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Introduction

Depuis une vingtaine d’années partout dans les sociétés dites de modernité avancée (Beck, 2003), les collaborations école-famille-communauté sont ciblées par les politiques et programmes publics, en santé ou en éducation, afin de faire face aux défis de tous ordres soulevés par l’immigration, la pluriethnicité, la défavorisation socioéconomique, les inégalités sociales en santé ou en éducation. Le Québec adhère à cette mouvance dans la réforme de l’éducation (MEQ, 2001a) en vue d’accroître la réussite éducative, mais aussi pour soutenir d’autres finalités telles que l’incorporation de l’éducation à la santé au programme scolaire (Harvey, 2010). Selon la même optique, l’Approche École en santé lie les secteurs de l’éducation et de la santé dans un partenariat qui mobilise aussi des partenaires de la communauté (MELS et MSSS, 2003). Devant l’intérêt pour cette stratégie, cet article documente la nature des interventions et les arrangements collaboratifs à leur origine, de même que les attributs particuliers des interventions en contexte montréalais pluriethnique et défavorisé. La discussion des résultats aborde deux questions : Est-ce que ces interventions font écho aux politiques publiques, en éducation et en santé, faisant appel à la collaboration école-famille-communauté? Quelle est leur capacité à répondre aux défis soulevés dans ces politiques en ce qui concerne la participation parentale au parcours scolaire des enfants et la réussite éducative en contexte pluriethnique et défavorisé?

Cadre conceptuel

La notion d’intervention réfère à toutes actions, qu’il s’agisse de politiques, de programmes ou autres initiatives, accomplies intentionnellement dans un milieu pour le transformer (Hawe et Potvin, 2009). Les interventions issues de la collaboration école-communauté sont décrites selon les principes de l’explicitation de programmes (Allard, Bilodeau et Gendron, 2008) en recourant à des paramètres usuels pertinents dans le contexte. Les interventions sont définies par (1) leurs domaines d’action, en se basant sur ceux identifiés au Québec par Saysset et Boyer (2006), soit des programmes d’aide aux devoirs, des programmes familiaux (ressources pour les parents), des programmes sociaux et de santé (culture, loisirs, sports, socialisation et entraide, éducation à la santé, sécurité alimentaire, santé physique et mentale) et des programmes de développement communautaire; (2) leurs objectifs; (3) leurs stratégies, en retenant les catégories utilisées en santé publique et en éducation (Gouvernement du Québec, 2005; MEQ, 2002); (4) leur population cible; (5) leur étendue : universelle, sélective ou identifiée, référant à la nomenclature de la promotion-prévention-protection (Chamberland et al., 1996); (6) leur intensité; (7) leur maturité; et enfin (8) leur adaptation au contexte pluriethnique et défavorisé, où se distingue la défavorisation matérielle et sociale et où sont considérées les adaptations in situ à la pluriethnicité, les adaptations planifiées en vertu des obligations institutionnelles et légales imparties au système scolaire et les adaptations portant sur l’intégration des nouveaux arrivants et le mieux-vivre ensemble dans une société pluraliste (Potvin, McAndrew et Kanouté, 2006).

Quant à la collaboration école-communauté, elle est décrite en vertu de la théorie de l’acteur-réseau (Callon, 1986, 1988; Akrich, Callon et Latour, 2006). Les collaborations école-communauté sont appréhendées comme des réseaux où différents acteurs organisationnels (composition des réseaux) sont engagés dans des liens collaboratifs. Outre des acteurs organisationnels, les réseaux mobilisent aussi des savoirs et des biens, notamment des fonds obtenus des instances publiques ou privées (sources de financement). Dans l’action en partenariat, ces réseaux peuvent être définis par leur structure et leur dynamique collaborative. Les structures sont de type coordination, référant aux interactions qui visent une meilleure réalisation des interventions de chaque acteur, ou de type action concertée, référant à la production conjointe d’interventions (Bilodeau et al., 2009). La dynamique collaborative peut aller de la référence à la mise en commun et la coordination de ressources, jusqu’à la planification conjointe et la réalisation conjointe d’interventions (Knoke et Kuklinski, 1982; Degenne et Forsé, 2004).

