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Depuis quelques années, la communauté scientifique occidentale porte un intérêt croissant aux pratiques de méditation qui puisent leurs origines dans la culture orientale et plus particulièrement dans la tradition bouddhiste (Baringa, 2003).

En psychologie clinique, plusieurs approches thérapeutiques d’inspiration cognitive ou comportementale intégrant la pratique de la méditation ont été développées et évaluées au cours de ces dernières années. La « Dialectical Behavior Therapy » (DBT) (Linehan, 1993) destinée à la prise en soins de graves troubles de la personnalité caractérisés par des comportements auto-dommageables, et la Mindfulness Based Cognitive Therapy (MBCT) (Segal et al., 2002) pour la prévention des rechutes dépressives, sont indiscutablement les deux exemples les plus représentatifs de ce type d’intégration.

Par ailleurs, l’approche thérapeutique basée sur la méditation qui est la plus citée est sans doute le programme « Mindfulness Based Stress Reduction » (MBSR), développé dans le cadre de la médecine comportementale et destiné à des patients avec douleurs chroniques et présentant divers troubles liés au stress (Kabat-Zinn 1982, 1990).

Définition de la pleine conscience

La mindfulness, en français pleine conscience (Kabat-Zinn, 1990), représente le dénominateur commun qui est à la base des différents courants de pratique de méditation bouddhiste (Kabat-Zinn, 2003). Par pleine conscience, on entend le fait de « porter son attention d’une manière particulière, délibérément, au moment présent et sans jugement de valeur » (Kabat-Zinn, 1994) ou encore le fait de « centrer toute son attention sur l’expérience présente, moment après moment » (Marlatt et Kristeller, 1999).

La capacité d’orienter son attention d’une telle manière peut être développée à travers la pratique de la méditation, qui à son tour peut être définie comme une autorégulation intentionnelle de l’attention, moment après moment.

La pratique de la pleine conscience se caractérise par une attitude d’acceptation et de non jugement. En d’autres termes, les phénomènes qui pendant la pratique de la médication entrent dans le champ de la conscience du sujet, telles que les perceptions, les cognitions, les émotions ou les sensations physiques, sont observés très soigneusement, mais ne sont pas évalués en tant que phénomènes bons ou mauvais, justes ou faux, sains ou malsains ou encore importants ou insignifiants. Ainsi définie, la mindfulness est l’observation sans jugement du flot continu des stimuli internes et externes tels qu’ils surgissent (Baer, 2003).

Plusieurs études ont testé empiriquement l’efficacité de la pratique de la pleine conscience ; elles suggèrent que ces interventions peuvent améliorer divers problèmes tels que les douleurs chroniques, les réactions au stress, l’anxiété, les rechutes dépressives, les troubles alimentaires ainsi que des problèmes psychosomatiques tels que le psoriasis et la fibromyalgie (pour une revue exhaustive, voir Baer, 2003). Bien que dans certaines de ces études des faiblesses méthodologiques aient été mises en évidence, le MBRS et le MBCT sont considérés comme des approches conformes aux critères des « traitements probablement efficaces » selon les définitions proposées par la Task Force on Promotion and Dissemination of Psychological Procedures (Baer, 2003).

Les mécanismes d’action

Avant d’aborder la question de l’utilité de la pleine conscience dans le traitement des troubles anxieux, examinons les mécanismes pouvant expliquer pourquoi cette pratique peut conduire à une réduction symptomatique et/ou à un changement comportemental dans le cadre de divers troubles émotionnels (Baer, 2003).

L’exposition a été invoquée comme pouvant représenter un des mécanismes jouant un rôle dans l’efficacité des exercices de mindfulness. Observer de façon soutenue, sans jugement, sans essayer d’éviter ou de fuir les sensations rattachées à l’anxiété lorsqu’elles émergent spontanément, peut conduire à une réduction des réactions émotionnelles qui habituellement accompagnent les symptômes anxieux. 

Dans le cadre de la Dialectical Behavior Therapy (DBT), Marsha Linehan fait également référence aux principes de l’exposition lorsqu’elle décrit les patients avec des troubles de la personnalité borderline en les décrivant comme étant des « phobiques émotionnels ». Chez ces patients, la pratique de la pleine conscience peut améliorer leurs capacités de tolérer des états émotionnels négatifs et les aider à y faire face plutôt que de les éviter ; cette dernière attitude conduisant souvent à l’adoption de comportements mal adaptatifs (Linehan, 1993).

