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L’agression sexuelle est un terme légal basé sur les valeurs et les normes d’une société. Elle inclut de multiples comportements allant du harcèlement au viol. Le gouvernement du Québec décrit comme victime d’agression sexuelle toute personne ayant subi contre sa volonté des gestes à connotation sexuelle avec ou sans contact physique, et ce, sans son consentement. Il s’agit d’un acte d’abus de pouvoir par l’utilisation de la force ou de la contrainte ou sous la menace implicite ou explicite qui vise à assujettir une autre personne à ses propres désirs. Cette définition s’applique peu importe le sexe, l’ethnie, la culture, l’orientation sexuelle, la religion et l’âge de la victime et de l’agresseur. Elle s’applique aussi peu importe le lieu, le type de gestes à caractère sexuel commis, le milieu de vie dans lequel il a été perpétré, et quelle que soit la nature du lien entre la victime et son agresseur (Gouvernement du Québec, 2001).

Pour l’année 2003, au Canada, on dénombrait 74,1 cas d’agressions sexuelles pour 100 000 habitants (Statistique Canada, 2005). Au Québec, 57 agressions sexuelles par 100 000 habitants ont été déclarées, soit 4 244 cas, le niveau le plus élevé depuis 1993 (ministère de la Sécurité publique, 2004). Il faut toutefois noter que selon Brickman et Brière (1984), seulement une victime sur dix rapporte l’événement à la police. Ce taux est de 6 sur 100 selon Statistique Canada (1993). L’agression sexuelle serait l’un des actes criminels les moins rapportés. Le nombre de victimes semble donc fortement sous-estimé.

Plus de 80 % des victimes d’agression sexuelle sont des femmes (Gouvernement du Québec, 2001). Il s’agit en effet du seul crime violent pour lequel elles sont plus sujettes d’être victimes que les hommes (Flannery, 1992). Les victimes sont souvent très jeunes, et, même si on retrouve des victimes dans tous les groupes d’âges, les femmes de 18 à 24 ans sont les plus touchées. Les agresseurs sont connus de la victime dans 76 % des cas (Gouvernement du Québec, 2001).

La victimisation sexuelle entraîne des répercussions négatives graves dans plusieurs sphères du fonctionnement de la victime. Les auteurs qui se sont intéressés au phénomène ont observé chez la femme des réactions sur le plan physiologique, sexuel, social et psychologique. Ces réactions surviennent à court, moyen et long terme (pour une recension des écrits voir Ellis, 1983 ; Resick, 1993 ; Steketee et Foa, 1987). En général, les séquelles psychologiques qui surviennent à la suite d’une agression sexuelle sont beaucoup plus importantes et persistantes dans le temps que les séquelles physiques (Calhoun et Atkeson, 1991). Les victimes peuvent ainsi présenter toute une gamme de symptômes. Malgré les variations individuelles, il est possible d’en dégager les principales caractéristiques. Ainsi, la peur, l’anxiété, la culpabilité, la honte, l’isolement, les difficultés d’ordre sexuel, la peur de l’intimité et l’atteinte à l’estime de soi sont des réactions prédominantes dans le tableau clinique des victimes d’agression sexuelle (Foa et Rothbaum, 1998). Des symptômes dépressifs ont également été observés chez de nombreuses victimes, et ce plusieurs mois après l’événement (Atkeson et al., 1982 ; Frank et al., 1979 ; Kilpatrick et al., 1979). Le trouble de stress post-traumatique (TSPT) est également un problème psychologique fréquemment associé à l’histoire d’agression sexuelle.

Le TSPT est diagnostiqué chez l’individu qui a vécu, a été témoin ou a été confronté à un ou des événements durant lesquels des individus ont pu mourir, être grièvement blessés, menacés de mort ou de blessures graves, ou durant lesquels son intégrité physique ou celle d’autrui a pu être menacée. La réaction émotionnelle de l’individu à l’événement se traduit par une peur intense, de l’impuissance ou de l’horreur. Pour que les critères donnant lieu à un diagnostic de TSPT soient rencontrés, l’individu doit également présenter certains symptômes appartenant aux trois catégories suivantes : réexpérience du traumatisme, évitement persistant des stimuli liés au traumatisme et symptômes persistants d’activation neurovégétative. Ces symptômes doivent être observés simultanément pendant plus d’un mois et la perturbation doit entraîner une souffrance cliniquement significative ou une altération du fonctionnement dans un ou plusieurs domaines importants (APA, 1994).

