Corps de l’article

Les troubles psychotiques se caractérisent par des symptômes positifs comme les hallucinations, les idées délirantes ainsi que les pensées désorganisées et le comportement anormal ; et des symptômes négatifs comme l’avolition, la pauvreté du contenu de la pensée, l’apathie et l’anhédonie (Andreasen, 1983, 1984) ainsi que l’anxiété, la dépression et les difficultés fonctionnelles (Wunderink, Sytema, Nienhuis et Wiersma, 2009). Les psychoses ont, au cours d’une vie, une prévalence moyenne de 2 à 3,5 % (Mortensen et Juel, 1993 ; Westermeyer, Harrow et Marengo, 1991). La prévalence de la schizophrénie au cours d’une vie va de 1,6 à 12,1 (moyenne = 4,0) sur 1000 (Saha, Chant, Welham et McGrath, 2005). Au Québec, des données administratives, basées sur la population, indiquent une prévalence approximative de la schizophrénie de 0,59 à 1,45 % et une incidence de 42 à 94 sur 100 000 (Vanasse et coll., 2012). Dans une autre étude québécoise de données administratives sur la population, une incidence annuelle de 82,9 hommes et 32,3 femmes sur 100 000 a été rapportée.

La schizophrénie se classe parmi les 10 plus importantes causes d’années vécues avec une invalidité (Lopez, 1996). Outre les patients, les séquelles des psychoses touchent aussi leur famille et communauté et comprennent notamment la diminution de l’espérance de vie (Chang et coll., 2011), la détérioration des relations interpersonnelles et de la performance à l’école ou au travail (Jaaskelainen et coll., 2013 ; Switaj et coll., 2012), l’augmentation de la toxicomanie (Koskinen, Lohonen, Koponen, Isohanni et Miettunen, 2009 ; Salloum, Moss et Daley, 1991), la dépression (Salloum, Moss et Daley, 1991), le suicide (Hor et Taylor, 2010), la violence et les problèmes juridiques (Fazel, Gulati, Linsell, Geddes et Grann, 2009), un fardeau lourd pour les aidants (Boydell et coll., 2013) et des frais d’hospitalisation considérables (Carr, Neil, Halpin, Holmes et Lewin, 2013).

De tout temps, les personnes atteintes de psychose ont dû faire face à un avenir très morne ponctué d’hospitalisations répétées, d’une qualité de vie appauvrie et d’un nihilisme thérapeutique. C’est au milieu des années 1990 qu’est apparue l’idée suggérant que les résultats de la psychose au cours des premières années pourraient prédire de manière significative son issue à long terme (Birchwood, McGorry et Jackson, 1997 ; Harrison et coll., 2001 ; Malla, Norman et Joober, 2005 ;Penn, Waldheter, Perkins, Mueser et Lieberman, 2005), ce qui a encouragé le développement de l’intervention précoce (IP), minimisant ainsi les risques de rechute et maximisant le potentiel de rétablissement dans les deux à cinq premières années suivant le début de la maladie. Les services d’IP ont été une importante source d’optimisme pour les cliniciens et les chercheurs, mais surtout, pour les patients et leur famille.

Logique et fondements de l’IP

La logique de l’IP découle de l’hypothèse de la période critique (Birchwood, McGorry et Jackson, 1997) et des données scientifiques sur les dommages causés par un traitement retardé (mesuré en étudiant la DPNT ou durée de la psychose non traitée ; Norman et Malla, 2001).

Hypothèse de la période critique

Le concept de l’IP rejette l’idée bien enracinée dans les toutes premières classifications de Kraepelin selon laquelle la schizophrénie suit une évolution progressive vers un effondrement psychique (dementiapraecox ou démence précoce). Dans un article rédigé en 1998 qui a ouvert la voie à des perspectives entièrement nouvelles, Birchwood et ses collaborateurs résument les données scientifiques qui viennent à bout de cette supposition. En s’appuyant sur des publications dans le domaine du développement de l’enfant, ils soutiennent que les premiers stades de la psychose (y compris la période non traitée) forment une période critique au cours de laquelle des changements biologiques, psychologiques et psychosociaux déterminants, ainsi que des prédicteurs clés de conséquences de la psychose (p. ex. : l’expression des émotions ; Butzlaff et Hooley, 1998) émergent et sont alors malléables et prédicteurs d’une évolution à long terme. Saisissant la période critique de deux à cinq ans comme une occasion, ils établirent ainsi la logique de l’IP.

