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Voyez-vous, je parle toutes les langues, mais en yiddish

- Franz Kafka

Si les littératures africaines se définissent par une écriture hybride et que celle-ci témoigne d’une situation de diglossie, il faut toutefois insister sur le fait que le « choix » d’écrire dans la langue héritée de l’ex-colonie a non seulement une portée politique et sociale, mais également esthétique. Dans cet article, il sera question des enjeux esthétiques de la traduction d’un texte hybride, à partir du cas particulier de Sardines, quatrième roman de Nuruddin Farah, auteur somalien d’expression anglaise. Après un rapide état de la question concernant les questions de l’hybridité et de l’esthétique de l’oralité dans les littératures africaines, l’objectif consistera à illustrer comment les schèmes de la poésie somalie peuvent s’actualiser dans un texte romanesque rédigé en langue véhiculaire, puis à proposer une réflexion autour de la réactivation, en traduction, des patrons sonores du texte. En effet, j’entends montrer dans cet article que ces patrons jouent un rôle complexe – mais encore largement sous-estimé – chez certains auteurs africains europhones et qu’ils méritent d’être intégrés au « projet de traduction », tel que défini par Berman (1995). Dans cette perspective, les recherches menées récemment par Ryan Fraser sur la théorisation de la traduction du son présentent un intérêt particulier. Enfin, il est nécessaire de préciser que cet article s’inscrit dans le cadre d’une recherche doctorale en cours.

Littératures orales et romans europhones en Afrique : quelques jalons théoriques

L’écriture postcoloniale est largement présentée dans la littérature scientifique comme une forme d’autotraduction (Rushdie, 1982; Ojo, 1986; Ashcroft et al., 1989; Bandia, 1996; Sévry, 1998; Tymoczko, 1999a; Gyasi, 2006). Buzelin (2005) précise que l’écriture postcoloniale représente une traduction aux sens sémiotique, culturel et linguistique, tandis que Bandia, à la suite d’Adejunmobi (1998) parle de « compositional translation » qu’il définit comme « the writing of African orature[2] in European languages » (2008, p. 167). Si l’on en croit Simon (2001), les productions textuelles hybrides constituent un processus de traduction volontairement incomplet, générées par des écrivains tenant à souligner leur position liminale, à cheval entre deux cultures. Évoquant le cas particulier de la littérature immigrante, Mihaela Moscaliuc (2006) qualifie pour sa part cette écriture de palimpsestique et propose le concept d’hypertextualité virtuelle, puisqu’aucun « texte » de départ en langue maternelle n’existe à proprement parler. Elle évoque le résidu culturel propre à ce type de littérature, que les écrivains affichent plus ou moins fort selon leur projet personnel – d’assimilation silencieuse à la société d’accueil ou d’affirmation de leur différence. On peut également faire valoir, à la suite d’Hokenson et Munson, que la mise à distance de la langue maternelle chez les écrivains bilingues renforce les attributs poétiques de cette langue intime. À propos du parcours d’écriture d’un auteur bilingue de la Renaissance, elles précisent : « [a]s Charles langue maternelle became more distant from the originary language of his youth, it also became more flexible, more easily apprehended as a poetic object » (2007, p. 56).

Les romans africains europhones témoignent de liens plus ou moins prononcés avec les littératures orales de leurs auteurs, bien que ces liens puissent prendre des formes extrêmement variées selon les auteurs et les régions. Cette « intertextualité » est conceptualisée par Bandia (2001) comme un dialogisme inversé entre vernaculaire et véhiculaire. Il fait néanmoins valoir, à la suite de Gérard (1986), que ce dialogisme ne s’est pas toujours construit sur le même terrain, selon le rapport au bilinguisme de chacun dans son contexte colonial particulier (Bandia, 2008). Il semble notamment que les écrivains africains anglophones aient puisé plus librement et plus tôt que leurs homologues francophones dans leur patrimoine littéraire oral et que ce phénomène soit attribuable à la politique linguistique de la Grande-Bretagne, qui ne s’est jamais opposée à la coexistence des vernaculaires et de l’anglais dans ses colonies. Toutefois, un tel constat ne vaut plus aujourd’hui : « linguistic experimentation or innovative formations are today frequent in both literatures » (ibid., p. 26). Si un consensus semble régner sur la teneur de cette hybridité, définie comme un processus de négociation entre un héritage oral africain et un patrimoine écrit européen tant dans l’espace anglophone que francophone (Bandia, 2001 et 2008; Igboanusi, 2002; Gyasi, 2006), l’angle sous lequel cette oralité est appréhendée dans les romans africains varie néanmoins sensiblement. Cette hétérogénéité requiert de faire un rapide tour d’horizon de la littérature scientifique avant de situer ma lecture personnelle du patrimoine oral dans le roman et sa traduction. En effet, l’oralité est tantôt abordée du point de vue sociolinguistique, tantôt du point de vue du genre narratif ou encore de la performance (dans son acception anglo-saxonne). L’oralité est toutefois plus rarement interrogée sur les plans de la rhétorique, voire de l’esthétique, ce qui constitue précisément l’angle qui m’intéresse. On doit néanmoins souligner qu’il serait problématique d’aborder l’une ou l’autre de ces catégories sans évoquer son rapport aux autres; on peut en effet difficilement aborder l’esthétique de l’oralité sans articuler ses ancrages social, linguistique et culturel.