La restructuration cognitive et la décentration : la pratique de la mindfulness peut constituer un moyen favorisant la restructuration cognitive, soit en modifiant le contenu des « patterns » cognitifs, soit en modifiant l’attitude envers les pensées. Par exemple, l’observation sans jugement d’une douleur et des cognitions rattachées à l’anxiété qui accompagne l’algie, peuvent conduire à un changement d’attitude vis-à-vis de ces mêmes cognitions ou pensées. En l’occurrence, cela peut permettre au sujet de prendre conscience que les « pensées ne sont que des pensées » plutôt que de les considérer comme étant le reflet de la réalité ou comme la vérité tout court. Par conséquent, il devient possible de ne pas essayer d’éviter ses pensées ou d’y réagir avec des comportements de fuite (Kabat-Zinn 1982, 1990). Dans le cadre du programme destiné à la prévention des rechutes dépressives (MBCT), l’entraînement à la pratique de la pleine conscience permet aux sujets à risque de rechute, d’adopter une attitude de décentration vis-à-vis des patterns ruminatifs qui peuvent déclencher la survenue d’un nouvel état dépressif (Teasdale et al., 1995). De manière générale, en pratiquant la mindfulness on n’essaie pas de changer le contenu des pensées (irrationnelles) mais plutôt de modifier son attitude par rapport à celles-ci, contrairement à ce qui est habituellement préconisé en thérapie cognitivo-comportementale.

La pratique de la pleine conscience pourrait faciliter l’autogestion des difficultés en améliorant la reconnaissance précoce des premiers signes d’une problématique clinique. Cela pourrait favoriser la mise en place de réponses adaptatives y compris des aptitudes qui n’étaient pas prévues dans le programme thérapeutique initial. Ce type de bénéfice a été évoqué chez des patients avec troubles alimentaires et chez des sujets en rémission d’un problème de dépendance ou en rémission d’un état dépressif.

Bien que les rapports entre méditation et relaxation soient complexes, il a été souvent souligné que la pratique de la méditation induit souvent un état de relaxation. Ce dernier peut à son tour contribuer à l’apaisement de différents troubles émotionnels. Il faut toutefois rappeler que l’objectif de la pratique de la mindfulness n’est pas d’induire un état de relaxation mais plutôt d’apprendre à observer et à rester en contact et sans jugement avec divers phénomènes qui sont habituellement incompatibles avec la relaxation, tels que des tensions musculaires, des pensées ou des signes neurovégétatifs.

En psychothérapie, la question du juste équilibre entre la disparition de tous les symptômes désagréables et l’acceptation de ces derniers est de grande actualité. Les programmes thérapeutiques ayant recours à la pratique de la pleine conscience pour soigner différents troubles émotionnels, mettent tous l’accent sur l’importance de l’acceptation des symptômes, des sensations physiques ou émotionnelles inconfortables (douleur, pensées négatives, etc.), sans que l’on essaie de les modifier, de les éviter ou d’y échapper. Ainsi, elle pourrait constituer une méthode pour enseigner aux clients des compétences pour mieux accepter leurs propres difficultés.

Pleine conscience et troubles anxieux

Une des premières études évaluant l’efficacité de la pleine conscience chez des sujets anxieux avec un diagnostic bien défini (DSM-III-R), est celle de Kabat-Zinn et al. (1992) dans laquelle 22 patients présentant un trouble d’anxiété généralisée ou un trouble panique, ont suivi un programme « MBSR ». Les résultats montrent une amélioration significative de plusieurs paramètres de l’anxiété et de la symptomatologie dépressive en post-traitement et après trois mois de follow-up. Il faut, toutefois, souligner qu’il n’y avait pas de groupe contrôle mais que le follow-up à trois ans a confirmé le maintien de l’amélioration clinique chez les mêmes patients (Miller et al., 1995).

Pour expliquer l’efficacité potentielle de la pratique de la mindfulness chez ce groupe de patients, Kabat-Zinn suggère que les mécanismes en jeu pourraient être semblables à ceux intervenant dans les stratégies d’exposition intéroceptive. Dans le cadre de cette technique, les clients induisent des symptômes « panic-like » et ensuite apprennent à les tolérer jusqu’à leurs disparition. Avec la pleine conscience, le fait d’observer de manière soutenue et sans jugement les sensations physiques et/ou les cognitions accompagnant les symptômes anxieux, sans essayer de les éviter (ou d’y échapper), peut également conduire à une réduction des réactions émotionnelles. Cependant, la pratique de la méditation n’implique pas une induction délibérée des sensations « panic-like » et les clients sont instruits à les observer sans jugement seulement lorsqu’elles émergent spontanément.