Depuis lors, des recherches intensives corroborant la période critique ont été menées sur les trois thèmes résumés ci-dessous :

  1. Apparition précoce de détérioration. Des études prospectives suggèrent que la détérioration clinique, sociale et fonctionnelle associée à la psychose est beaucoup plus marquée au cours des deux à cinq premières années. Les rechutes, la réhospitalisation et les risques de suicide sont également élevés pendant cette période (Harrison et coll., 2001 ; Lieberman et coll., 2001 ; Mortensen et Juel, 1993 ; Robinson et coll., 1999, 2004 ; Westermeyer, Harrow et Marengo, 1991). Un « effet plateau » (McGlashan, 1988) défini par la stabilisation de cette détérioration peut aussi se produire après une évolution rapide au début de la psychose (Carpenter et Strauss, 1991 ; Eaton,Thara, Federman, Melton et Liang, 1995 ; Harrison et coll., 2001 ;Menezes, Arenovich et Zipursky, 2006). À l’aide de 18 cohortes différentes tirées d’une étude connue de l’Organisation mondiale de la Santé et à partir desquelles ont été mesurées l’incidence et la prévalence de la psychose, Harrison et ses collaborateurs ont découvert que les premières phases de la maladie (2 premières années) étaient les meilleurs indices de prédiction de ses effets à long terme (15 ans, par exemple).

  2. Fondement neurobiologique de la période critique. Certaines observations sur la structure et le fonctionnement du cerveau dans la psychose se complètent et suggèrent qu’il existe un fondement neurobiologique de la période critique, s’opposant de cette manière à la perception de la schizophrénie comme un phénomène dégénératif. Des changements dans la structure du cerveau se produisent au cours du développement de la psychose (Pantelis, Velakoulis, McGorry et coll., 2003 ; Smieskova et coll., 2010) et peuvent être associés à la DPNT (Malla, Bodnar, Joober et Lepage, 2011). De plus, certains changements évoluent pendant les premiers stades mais semblent se stabiliser une fois la psychose devenue chronique (Kasai et coll., 2003 ; Yoshida et coll., 2009). Avant même l’apparition de la maladie ou au début de celle-ci, la structure et le fonctionnement du cerveau (incluant la matière grise et blanche) prédisent la réponse au traitement (Barnett, Salmond, Jones et Sahakian, 2006 ; Bodnar et coll., 2010, Keshavan et coll., 2011 ; Koenen et coll., 2009 ; Marques et coll., 2013). Une étude a démontré qu’une rééducation cognitive, pratiquée au cours des deux premières années de la maladie, pourrait empêcher la diminution de la matière grise et même l’augmenter dans certaines zones du cerveau (Eack et coll., 2010). Suite à l’examen de diverses études longitudinales, Zipursky, Reilly et Murray (2012) ont conclu que seul un nombre minime de personnes schizophrènes démontraient une perte progressive du fonctionnement, typique des maladies neurodégénératives. Ils ont également conclu que les diminutions du volume des tissus cérébraux suivant la première apparition de la maladie sont attribuables aux effets des antipsychotiques, à la toxicomanie et à d’autres facteurs secondaires ; et que le fonctionnement cognitif, quoiqu’inférieur à celui de sujets en santé (contrôles), ne semble pas se détériorer avec le temps. Ils ont avancé que la schizophrénie ne devrait donc pas être considérée comme un trouble malin qui entraîne une détérioration des fonctions mentales, mais comme une maladie avec possibilité de rémission et de rétablissement. Une étude longitudinale prospective étalée sur sept années, menée par Andreasen, Liu, Ziebell, Vora et Ho (2013) avec l’IRM, a permis d’établir le lien entre la perte progressive du tissu cérébral après le déclenchement de la maladie, la prise des médicaments et la durée (mais pas le nombre) des rechutes, renforçant ainsi le besoin d’efforts précoces et vigoureux pour prévenir les rechutes.

  3. Les importants prédicteurs des effets de la psychose deviennent rapidement évidents. Plusieurs facteurs associés aux effets à long terme de la psychose se manifestent dès le début d’un traitement : symptômes négatifs, symptômes affectifs, non-adhésion aux médicaments, dysfonctionnement cognitif, expression des émotions, toxicomanie et facteurs de risques cardiométaboliques (Foley et Morley, 2011 ; Malla et Payne, 2005 ; Phutane et coll., 2011).