De nombreuses victimes développent les symptômes du TSPT à la suite d’une agression sexuelle. Ainsi, selon les auteurs, jusqu’à 51 % d’entre elles en présenteraient les critères diagnostiques et ce, trois mois après l’événement (Foa et Riggs, 1995 ; Rothbaum et al., 1992 ; Valentiner et al., 1996). Des résultats similaires ont également été observés dans une étude auprès de victimes québécoises (Brillon et Marchand, 1997). Si on les compare aux victimes d’agression non sexuelle, il semble que les victimes d’agression sexuelle présentent une plus grande intensité des symptômes de TSPT (Valentiner et al., 1996). Ainsi, plusieurs données indiquent qu’un nombre important de victimes d’agression sexuelle manifestent des symptômes sévères de TSPT. De plus, malgré une certaine diminution des symptômes avec le temps, plusieurs victimes rencontrent encore les critères diagnostiques de TSPT plusieurs années après l’agression.

Le soutien social

Il n’existe pas de définition unique du soutien social. De façon générale, il réfère aux comportements des proches qui sont en lien avec les besoins de l’individu qui doit composer avec une situation stressante (Cohen et Wills, 1985 ; Wills et Fegan 2001 ; Kaplan et al., 1993). Le lien entre le soutien social et la santé repose sur une littérature abondante tant sur le plan de la santé physique que mentale (Uchino et al., 1996 ; Coyne et Downey, 1991). Le soutien social étant un concept multidimensionnel, il importe toutefois d’en distinguer les différentes facettes. Ainsi, le soutien positif (souvent appelé soutien social dans la littérature) fait référence aux comportements ou interactions positives comme être à l’écoute, poser des questions, donner du feedback, favoriser les activités de détente, aider aux tâches ménagères, etc. alors que le soutien dit négatif fait référence aux comportements ou interactions négatives telles que s’impatienter, blâmer, éviter les discussions, ramener l’attention sur soi, critiquer et ridiculiser les réactions de l’autre, etc. Il importe ici de faire la distinction entre manque ou absence de soutien positif et soutien négatif, qui ne réfère pas aux mêmes constats. Différencions également le soutien perçu du soutien reçu. Le premier réfère à la perception du soutien qui pourrait être disponible si le besoin s’en ressentait, alors que le deuxième implique du soutien effectivement reçu. Il est également important de distinguer le soutien fonctionnel du soutien structurel. Le soutien structurel réfère au nombre de personnes ressources et à la fréquence des interactions avec ces dernières. C’est la quantité des contacts sociaux réguliers qui devient importante (Wills et Fegan, 2001). Le soutien social fonctionnel quant à lui réfère à la qualité des ressources disponibles et tout particulièrement aux perceptions de l’individu en ce qui concerne l’accomplissement de certaines fonctions (écoute, conseils, aide matérielle, détente, etc.) par ses proches (Wills et Fegan, 2001). La littérature indique clairement que ces types distincts de soutien sont liés différemment à la détresse, au TSPT et au rétablissement suite à un événement traumatique comme une agression sexuelle (Barrera, 1986 ; King et al., 1999 ; Ullman, 1999).

Le soutien social chez les victimes d’agression sexuelle

Il semble que plusieurs victimes d’agression sexuelle (65.2 %-87 %) dévoilent l’agression (Golding et al., 1989 ; Ullman et Filipas, 2001b). Toutefois, les victimes agressées par un étranger sont significativement plus à même de le faire (Golding et al., 1989). Or, peu de victimes dévoilent l’agression aux institutions telles que la police (10,5 %-26,4 %), le clergé (3,9 %-7,6 %) et les centres d’aide aux victimes d’agression sexuelle (1,9 %-14,1 %) (Golding et al., 1989 ; Ullman et Filipas, 2001b). En effet, la majorité d’entre elles se tourne vers leurs amis et leur famille (59,3 %-94,2 %) (Golding et al., 1989 ; Ullman et Filipas, 2001b). Notons, malgré tout, qu’un nombre non négligeable de victimes ne parle pas du tout de l’agression. Ainsi, selon les auteurs, de 13 % à 35 % des victimes restent dans le silence (Brickman et Brière, 1984 ; Golding et al., 1989 ; Ullman et Filipas, 2001b) et de celles qui se confient, 60 % ne discutent plus de l’agression après trois mois (Popiel et Susskind, 1985).

