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Introduction

Psychiatrie et événements traumatiques

La documentation scientifique consacrée aux pathologies post-traumatiques met l’accent sur la nécessité de repérer en psychiatrie les événements traumatiques et l’état de stress post-traumatique (ÉSPT). En effet, ce dernier touche de 12 % à 57,8 % des patients atteints de troubles bipolaires, de dépressions ou de schizophrénie (Gill et al., 2008, p. 693 ; Mueser et al., 1998, p. 493 ; Glover et al., 2010, p. 1018 ; Thompson et al., 2010, p. 84).

Avoir la connaissance d’un antécédent d’événement qui a provoqué la mort ou de sérieuses blessures ou qui impliquait une menace de mort ou de blessure et qui a suscité une peur intense, un sentiment d’impuissance ou d’horreur (DSM IV-R) est primordial à plus d’un titre. Ainsi, rappelons que l’événement traumatique est directement lié à la clinique de l’ÉSPT, qui est lui même la cible de soins à la fois pharmacologiques et psychothérapeutiques. De ce repérage systématique de la clinique post-traumatique découlera la prise en compte des comorbidités psychiatriques (Hegarty et al., 2004, p. 621 ; Afifi et al., 2012, p. 184 ; Zanarini et al., 2011, p. 349), notamment les conduites suicidaires (Godet-Mardirossian et al., 2011, p. 942 ; Stevens et al., 2013), des comorbidités addictologiques (Lawson et al., 2013, p. 127, ; Read et al., 2004, p. 1665) et somatiques (Paras et al., 2009, p. 550 ; Spitzer et al., 2009, p. 1012 ; Coughlin, S., 2011, p. 164), des conséquences sociales et économiques (Fang et al., 2012, p. 156)…

Ainsi, en psychiatrie, Thompson et al. (2010, p. 84) retrouvent dans une population de 92 patients (dont 56,5 % présentaient une dépression) 35,9 % d’expositions à des agressions sexuelles. Dans l’étude de Glover et al. (2010, p. 1018) qui interrogeaient, avec la Life Events Checklist, les antécédents traumatiques de 977 patients (dont 70 % ont un trouble dépressif), les auteurs ont retrouvé 25 % de victimes d’agressions (dont 17 % physiques, 7 % sexuelles, 16 % avec armes ; Glover et al., 2010, p. 1018). Les 98 sujets schizophrènes d’Arm et al. (2010, p. 242) ont passé la Trauma Assessment for Adult : 38,8 % ont subi des agressions physiques et 19,4 % des agressions sexuelles (Arm et al., 2010, p. 242). O’Hare et al. (2010, p. 255) ont trouvé 41,8 % d’agressions sexuelles sur la vie entière chez 276 patients, dont 55,4 % souffraient de troubles de l’humeur sévères. Enfin, l’étude de Meade et al. (2009, p. 425) a recruté 90 patients bipolaires de type 1 et consommateurs de substances psychoactives présentant 32 % d’agressions physiques et sexuelles sur la vie entière.

Ladois Do Pilar Rei, A. (2012) a rapporté également que les patients hospitalisés en psychiatrie présentent davantage d’histoires traumatiques que dans la population générale.

Le profil traumatique

Les caractéristiques des événements traumatiques influencent directement les troubles spécifiques : les traumatismes de type 1 résultent d’une exposition unique à un événement traumatique, les traumatismes de type 2, d’une exposition répétée. En pratique, on note également que nombreux sont les patients qui ont été victimes de différents types de traumatismes, avec la caractéristique de répétition ou non. Afin d’apprécier cette complexité clinique, nous proposons de considérer le profil traumatique comme la description de l’ensemble des caractéristiques des événements traumatiques vécus par le sujet, associé à l’évaluation de l’effet clinique psychiatrique : types d’événements (intervention humaine, catastrophe naturelle, industrielle… ; Hegarty et al., 2004, p. 621 ; Zanarini et al., 2011, p. 349) ; caractère des violences (sexuelles, physiques ; McLaughlin et al., 2013, p. 815 ; Institut national de la statistique et des études économiques [INSEE], 2007) ; nombre ; répétition éventuelle, c’est-à-dire revictimisation éventuelle (Brown et Lefaucheur, 2011, p. 73 ; Zanarini et al., 2011, p. 349 ; Ladois Do Pilar Rei, A., 2012, p. 83 ; Coid et al., 2001, p. 450)…