Buzelin (2005) soutient que dans The Lonely Londoners (1956) de Samuel Selvon, la représentation littéraire du créole de Trinidad a une fonction identitaire, sociolinguistique, mais également esthétique. En décidant d’écrire l’intégralité de son roman dans une variété fortement inspirée de cette langue vernaculaire, Selvon cherchait à mettre en relief les qualités expressives et poétiques de celle-ci. Or « [c]e passage de l’oral à l’écrit ne va pas de soi. Explorer, au-delà du réalisme, le potentiel expressif d’un vernaculaire, parvenir à capturer à l’écrit ses rythmes, sa musicalité, ses intonations et à les inscrire dans un récit romanesque, suppose un minutieux travail de recréation[3] » (2005, p. 52). Dans le cas de The Lonely Londoners, l’expression de l’oralité correspondait à une esthétique de l’informel. Dans l’ouvrage de Julien (1992), l’oralité dans le roman est présentée comme une forme ou un genre narratifs. Elle examine ainsi trois genres majeurs, représentatifs de la narration orale en Afrique, soit l’épopée, le récit initiatique et la fable. Si le genre romanesque comporte des formes orales telles que proverbes, chants ou devinettes, Julien les voit comme topographiques plus que comme constitutives du genre (1992, p. 46) et n’approfondit pas la question de ces « topographies ». D’autres auteurs insistent plutôt sur la mise en scène de la parole et sur le rôle des narrateurs traditionnels dans les oeuvres de fiction africaine. Cet angle d’analyse correspond à une vision de l’oralité comme performance, que la critique anglo-saxonne définit comme un acte global de création, à la fois action et événement artistiques (Koné, 1993, p. 49). Lord (1974), s’inspirant des recherches de Parry, précise que le rôle du « performateur » ne se limite pas à reproduire une composition, mais qu’il est lui-même compositeur, donc créateur[4]. L’ouvrage de Koné (1993) est ainsi consacré à la place des « détenteurs de la parole artistique traditionnelle » et à leur discours dans le roman ouest-africain contemporain. L’auteur y met judicieusement en abîme la naissance du roman en Europe avec celle de son pendant africain. Il rappelle à ce propos que le recours aux traditions orales n’est ni nouveau ni propre au roman africain, et cite François Rabelais, Mark Twain, Gabriel García Márquez, Günter Grass, entre autres (Koné, 1993, p. 16). Bakhtine fut le premier, rappelle-t-il, à formaliser la notion de dialogisme en montrant concrètement les rapports entre roman et genres traditionnels (ibid., p. 60). Bakhtine avait notamment établi la notion de polyphonie du roman et présenté le genre romanesque comme « un phénomène plurilinguistique, plurilingue et plurivocal » (Bakhtine, 1978, p. 87). Si Koné n’aborde que très succinctement les problèmes d’écriture, Gyasi (2006) et Bandia (2008) insistent par contre sur ce phénomène d’autotraduction. Bandia souligne notamment la difficulté du passage du mode oral au mode écrit et présente cette transposition comme une perte :

Usually an oral production contains non-linguistic elements such as tone of voice, rhythm, music, gestures and facial expressions, which become important as the audience can actually capture the effects of these elements in a performance situation. […] [T]hese are all factors that are difficult to capture in a written text.

Bandia, 2008, p. 171

On ne peut s’empêcher de penser à l’angle sous lequel la traduction est bien souvent elle-même présentée, c’est-à-dire de manière à souligner les pertes plutôt que les gains par rapport à un original. Calame-Griaule (1963, p. 74) a néanmoins suggéré que le défi de transposer les qualités d’une composition orale à l’écrit correspondait précisément à celui que doit relever tout traducteur (citée par Bandia, 2008, p. 172).