Dans une étude effectuée auprès de 323 adultes victimes d’agression sexuelle, Filipas et Ullman (2001) ont observé que la plupart des victimes perçoivent des réactions positives (97.1 %) et négatives (98.2 %) suite au dévoilement. Il semble que les réactions les plus fréquemment perçues comme négatives soient des réponses stigmatisant la victime et perpétuant les mythes (attitudes et croyances fausses et stéréotypées) concernant l’agression sexuelle (par exemple, il ne s’agit pas d’une agression sexuelle si aucune arme n’est utilisée ; la violence et la force sont stimulantes pour une femme ; elle s’est mise dans une situation risquée en marchant seule la nuit ou en s’habillant ainsi). Ainsi, pour plusieurs individus, l’agression classique serait commise par un étranger qui utilise une arme et qui agresse avec beaucoup de violence, à l’extérieur, dans une ruelle sombre, avec beaucoup de résistance de la part de la victime et résultant en des signes perceptibles de lutte. Toutefois, pour la majorité des victimes, ces éléments sont absents (Lonsway et Fitzgerald, 1994).

La majorité des femmes interrogées perçoivent également avoir été blâmées, condamnées et découragées de parler de l’agression. De plus, la plupart des femmes auraient souhaité recevoir davantage de soutien émotionnel (réassurance, écoute, empathie, etc.), de validation (feedback, normalisation des émotions, etc.) et d’aide tangible (être conduite à l’hôpital, être hébergée, etc.) (Filipas et Ullman 2001).

Le degré de soutien est également associé à la sévérité de l’agression. Les agressions plus sévères, avec pénétration par exemple, sont liées à un soutien plus faible, ainsi qu’à moins de réactions positives et plus de réactions négatives (Golding et al., 2002 ; Ullman et Filipas, 2001a). Les agressions perpétrées par un étranger pour leur part génèrent plus de soutien émotionnel (Golding et al., 2002), ce qui pourrait s’expliquer par le fait que ce type d’agression fait davantage référence aux mythes adoptés par les aidants, entraînant ainsi plus de sympathie de leur part. Car en dépit des données suggérant que l’agresseur s’avère être une connaissance de la victime dans la plupart des cas, il semble que l’attitude des autres à l’égard de la victime soit plus négative lorsque l’agression est perpétrée par une connaissance, contrairement à l’agression par un étranger qui serait perçue comme un crime plus sérieux (Tetreault et Barnett, 1987). Les agressions impliquant de l’alcool (chez la victime, l’agresseur ou les deux) sont également davantage associées à des réactions négatives de la part des aidants que celles n’en impliquant pas (Ullman et Filipas, 2001b). De plus, il semble que les victimes d’agression sexuelle, comparées à des individus n’ayant pas été agressés, soient moins sujettes à être mariées et rapportent moins de contact avec des amis ou des proches. Elles obtiennent également moins de soutien émotionnel de la part des amis, des proches et des époux (Golding et al., 2002).

L’impact sur le rétablissement des victimes

Les victimes d’agression sexuelle rapportent différentes réactions, positives ou négatives, suite à l’événement. Les réactions négatives ont un effet déplorable sur l’état psychologique des victimes.

Les résultats présentés par Ullman (1999) dans une recension des écrits portant sur l’impact du soutien social sur l’ajustement des victimes d’agression sexuelle vont dans ce sens. Ainsi, malgré que certaines études semblent établir un lien entre le manque de soutien positif et la détresse (Burgess et Holmstrom, 1978 ; Ullman et Siegel, 1995), de plus en plus d’études indiquent que la fréquence des réactions négatives a un impact plus important sur la détresse des victimes que la fréquence des interactions positives (Davis et Brickman, 1996 ; Ullman, 1996a). Ainsi, lorsque mesurés simultanément, les comportements de soutien négatif sont davantage prédicteurs de la sévérité des réactions suite à l’agression sexuelle (et des symptômes du TSPT) que les comportements de soutien positif (Zoellner et al., 1999).