Pour le Trouble d’Anxiété Généralisée (TAG), les données de la littérature indiquent que la TCC (Thérapie Cognitivo-Comportementale) est une approche efficace (Ladouceur et al., 2000). L’efficacité démontrée de la TCC du TAG est expliquée par la présence de certains ingrédients tels que, entre autre, la psychoéducation, la détection précoce des symptômes, l’exposition, la restructuration cognitive et le travail spécifique sur l’intolérance à l’incertitude (Borkovec et Ruscio, 2001).

Toutefois, malgré l’apparente efficacité des interventions TCC, un nombre substantiel de patients continue à présenter des difficultés significatives après le traitement et n’atteint pas un « high end-state functionning » (normalisation des scores des échelles employées, après le suivi). Pour ces raisons, il a été récemment proposé que l’efficacité de la TCC du TAG, pourrait être ultérieurement améliorée en y intégrant des éléments de l’approche mindfulness. En effet, la méditation et les techniques de pleine conscience pourraient s’avérer très utiles dans la réduction de la composante cognitive de l’anxiété, et l’on sait que dans le TAG, la dimension cognitive de l’anxiété est particulièrement importante (les soucis, l’intolérance à l’incertitude, etc). Par ailleurs, la question de l’acceptation des symptômes pourrait contribuer également à l’amélioration de l’impact de la TCC (Roemer et Orsillo, 2002).

Les patients souffrant de TAG ont tendance à se faire des soucis, c’est-à-dire à focaliser leur attention sur des événements futurs potentiellement perçus comme dangereux. Ainsi défini, le souci conduit le patient à éviter de focaliser son attention sur l’expérience du moment présent ; le sujet a plutôt tendance à réagir à ses inquiétudes de manière automatique en faisant recours à des ruminations. Avec le temps, les soucis et les ruminations sont renforcés puisque le patient considère qu’ils peuvent le protéger des conséquences négatives. Cette attitude cognitive peut être d’ailleurs considérée comme une forme d’évitement qui empêche la prise en compte dans le présent d’un possible problème futur.

Le fait de focaliser son attention sur le moment présent en pratiquant la pleine conscience, pourrait ainsi conduire à la modification de ce biais dans le traitement de l’information mis en évidence dans le TAG. La pleine conscience du moment présent pourrait permettre d’envisager de traiter l’information de manière non automatique, plus souple et avec l’intention de modifier la tendance à l’évitement cognitif.

Conclusion

Nous assistons à plusieurs tentatives de conceptualisation visant l’intégration d’approches psychothérapeutiques diverses avec la pratique de la mindfulness. Des recherches et des études cliniques bien conduites sont nécessaires pour répondre à la question, encore ouverte à ce jour, de l’utilité de la méditation dans le cadre du traitement des troubles anxieux.

Comme évoqué plus haut, plusieurs indications montrent que la pleine conscience peut s’avérer de grande utilité dans différentes situations cliniques. Toutefois, cette approche peut être non efficace dans d’autres contextes cliniques. Par exemple, dans la prévention des rechutes dépressives, la MBCT produit une protection face au risque de rechute chez les sujets ayant présenté 3 épisodes dépressifs ou plus mais non pas chez ceux ayant eu seulement 2 épisodes préalables (Segal et al., 2002).

Finalement, comme rappelé encore dernièrement par Jon Kabat-Zinn (2003), la pleine conscience et sa pratique incarnent un paradoxe qui peut être parfois difficile à intégrer dans le cadre des pratiques cliniques habituelles. En fait, il s’agit d’une démarche qui n’implique pas un objectif de réussite thérapeutique et par conséquent, ne peut pas être considérée comme la dernière technique apparue sur le marché des thérapies pour faciliter la résolution de tel ou tel symptôme. En effet, la pleine conscience n’est pas un moyen pour se rendre à un endroit défini ou préétabli ou pour réparer quoi que ce soit. Il s’agit plutôt d’une invitation qui peut permettre à chacun d’être où il est déjà et de mieux connaître son territoire intérieur qui devient accessible moment après moment à travers l’expérience.

L’intégration potentielle d’approches psychothérapeutiques diverses et de la pratique de la méditation est certainement possible et même souhaitable dans l’intérêt des patients qui peuvent en bénéficier. Cependant, elle doit être guidée par une conceptualisation rigoureuse du problème clinique que l’on se propose de résoudre mais également par le respect des fondements épistémologiques de chacune de ces deux traditions, la psychologie clinique et la pratique millénaire de la méditation.