Avec le rejet de la schizophrénie comme une maladie dégénérative sont apparus des modèles divisant la maladie en stades cliniques (Fava et Kellner, 1993 ; McGorry et coll., 2007) et séparant ainsi les individus à risque présentant des symptômes atténués ou se situant sous le seuil minimal de la maladie, de ceux présentant des critères diagnostics significatifs ou souffrant d’un trouble marqué/persistant nécessitant des traitements adaptés au stade de la maladie. Dans de tels modèles, les traitements spécialisés, adaptés au stade de la psychose précoce, sont considérés comme étant « à la fois plus efficaces et moins nocifs que les traitements administrés plus tard au cours de l’évolution de la maladie » (McGorry et coll., 2007).

Au fil du temps, avec sa perspective optimiste défendant et confirmant le potentiel de rétablissement de la psychose, le mouvement vers une IP s’est aligné avec le mouvement de soins visant une réhabilitation (Andresen, Oades et Caputi, 2003 ; Jacobson et Greenley, 2001 ; Jaaskelainen et coll., 2013), ainsi qu’avec les modèles basés sur un continuum selon lesquels la schizophrénie n’est pas indiscutablement une maladie neurobiologique, mais se trouve plutôt sur un continuum d’interactions entre les facteurs de stress et de vulnérabilité (van Os, Linscott, Myin-Germeys, Delespaul et Krabbendam, 2009 ; Verdoux et van Os, 2002).

Durée de la psychose non traitée (DPNT)

Dans un article paru en 2001, ayant servi de source d’inspiration à des publications subséquentes, Norman et Malla ont défini la DPNT et élaboré une théorie sur ses séquelles, ce qui a accéléré la réalisation d’importantes études sur les répercussions de la DPNT. Ces dernières ont fait l’objet d’un minimum de trois méta-analyses (Perkins, Gu, Boteva et Lieberman, 2005 ; Marshall et coll., 2005 ; Boonstra et coll., 2012) et d’une revue critique (Rund, 2013). Les conclusions des méta-analyses ont indiqué qu’une DPNT prolongée est associée à de mauvais résultats cliniques. Perkins et ses collaborateurs ont découvert que plus la DPNT est longue, moins la réponse aux médicaments antipsychotiques est bonne. Marshall et ses collaborateurs ont constaté que la DPNT est associée à de moins bons résultats cliniques, au cours des six mois suivants, dont une moins bonne qualité de vie et une probabilité réduite de rémission des symptômes. Quant à Boonstra et ses collaborateurs, ils ont conclu que plus la DPNT est brève (<*neuf mois), moins graves sont les symptômes négatifs présents lors d’un suivi à court terme (un à deux ans) et à long terme (cinq à huit ans). D’autres études continuent de mettre en évidence l’influence de la DPNT sur les résultats cliniques et sociaux, y compris à plus long terme, soit cinq à 33 ans après le suivi (Norman et coll., 2011 ; Primavera et coll., 2012 ; Tang et coll., 2014). En particulier, les études en faveur de l’hypothèse de Wyatt (1991), affirmant que la DPNT serait neurotoxique, sont ambiguës. Seulement 6 études neurocognitives sur 35 et 8 études de morphologie sur 13 dans la revue de la littérature de Rund (2013) s’alignent sur cette hypothèse. Il se peut que la relation entre la DPNT et la neurotoxicité soit non linéaire et que la toxicité apparaisse seulement une fois le seuil de la DPNT dépassé (Rund, 2013).

En dépit de l’influence faible, mais significative qu’elle exerce sur les pronostics de la psychose, la DPNT peut présenter une immense « toxicité sociale » (Norman, Malla et Manchanda, 2007). La psychose se manifeste généralement vers la fin de l’adolescence ou au début de la vingtaine. Une psychose non traitée peut ainsi avoir des effets négatifs importants sur la vie des patients qui se trouvent alors à un stade critique de leur développement (Beiser, Erickson, Fleming et Iacono, 1993). Cette toxicité sociale a fait l’objet de nombreuses investigations quantitatives (Norman, Malla et Manchanda, 2007 ; Addington, Van Mastrigt et Addington, 2003) et a été décrite d’une manière poignante dans des études qualitatives (Bergner et coll., 2008 ; Boydell, Gladstone et Volpe, 2006 ; Corcoran et coll., 2007 ; Lincoln, Harrigan et McGorry, 1998).

Les services d’IP visent à diminuer les conséquences négatives d’une psychose non traitée. La recherche sur l’accessibilité aux soins (Anderson, Fuhrer et Malla, 2010) et sur l’influence qu’ont les patients, les fournisseurs de soins et le système de santé sur le délai de traitement (Bechard-Evans et coll., 2007 ; Norman, Malla, Verdi, Hassall et Fazekas, 2004) n’est pas abordée dans cet article.