Ainsi, les résultats obtenus par Davis et ses collaborateurs (1991) auprès de 105 femmes victimes d’agression sexuelle démontrent que les comportements de soutien négatifs sont associés à un ajustement plus pauvre suite à une agression sexuelle. Ullman (1996a) ajoute que les réactions négatives sont liées de façon significative aux symptômes psychologiques et à un faible rétablissement. D’autres études, n’ayant pas été recensées par Ullman (1999), tirent la même conclusion. Ainsi, Resick et al. (1981) rapportent que, suite à l’agression, l’ajustement social des femmes est altéré. Resick (1988) a également observé qu’un soutien plus pauvre est lié à une plus grande détresse chez les victimes d’agressions sexuelles. Brewin et al. (1989) ont pour leur part examiné la relation entre les processus d’attribution suite à un événement stressant et la recherche de soutien. Leurs résultats indiquent que plus les victimes se blâment pour leurs actions inadéquates plus elles se retirent socialement et conséquemment, moins elles font appel à leurs proches pour gérer leur détresse. De plus, il semble que les femmes recevant des réponses de blâmes en lien avec l’agression rapportent une plus faible estime de soi que les femmes n’ayant pas été blâmées (Filipas et Ullman, 2001).

Joseph et al. (1997) suggèrent quant à eux que les points de vue des proches peuvent avoir un impact sur les victimes en influençant, positivement ou négativement, leurs interprétations des événements. Par exemple, si une victime d’agression sexuelle perçoit qu’elle a mal agi durant l’événement, il est possible qu’elle interprète ses actions comme étant moins inappropriées si un proche l’informe qu’il aurait agi de la même manière. Notons également que les femmes ayant vécu une agression sans violence physique sont plus affectées sur le plan psychologique, ce qui semble attribuable au fait qu’elles soient plus à risques que leur crédibilité et leur honnêteté soient mises en doute par leur entourage (Thornhill et Thornhill, 1990).

Campbell et al. (2001) ont étudié l’impact des réactions sociales sur l’ajustement de victimes en tenant compte de la perception de la victime de ce qui est aidant ou non. Il semble en effet que les victimes peuvent recevoir des réponses positives et négatives mais qu’elles ne les perçoivent pas toutes de la même façon. Ainsi, certains comportements qui étaient au préalable considérés comme négatifs par les chercheurs ont été étudiés comme comportements positifs après avoir été qualifiés d’aidants par les victimes. Les résultats indiquent que selon la perception des victimes, un comportement peut ou non avoir un impact sur le rétablissement. Par exemple, les victimes qui rapportent que l’aidant désire se venger de l’agresseur et qui perçoivent ce comportement comme non-aidant rapportent davantage de symptômes dépressifs, traumatiques et physiques que celles percevant ce comportement comme aidant et celles n’ayant pas connu cette réaction. Des résultats semblables ont été observés pour les comportements « vous a dit de poursuivre votre vie » et « a essayé de contrôler vos décisions ». Les auteurs ajoutent que le fait de ne pas recevoir de soutien peut être moins dommageable que de recevoir un soutien que l’on considère comme inadéquat.

Le soutien social aurait également un impact sur les symptômes physiques observés chez les victimes d’agression sexuelle. Les résultats d’une étude de Kimerling et Calhoun (1994) indiquent en effet que les victimes qui ont la possibilité de se confier à quelques proches ou membres de la famille manifestent moins de symptômes somatiques de stress (maux de dos et de tête, nausées, palpitations, problèmes de peau, etc).

On remarque ici tout l’impact de la qualité du soutien perçu ou reçu sur le rétablissement des victimes. La victimisation sexuelle engendrant énormément de stigmatisation, les victimes d’agression sexuelle risquent d’être exposées à des réactions nuisibles à leur ajustement. Notons que la victime d’agression sexuelle est souvent blâmée pour le crime commis par un tiers contrairement aux victimes d’autres événements traumatiques. De plus, la honte et la stigmatisation peuvent engendrer la diminution de la recherche d’aide et les sentiments de la victime peuvent à leur tour être exacerbés par les attitudes négatives des proches (Fontana et al., 1997). Ullman (1999) rappelle donc l’importance d’évaluer les réactions des proches pour ensuite permettre l’amélioration des interactions favorisant la réhabilitation plutôt qu’une seconde victimisation.