Méthode

La description des interventions et de la collaboration école-communauté à leur origine a été faite à l’aide des 12 descripteurs et de leurs catégories (Tableau 1) générés à partir du cadre conceptuel, selon une méthodologie déductive-inductive, en plusieurs itérations, jusqu’à leur stabilisation. Ces 12 descripteurs et leurs catégories donnent 54 variables dichotomiques utilisées pour décrire chaque intervention. Ainsi, les catégories d’un descripteur ne sont pas mutuellement exclusives. Par exemple, une intervention peut poursuivre à la fois des objectifs d’ordre social et de santé, et d’ordre scolaire; elle peut cibler à la fois les jeunes et leurs parents.

Tableau 1

Descripteurs des interventions et de la collaboration école-communauté à leur origine

Descripteurs des interventions et de la collaboration école-communauté à leur origine

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L’étude porte sur les quatre territoires locaux montréalais cumulant les taux les plus élevés de défavorisation socioéconomique (≥ 30 % de faible revenu), de pluriethnicité (≥ 40 % issu de l’immigration) et d’immigration récente (cinq ans et moins) (≥ 10 %), soit Parc-Extension, Côte-des-Neiges, Saint-Laurent et Bordeaux-Cartierville. Les cinq écoles secondaires publiques[1] de ces territoires ont été retenues de même qu’une école primaire publique dans chaque territoire, soit celle ayant les taux les plus élevés aux trois indicateurs et ayant accepté de participer.

Le corpus est composé de l’ensemble des interventions identifiées par les neuf directions des écoles participantes, qui ont été validées et complétées par leurs partenaires de la communauté, pour l’année scolaire 2007-2008. La collecte des données a été réalisée en trois étapes. Premièrement, des entrevues semi-dirigées d’une durée moyenne de 60 minutes ont été réalisées auprès des neuf directions d’école, visant à : i) dresser la liste des partenaires de chaque école; ii) répertorier les interventions que chaque école réalise en collaboration avec des partenaires de sa communauté pour la période de référence; iii) recueillir de l’information sur chaque intervention à l’aide d’une grille de collecte conçue à partir des descripteurs présentés précédemment; iv) recueillir des documents écrits sur ces interventions (bilans, rapports administratifs). Cette première étape a permis de dresser un portrait préliminaire des interventions et des arrangements de collaboration. Deuxièmement, la collecte a été réalisée auprès de l’ensemble des partenaires des neuf écoles (n = 84) par entrevue téléphonique ou en face-à-face, d’une durée variant de 30 à 120 minutes. Ces entrevues visaient à : i) auprès de chaque partenaire, compléter ou détailler l’information sur les interventions qu’il met en place et sur sa collaboration avec l’école; ii) recueillir des documents écrits sur ces interventions (bilans, rapports administratifs). À ces données documentaires et d’entrevues se sont ajoutés des documents publics disponibles, notamment sur les sites Web. De 21 à 32 organismes collaborateurs ont été répertoriés par territoire et le taux de réponse varie de 81 % à 91 %.

Le traitement du corpus des 146 interventions recensées comporte en premier lieu une analyse descriptive en fonction des 12 descripteurs et des 54 variables. La triangulation des sources (documents et entrevues) a permis d’accroître la validité des données en corroborant les faits. En quelques occasions, des données contradictoires ont été traitées en privilégiant celles appuyées par plus d’une source, en cherchant des données additionnelles ou en retenant l’information la plus vraisemblable en rapport avec les autres descripteurs. Une fiche descriptive a été produite pour chaque intervention, conduisant à un répertoire annexé au rapport de recherche disponible en ligne (Bilodeau et al., 2010). En second lieu, les données des fiches ont été codées et saisies dans une base SPSS. Cet article présente l’analyse comparée des données pour les deux ordres d’enseignement.