Principaux éléments de l’IP

Dans le contexte de la psychose, l’IP (ou l’IP spécialisée) comprend deux éléments : l’accès facile et rapide à un traitement et un traitement complet adapté aux besoins de l’individu et au stade de la psychose (Malla et Norman, 2001).

Accès facile et rapide

La plupart des services d’IP facilitent l’accès aux soins en offrant simplement une évaluation et un traitement dans un délai très court suivant la recherche de soins. Certains services d’IP préconisent de manière proactive l’identification et le dépistage précoces des cas par le biais d’une approche communautaire et des interventions spécifiques pour réduire la DPNT. Parmi ces interventions utilisées pour réduire la DPNT, se trouve la transmission d’information au public dans des zones géographiques définies et la sensibilisation à la psychose auprès des fournisseurs de soins et des milieux scolaires. Huit études portant sur ces interventions ont présenté des résultats divergents : certaines démontraient une diminution efficace de la DPNT suite aux interventions (Chong, Mythily et Verma, 2005 ; Joa et coll., 2008 ; Johannessen et coll., 2001 ; Melle et coll., 2004) ; d’autres n’avaient pas trouvé d’effet global (Kristev et coll., 2004) ; alors que d’autres avaient trouvé que les interventions ont un effet sur certains aspects de la DPNT ou sur des sous-groupes de patients (Cassidy, Schmitz, Norman, Manchanda et Malla, 2008 ; Malla, Norman, Scholten, Manchanda et McLean, 2005). Malla et ses collaborateurs (2014) ont mené une intervention ciblée, basée sur une variation de la formation continue en pharmacothérapie, offrant formation et éducation sur la psychose et l’IP à toutes les possibles sources de recommandations dans la zone desservie par leur service d’IP à Montréal. Bien qu’elle n’ait eu aucun effet global sur la DPNT, cette intervention a permis d’augmenter le nombre de clients acheminés plus rapidement à partir d’hôpitaux autres que l’institut responsable des cliniques ainsi que d’augmenter le nombre de personnes référées souffrant de psychoses affectives.

La plupart des services d’IP n’offrent pas de telles interventions pour l’identification rapide de cas. Ils mettent plutôt en oeuvre une politique de délai rapide et un système de recommandations ouvert au public (p. ex. : possibilité de référer un membre de sa famille ou de s’auto-référer aux services, aucune recommandation d’un généraliste nécessaire ni de formulaires à remplir). Même ces stratégies de base peuvent réduire considérablement la DPNT, surtout pour ceux qui cherchent d’abord du soutien auprès d’un aidant sans formation médicale (Scholten et coll., 2003).

Les données scientifiques suggérant que la simple disponibilité des services d’IP puisse diminuer la DPNT sont contradictoires (Singh, 2010). La DPNT varie largement d’un service d’IP à l’autre et à l’intérieur de chacun d’entre eux. Lors d’une étude multisite canadienne, l’écart-type de la DPNT était beaucoup plus élevé à Hamilton et à London qu’à Toronto (Malla et coll., 2007). De plus, 34 % des patients d’un service d’IP spécialisé à Birmingham, au Royaume-Uni, avaient une longue DPNT (> 6 mois) alors que 66 % avaient une moyenne (36,6 jours) et une médiane de DPNT très brèves (19 jours) (Birchwood et coll., 2013).

Traitement spécialisé, adapté au stade de la maladie

L’IP préconise un traitement spécialisé et complet, adapté au stade de la maladie et ajusté à son évolution, au cours des deux premières années suivant le diagnostic (Malla et Norman, 2001 ; Malla, Norman, McLean, Scholten et Townsend, 2003 ; Malla et coll., 2005 ; Spencer, McGovern et Birchwood, 2001). Une gestion de cas intensive, composante de base de l’IP, adapte le modèle d’équipes de traitement communautaire dynamique afin de répondre aux besoins des jeunes et de leurs familles. En général, l’IP comprend aussi une période sans prise de médicaments antipsychotiques avant la confirmation d’un diagnostic et l’administration d’un médicament antipsychotique à la plus faible dose requise pour une réponse efficace (généralement définie comme une rémission)[1]. L’IP insiste vigoureusement sur le fonctionnement (travail/école/relations) et la réintégration des patients. Des interventions psychosociales, familiales ou autres, fondées sur des données probantes (p. ex. : la psychoéducation familiale ; Malla et coll., 2005) sont offertes. Les conditions comorbides comme la toxicomanie, la dépression et l’anxiété sont traitées au début du suivi (p. ex. : via thérapie cognitivo-comportementale).

