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À travers les différentes périodes de crise qu’il a connues, le travail social a marqué son « territoire » en revendiquant ses spécificités tout en affirmant son caractère pluriel et ses fondements interdisciplinaires. Se situant « entre deux mondes », il s’inscrit au carrefour de plusieurs disciplines, il interpelle différentes formes de savoir et il s’exerce à la frontière des différents milieux, groupes, institutions ou systèmes composant l’environnement social des familles, dans le cas qui nous occupe. Ainsi, le champ du social est dynamique, c’est-à-dire que s’y rencontrent un ensemble très varié d’acteurs professionnels ou non professionnels qui sont appelés à partager des référents axiologiques, épistémiques et praxéologiques le plus souvent fort différents. C’est particulièrement vrai aujourd’hui alors que nous assistons à une ouverture des champs social et scolaire autour de l’émergence et de la consolidation de partenariats entre l’école, la famille et la communauté, qui s’incarnent de manière prépondérante dans l’idée d’assurer la réussite éducative des élèves.

La réussite éducative étant considérée comme une finalité partagée par l’ensemble des acteurs gravitant de près ou de loin autour du jeune, les professionnels du monde scolaire et ceux intervenant dans diverses organisations du milieu sont appelés à oeuvrer conjointement dans un même espace et à conjuguer, donc à articuler, leurs actions éducatives et socioéducatives. Ceci se traduit aussi par une tendance à reconnaître les parents, en particulier ceux issus de milieux socio-économiquement faibles (msef), comme des partenaires potentiels de l’école et du milieu. Les divers intervenants mobilisés dans le cadre de projets ou de programmes à caractère partenarial sont appelés à soutenir conjointement l’implication optimale des parents dans le cheminement scolaire du jeune. La mise en place de telles stratégies est considérée comme un déterminant majeur de la réussite éducative du jeune (Hoover-Dempsey,Walker, Sandler, Whetsel, Green, Wilkins et Closson, 2005).

Si le partenariat école-famille-communauté vise l’établissement de rapports constructifs entre un ensemble d’acteurs considérés comme des « partenaires », il se traduit le plus souvent par des discours qui masquent et qui, pour certaines considérations, reproduisent un ensemble de dynamiques socioculturelles (Vincent et Martin, 2002; Mills et Gale, 2007). Pensons d’abord à l’implication scolaire des parents telle qu’elle est attendue ou souhaitée de la part des professionnels. Ces derniers, et en particulier les personnels scolaires, tendent à susciter une implication marginale de la part des parents de msef qu’ils se représentent le plus souvent comme incompétents. L’implication parentale est souvent abordée comme un construit unidimensionnel, ce qui limite considérablement l’analyse des interactions multilatérales entre l’école et la famille (Christenson, 2004). Pensons ensuite à une dimension très peu documentée mais non moins pertinente, soit celle des rapports interprofessionnels et, plus largement, des conditions de mobilisation des intervenants. Les différentes catégories de professionnels interpellés par le partenariat école-famille-communauté occupent, et souvent se disputent, l’espace scolaire (Vincent et Tomlinson, 1997; Greenberg, Feinberg, Meyer-Chilenski, Spoth et Redmond, 2007). Si les intervenants de la communauté sont considérés, en principe, comme des « partenaires » de l’école, le partenariat école-famille-communauté serait avant tout l’affaire des personnels scolaires qui en assument le leadership en fonction de leur propre logique d’action. La nature du rapport école-communauté met aussi en jeu les représentations construites et portées par les intervenants à l’égard des parents et véhiculées dans le champ scolaire (Campbell et McLean, 2002).

Cette problématique met en évidence le positionnement de différents professionnels dits des métiers relationnels, mais aussi des parents, dans ce champ, ainsi que les dynamiques disciplinaires, identitaires, culturelles, épistémiques et représentationnelles sous-jacentes à la mise en oeuvre d’un partenariat école-famille-communauté. Ces dimensions, peu documentées, seraient particulièrement pertinentes pour penser la contribution du travail social à l’intervention socio-éducative. En effet, la prépondérance, en travail social, de discours centrés sur le partenariat et la réintégration relative des travailleurs sociaux dans l’univers scolaire posent des enjeux quant au rôle que ceux-ci exercent à l’égard des parents, quant à leurs représentations de ces derniers, ainsi que concernant la nature des rapports qu’ils entretiennent avec de tiers intervenants (Soulet, 1997; Matta, 2008). C’est sous cet angle qu’est construit ce numéro. Conjuguant l’expertise de chercheurs en provenance de la France et du Québec et rattachés à de multiples horizons disciplinaires, il vise à susciter un débat autour de la question du lien entre les différents acteurs intervenant auprès du jeune au coeur du partenariat école-famille-communauté.