Résultats

Les collaborations école-communauté en milieux montréalais pluriethniques et défavorisés produisent un grand volume d’activités, déployées en quasi-totalité dans le champ parascolaire. Davantage d’interventions sont produites au niveau primaire que secondaire. Nous observons une moyenne de 20 interventions par école primaire, qui compte en moyenne 601 élèves, et de 17 interventions par école secondaire, qui compte en moyenne 1093 élèves. Le Tableau 2 expose les quatre descripteurs des interventions pour lesquels les différences sont les plus grandes entre les deux ordres d’enseignement.

Tableau 2

Répartition des interventions pour quatre descripteurs au total et pour chaque ordre d’enseignement

Répartition des interventions pour quatre descripteurs au total et pour chaque ordre d’enseignement

* Les catégories ne sont pas mutuellement exclusives.

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Les domaines d’activité et les objectifs poursuivis

Le domaine de l’activité physique, de la culture et du loisir, d’égale importance au primaire et au secondaire, comporte des sports individuels et d’équipe et une diversité d’activités telles que le théâtre, les arts du cirque, la radio ou le journalisme étudiants, la psychomotricité ou les activités de plein air. Ces activités recourent généralement aux installations publiques intérieures (ex. : gymnase, amphithéâtre) ou extérieures (parc, piscine, patinoire, terrain sportif). L’offre en ce domaine peut s’étendre aux samedis et aux congés scolaires, voire à la période estivale. Quant au domaine des compétences sociales, plus développé au secondaire qu’au primaire, il comporte des activités liées à l’intimidation, la prévention de la violence, de la toxicomanie, de la criminalité et des gangs de rue. S’y retrouvent aussi des projets liés aux questions environnementales. Les stratégies sont diverses : exposés de sensibilisation, ateliers sur les compétences, groupes d’échange et d’entraide, travail de rue ou thérapie par l’art. Certaines interventions relevant de ce domaine concernent spécifiquement l’intégration des jeunes issus de l’immigration et l’adaptation culturelle à la société d’accueil.

Des interventions sont plus proprement liées à la réussite éducative, mais dans une moindre importance, même s’il s’agit, selon un sondage de la Commission scolaire de Montréal (2005), de la seconde priorité des parents et des jeunes, après le sport, la culture et le loisir. En ce domaine, au primaire, l’activité principale est l’aide aux devoirs, alors qu’au secondaire ce sont des programmes de prévention du décrochage scolaire et d’insertion au marché du travail, auxquels s’ajoutent les activités favorisant le passage du primaire au secondaire engageant les deux ordres d’enseignement. Quant au domaine de la liaison école-famille, s’y retrouvent des cours de francisation des parents allophones offerts par les centres d’éducation aux adultes, où sont notamment abordés le vocabulaire et la réalité du monde scolaire québécois. Deux communautés ont développé la stratégie d’un intervenant communautaire scolaire placé dans chaque école et proprement dédié à relier l’école aux parents et à la communauté. Un dernier domaine, celui du soutien alimentaire et matériel, est déployé au primaire seulement et comporte des ateliers de cuisine, des cuisines collectives parents-enfants, l’implication des écoles dans des jardins communautaires ou des magasins-partage[2]. Enfin, neuf plans d’action collectifs ont été répertoriés dans les quatre écoles primaires et dans deux écoles secondaires. Ces plans sont composés d’interventions dans un ou plusieurs domaines, selon les programmes publics à leur origine (Québec en forme, Comités de quartier de la Commission scolaire de Montréal, Approche École en santé) ou selon qu’ils sont issus des concertations de quartier.