La plupart des services d’IP mettent l’accent sur l’engagement à suivre un traitement, l’alliance thérapeutique, d’étroites relations avec la famille du patient, une prise de décision partagée ainsi qu’un traitement flexible et adapté aux besoins de chaque individu (par ex. : en utilisant des lieux et des modalités de traitement que les patients trouvent acceptables et pratiques). Les services d’IP s’opposent vivement à l’hypothèse définissant les patients comme éternellement malades en utilisant des ressources communautaires générales (plutôt que les services hospitaliers) et découragent les placements en maisons d’hébergement spécialisées, ainsi que les prestations d’invalidité de longue durée. Ils fournissent des soins dans des environnements porteurs d’espoir, non stigmatisants et discrets, lesquels sont souvent séparés des services généraux destinés aux personnes atteintes de maladies mentales chroniques graves (Bertolote et McGorry, 2005 ; Malla, Norman, McLean, Scholten et Townsend, 2003).

En plus de diminuer la psychopathologie, l’IP vise à enrichir tous les aspects de la vie des jeunes, surtout l’éducation et le travail. À cet égard, les résultats d’études scientifiques prônent l’intégration d’un programme d’assistance scolaire/professionnelle dans les services d’IP (Baksheev, Allott, Jackson, McGorry et Killackey, 2012 ; Killackey, Jackson et McGorry, 2008 ; Neuchterlein et coll., 2008 ; Rinaldi et coll., 2004).

Nombreux sont les programmes d’IP qui sont au service des jeunes, cherchent à répondre à leurs besoins, à leurs priorités et à celles de leurs familles, et qui fonctionnent selon les définitions spécifiques de « stade précoce de la maladie » ou « premier épisode ». Ils sont orientés vers les psychoses en général plutôt que vers les diagnostics précis de schizophrénie. À titre d’exemple, le Programme d’évaluation, d’intervention et de prévention des psychoses de Montréal (PEPP-Montréal) est destiné aux jeunes de 14 à 35 ans qui souffrent d’un trouble psychotique affectif ou non affectif, n’ont pas pris de médicaments antipsychotiques pendant plus d’un mois, et ne souffrent pas de problèmes organiques au cerveau, de troubles envahissants du développement, de retard mental ou d’épilepsie ou d’une psychose liée à la toxicomanie.

Études scientifiques

Au moins trois essais cliniques randomisés (voir Tableau 1) et un grand nombre d’autres études ont démontré que les services d’IP spécialisés mènent à de meilleurs résultats que les soins normaux. En plus de contribuer à la diminution de symptômes négatifs, de symptômes psychotiques et de la toxicomanie, ils favorisent un engagement beaucoup plus marqué envers les services, une plus grande satisfaction des clients ainsi que des taux de suicide inférieurs à ceux des soins normaux (McGorry et coll., 2010 ; Nordentoft, Rasmussen, Melau, Hjorthoj et Thorup, 2014). Aucune différence significative n’a été constatée entre l’IP et les soins normaux dans un essai clinique randomisé dont la taille d’échantillon était très petite et dont les patients n’avaient peut-être pas commencé leur suivi dans un stade assez précoce (Kuipers, Holloway, Rabe-Hesketh et Tennakoon, 2004). Une méta-analyse a confirmé qu’une intervention intensive pendant les premiers stades de la psychose donnait des résultats cliniques (symptômes positifs et négatifs) et fonctionnels considérablement supérieurs à ceux des soins réguliers (Harvey, Lepage et Malla, 2007). D’un autre côté, l’étude de Cochrane portant sur l’IP (Marshall et Rathbone, 2011), bien qu’encourageante, était ambiguë quant à cette efficacité. Ceci peut être la conséquence des contraintes méthodologiques de Cochrane et d’un choix très sélectif d’essais randomisés, et ne devrait donc pas dissuader la dissémination de l’IP et l’adoption de politiques à son égard (Carr, 2012 ; McGorry, 2012).