La facette phonique de l’oralité est mise en avant par l’écrivain sud-africain Coetzee. Par la voix d’un de ses personnages[5], Coetzee avance que le roman africain est un roman oral, a priori oxymorique, qu’il éclaire néanmoins en suggérant que le roman africain est à première vue inerte lorsqu’il est couché sur la page, mais qu’il reprend vie lorsque la voix s’y engouffre et qu’il est lu à voix haute :

The African novel, the true African novel, is an oral novel. On the page it is inert, only half alive; it wakes up when the voice breathes into it, when it is spoken aloud.The African novel is thus, I would claim, in its very being, and before the first word is written, a critique of the Western novel, which has gone so far down the road of writing—think of Henry James, think of Proust[6]—that the only appropriate way in which to read it is in silence and in solitude.

Coetzee, 1999, p. 9

Coetzee n’est pas le seul à évoquer le volet sonore que comporte la notion d’oralité dans les littératures africaines, mais la question de l’actualisation du « sound of oral performance » (Gyasi, 2006, p. 52) dans les littératures africaines écrites est rarement approfondie. Or, ces notions de voix, de sonorité, de musique (voire de bruit) que l’on peut regrouper sous l’appellation de « dimension sonore » et qui relèvent de la mélopée telle que définie par Pound « wherein the words are charged, over and above their meaning, with some musical properties » (1954, p. 25) correspondent précisément aux caractéristiques de l’oralité retenues aux fins de cet article[7]. Les travaux de Paul Zumthor fournissent un éclairage essentiel sur la place de la voix dans le concept d’oralité. Dans Introduction à la poésie orale, Zumthor déplore l’absence d’une science de la voix qui fournirait pourtant à l’étude de la poésie orale une base théorique qui lui fait encore défaut (1983, p. 11). Il regrette notamment que les faits de culture orale aient été relégués à des spécialistes et dédaignés par les praticiens de la littérature (ibid., p. 21). Selon lui, le langage est impensable sans le son – une affirmation qui semble indiscutable en matière de rhétorique ou de poésie orales – et, loin de penser l’oralité par opposition à l’écriture, il souligne au contraire les nombreuses passerelles qui ont toujours rapproché compositions orales et écrites. Combien de poèmes écrits sont devenus des chansons? Combien de récits oraux « traditionnels » se retrouvent sous une forme écrite? Il est difficile et stérile de vouloir cerner l’origine d’une composition – et Paz serait vraisemblablement d’accord avec lui sur ce point. Zumthor souligne par ailleurs les mutations qui peuvent intervenir entre le mode écrit et le mode oral :

Un poème composé par écrit, mais « performé » oralement, change par là de nature et de fonction, comme en change inversement un poème oral recueilli par écrit et diffusé sous cette forme. Il arrive que la mutation demeure virtuelle, enfouie dans le texte comme une richesse d’autant plus merveilleuse qu’irréalisée : ainsi, de ces textes dont, en les lisant des yeux, on sent avec intensité qu’ils exigent d’être prononcés, qu’une voix pleine vibrait à l’origine de leur écriture.

ibid., p. 38

Zumthor suggère ainsi que le patrimoine poétique oral, lorsqu’il vient enrichir une composition écrite, incite à prendre en considération les sens de l’ouïe et de la voix et pas seulement celui de la vue. Gregory Rabassa, le traducteur américain de Gabriel García Márquez[8], souscrit également à la thèse de Zumthor, et va même un peu plus loin :

Ear is important in translation because it really lies at the base of all good writing. Writing is not truly a substitute for thought, it is a substitute for sound. […] So that when a person writes, he is speaking, and when a person reads, he is listening.

Rabassa, 1971, p. 82

Zumthor rectifie d’ailleurs une idée reçue en précisant que la poésie orale comporte davantage de règles que la poésie écrite et que celles-ci sont généralement plus complexes : « […] dans les sociétés à forte prédominance orale, [la poésie orale] constitue souvent un art beaucoup plus élaboré que la plupart des produits de notre écriture » (ibid., p. 80-81). Les procédés de composition poétique orale comportent la plupart du temps une règle phonique, une manipulation du donné linguistique qui contribue à provoquer ou à renforcer la rime, l’allitération, les échos sonores ou encore la scansion des rythmes (ibid., p. 140). Zumthor souligne d’autre part que ces jeux sonores « lorsqu’ils atteignent une certaine densité, […] influent sur la formation de sens » (ibid.), ce que Folkart souligne à son tour :

[I]t’s hugely erroneous to try and seal the cognitive and the emotional off from one another in leak-proof compartments. What gets called “the esthetic” is merely a special, high-intensity case of “the cognitive”. […] Poetry is not about being decorative: its language is anything but an ornamental overlay. Form is decorative only to the illiterate.