Au primaire comme au secondaire, les interventions poursuivent des objectifs de développement global, de socialisation et d’intégration sociale des jeunes, c’est-à-dire des objectifs sociaux et de santé, qui sont visés par les domaines du développement des compétences, de l’activité physique, de la culture et du loisir, et du soutien alimentaire et matériel. Des objectifs plus proprement éducatifs, c’est-à-dire cherchant à soutenir le parcours scolaire des élèves, se retrouvent dans 45 % des interventions au secondaire et 28 % au primaire, principalement dans le domaine du soutien à la réussite éducative. En outre, des interventions poursuivent des objectifs à la fois scolaires et familiaux en étant proprement dédiées à la participation des parents, particulièrement des parents immigrants, au parcours scolaire de leurs enfants. Des objectifs familiaux et communautaires sont aussi ciblés au primaire alors qu’ils sont moins présents au secondaire, indiquant qu’à ce niveau les interventions se recentrent autour du jeune lui-même plutôt que d’être dirigées aussi vers le milieu où il vit. De tels objectifs familiaux et communautaires mènent à soutenir l’amélioration des milieux et des conditions de vie, et la participation et l’intégration des familles à la communauté. Ces objectifs sont au coeur des interventions de soutien alimentaire et matériel; ils sont aussi visés par certaines interventions dans le domaine de l’activité physique, de la culture et du loisir qui intègrent les jeunes et leur famille dans leur communauté. Ils sont également présents dans les plans collectifs, soit par la prise en compte des ressources et des préoccupations du quartier dans la planification, soit en favorisant l’intégration des familles en leur faisant connaître les ressources de la communauté. Finalement, faisant écho à l’intérêt public grandissant pour la question environnementale, des objectifs de cet ordre sont présents dans certaines interventions du domaine des compétences sociales.

Les stratégies déployées et l’étendue des interventions

Les interventions issues de la collaboration école-communauté se situent d’abord dans le large créneau de la promotion de la santé et de la réussite éducative. Ce sont des stratégies complexes qui dépassent la sensibilisation ou la transmission d’information et visent à la fois plusieurs déterminants individuels et liés au milieu de vie en combinant diverses stratégies. Le domaine de l’activité physique, de la culture et du loisir comporte de telles stratégies qui soutiennent le développement des compétences sociales et des habitudes de vie saines tout en constituant un enrichissement de l’environnement scolaire par les possibilités d’activités, de socialisation, de divertissement et d’engagement personnel qu’il offre. De la même manière, le domaine du développement des compétences et celui du soutien à la réussite éducative comportent une diversité de stratégies et d’approches pédagogiques. Ces interventions promotionnelles sont généralement universelles bien qu’elles puissent cibler des sous-groupes aux caractéristiques spécifiques (ex. : le genre, l’immigration récente, l’isolement social).

Plus développées au secondaire qu’au primaire, les interventions déployant des stratégies de prévention se retrouvent principalement dans le soutien à la réussite éducative et sont destinées à des sous-groupes présentant des difficultés socioéducatives ou sociosanitaires. On voit aussi apparaître au secondaire des interventions de traitement destinées à des jeunes identifiés comme ayant des difficultés. Ces interventions concernent le domaine des compétences sociales; ainsi en est-il de la médiation policière ou des interventions correctrices auprès d’élèves suspendus ou ayant des problèmes de comportement. Au secondaire, ce resserrement des interventions auprès des jeunes ayant des difficultés conduit à un corpus significatif de 27,5 % des interventions étant destinées à des jeunes identifiés (contre 15,6 % au primaire).

Les populations cibles des interventions

S’il est attendu que les interventions issues de la collaboration école-communauté visent avant tout les jeunes, ce qui est le cas de 84 % des interventions, au primaire on constate que 41 % des interventions visent aussi les parents et les familles (ex. : les sports et loisirs familiaux), parmi lesquelles des activités plus proprement dédiées aux parents (cours de francisation, interprétariat, conférences sur l’encadrement parental, intervenant communautaire scolaire, soutien alimentaire et matériel). Cependant, les parents sont nettement moins visés au secondaire. S’il est généralement admis que la participation parentale à la vie scolaire diminue habituellement au secondaire, il ressort de nos résultats que les occasions de participer peuvent aussi être moins nombreuses. Ainsi, la moitié des interventions destinées aux parents au secondaire sont issues d’une seule stratégie, celle de l’intervenant communautaire scolaire, que l’on trouve dans deux communautés. Cela tend à montrer que si les parents sont pris en compte dans le processus d’idéation, il en résulte davantage d’initiatives leur étant destinées. Le même constat s’applique aux interventions ciblant la communauté, qui sont aussi principalement issues de la stratégie recourant à un intervenant communautaire scolaire. Celles-ci visent à soutenir l’intégration communautaire des familles immigrantes, contrer l’intimidation et la violence ou informer les familles sur les activités scolaires et communautaires.