Tableau 1

Essais cliniques randomisés qui comparent l’IP avec les soins normaux

Essais cliniques randomisés qui comparent l’IP avec les soins normaux

-> Voir la liste des tableaux

La justification des coûts de l’IP s’avère difficile en raison des complications liées à l’estimation des coûts indirects de la psychose en termes d’emploi/éducation, de répercussions sur le plan familial, de suicide, de stigmatisation, etc. (Malla et Pelosi, 2010). Cependant, même les coûts directs engendrés par l’IP n’ont été que peu abordés dans les études scientifiques. Amos (2012) s’est penché sur 11 évaluations économiques des programmes d’IP et n’a trouvé aucune preuve concluante de la rentabilité de l’IP et sa contribution à la diminution des coûts de soins de santé pour la psychose.

Toutefois, Mihalopoulos et ses collaborateurs (2012) ont fait valoir que l’étude d’Amos « manquait de fidélité, d’équilibre… et de précision », les données existantes, bien que non concluantes, étaient au contraire favorables à la rentabilité de l’IP. Dans une analyse récente, Hastrup et ses collaborateurs (2013) ont utilisé le rapport coût/efficacité différentiel pour démontrer la rentabilité de leur service d’IP par rapport à celle d’un traitement standard. D’autres analyses coût/bénéfice plus rigoureuses et plus robustes portant sur divers modèles d’IP seraient nécessaires pour clarifier les coûts et la rentabilité de ces types de services.

À partir de nombreuses études économiques menées sur le traitement communautaire dynamique/ la gestion de cas intensive (Clark et coll., 1998 ; Latimer, 1999 ; Lehman, Dixon, Hoch, Deforge, Kernan et Frank, 1999 ; Preston et Fazio, 2000) et sur l’assistance scolaire et professionnelle (Knapp et coll., 2013), on peut émettre l’hypothèse que les services d’IP permettent d’épargner des fonds grâce à leur approche communautaire, leur gestion de cas intensive, leur réduction des coûts d’hospitalisation et leur réintégration des patients sur le marché du travail.

Controverses

S’il est vrai que personne ne consent à administrer des traitements inefficaces ou tardifs, il n’en demeure pas moins qu’il existe un débat houleux dans le domaine de l’IP (Bosanac et coll. 2010 ; Castle et coll. 2011 ; Castle 2012 ; Carr, 2012 ; Malla et Pelosi, 2010 ; McGorry et coll., 2010 ; McGorry, 2012 ; Pelosi et Birchwood, 2003) sur les questions suivantes :

  1. Qualité et solidité des données scientifiques en faveur de l’IP : présentement, les études en faveur de l’IP sont incompatibles avec les principes de Cochrane, n’observent pas l’évaluation des résultats cliniques à double insu et n’offre pas d’évaluation adéquate de la durabilité des effets de l’IP. Néanmoins, nombreuses sont les données favorables à l’IP. Les défenseurs de ce concept notent également que l’IP est bien reçue par les patients et leur famille et qu’elle est de rigueur dans d’autres domaines de la santé.

  2. Mise en place des services d’IP : la nature exclusive (services limités aux jeunes) et réclusive (soins séparés des services généraux) de l’IP soulève des questions d’équité. Les critiques font valoir que l’IP regroupe en fait des soins de qualité supérieure dont tous devraient pouvoir bénéficier. Cependant, d’autres avanceraient que l’IP réussit à faire usage d’interventions qui, même si fondées sur des données probantes, sont souvent peu utilisées dans les services psychiatriques traditionnels (Hogarty et coll., 1991 ; Lehman et coll., 1998 ; Ruggeri et coll., 2008).

  3. Répartition des ressources : certaines critiques de l’IP affirment que d’importantes ressources d’autres services sont réaffectées vers l’IP. Les partisans de l’IP y voient une « fausse dichotomie créant une position inexistante entre les valeurs de l’IP et les besoins légitimes de soins continus des personnes souffrant de maladies mentales persistantes ».

  4. L’IP pour les groupes à risque : les efforts accomplis visant à prédire et à prévenir le développement de la psychose chez les jeunes à risque ne sont pas abordés dans cet article. Cependant, ces développements émergents de l’IP sont critiqués en raison de la faible valeur prédictive de leurs critères d’identification d’individus à risque. Il manque aussi des données sur la prévalence du développement de la psychose parmi les personnes qui ne sont pas à risque. Seulement quelques interventions pour individus à risque élevé de développer une psychose se sont avérées efficaces et uniquement dans certains milieux. D’importantes critiques soulignent aussi le danger potentiel des effets secondaires, de la stigmatisation ainsi que des conséquences liées à l’étiquetage et aux interventions pour une population à risque (Carr, 2012 ; Fusar-Poli et coll., 2012 ; Fusar-Poli et coll., 2013 ; Hutton et Taylor, 2014 ; Mueser et coll., 2013 ; Prati et Cella, 2010 ; Raven et coll., 2013 ; van der Gaag et coll., 2013). Ainsi, l’IP pour les jeunes à risque ne semble pas prête pour une mise en place à grande échelle. Néanmoins, la plupart des individus à risque élevé de développer une psychose manifestent une grande détresse et développent souvent des problèmes psychiatriques généraux. Ils bénéficieraient donc peut-être de soins ajustés à leurs besoins, possiblement dans le contexte de services en santé mentale couramment offerts aux jeunes (Pruessner, Iyer, Faridi, Joober et Malla, 2011 ; Jorm, 2013 ; McGorry, 2013).