L’apport particulier du conjoint

À la suite d’un événement traumatique comme une agression sexuelle, le conjoint devient généralement la principale source de soutien pour une victime vivant en couple (Barker et al., 1990 ; Coyne et Fiske, 1992 ; Halford et Bouma, 1997 ; Primomo et al., 1990) et le degré de bien-être ultérieur de la victime est davantage lié à sa perception du soutien reçu par son partenaire que par d’autres membres de son réseau social (Denkers, 1999 ; Winefield et al., 1992). Cela fait du conjoint un agent de récupération important. Le soutien provenant d’une autre source ne peut en effet compenser un manque de soutien provenant du conjoint (Coyne et DeLongis, 1986 ; Cutrona et Surh, 1992). Ainsi, ce dernier peut, par des comportements de soutien adéquats, contribuer à la réhabilitation de la victime en l’aidant à analyser l’événement différemment, à organiser ses pensées en l’amenant à mieux gérer son stress ou même à trouver un sens positif ou des bénéfices à son expérience (Clark, 1993 ; Manne et al., 1999 ; Tait et Silver, 1989). À l’opposé, il peut avoir, tel que mentionné précédemment, un impact négatif sur l’ajustement, la détresse et les symptômes psychologiques de la victime en ayant par exemple tendance à l’isoler, à éviter de parler de l’agression, à nier l’importance des symptômes et à modifier l’environnement dans le but de la protéger (Mio et Foster, 1991).

Ageton (1983) a pour sa part observé que les conjoints des victimes d’agression sexuelle ont des réactions variables. Ainsi, la majorité d’entre eux semblent impliqués, soutenants et ressentent de la colère envers l’agresseur et plus de la moitié sont inquiets pour la victime. Toutefois, 17 % blâment la victime et 25 % se disent en colère contre elle. Il semble également important de mentionner que, si le conjoint s’avère soutenant dans les semaines suivant l’agression, il a tendance à s’impatienter, à se décourager, à manquer d’empathie et à devenir plus exigeant lorsque les symptômes persistent (Moss et al., 1990). Certains conjoints ressentent également de la jalousie et se sentent menacés en rapport avec leur performance sur le plan sexuel. Ils ont alors tendance à questionner leur partenaire sur l’événement et à insister pour avoir une relation sexuelle. Il peut aussi arriver que le conjoint, par crainte de devenir lui-même agresseur, fuit les contacts sexuels (Bateman et Mendelson, 1989 ; Foley, 1982).

Moss et al. (1990) ont observé auprès de victimes d’agression sexuelle que les femmes mariées recevant un soutien négatif du conjoint développent davantage de symptômes psychologiques que celles dont le soutien du conjoint s’avère positif. White et Rollins (1981) rapportent que l’adhésion du partenaire aux mythes concernant les agressions sexuelles influencera grandement la façon dont il conçoit l’agression ainsi que l’importance des changements qui y sont liés. Plus le conjoint adhère aux mythes, plus il aurait tendance à blâmer et à responsabiliser sa partenaire pour l’agression. La façon dont le conjoint perçoit l’agression serait également un élément des plus important en ce qui concerne sa réaction à l’événement. Ainsi, ce dernier offrirait davantage de soutien à la victime s’il considère l’agression comme un acte de violence plutôt qu’un acte sexuel (Ullman, 1996b).

L’impact sur les symptômes de TSPT

Les données citées précédemment nous indiquant la forte prévalence de symptômes traumatiques chez les victimes d’agression sexuelle, ce facteur se doit d’être considéré. Ainsi, les résultats de deux méta-analyses récentes (Brewin et al., 2000 ; Ozer et al., 2003) révèlent que parmi un ensemble de facteurs, la qualité du soutien des proches ressort comme un des plus importants facteurs de risque du TSPT (ES =.40; ES =.28). De nombreuses études démontrent également que le soutien social est une variable pouvant contribuer au développement et au maintien du TSPT ainsi qu’à la réhabilitation d’une victime d’événement traumatique (Andrews et al., 2003 ; Andrykowsky et Cordova, 1998 ; Kimerling et Calhoun, 1994 ; King et al., 1998 ; Zoellner et al., 1999 ; Guay et al., 2002).

Zoellner et al. (1999), dans une étude longitudinale auprès de victimes d’agression sexuelle et non sexuelle, ont observé que les conflits avec les proches peu après l’agression permettent de prédire la sévérité des symptômes de TSPT trois mois après l’agression (Zoellner et al., 1999). Ullman et Filipas (2001a) se sont pour leur part intéressées à la façon dont les réactions sociales peuvent influencer la sévérité des symptômes de TSPT chez les femmes victimes d’agression sexuelle. Selon eux, le fait d’être traité différemment prédit de façon significative la sévérité des symptômes de TSPT. La victime se sentant différente et percevant l’événement comme l’ayant transformée définitivement peut présenter plus de symptômes. Il semble que les tentatives de distraction provenant des proches (et donc l’entrave à l’expression des émotions qui en découle) soient également liées positivement à la sévérité des symptômes.