Le cas particulier de la Martinique

Bien que la Martinique soit connue pour ses attraits touristiques liés à sa localisation tropicale, cette région géographique insulaire des Antilles françaises expose sa population générale à de nombreux événements traumatiques par ses divers risques naturels et humains. La Martinique est positionnée sur une zone cyclonique, sismique et volcanique active occasionnant des catastrophes naturelles : le cyclone Dean en 2007 (deux morts et six blessés) ; le tremblement de terre en 2007 d’une magnitude de 7,4 sur l’échelle de Richter (pas de morts, 22 millions d’euros de dommages pour les bâtiments publics). La Martinique présente des séquelles de la crise économique de 2008, mais aussi des grèves qui ont paralysé l’île en 2009. La crise sociale est manifeste en Martinique avec un taux de chômage élevé et des chiffres de délinquance en augmentation rapide. Au deuxième trimestre de 2012, le taux de chômage en Martinique s’élevait à 21 % (47 % chez les jeunes). En 2012, le nombre des violences commises contre les personnes déclaré à la police a augmenté de 11 %. La prévalence s’élève à 14,5 ‰ habitants (chiffre officiel français ne recensant pas les agressions à caractère sexuel, janvier 2013). Ce chiffre représente le double du taux national français (7,7 ‰). Même si ces chiffres n’expliquent pas à eux seuls le nombre d’ÉSPT dans cette population, il est reconnu que le contexte socioéconomique d’une région puisse rendre compte des variations dans la réponse clinique au traumatisme (Spitzer et al., 2009, p. 80).

Le cas particulier du traumatisme sexuel

Lors de la description fine du ou des événements traumatiques, le caractère sexuel du traumatisme le démarque des autres types de traumatismes.

Les agressions à caractère sexuel, dont le tabou social et la peur des représailles limitent souvent le dépôt de plainte, sont difficiles à quantifier dans la population générale ainsi que dans la population psychiatrique. En effet, en France, seules 12,1 % des femmes majeures, victimes de viol en dehors du ménage, porteraient plainte (INSEE, 2007). Pour ne pas seulement se baser sur les chiffres officiels de la police, les études dans les lieux de soins et les enquêtes en population générale permettent d’aider à estimer la prévalence des traumatismes. Ainsi, l’enquête téléphonique sur un échantillon représentatif de la population française féminine en métropole (Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France ; Enveff, 2000) a été répliquée aux Antilles. Celle-ci montre que sur les 1152 femmes de Martinique interrogées par téléphone en 2008, 7,6 % déclarent avoir subi des « atteintes et des violences sexuelles » par leur mari ou compagnon dans les 12 derniers mois (Brown et Lefaucheur, 2011, p. 73), contre 0,8 % des 5793 métropolitaines interrogées en 2000 (Enveff, 2000). Ce phénomène semble plus fréquent aux Antilles et les données de cette étude doivent être répliquées. Nous proposons de documenter les caractéristiques de ces antécédents d’événements traumatiques dans la population psychiatrique, là où des soins sont offerts.

Objectifs de l’étude

Aucune étude à ce jour n’enrichit nos connaissances sur les caractéristiques traumatiques de cette population martiniquaise, notamment la fragile population hospitalisée en psychiatrie, et a fortiori sur les caractéristiques traumatiques des patients ayant été victimes d’agression sexuelle.

Notre objectif principal est de décrire la population hospitalisée en psychiatrie au CHU de Martinique et en particulier le profil traumatique des patients ayant un ÉSPT, les comorbidités associées (psychiatriques, addictologiques) et le niveau socioéconomique. Notre objectif secondaire est de documenter le profil traumatique des patients victimes d’agression sexuelle.

Méthodologie

Population

Il s’agit d’une étude épidémiologique rétrospective, transversale, monocentrique, sur le Centre de rise du Centre Hospitalier Universiatire (CHU) de Martinique. Nous présentons ici les résultats de l’étude pilote. La période d’inclusion s’est étendue de février à juillet 2013, 49 patients ont été inclus de manière aléatoire (recrutement par période d’une semaine consécutive au cours de laquelle l’étude était proposée à l’ensemble des patients hospitalisés) sur les 128 patients hospitalisés durant la période d’inclusion (soit 34,3 % des sujets hospitalisés pendant la durée de l’étude).

Le Centre de crise accueille des patients adressés par les urgences médico-psychologiques du CHU de Martinique. La capacité est de sept lits d’hospitalisation, destinés à des indications de crise : suicidologie et psycho-traumatologie, premier épisode psychotique et état maniaque modéré.