La dimension d’implication parentale est sous-jacente à l’ensemble des textes que contient le numéro. Que les auteurs abordent l’implication parentale comme un objet du discours des professionnels, comme une composante de la pratique, comme un contexte ou un prétexte à la mobilisation ou encore comme une zone d’interface entre les pratiques des intervenants du monde scolaire et périscolaire, tous s’accordent pour dire que les parents sont des partenaires de l’école et du milieu, principe fondateur du partenariat école-famille-communauté. La mobilisation des professionnels est considérée sous l’angle des politiques sociales (le contexte justifiant l’appel au partenariat), des conditions d’interaction entre les acteurs, de la création de réseaux ou encore du positionnement et des représentations des différents intervenants. Si les thèmes de l’implication parentale et de l’interprofessionnalité sont traités de façon transversale et de manière convergente, plusieurs éléments plus spécifiques aux différents auteurs ressortent, éléments qui font apparaître différentes zones de complémentarité.

Larivée ainsi que Letarte, Nadeau, Lessard, Normandeau et Allard documentent l’implication parentale en insistant sur les formes qu’elle peut prendre et sur ses effets sur la réussite éducative du jeune. Dans le premier cas, l’auteur s’intéresse au type et au degré d’implication alors que dans le deuxième cas, les auteurs ciblent la fréquence des contacts parents-école ainsi que le sentiment qu’ont les deux catégories d’acteurs en présence de pouvoir collaborer ensemble. Bilodeau, Lefebvre, Deshaies, Gagnon, Bastien, Bélanger, Couturier, Potvin et Carignan ainsi que Turcotte, Bastien, Clavier et Couturier traitent d’interprofessionnalité. Les premiers auteurs l’abordent sous l’angle des différents montages créés par des intervenants qui, par leurs interactions, constituent, développent et consolident des réseaux sociaux. Les seconds, qui conçoivent ce partenariat dans une perspective théorique voisine, documentent les pratiques de l’agent pivot en montrant en quoi elles « nous informent sur l’organisation des milieux, mais surtout comment cette organisation imprime une orientation à ces pratiques ».

Certains auteurs abordent simultanément les thèmes de l’implication parentale et de l’interprofessionnalité en traitant du positionnement d’acteurs au coeur et à la frontière du champ scolaire ainsi que des dynamiques interactionnelles et socioculturelles qui s’y déploient. Boulanger, Larose, Larivée, Minier, Couturier, Kalubi-Lukusa et Cusson s’intéressent au rôle que le travailleur social est appelé à exercer à la charnière de l’école eu égard aux différentes représentations de la participation parentale véhiculées dans le champ scolaire. Lesur soulève des enjeux similaires tout en abordant plus largement et plus explicitement la question du positionnement du travailleur social. Bastien et Laé montrent comment, d’un point de vue historique, la pénétration du domaine médical ou sanitaire dans le champ scolaire reflète des représentations particulières des parents vivant en situation de pauvreté. Boulanger, Larose, Larivée, Couturier, Mérini, Blain, Cusson, Moreau et Grenier renvoient aux dynamiques interactionnelles qui structurent et qui reflètent les conditions de construction et de mise en oeuvre du partenariat école-famille-communauté. Plus particulièrement, ils montrent comment le recours à des dispositifs structurants, soit les plans de réussite, dans le cadre du programme Famille, école, communauté, réussir ensemble, organise et façonne à la fois les pratiques collaboratives et l’engagement parental. Étudiant l’interface école/centre de réadaptation, Beauregard et Kalubi-Lukusa analysent quant à eux les besoins des diverses catégories d’acteurs inscrits dans une démarche collaborative visant à soutenir la participation parentale et à accompagner l’enfant.

Qu’ils soient chercheurs ou praticiens, les lecteurs en provenance de disciplines variées trouveront dans ce numéro des pistes de réflexion fort constructives. Ils seront amenés à se pencher sur les grands enjeux que posent, à l’heure actuelle, la position et la rencontre de diverses professions des métiers relationnels dans et à la frontière de l’espace scolaire. Situer l’intervention socioéducative au coeur du partenariat école-famille-communauté permettra certainement aux lecteurs de mettre les pratiques en perspective au regard de leurs composantes collective et socioculturelle ainsi que des dynamiques complexes qui les animent.