Les données précédentes démontrent clairement l’impact du soutien social sur l’état psychologique et la détresse liés à l’agression sexuelle et au TSPT. Notons également l’impact des conséquences de l’agression sexuelle sur la qualité du soutien. La section suivante en fait mention.

L’impact des conséquences de l’agression sexuelle sur le soutien social

L’agression sexuelle peut avoir un impact important non seulement sur la victime mais également sur son conjoint et sur la relation de couple et par conséquent, sur la qualité du soutien disponible. Khouzam et Marchand (1998), dans une recension des écrits portant sur les conséquences d’une agression sexuelle sur le couple, rapportent que le conjoint de la victime vit des sentiments d’impuissance, de choc et de rage similaire à ceux de la victime. Ainsi, il est important de noter que les conjoints, qui ne sont pas davantage préparés que la victime, réagissent également au dévoilement. Par conséquent, la victime, en plus d’avoir à gérer ses symptômes, se voit confrontée aux réactions de son conjoint. N’en comprenant pas toujours le sens, elle peut hésiter à parler de l’agression et des difficultés qui y sont liées (Golding et al., 1989).

Plusieurs auteurs ont également identifié des difficultés de communication (Miller et al., 1982 ; Moss et al., 1990) et des problèmes sexuels (Holmstrom et Burgess, 1979 ; Miller et al., 1982) chez les couples dont la femme a été victime d’une agression sexuelle. Ces conséquences de l’agression peuvent avoir un impact négatif sur le soutien provenant du conjoint. Miller et al. (1982) ajoutent que l’agression sexuelle affecte les aspects déjà vulnérables de la relation de couple en agissant comme facteur supplémentaire de stress. Ainsi, l’événement perturbe sérieusement les relations interpersonnelles et intensifie la détresse. Cela aurait pour conséquence d’ébranler le niveau d’attachement qui permet de faire face aux difficultés rencontrées. La rupture dans le processus de communication en serait la conséquence la plus sérieuse. Enfin, notons l’impact de l’agression sexuelle sur la séparation. À cet effet, une étude de Moss et al. (1990) démontre que 37 % des femmes victime d’agression sexuelle ont vécu une séparation et que 31 % l’envisagent. Les demandes insistantes du conjoint pour des relations sexuelles auraient ici un impact important.

Le TSPT peut lui aussi avoir un impact qui va au-delà de la victime et perturber les relations intimes, et par le fait même avoir un impact sur la qualité du soutien. Riggs et al. (1998) ont observé que les individus qui ont développé un TSPT rapportent davantage de détresse conjugale, de difficultés au niveau de l’intimité et des problèmes dans leurs relations comparativement à ceux sans TSPT. Riggs et al. (1998) notent également que les symptômes d’évitement, et tout particulièrement les symptômes d’émoussement émotionnel, sont fortement liés à la qualité de la relation. Les symptômes d’hyperactivité neurovégétative, tels que l’irritabilité et les difficultés de concentration, peuvent également teinter négativement les échanges entre les partenaires et en retour, contribuer au maintien des difficultés. Ces symptômes peuvent amener les victimes à répondre négativement aux offres d’aide des proches et conséquemment à augmenter la probabilité d’une réponse négative ou d’une absence de réponse à leur égard (Foy et al., 1987). La nature même des symptômes du TSPT peut donc avoir un impact négatif sur les relations interpersonnelles et l’intimité, et par conséquent sur le soutien disponible.

Ainsi, les proches peuvent éprouver des difficultés à gérer les changements et les difficultés qu’entraînent les conséquences d’une agression sexuelle et le TSPT, et avoir de la difficulté à fournir un soutien adéquat. L’inquiétude ressentie pour la victime, les attentes de l’entourage quant au soutien offert ainsi que les nombreux stresseurs peuvent également affecter le fonctionnement psychologique et social de l’aidant (Pynoos et al., 1993).