Les critères d’inclusion sont : être majeur ; être affilié à la sécurité sociale et ne pas faire l’objet d’une mesure de protection judiciaire ; parler couramment le français ; résider depuis plus de trois mois aux Antilles-Guyane ; et être en mesure de comprendre l’étude, sans s’opposer à cette recherche après lecture d’une note d’information (avis favorable du comité d’éthique nommé en France comité de protection des personnes no DC 2013/95).

Déroulement de l’étude

Après recueil du consentement des patients et vérification des critères d’inclusion, les patients ont eu un entretien psychiatrique pour passer le Mini International Neuropsychiatric Interview 5.0 (MINI 5.0) et fournir leurs données sociodémographiques (statut social, composition du foyer, niveau d’études, revenu mensuel net, appartenance à l’ethnie antillaise [au moins trois grands-parents nés aux Antilles]). Afin d’évaluer le profil traumatique, la passation d’un autoquestionnaire a été proposée : descriptif de l’exposition à des événements traumatiques (Trauma History Questionnaire [THQ]) et l’impact du vécu psychotraumatique (Impact Events Scale-Revised [IES-R]).

Instruments

Mini International Neuropsychiatric Interview (MINI) 5.0

Ce questionnaire est structuré en entrevue à visée diagnostique (Sheehan et al., 1997, p. 232). Construit simultanément en français et en anglais par Sheehan, Lecrubier et al.et al. (1989, p. 22), il permet de déterminer, en 120 questions, les troubles actuels ou ponctuels selon les critères du DSM-IV. Selon les troubles étudiés, la sensibilité du MINI variait de 45 à 96 %, la spécificité de 86 à 100 %, et le coefficient de concordance (Kappa) de 0,43 à 0,90.

Trauma History Questionnaire

Élaboré par Green en 1996, validé par Hooper et al. (2011, p. 258), cet autoquestionnaire mesure le critère A1 de l’ÉSPT selon le DSM-IV (APA, 1994) : l’exposition sur la vie à un ou plusieurs événements traumatiques. Il se compose de 24 types d’événements traumatiques répartis en quatre catégories : 1) « Événements liés à la criminalité » (items 1 à 4) ; 2) « Les catastrophes générales et traumatismes » (items 5 à 17) ; 3) « Les expériences physiques et sexuelles » (items 18 à 23, dont relation sexuelle imposée, attouchement des parties intimes, autres types de relations non consenties) ; et 4) « Autres événements » (item 24). Pour cette étude, nous avons choisi de séparer les expériences sexuelles et physiques. Ce questionnaire est davantage une liste de pointage qu’un test et ne comprend pas de score standard. Premièrement, nous avons analysé cette liste globalement : nombre de types d’événements (répétés ou non) et âge de survenue (avant 10 ans et entre 10 et 18 ans). Par exemple, 1 événement type « agression » = 1 type d’événement ; 3 événements type « agression » = 1 type d’événement répété. Deuxièmement, nous avons analysé les différentes catégories de types d’événements, en nous intéressant particulièrement aux agressions sexuelles.

L’Impact of Event Scale-Revised

Élaborée dans sa première version par Horowitz et al. en 1979 (p. 209), cette échelle d’autoévaluation mesure l’intensité de la détresse psychologique consécutive à tout type d’événement de vie traumatique en 22 questions de type likert (de 0 = pas du tout à 4 = énormément). Les scores sont calculés en trois sous-échelles : l’intrusion (score de 0 à 32), l’évitement (score de 0 à 32) et l’hyperactivité (score de 0 à 24). Le score total est la somme des trois sous-échelles (score de 0 à 88). Il est un instrument de référence dans les traumatismes sexuels même si non spécifique (Jehel et Dahan, 2003). D’après Creamer et al. (2003, p. 1489), un seuil de 33 au score total permet de diagnostiquer correctement des cas d’ÉSPT « probable » ; Weiss et Marmar (1997) ont évalué les qualités métrologiques de l’IES-R : ildans la version française validée sur les femmes du Québec et de l’Ontario en 1998, on trouve une cohérence interne satisfaisante (Alpha de Cronbach = 0,93 pour l’ensemble de l’outil). La valeur test-retest variait de 0,57 à 0,94 pour le facteur « intrusion », de 0,51 à 0,89 pour le facteur « évitement » et de 0,59 à 0,92 pour le facteur « hyperactivité » (Weiss et Marmar, 1997). Cette échelle a été traduite et validée en français (Brunet et al., 2003, p. 56).