Orientations futures

Durée des services d’IP spécialisés

La plupart des services d’IP sont offerts pour une à deux années, durée qui peut être insuffisante dans certains cas. Dans l’étude OPUS menée au Danemark, la première à examiner attentivement la durabilité des effets de l’IP après cinq ans, on a découvert que la plupart des gains cliniques et fonctionnels observés dans les deux années qui ont suivi l’IP ne sont pas maintenus une fois les patients transférés à des services de santé réguliers (Bertelsen et coll., 2008). Dans un échantillon canadien de 130 patients ayant reçu deux années d’IP régulière suivies de trois années d’IP de moindre intensité, Norman et ses collaborateurs (2011) ont observé que les patients maintenaient les gains symptomatiques qu’ils avaient obtenus au cours des deux années et ont même constaté la présence d’autres améliorations fonctionnelles dans les trois années suivantes.

Afin de maintenir et d’augmenter les gains symptomatiques, sociaux et fonctionnels des patients, les services d’IP pourraient bénéficier d’une extension de leur durée de 2 à 5 ans et ainsi couvrir la totalité de la période critique. L’équipe de recherche des auteurs de cet article se penche présentement sur cette hypothèse par le biais d’un essai clinique randomisé dans lequel les résultats cliniques et fonctionnels sont comparés entre les patients qui reçoivent cinq années de services d’IP spécialisés (condition expérimentale) et ceux qui en reçoivent pendant deux ans suivis de soins normaux (Malla et coll., 2008 ; Malla, 2009 ; Rondeau et coll., 2012). Cette étude examinera aussi la rentabilité de la prolongation de la durée des services d’IP.

Avant que des changements en termes de politiques ne soient entrepris quant à la durée des services d’IP, il est nécessaire que d’autres études comparent la durée de traitement fixe (deux ou cinq ans) et la durée de suivi personnalisé (plus longue pour les patients plus vulnérables) ainsi que les différents modes de prestation de services (complets ou échelonnés), afin de déterminer quel mode et quelle durée optimisent les effets de l’IP.

Disponibilité des services d’IP

Il reste encore beaucoup à faire sur le plan politique afin de rendre les services d’IP accessibles aux Canadiens. Seul le Royaume-Uni a mis en place des politiques visant à augmenter les services d’IP pour toute la population (Joseph et Birchwood, 2005). En Australie, les gouvernements fédéral et provinciaux ont décidé récemment de suivre l’exemple du Royaume-Uni (Commonwealth Department of Health and Aged Care, 2000/ministère du Commonwealth de la Santé et des Soins aux personnes âgées). Le Canada, l’Irlande et la Nouvelle-Zélande se trouvent à différents stades de changements politiques vers la mise en oeuvre de l’IP. Quant aux États-Unis, ils commencent à peine à mettre en oeuvre et à étudier l’IP (Srihari et coll., 2009 ; Srihari, Shah et Keshavan, 2012).

Au Canada, il existe une inégalité importante entre les provinces et dans chacune d’elles en ce qui concerne la disponibilité des services d’IP et l’existence d’une politique explicite, d’un engagement de financement et de normes provinciales en matière d’IP (comme en Colombie-Britannique, en Ontario et en Nouvelle-Écosse). En 1998, la Colombie-Britannique a été la première province à accorder un degré de priorité élevé à l’IP pour les psychoses dans sa politique de santé mentale. L’Ontario et la Nouvelle-Écosse ont suivi l’exemple peu après (Association canadienne pour la santé mentale, 2004). En 2013, le Consortium canadien d’intervention précoce pour la psychose a été établi afin de fixer des normes nationales en matière d’IP et de défendre les services d’IP et la mise en place de politiques à son égard (epicanada.org).