L’intensité et la maturité des interventions

Sur le plan de l’intensité, la majorité des interventions (59 %) s’exercent en continu tout au long de l’année scolaire. C’est généralement le cas dans le domaine de l’activité physique, de la culture et du loisir. Le tiers des interventions (33 %) reviennent périodiquement. C’est surtout le cas dans le domaine des compétences, vu la nature ponctuelle des activités de sensibilisation. Peu d’activités sont sporadiques (9 %), ce qui témoigne de la stabilité de l’offre parascolaire. Les deux tiers des interventions sont en effet des activités matures qui existent depuis trois ans et plus dans les écoles. En contrepartie, un corpus significatif d’interventions récentes (33 %) témoigne d’un équilibre entre innovation et pérennisation. Les interventions récentes comprennent des activités de plein air, de sensibilisation aux questions environnementales, de psychomotricité et la moitié des plans d’action collectifs.

L’adaptation à la défavorisation et à la pluriethnicité

Toutes les interventions issues de la collaboration école-communauté sont accessibles gratuitement ou à faibles coûts puisqu’elles sont réalisées par des organismes publics ou communautaires à l’extérieur des rapports marchands. En plus de l’accessibilité en termes de coût, l’adaptation des interventions à la pauvreté matérielle comporte la proximité des activités et services dans les quartiers, l’accès à un transport collectif ou à des services de garde à l’enfance. En outre, des interventions sont spécifiquement dédiées à la pauvreté matérielle et sociale des familles et des communautés. Si au primaire il s’agit d’interventions de soutien alimentaire et matériel, au secondaire ce sont des interventions pour faire face aux problèmes d’apprentissage, de décrochage scolaire ou de comportement souvent associés aux milieux de pauvreté.

Près des deux tiers (60 %) des interventions comportent une adaptation au contexte pluriethnique. Dans le tiers de ces cas, il s’agit d’adaptations planifiées en vertu des obligations institutionnelles et légales imparties aux écoles découlant notamment de la Politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle (MEQ, 1998) et des chartes des droits et libertés (ex. : cours de francisation, interprétariat, obligation d’accommodement raisonnable). Dans 24 % de ces cas, il s’agit plutôt d’ajustements in situ selon les caractéristiques culturelles et linguistiques des participants. La plupart des interventions adaptées (53 %) s’inscrivent dans l’approche de l’intégration sociale des populations immigrantes selon une perspective interculturelle (Potvin et al., 2006). Il peut s’agir d’interventions de développement des compétences axées sur le vivre ensemble ou qui soutiennent l’adaptation sociale et culturelle à la société d’accueil; d’interventions en loisirs, culture et sports qui deviennent des occasions d’apprentissage du français et de rapprochement interculturel; d’interventions de liaison école-famille qui informent les parents immigrants sur les services publics et les ressources communautaires; ou, enfin, de sensibilisation du personnel scolaire à la diversité culturelle de leur école.