Folkart, 1999, pp. 31-32 et 33

La signifiance des sonorités dans la littérature postcoloniale a par ailleurs été mise en évidence par Tymoczko, qui l’a inscrite dans un paradigme plus large, celui de la traduction comme métonymie (Tymoczko, 1999b). En adoptant ce paradigme la traductrice ou le traducteur prend la responsabilité de mettre en relief les éléments qui caractérisent un texte au détriment d’autres aspects jugés moins motivés. Dans le cas de la littérature ancienne irlandaise, « sound based meanings are one aspect of the esthetic privileging of sound over sense in early Celtic poetics, a feature that has long been recognized in the critical literature » (Tymoczko, 1999b, p. 262). Folkart (2007) poserait sans doute cette équation en termes de valence[9] et de pertinence.

Caractéristiques de la poésie orale somalie

Aborder l’écriture de Nuruddin Farah, romancier somalien d’expression anglaise, dans cette perspective présupposait par conséquent d’examiner attentivement les caractéristiques de la littérature orale somalie. Il n’est pas inutile de préciser que les locuteurs de langue somalie ne sont pas confinés aux seules frontières de la Somalie et du Somaliland[10]. Ils sont non seulement présents dans toute la Corne de l’Afrique, mais aussi – à travers une importante diaspora – dans le monde occidental. L’article fera ainsi référence à la poésie somalie et non somalienne[11].

L’héritage littéraire oral somali se confond presque avec sa poésie; il s’agit d’une poésie versifiée d’origine pastorale, régie par des critères formels extrêmement stricts. Elle joue un rôle majeur dans la société et en constitue sa principale réalisation culturelle – et tout un chacun rêve de posséder les talents rhétoriques qu’elle présuppose (Andrzejewski et Lewis, 1964, p. 3). Tous les spécialistes de poésie orale somalie (notamment Andrzejewski et Lewis, 1964; Said S. Samatar, 1982; Andrzejewski, 1983; Johnson, 1988; Andrzejewski et Andrzejewski, 1993) ont insisté sur ses exigences formelles, notamment sur la règle allitérative et la scansion. L’art allitératif somali est présumé être très ancien; on le retrouve également dans les proverbes (y compris dans leurs formes archaïques), dans les invocations et les bénédictions (Andrzejewski, 1983, p. 71). « The most striking feature of Somali poetry, which can be noticed even by a person who does not know the language, is its alliteration, called in Somali higgaad[12] » (Andrzejewski et Lewis, 1964, p. 42). Ils précisent également que, si l’allitération peut porter aussi bien sur une voyelle que sur une consonne, la règle régissant les consonnes est de loin plus exigeante : la tradition veut en effet que l’allitération porte sur la même consonne tout au long du poème, ce qui peut se révéler épineux lorsque celui-ci comporte deux cents vers. Said S. Samatar souligne le problème que pose cette contrainte sonore au moment de la composition :

[T]he language of Somali verse shows a strong prejudice towards beauty. Vividness, clarity and precision of thought are prized but they are regulated by the rigid rules of alliteration. The choice of words depends as much on their sound as on their meaning. […] A poet, therefore, in his eternal search for alliterative sounds is tempted to go on an endless journey of word-hunting.

1982, p. 60

De leur côté, Andrzejewski et Lewis avancent que la contrainte allitérative entraîne souvent le poète dans un enchaînement purement acoustique qui peut induire des associations cognitives inattendues (1964, p. 43).

D’autres éléments formels caractérisent cette poésie, notamment sa métrique, dont les principes n’ont été théorisés que dans les années 1970 par deux chercheurs de la diaspora somalie, Cabdillaahi Diiriye Guuleed et Maxamed Xaashi Dhamac « Gaariye », qui se disputaient d’ailleurs jusqu’à tout récemment l’attribution de la découverte. L’unité de temps qui régit la versification somalie est la more et porte sur la longueur syllabique. On compte deux mores pour une voyelle allongée (ex. higgaad), et une seule more pour une voyelle courte. À partir de cette découverte, Johnson et Barker ont par la suite montré que la métrique était en outre compliquée par le fait que les poèmes sont souvent chantés[13] (Andrzejewski et Andrzejewski, 1993, p. 104). Pour un exposé approfondi sur la métrique et la scansion, on peut se reporter à Johnson (1988); pour une présentation détaillée de l’allitération et de la scansion, voir Andrzejewski (1983).