D’autre part, il est possible que les réactions négatives des proches soient liées à la sévérité de l’événement parce qu’ils éprouvent des difficultés à gérer leur propre détresse, lorsque les victimes dévoilent les détails de ce qu’elles ont vécu (Ullman et Filipas, 2001a). Les comportements négatifs qui peuvent en découler (critiques négatives, évitement, invalidation émotionnelle, etc.) risquent d’influencer la victime et contribuer au développement ou au maintien des symptômes du TSPT, et avoir un impact sur l’ajustement à l’agression. Ils peuvent même l’amener à adopter des comportements contre-productifs si la victime se trouve actuellement en traitement pour ses difficultés (Foa et Rothbaum, 1998).

Ces recherches font ressortir la possibilité d’une hypothèse alternative selon laquelle le TSPT et autres conséquences de l’agression sexuelle seraient précurseurs de l’augmentation des interactions négatives ou de la diminution du soutien social. Ainsi, un événement traumatique tel que l’agression sexuelle peut affecter les proches des victimes et avoir un impact négatif sur les relations interpersonnelles. Le soutien provenant des proches s’avérant des plus important dans le rétablissement, cela s’avère d’autant plus pertinent à considérer.

Les implications cliniques et pistes de recherche

Les éléments recensés démontrent clairement que le soutien des proches peut influencer positivement ou négativement l’état de la victime suite à une agression sexuelle. Les comportements du conjoint étant liés aux processus d’adaptation au stress et aux symptômes psychologiques et celui-ci étant habituellement la source de soutien principale pour les victimes vivant en couple, il s’avère un aidant des plus importants.

Ainsi, un traitement intégrant un proche significatif tel que le conjoint et favorisant un soutien adéquat de la part de ce dernier pourrait s’avérer plus efficace qu’un traitement traditionnel. Une étude pilote de Guay et al. (2004) évaluant l’efficacité d’une thérapie cognitive-comportementale impliquant le conjoint auprès d’individus ayant développé un TSPT (mais n’incluant toutefois pas de victime d’agression sexuelle), indique en ce sens que les participants ayant reçu le traitement avec la participation du conjoint ont un niveau de symptômes de TSPT moins élevé au post-test, que ceux dont le conjoint ne participe pas au traitement. Ils perçoivent également plus d’amélioration dans leurs rapports de soutien avec ce dernier.

De plus, une étude prospective de Tarrier et al. (1999) indique que les comportements de soutien négatif des proches envers la victime, mesurés avant le début d’une thérapie, sont des précurseurs de l’efficacité de la thérapie cognitive-comportementale pour le TSPT. Les proches peuvent donc nuire à la réhabilitation de la victime en favorisant des comportements contraires à ce qui est préconisé en thérapie (comme l’évitement, l’isolement ou la culpabilisation). L’intégration d’un proche dans le traitement n’est donc pas uniquement pertinent de par les effets bénéfiques qu’elle ajoute, mais également parce qu’elle pourrait permettre d’éliminer ou de diminuer les entraves au traitement. Le thérapeute a en ce sens tout avantage à faire de l’aidant un allié, et à favoriser les comportements compatibles au bon déroulement du traitement.

Ajoutons que le trauma sexuel, de par son impact au niveau relationnel, semble d’autant plus influencer la qualité du soutien disponible. Actuellement, les partenaires composent séparément avec ces difficultés. Les aspects sexuels et de communication ne sont pas ou sont peu abordés. Ces conséquences auraient avantage à être abordées au sein du couple. La participation du conjoint au traitement permettrait au thérapeute d’y accéder, d’en améliorer la gestion et ainsi de favoriser l’efficacité du traitement.

L’implication du conjoint dans le traitement des victimes d’agression sexuelle ayant développé un TSPT pourrait ainsi être une solution de choix. Cela s’avère d’autant plus important lorsque l’on considère que la présence du TSPT est un facteur de risque pour la revictimisation sexuelle (Acierno et al., 1999). Plusieurs auteurs suggèrent d’intervenir auprès des proches de victimes d’événements traumatiques (Blanchard et Hickling, 1997 ; Foa et Rothbaum, 1998 ; Foy et al., 1987 ; Keane et al., 1992 ; Tarrier et Humphreys, 2004). Or, l’effet de l’implication du conjoint des victimes d’agression sexuelle dans le traitement du TSPT n’a pas encore été évalué empiriquement. Il serait ainsi nécessaire et fort pertinent que des études futures s’y intéressent.