La composition des réseaux d’acteurs engagés dans les interventions

Les principaux partenaires de l’école en milieu montréalais pluriethnique et défavorisé sont les organismes communautaires, engagés dans 86 % des interventions. Les organismes dédient leurs ressources humaines et matérielles à la planification, la coordination, la formation, et la réalisation d’une grande diversité d’activités et de services destinés aux jeunes, aux familles et à la communauté, dans tous les domaines. Ils sont aussi partie prenante de tous les plans d’action collectifs en cours lors de l’étude. Les services municipaux sont actifs dans 24 % des interventions et les services sociaux et de santé dans 16 % des interventions. L’acteur municipal pourvoit en infrastructures, équipements et ressources humaines dans le domaine de la culture, du loisir et du sport, et en ressources humaines (principalement policières) dans le développement des compétences liées à l’intimidation, la violence, le racisme, la criminalité, les toxicomanies et les gangs de rue. Quant au secteur sociosanitaire, il pourvoit en ressources humaines dans le champ des compétences des jeunes et des parents (interventions relatives aux liens famille-école). En outre, les acteurs municipal et sociosanitaire sont engagés dans des rôles de leadership, de coordination et de planification collective. Ces trois classes d’acteurs constituent, avec les écoles, les partenaires à la base des plans d’action collectifs. De leur côté, les enseignants participent au tiers des interventions où ils assument différents rôles, tels que l’intégration de certaines activités au programme scolaire, la collaboration à la préparation et à la prestation d’activités dans les classes, la participation à la planification d’activités, ou encore, la promotion des activités auprès des élèves et la référence d’élèves à des activités et services.

Les structures et la dynamique collaboratives, et le financement des interventions

Deux modèles d’arrangements collaboratifs ont cours. Le premier, celui de la coordination, est une structure bi- ou pluri-organisationnelle pour chacune des interventions, produisant surtout des échanges de l’ordre de la référence et de la mise en commun de ressources pour des activités réalisées par un organisme coordonnateur (Tableau 3, peloton en haut à gauche). L’autre modèle est celui de l’action concertée, où une structure de concertation produit principalement la planification conjointe et la réalisation collective de plusieurs interventions (Tableau 3, peloton en bas à droite).

Tableau 3

Distribution des interventions selon le type de structure interorganisationnelle et la dynamique de la collaboration

Distribution des interventions selon le type de structure interorganisationnelle et la dynamique de la collaboration

* Les catégories ne sont pas mutuellement exclusives.

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Quant à l’investissement requis, chaque intervention est réalisée en combinant plus d’une source, dont la plus importante, mobilisée dans 62 % des interventions, est l’investissement des partenaires directs de l’action à partir de leurs propres ressources de fonctionnement (ressources humaines, équipements et locaux). Trois autres sources sont aussi mobilisées : les fonds dédiés à des programmes spécifiques, engagés dans le quart des interventions (ex. : le programme d’aide aux devoirs du MELS); les fonds alloués aux écoles et distribués selon leurs priorités, contributifs aussi dans le quart des interventions (ex. : Agir autrement ou le Programme de soutien à l’école montréalaise); et les tiers financeurs publics, contributifs dans le cinquième des interventions (ex. : la Direction de la santé publique de Montréal ou la Ville de Montréal). Le financement philanthropique (Centraide, Fondation Chagnon) demeure marginal puisque mobilisé dans seulement 4 % des interventions. Enfin, des montages financiers plus complexes ont cours dans les plans collectifs, où contribuent les ressources des partenaires et des fonds municipaux, de l’Éducation et de la Santé, ainsi que des organisations philanthropiques, mais aussi des bailleurs plus distants tels que des programmes fédéraux ou d’autres ministères québécois comme ceux de la Justice et de la Sécurité publique. Il apparaît aussi que les sources de financement sont associées aux modalités de gouverne (Tableau 4). Si on les compare aux structures de coordination, les structures d’action concertée sont associées à un apport plus important de ressources externes aux partenaires directs de l’intervention, soit provenant de fonds dédiés, de fonds discrétionnaires des écoles ou de tiers financeurs publics. En contrepartie, moins d’interventions soutenues par des structures d’action concertée mobilisent des ressources des partenaires directement engagés dans l’action.

Tableau 4

Distribution des interventions selon la source de financement et le type de structure interorganisationnelle

Distribution des interventions selon la source de financement et le type de structure interorganisationnelle

* Les catégories ne sont pas mutuellement exclusives.