Statistiques

Pour la description de la population totale, nous avons utilisé les mesures statistiques standards (moyenne, écart-type…).

Pour la description du profil traumatique, nous avons fait deux groupes : un groupe ayant un ÉSPT « probable » : ÉSPT + (IES-R supérieur ou égal à 33) et un groupe n’ayant pas d’ÉSPT « probable » : ÉSPT- (IES-R inférieur à 33). Nous avons comparé les données sociodémographiques, les comorbidités psychiatriques, l’exposition aux quatre groupes de types d’événements traumatiques (liés à la criminalité, aux catastrophes générales, aux agressions physiques et aux expériences sexuelles traumatiques), la répétition d’événements traumatiques, l’âge de survenue (avant 10 ans, entre 10 et 18 ans, et après 18 ans) et l’impact psychotraumatique des deux groupes. Notre échantillon ne suivant pas une loi normale, nous avons utilisé le test non paramétrique de Fisher pour comparer les proportions de ces deux groupes.

Pour étudier plus particulièrement les traumatismes sexuels, nous avons distingué un groupe« antécédent d’agression sexuelle » et un groupe « pas d’antécédent agression sexuelle ». Nous avons comparé les données sociodémographiques, les comorbidités psychiatriques, les profils traumatiques. Lorsqu’il s’agissait de comparer des proportions, nous avons utilisé le test exact de Fisher ; lorsqu’il s’agissait de comparer des médianes, nous avons utilisé le test de Mann et Whitney, présenté avec les moyennes et les écarts-types.

Les résultats sont considérés comme significatifs si le p est inférieur ou égal à 0,05.

Les logiciels employés sont StatXact version 4.0 et NCSS version 6.0.

Résultats

Descriptif général de la population

Il s’agit de 49 sujets, dont 31 femmes (soit 63,3 %) et 18 hommes, âgés de 45,2 ans en moyenne [min : 19 ans, max : 74 ans]. Trente-huit personnes (soit 77,6 %) se sont identifiées comme d’origine antillaise. Dix-huit patients (soit 55,1 %) vivent en couple. Le revenu mensuel médian est entre 1300 et 1600 euros. Vingt-deux patients (soit 44,9 %) ont fait des études post-baccalauréat. Au MINI 5.0, on diagnostique en moyenne 3,6 troubles psychiatriques chez ces patients : dont 71,4 % (n = 35) de dépression, 53,2 % (n = 26) de risque suicidaire moyen à élevé, 28,6 % (n = 14) de troubles bipolaires, 26,5 % (n = 13) d’anxiété généralisée et 12,2 % (n = 6) de patients dépendants à l’alcool.

Dans cet échantillon, 97,8 % (n = 48) rapportent un ou plusieurs types d’événements traumatiques, répartis comme suit : 71,4 % (n = 35) d’événements liés à la criminalité, 85,7 % (n = 42) de catastrophes générales et de traumatismes, 38,8 % (n = 19) de catastrophes naturelles, 44,9 % (n = 22) d’expériences d’agressions physiques et 38,8 % (n = 19) d’expériences d’agressions sexuelles. La médiane de type d’événements à potentiel traumatique vécus est de 6 (moyenne = 6,5 avec un écart-type = 4,18).

Profil traumatique et syndrome de stress post-traumatique

Au MINI 5.0, 11 patients présentent un diagnostic d’ÉSPT alors que 25 patients (51,0 %, 6 hommes et 19 femmes) ont un score IES-R total élevé, signant un ÉSPT « probable ».

En termes de critères socioéconomiques, le groupe ÉSPT + se distingue du groupe ÉSPT - uniquement par une médiane plus basse de revenus mensuels (entre 765 et 915 euros vs 1600 et 1900 euros, P = 0,002). Au MINI 5.0, aucun trouble psychiatrique spécifique ne ressort comme significativement associé au groupe ÉSPT +. En revanche, l’association d’un nombre plus important de troubles psychiatriques caractérise le groupe ÉSPT + lorsqu’il est comparé au groupe ÉSPT - (4,2 vs 3,0 moyenne de troubles au MINI 5.0, P = 0,03).

Les résultats du THQ pour ces deux groupes sont présentés dans le Tableau I, les résultats de l’IES-R sont présentés dans l’Histogramme I. Seize patients (66,7 % du groupe ÉSPT probable) ont subi une agression sexuelle au cours de leur vie.