Au-delà des considérations prosodiques, les Somalis classent leurs poèmes en fonction de critères sociaux. Parmi les genres classiques, le buraambur est un poème court et moins complexe que les autres, il est composé par des femmes et pour des femmes, quoique l’on trouve parfois des hommes dans l’assistance.

Écouter les marqueurs sonores chez Farah

Bien que Nuruddin Farah soit généralement présenté comme un auteur africain moderniste, il échappe cependant aux stéréotypes des catégories considérées soit comme radicalement traditionnelles soit comme radicalement modernes :

Farah’s major works were written under the shadow of European and African modernism. […] His favorite African writers, whose works are constantly echoed in the early novels, are Soyinka and Ayi Kwei Amah, the great African modernists. Yet, […] there is an unusual conjuncture of tradition and modernity (used here as both cultural and literary terms) in his oeuvre. […] The constant invocation of Somali oral poetry in Farah’s very modernist novels is significant for two reasons. First, his constant appeal to the authority of oral culture calls attention to the limits of modernism itself in the representation of the labyrinthine world of African politics, a world in which distinctions between literacy and orality are not as clear-cut as they might first appear to be. […] [He] also valued the world of Somali oral culture both as an important source of formal materials for his works and as the possible basis of an identity.

Gikandi, 1998, pp. 754-755

Farah souligne d’ailleurs lui-même à quel point les performances orales de ses parents, ces « forgeurs de mots », ont joué sur sa plume romanesque :

I was a child apart, my parents two wordsmiths, in their different ways, each forging out of the smithy of their souls a creative reckoning of an oral universe. It was in deference to their efforts that I lent a new lease on life later to the tales told to me orally, tales that I worked into my own, all the more to appreciate them.

Farah, 1998a, p. 710

Il insiste notamment sur l’influence de sa mère, poète composant des buraambur à l’occasion des événements ponctuant la vie sociale de la famille comme les naissances, mariages et décès :

In an effort to get closer to my mother, or perhaps to bridge a chasm, I learnt as much of the oral tradition as I possibly could. […] I tried my hand at making up my own lyrics in Somali to tunes borrowed from the songs that were popular in those days.

Farah, 1998a, pp. 711-712

Dans une entrevue radiodiffusée sur les ondes de France Culture, Farah précise encore que ce sont les attentes déçues de sa mère – qui s’attendait à ce que son fils devienne un poète oral comme elle-même et son propre père – qui ont façonné son écriture romanesque :

J’ai reçu toute mon inspiration de ma mère. […] J’ai pensé que je devais écrire des livres que l’on puisse considérer comme un monument à la mémoire de ma mère. […] J’espère..., je pense que mon oeuvre est assez bonne pour servir d’éloge funèbre à une mère que j’aimais.

Farah, 1998b, CD n° 3

Philippe Sainteny conclut l’entrevue en faisant valoir que l’écrivain somalien écrit « une langue dans laquelle l’invention poétique le dispute constamment à la narration romanesque » (Sainteny, 1998, CD n° 3). Dès lors, il est clair que la distinction rigide entre genres (poétique ou romanesque) n’est sans doute pas le meilleur paradigme pour aborder le type d’écriture qui fait l’objet de cet article. Au contraire, cette langue mérite d’être étudiée pour ses caractéristiques esthétiques, telles que présentées plus haut, notamment sous l’angle des motifs allitératifs et rythmiques.