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Discussion

Ces résultats révèlent une part des modes opératoires des collaborations école-communauté en contexte montréalais pluriethnique et défavorisé. Les interventions qui en sont issues correspondent largement aux orientations des politiques et programmes publics en éducation et en santé en vertu desquelles elles sont déployées. Le MELS situe le rôle de ces collaborations dans le créneau des services éducatifs complémentaires (MEQ, 2002), auquel correspond le panier d’interventions composé d’activités parascolaires, de traitements spécialisés et professionnalisés (sanitaire ou psychosocial), d’aide aux jeunes dans leur cheminement scolaire, leur orientation professionnelle et face à leurs difficultés, ou d’activités d’amélioration de l’environnement de l’école et du quartier. Cet éventail d’interventions souscrit aussi aux orientations de l’Approche École en santé (Gouvernement du Québec, 2005) en s’adressant aux différents paliers de l’approche systémique, soit les facteurs liés aux individus, à l’environnement scolaire, familial et communautaire (Deschesnes, Martin et Hill, 2003). Le panier d’interventions ne correspond toutefois que moyennement aux orientations du Programme de soutien à l’école montréalaise (MEQ, 2001b), une des lignes d’action de la réforme de l’éducation visant les milieux montréalais défavorisés. Bien que les interventions de liaison école-parents et de soutien à la réussite éducative adoptent les orientations du programme (soutien proximal et adapté aux parents; soutien à l’apprentissage et à la préparation à l’emploi chez les jeunes ayant des difficultés), elles n’accordent pas à ces domaines une importance à la hauteur de la place centrale que leur fait le programme.

De façon plus spécifique, des écarts entre les deux ordres d’enseignement montrés dans l’analyse méritent d’être portés à l’attention des décideurs des champs de l’éducation et de la santé. Ces écarts concernent principalement le volume d’activités et de services nettement moindre au secondaire qu’au primaire; un resserrement autour du jeune et de son parcours scolaire au secondaire par des interventions ciblées de prévention et de traitement, au détriment d’interventions promotionnelles plus globales; et la réduction des interventions de soutien matériel et alimentaire, ou qui interpellent les parents et poursuivent des objectifs familiaux ou communautaires. Ces constats peuvent refléter un ajustement des activités et services à l’accroissement observé des problèmes socioéducatifs, notamment liés à la défavorisation, en passant du primaire au secondaire, cette situation pouvant mener les écoles à se centrer davantage sur l’intervention de traitement ou de contrôle plutôt que sur la promotion ou l’intervention universelle. Ils peuvent également être le reflet de la spécialisation de l’école secondaire, cette dernière étant davantage constituée d’enseignants spécialistes qui ont des contacts moins intensifs avec les élèves que leurs collègues du primaire. Il reste toutefois que ces constats appellent au secondaire, dans les politiques publiques, à un renforcement de l’importance accordée à la réussite éducative plutôt que de se centrer sur la prévention du décrochage scolaire. Ils appellent aussi à un développement, au secondaire, d’interventions universelles structurantes visant l’enrichissement de l’école comme milieu de vie, tel que cherchent à le faire les Comités de quartier de la CSDM au primaire et les approches de milieu, globales et intégrées, couvrant toutes les écoles primaires et secondaires d’un même territoire (un seul des quatre territoires étudiés en est pourvu).

Par ailleurs, le triumvirat école-famille-communauté dont il est question dans les politiques publiques recouvre dans nos résultats des réalités fort distinctes, la collaboration école-communauté étant davantage développée et mise au service des élèves dans l’espace parascolaire, alors que la liaison école-famille demeure moins instrumentée. Un réinvestissement des acquis de la collaboration école-communauté vers la relation de l’école avec les parents serait indiqué, considérant l’importance que revêt leur participation dans la réussite scolaire, soulignée par plusieurs auteurs (Carignan et al., 2003; Epstein et Rodriguez, 2004; Vatz-Laaroussi et al., 2005; Kanouté et Vatz Laaroussi, 2008; Deslandes, Fournier et Morin, 2008). À cet égard, on remarque qu’une partie seulement des moyens recensés par Leithwood (2009) pour favoriser la relation famille-école en contexte pluriethnique et défavorisé sont mobilisés par le panier d’interventions, soit ceux pouvant être déployés dans le cadre des services éducatifs complémentaires, telles la réponse offerte aux différents besoins des parents et la disponibilité de services facilitant l’exercice du rôle parental (ex. : des programmes après l’école). Il est toutefois entendu que plusieurs moyens recensés par Leithwood (2009) relèvent de l’enseignement régulier, tels que la consultation fréquente des parents par les enseignants, un personnel scolaire soucieux que les parents immigrants comprennent le système d’éducation, ou des enseignants qui comprennent les différences culturelles quant aux représentations qu’ont les parents de leur place dans l’école. Or, dans l’accomplissement de tels rôles, le personnel scolaire gagne à coopérer avec les organismes de la communauté qui peuvent agir comme facilitateurs de la communication avec les parents (Glasman, 2001; Weiss, 2008). Une avenue en ce sens, qui émerge de nos résultats, consiste à placer dans l’école un intervenant ou un organisme de la communauté agissant comme un intermédiaire entre l’école, la famille et la communauté.