Tableau I

Trauma History Questionnaire des groupes ÉSPT + et ÉSPT - et des groupes « Antécédent d’agression sexuelle » et « Pas d’antécédent d’agression sexuelle »

Trauma History Questionnaire des groupes ÉSPT + et ÉSPT - et des groupes « Antécédent d’agression sexuelle » et « Pas d’antécédent d’agression sexuelle »

* Test de Mann et Whitney

** Test exact de Fisher

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Histogramme I

Profil traumatique des patients ayant un ÉSPT + (récapitulatif des résultats significatifs)

Profil traumatique des patients ayant un ÉSPT + (récapitulatif des résultats significatifs)

THQ : Trauma History Questionnaire

IES-R : Impact Events Scale-Revised

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Les traumatismes liés aux agressions sexuelles

Dans notre échantillon, 19 personnes (38,8 %, dont 6 hommes et 13 femmes) rapportent au moins une agression sexuelle. Nous avons comparé ce sous-groupe de patients (n = 19) avec ceux ne rapportant pas de tels traumatismes (n = 30). En termes de critères socioéconomiques, les patients agressés sexuellement se distinguent des autres uniquement par la médiane des revenus mensuels (entre 840 et 990 euros vs entre 1300 et 1600 euros, P = 0,04).

Au MINI 5.0, seul le trouble panique ressort comme significativement associé au fait d’avoir subi une agression sexuelle (7.0 vs 0,0, P < 0,001). Ces patients présentent cependant un nombre de troubles psychiatriques comorbides plus important que les patients non agressés sexuellement au cours de leur vie (4,4 vs 3,1, P = 0,02).

Les résultats de l’impact psychotraumatique, liés aux résultats de l’IESR, sont présentés dans l’Histogramme II qui rassemble également les résultats significatifs signant le profil traumatique du groupe « Antécédent d’agression sexuelle » comparé au groupe « Pas d’antécédent d’agression sexuelle ».

Histogramme II

Profil traumatique des patients ayant subi une agression sexuelle (récapitulatif des résultats significatifs)

Profil traumatique des patients ayant subi une agression sexuelle (récapitulatif des résultats significatifs)

THQ : Trauma History Questionnaire

IES-R : Impact Events Scale-Revised

exp : Expérience

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Discussion

Dans cette première étude pilote épidémiologique, rétrospective, transversale et monocentrique, réalisée sur une population hospitalisée en psychiatrie au CHU de Martinique, on trouve 38,8 % d’agressions sexuelles auprès de 49 patients. Parmi les patients souffrant d’un ÉSPT, 66,7 % ont subi une agression sexuelle dans l’enfance et l’adolescence. Nous avons également montré que chez les patients agressés sexuellement, on retrouve une médiane de neuf types d’événements traumatiques différents sur la vie entière (traumatismes souvent répétés et survenant à l’adolescence).

Exposition à un événement traumatique 

De façon globale, 98 % de notre échantillon a été exposé à au moins un événement traumatique. Nous retrouvons ainsi les chiffres mis en évidence par Lommen et Restifo (2009, p. 485) dans une population de 33 patients psychotiques et de 977 patients de psychiatrie (Neria et al., 2002, p. 246), exposés respectivement à au moins un événement traumatique dans 97 % et 83 % des cas. Par contre, les 38,8 % de patients ayant subi une catastrophe naturelle peuvent être interprétés comme une particularité martiniquaise. En effet, ces chiffres représentent près du double des 23,1 % retrouvés dans une étude réalisée sur 239 patients hospitalisés en psychiatrie au CHU de Toulouse en 2010-2011 (Ladois Do Pilar Rei,A., 2012, p. 83). Dans la description des groupes de patients, on note que près de la moitié (51,0 %) de l’échantillon présente un ÉSPT. Ceci est compatible avec l’étude de Gill et al. (2008, p. 93) faite dans une clinique proposant des soins aux personnes aux revenus limités (57,8 % de femmes étaient comorbides avec dépression et ÉSPT avec la Clinician-Administrated PTSD Scale [CAPS], l’instrument de référence). Les 38,8 % d’agressions sexuelles dans notre population sont compatibles avec ceux de Thompson et al. (2010, p. 84), avec 35,9 % d’agressions sexuelles, et de O’Hare et al. (2010, p. 255, avec 41,8 % d’agressions sexuelles en psychiatrie. Selon les données de l’enquête téléphonique Enveff-Martinique en population générale, nous nous attendions à des chiffres d’agressions sexuelles plus importants à cause de la sélection qu’occasionne ce choix de population étudiée. Afin d’augmenter la puissance statistique, la poursuite de cette étude permettra de réévaluer cette comparaison avec les chiffres de la population générale locale.

