durée minimale le rendant incontournable semblant être de sept ans (Quirion, 2004, p. 198). Je constate que les termes implantés de notre corpus ont été officialisés par l’OQLF entre 1999 et 2007 (Tableau 7), ce qui leur a certainement laissé le nombre d’années nécessaire pour se faire une place dans l’usage. De même, il a été remarqué qu’« une dénomination aurait de meilleures perspectives de s’implanter si elle est la seule indiquée pour désigner une notion » (Quirion, 2004, p. 194). Les termes totalement ou très bien implantés de l’étude partagent la caractéristique d’avoir une faible concurrence synonymique (Tableau 7), ce qui réduirait les doutes que peuvent avoir les usagers quant au terme à privilégier et faciliterait ainsi l’implantation des termes recommandés.

Tableau 7

Date d’officialisation et nombre total de concurrents français des termes implantés, des termes en situation de concurrence et des termes non implantés du corpus

Date d’officialisation et nombre total de concurrents français des termes implantés, des termes en situation de concurrence et des termes non implantés du corpus

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Dans la présentation des résultats (section 3), j’ai souligné la forte présence dans le corpus du concurrent anglais mouse au sein de syntagmes composés et présentés sous forme de noms propres. En raison de l’utilisation de la majuscule, laissant supposer qu’il fait partie intégrante de la dénomination officielle des périphériques en question, j’ai décidé de ne pas retenir le terme mouse comme concurrent au terme recommandé souris. Cependant, malgré l’usage de la majuscule, à l’exception du syntagme Magic Mouse qui est une marque déposée d’Apple Inc.[20] et qui ne peut donc pas être modifiée ou traduite en français, aucune autre des appellations mentionnées dans la présentation des résultats n’est enregistrée comme telle au Canada. Le choix de ne pas traduire ces syntagmes ou de ne pas les adapter en français pourrait provenir de la volonté qu’ont les entreprises de s’approprier une terminologie qui les différencie des autres, car « dans une langue de spécialité, créer un terme, c’est s’approprier son référent » et « la nécessité de dénommer passe [donc] avant tout » (Koechlin, 1988, p. 164-165). En effet, selon Bergeron (2004, p. 195), « […] la terminologie associée aux nouveaux produits et services est dominée par les choix des entreprises qui les proposent […] et qui tentent d’imposer leurs propres termes, au détriment de ceux de leurs concurrents ». Il est intéressant de préciser que, si je décidais d’inclure les occurrences de mouse, à l’exception des occurrences incluses dans l’expression Magic Mouse qui ne peut être modifiée, le terme souris perdrait soudainement son statut de terme recommandé totalement implanté et se trouverait en situation de concurrence terminologique, avec un coefficient d’implantation de 0,64 pour le terme souris (53 occurrences) et de 0,36 pour le terme mouse (30 occurrences).

Un seul terme recommandé se retrouve en situation de concurrence terminologique dans le corpus. Si, comme je l’ai évoqué, une faible concurrence synonymique constitue un facteur favorable à l’implantation d’un terme, un large nombre de concurrents semble avoir un effet contraire. En effet, le terme recommandé écran est concurrencé par 19 synonymes en français. Devant cette multitude d’options, il est alors concevable que l’usager soit indécis sur le terme à privilégier ou qu’il soit tenté d’utiliser d’autres termes que la recommandation. Toutefois, sachant que le GDT lui-même mentionne la synonymie qui existe entre les termes écran et moniteur, il est impossible de se prononcer sur l’implantation du terme recommandé. En effet, ces deux termes pourraient tout aussi bien avoir été consciemment employés, de façon interchangeable et dans le respect de la terminologie de référence, dans le but d’alléger le style et d’éviter les répétitions.

Deux des termes recommandés de ma liste sont considérés comme étant non implantés, car ils ne sont pas utilisés pour représenter la notion en question. Il est toutefois utile de noter que les termes choisis pour représenter les notions numériseur à balayage et prêt à tourner sont tous français (Tableau 5). Bien que je ne me base que sur deux cas en raison de la petite taille de ma liste et de mon corpus, ce constat coïnciderait avec les efforts d’élimination des anglicismes déployés au Québec depuis le début du 20e siècle et le fait que les termes anglais, bien que mieux acceptés dans la société québécoise, surtout chez les jeunes, continuent à faire sourciller et à être évités autant que possible (Loubier, 2011, p. 22). Ajoutons que les concurrents des termes recommandés utilisés pour désigner ces deux notions sont soit mentionnés comme synonymes dans la fiche terminologique du GDT (numériseur[21] et prêt à l’emploi), soit disponibles dans la banque de données TERMIUM Plus® (branchez et utilisez et prêt-à-brancher). Ainsi, quand le terme recommandé n’est pas utilisé, les termes concurrents qui lui sont préférés sont issus de la ressource terminologique québécoise, sinon canadienne.