Au Québec, malgré l’apparition des services destinés aux premiers épisodes psychotiques à la fin des années 1980, les progrès demeurent lents. Actuellement, l’Association québécoise des programmes pour premiers épisodes psychotiques (AQPPEP[2] : www.aqppep.ca) répertorie 16 cliniques de premiers épisodes psychotiques, dont 8 à Montréal, 2 à Québec et 6 dans d’autres régions. La plupart d’entre elles ont été mises sur pied par des cliniciens qui ont reçu l’appui de leurs établissements respectifs. La plupart des Québécois (sauf ceux qui habitent près des cliniques existantes) ne peuvent avoir accès à des services d’IP. De plus, le Québec ne possède ni de politique explicite ou d’engagement de financement pour la priorisation de l’IP, ni de normes provinciales pour les services d’IP[3]. Par conséquent, il existe un grand écart entre les différents services d’IP au Québec. Très peu de programmes pour premiers épisodes psychotiques au Québec offrent la gamme complète d’interventions thérapeutiques adéquates et efficaces recommandées par les services d’IP spécialisés en ce qui concerne les lignes directrices de la psychose (Nicole et coll., 2007). Les programmes québécois destinés aux premiers épisodes psychotiques diffèrent également quant à leurs modèles de prestation de services. Certains utilisent la gestion des cas (p. ex. : le PEPP et la clinique Jeunes adultes psychotiques à Montréal) alors que la plupart utilisent une approche interdisciplinaire (p. ex. : le service d’IP de l’Hôpital Louis-H. Lafontaine à Montréal et celui de la clinique Notre-Dame-des-Victoires, à Québec) où le premier intervenant (psychologue, travailleur social ou travailleur en traitement communautaire dynamique) est choisi selon les besoins immédiats du patient (Nicole et coll., 2007). Dans le contexte québécois, aucune recherche n’a comparé l’efficacité de ces deux modèles (gestion de cas comparée à approche interdisciplinaire).

Quel que soit le lieu où ils ont atteint des étapes de développement avancées, les services d’IP ont été largement dictés par un travail de sensibilisation. En Ontario, le plaidoyer de familles, de cliniciens et de cliniciens-chercheurs a joué un rôle important dans l’obtention d’investissements provinciaux en IP. Il est à espérer que les personnes avec un trouble psychotique et leur famille continueront de se donner les moyens d’agir et qu’elles réclameront une politique explicite pour l’IP, y compris au Québec.

Services de santé mentale pour les jeunes

La réussite des services destinés aux premiers épisodes psychotiques a été une source de motivation pour l’expansion de l’IP en un plus large éventail de défis à relever en matière de santé mentale pour les jeunes. L’enthousiasme que suscite l’IP pour la psychose se traduit par la mise en place de plus de services destinés aux troubles psychotiques et par des investissements sociétaux en santé mentale pour les jeunes.

Depuis 2005 environ, on s’efforce de répondre aux besoins en santé mentale non satisfaits ou partiellement satisfaits des jeunes de 12 à 25 ans, groupe d’âge qui affiche le taux d’incidence et de prévalence de maladie mentale le plus élevé (McGorry, Bates et Birchwood, 2013 ; Kutcher et McLuckie, 2010 ; Weisz, Sandler, Durlak et Anton, 2005). Depuis 2006, l’Australie, le Royaume-Uni et l’Irlande ont complètement transformé la santé mentale des jeunes en créant de nouvelles structures de services ou en réorganisant celles déjà existantes dans le but d’offrir des soins de santé mentale intégrés et adaptés à l’évolution de la maladie, axés sur les besoins des jeunes et fondés sur des données probantes (McGorry, Bates et Birchwood, 2013). Patrick McGorry et Max Birchwood (McGorry, Bates et Birchwood, 2013) ont ouvert la voie, respectivement, aux transformations australiennes et britanniques, mais ont également été les pionniers du mouvement mondial vers l’IP, mouvement qui a éventuellement fait son arrivée au Canada.

Ashok Malla, l’un des leaders de l’IP au Canada, a récemment obtenu une importante subvention de cinq ans (www.tramcan.ca) pour mettre en oeuvre et évaluer une transformation pancanadienne des soins en santé mentale, réalisée et préparée en collaboration avec d’autres sortes de soins à travers le pays. Cet ambitieux projet pourrait inciter la recherche sur l’IP et la santé mentale des jeunes au Canada, stimuler l’intérêt public à son égard et mener à l’élaboration d’une politique nationale en sa faveur.