Antécédent d’agression sexuelle et conséquences

Cette étude confirme que le traumatisme sexuel est particulièrement pourvoyeur d’ÉSPT, notamment lorsque l’exposition aux agressions est précoce. Par ailleurs, parmi les sujets ayant subi des agressions sexuelles, l’analyse des données a mis en évidence la pertinence de distinguer deux sous-populations : avant 10 ans et entre 10 et 18 ans. Il est d’ailleurs actuellement reconnu que les violences d’origine humaine, de type sexuel, de caractère répété, ayant débuté dans l’enfance (Auxémery, Y., 2012, p. 373), sont les plus pourvoyeuses de conséquences psychologiques et psychiatriques (Hagenaars et al., 2011, p. 192). Dans nos deux groupes ÉSPT + et ÉSPT -, on ne remarque pas de différence significative dans le critère de revictimisation par une agression sexuelle.

ÉSPT et comorbidités

Bien qu’aucune comorbidité ne distingue le groupe ÉSPT + du groupe ÉSPT -, le nombre de troubles psychiatriques est plus important de façon globale dans le groupe ÉSPT +. Ceci est compatible avec les études de comorbidité d’ÉSPT et troubles psychiatriques (Hegarty et al., 2004, p. 621 ; Afifi et al., 2012, p. 184 ; Nanni et al., 2012, p. 141). Les faibles chiffres de consommation addictive déclarée sont cependant étonnants et relèvent peut-être de la sous-déclaration des consommations addictives. En effet, avec les 51,0 % d’ÉSPT de cette population, un large recours à l’alcool et aux substances psychoactives était attendu. De nouvelles investigations, avec dosage de CDT (Carbohydrate Deficient Transferrin), VGM (volume globulaire moyen), transaminases et Gamma GT pour rechercher une imprégnation alcoolique et un test urinaire (à la recherche du cannabis par exemple), permettront d’explorer cette information.

ÉSPT et conséquences sociales

Le caractère sociodémographique marquant de cette étude est qu’à niveau d’études équivalent, les patients souffrant d’ÉSPT, ainsi que ceux ayant subi une agression sexuelle, ont un revenu mensuel médian plus faible que le reste de l’échantillon. Ces chiffres soulignent les difficultés d’adaptation plus grandes chez les personnes victimes d’agression, rendant compte du coût socioéconomique du traumatisme en général (Fang et al., 2012, p. 156), et souligne l’intérêt de pouvoir proposer une aide sociale dans les centres de crise pour une prise en charge globale des patients.

Les points faibles et les points forts

Les points faibles de notre étude sont en particulier la taille de notre échantillon et le lieu de recrutement qui ne nous permettent pas d’être représentatifs de l’ensemble de la population de la Martinique. Aussi, les résultats descriptifs ne nous autorisent pas à en déduire des liens de causalité. D’autre part, chez ces patients pris en charge dans l’unité de recrutement, nous n’avons pas utilisé la CAPS (outil de référence dans le diagnostic de l’ÉSPT) mais choisi l’utilisation d’un autoquestionnaire pour limiter le temps de passation des tests. Comme dit précédemment, l’absence de test biologique dans la recherche des dépendances limite l’interprétation de nos résultats sur cette comorbidité.

Les points forts de cette étude sont, d’une part, le fait qu’il s’agit d’une première étude sur les caractéristiques cliniques et psychotraumatiques des patients hospitalisés en psychiatrie en Martinique. D’autre part, il paraît primordial d’analyser dans son ensemble le profil traumatique, c’est-à-dire à la fois l’exposition aux événements traumatisants et son effet clinique. En plus de s’enquérir des symptômes psychotraumatiques de nos patients, il est primordial d’interroger tous les types de traumatismes, leurs répétitions éventuelles, leurs moments de survenue. Parmi les patients souffrant d’ÉSPT, il est pertinent de rechercher un traumatisme sexuel dans l’enfance ou l’adolescence. Auprès des patients agressés sexuellement, il est pertinent de rechercher d’autres traumatismes répétés dans l’adolescence, sexuels ou non.

Conclusion

Bien que la Martinique soit un département particulièrement exposé aux risques de catastrophe naturelle et touché par la crise sociale et économique, la prévalence des troubles et les conséquences des psychotraumatismes ont été encore peu explorées. Cette étude spécifique réaffirme l’importance d’un repérage systématique du profil traumatique des patients (Evans et Jehel, 2013, p. 92).