En outre, en reproduisant le clivage entre l’enseignement régulier et le parascolaire (Daylanghout, 2005; Sanders, 2006; Seddon, Billet et Clemans, 2004; Tett, Crowther et O’Hara, 2003), la collaboration école-communauté ne favorise pas l’imbrication des aspects sociaux et scolaires du développement de l’enfant et le renouvellement de la pratique enseignante en ce sens. Le domaine du soutien à la réussite éducative est particulièrement sensible à ce cloisonnement du fait de la proximité de ses activités avec le domaine propre de l’enseignement (Demailly et Verdière, 1999). Les interventions recensées en ce domaine par notre étude sont essentiellement de nature correctrice et assistantielle, ne visant que les jeunes ayant des difficultés scolaires, de persévérance ou de comportement. Elles ne constituent pas des stratégies populationnelles qui agiraient en amont dans la perspective de briser le cycle de reproduction des inégalités sociales en éducation, par exemple en travaillant à réduire la distance sociale et culturelle entre l’école et les milieux défavorisés. Une telle perspective pourrait requérir une stratégie collaborative où la communauté contribuerait au programme scolaire régulier avec l’objectif de soutenir son ajustement à la réalité culturelle et sociale de la pauvreté et de l’immigration.

Ces considérations devraient interpeller les décideurs des politiques et programmes en éducation quant à la possible persistance d’un cloisonnement, à l’encontre de l’esprit de la réforme, entre les services réguliers d’enseignement et les services éducatifs complémentaires issus de la collaboration école-communauté. L’idée de l’adaptation de l’école, et tout particulièrement de son programme scolaire, à la réalité culturelle et sociale des milieux défavorisés et immigrants habite depuis le milieu des années 1970 le paysage des politiques québécoises en tant que stratégie de réduction des inégalités sociales en éducation (Deniger et Roy, 2008). Cette idée n’a cependant jamais vraiment été portée en avant-plan des politiques et, conséquemment, incarnée dans les pratiques pédagogiques en milieux pluriethniques et défavorisés. Le panier d’interventions issues de la collaboration école-communauté étudié, qui peut être considéré comme un révélateur des orientations dans les pratiques découlant de la réforme, soutient cette conclusion.

Conclusion

Le répertoire et l’analyse présentés dans cet article ont évidemment une portée limitée, mais ils invitent à documenter, en contexte, les plus innovantes et les plus prometteuses des interventions répertoriées. Le choix méthodologique de cette recherche, qui est une analyse descriptive transversale à partir de descripteurs standardisés, limite la documentation des processus dans leur contexte et l’analyse comparative, de sorte à faire émerger des attributs génériques utiles notamment à des fins de reproduction des interventions. Des chantiers de recherche doivent aussi permettre d’expliciter les innovations pédagogiques prenant appui sur la collaboration enseignants-communauté, tout comme les initiatives émergentes visant à accroître et améliorer la relation école-famille et la participation des parents au parcours scolaire de leurs enfants, toutes initiatives qui peuvent profiter des développements futurs de la collaboration école-famille-communauté.