Le calcul du coefficient moyen d’implantation des termes recommandés indique qu’ils sont bien implantés dans le corpus. Un tel résultat est à considérer avec prudence dans le cas de la présente étude, car il ne se base que sur dix termes au sein d’un corpus assez restreint qui n’a pas été dépouillé manuellement afin de repérer si les notions absentes pouvaient être représentées par des termes non recensés dans les sources terminologiques utilisées. Néanmoins, vu ce résultat, il me semble que l’on peut percevoir les effets, d’un côté, de la démarche interventionniste de l’OQLF au Québec en matière d’enrichissement et d’usage de la langue française, soutenue par la loi 101 qui exige l’usage des recommandations de l’OQLF de la part de l’administration publique, des entreprises et au sein de l’affichage public, et de l’autre, de la démarche pédagogique du GDT qui propose des termes acceptés, des termes à usage restreint et des termes à éviter, et qui les accompagne d’une note linguistique à l’attention des locuteurs. Cette « note linguistique tient une place importante […,] car elle permet d’expliquer clairement les différences d’usage » (Bergeron, 2004, p. 200). En ayant les moyens de comprendre les raisons des recommandations, le locuteur reprend « confiance en [son] jugement linguistique et en [ses] propres capacités langagières, élément essentiel à la vitalité du français au Québec » (Vézina, 2002, p. 190).

Finalement, j’ai noté une implantation nulle des termes anglais dans le corpus. Dans la mesure où je n’ai pas relevé toutes les formes anglaises du corpus, un tel résultat ne permet pas de conclure que les sites Web contenus dans le corpus sont fortement francisés, mais il autorise à présumer que, là où il y a recommandation, le terme anglais est largement évité. Cela soulignerait l’importance que jouent les recommandations dans le processus d’enrichissement de la langue et la réduction de l’emprunt à l’anglais.

Conclusion

Après deux siècles de domination anglaise, le Québec a mis sur pied une politique de valorisation et de revitalisation du français qui a mené l’OQLF à produire, à recommander, à normaliser et à diffuser diverses terminologies dans le but de corriger et d’enrichir le français parlé et écrit au Québec (Corbeil, 2007, p. 81) ainsi que d’uniformiser le lexique dans l’usage. Pour tout organisme étatique participant à l’amélioration des usages linguistiques, tel l’OQLF, la question de « l’implantation réelle et durable » (René, 2001, p. 10) de la terminologie de référence est centrale. La présente étude cherchait à déterminer la présence de certaines recommandations dans un corpus constitué de sites Web d’entreprises informatiques et représentatif de la communication entre l’institution commerciale et sa clientèle. À cet effet, j’ai choisi de faire appel au protocole terminométrique de Quirion (2000) qui m’a permis de vérifier le degré d’implantation de 15 termes officialisés du sous-domaine des périphériques informatiques et de leurs termes concurrents français et anglais dans un petit corpus. J’ai pu constater que, parmi les notions présentes dans le corpus, près des trois quarts d’entre elles (70 %) étaient représentées par leur terme recommandé uniquement ou essentiellement et que le coefficient moyen d’implantation des termes recommandés était relativement élevé (0,77).

Malgré ce résultat positif, il convient de souligner qu’un tiers de ces notions, soit 5 notions sur 15, étaient absentes du corpus, probablement en raison de leur obsolescence, de leur haut degré de spécialité ou de la démarche méthodologique suivie qui limitait la recherche dans le corpus à un certain nombre de termes concurrents. Rappelons aussi que les résultats présentés font partie d’une recherche plus large qui comparait l’usage des termes officialisés en France et au Québec dans des sites Web s’adressant spécifiquement à l’une ou à l’autre société, ce qui a restreint le corpus à un échantillon de quelque 15 000 mots et réduit le choix des notions et la liste de termes recommandés et concurrents discutés dans cet article. Par conséquent, les résultats de la présente étude, si intéressants soient-ils, ne permettent pas de réellement juger pleinement de l’implantation des recommandations québécoises du sous-domaine des périphériques informatiques. Néanmoins, ma modeste enquête laisse supposer que l’implantation de la terminologie de référence dans le type de communication institutionnalisée que sont les sites Web d’entreprises est réussie au Québec, et ce, malgré l’instabilité terminologique qui caractérise le domaine de l’informatique et des technologies de l’information au sens large (Wolosin, 1996). La politique linguistique interventionniste de l’OQLF, doublée de l’approche pédagogique du GDT qui informe le locuteur des raisons des recommandations et des contextes d’utilisation des termes proposés, aurait un impact positif sur l’enracinement des termes recommandés dans l’usage. Un tel résultat pourrait aussi être un indicateur du succès de la Politique de l’officialisation linguistique[22], mise en place en 2001 suite aux conclusions tirées des enquêtes d’implantation terminologique menées dans les domaines de l’halieutique, de l’automobile, de l’éducation et des transports, qui révélaient qu’à peine 30 % des termes nouvellement officialisés par l’OQLF réussissaient à s’implanter (René, 2001; Vézina, 2002).

En conclusion, bien que mon enquête terminométrique soit de petite taille et qu’elle ait été réalisée dans une vision synchronique à l’aide d’un corpus représentatif d’un seul type de communication, elle parvient à mettre l’accent sur l’importance des études d’implantation terminologique pour rendre compte de l’impact des efforts de production et de diffusion de termes des institutions d’officialisation linguistique. Alors que l’OQLF se voit parfois dans l’obligation de justifier ses interventions auprès d’un public qui n’en saisit pas toujours les raisons et de certains médias prompts à stigmatiser son action[23], j’estime que l’enquête de mesure de l’implantation terminologique contribue à légitimer ses travaux pour la protection et l’enrichissement de la langue française au Québec. En fait, ce type d’enquête pourrait faire partie intégrante du processus d’officialisation linguistique québécois.