Les quelques extraits originaux présentés ci-dessous, mis en regard de leur traduction française, seront par conséquent examinés à partir d’un axe de lecture qui privilégie les patrons sonores. Ce mode de lecture permettra d’aborder la question de la signifiance du son et de souligner les défis que cette perspective ne manque pas de poser pour la traduction. Publié en 1981, Sardines[14] est le quatrième roman d’expression anglaise[15] de Farah et constitue le second volume de la trilogie intitulée Variations on the Theme of an African Dictatorship. La traduction française, parue sous le même titre (Sardines) aux éditions Zoé en 1995, a été réalisée par Christian Surber, qui a également signé la traduction des autres volumes de cette trilogie (Du lait aigre-doux [Sweet and Sour Milk], et Sésame ferme-toi [Close Sesame] publiés respectivement en 1994 et en 1997 par la même maison d’édition) et qui a traduit par ailleurs plusieurs autres ouvrages de fiction africains. La lecture en « rase-motte » (Berman, 1986, p. 102) du texte original de Sardines a permis de mettre en lumière toute une série de procédés formels audibles, notamment – et surtout – des allitérations, mais aussi des paronomases et de nombreux effets de scansion – autant de techniques qui exigent une subvocalisation, tout comme les jeux de mots qui reposent sur les sonorités (voir Henry, 2003, à ce propos). Les exemples qui suivent, présentant le texte de Farah (1992) suivi de la traduction française de Surber (1995), illustrent chacun un ou plusieurs dispositifs sonores.

And they were still in the water, the two of them out in the blue deeps of the Indian Ocean, and their Ubax splashing and playful in the shallows of safety.

Sardines, 1992, p. 207

Et ils étaient encore dans l’eau, tous deux au large dans les profondeurs bleues de l’océan Indien, et leur Ubax pataugeant et jouant dans les eaux peu profondes de la sécurité.

Sardines, 1995, p. 274

La version anglaise révèle – lors de la lecture à voix haute ou de la subvocalisation – une grande richesse de jeux sonores : on peut mentionner la présence de rimes internes en /oe/ (two, blue, Ubax) – qui sont considérées comme des allitérations de voyelles dans la poésie somalie – mais aussi, et surtout, le fait que la dernière partie de la phrase, splashing and playful in the shallows of safety, comporte plusieurs effets audibles, soit une accumulation de sifflantes (en /s/ et en /sh/ : still, splashing, shallows, safety) et une virelangue (splashing and playful in the shallows of safety), elle-même accentuée par les accents toniques placés sur tous les /a/ de l’énoncé (splashing and playful in the shallows of safety). Ce rythme suggère la petite fille qui joue tranquillement à s’éclabousser dans les vagues (on peut entendre le clapotis des mains d’Ubax à la surface de l’eau). Enfin, plus globalement, les allitérations chuintantes et sifflantes suggèrent le bruissement tranquille des vagues qui déferlent sur le sable (SHHH) avant de se retirer (SSSS). Si la proposition française de Surber n’est pas totalement dénuée d’effets sonores (rimes en « eu » : deux, bleues, peu; répétition de la fricative « j » : large, pataugeant, jouant), il est beaucoup plus difficile d’établir un lien entre les patrons sonores de l’énoncé français et les images évoquées dans le passage. D’autre part, les schémas allitératifs qui évoquent discrètement (dans la version anglaise) la principale caractéristique de la poésie somalie sont ici oblitérés, tout comme dans l’exemple suivant :

Duck at the buzz of the coming bullet; duck, my dearest, before a stray one gets you, duck and dodge.

Sardines, 1992, p. 32

Esquive le bourdonnement de la balle qui vient; esquive, ma très chère, avant qu’une balle perdue ne t’attrape, esquive et baisse-toi.[16]

Sardines, 1995, p. 48

Farah affiche dans cet énoncé un double réseau allitératif (en /d/ et en /b/) fortement perceptible. Ce réseau – consolidé par l’écho de la dentale /d/ à la fin de certains mots – produit un rythme très saccadé qui suggère le débit d’une mitraillette, renforçant la sémantique du passage en question. La version de Surber présente quelques allitérations (en /b/), mais les occurrences de la bilabiale sont toutefois nettement plus espacées et ne permettent plus d’évoquer le bruit de la mitraille. Globalement, le rythme de la phrase française suggère d’ailleurs plutôt celui d’une litanie. Le troisième fragment fonctionne globalement sur le même modèle que les deux précédents :

It certainly was not the first time she watched her friend filch the dream she had fleshed with inspired fantasies.

Sardines, 1992, p. 28

Ce n’était certainement pas la première fois qu’elle voyait son amie mettre en lambeaux le rêve que ses inspirations capricieuses avaient engraissé[17].

Sardines, 1995, p. 43

La version originale évoque, grâce au déploiement d’une architecture sonore complexe – allitérations en « f » et finales en « tch » ou « cht » – l’auto-flagellation à laquelle se livre Sagal, le personnage féminin dont il est ici question (l’alternance FFF – TCH suggérant des coups de fouet). Le défi était de taille pour Surber, qui livre pour sa part une version sifflante (/s/) qui évoque la sournoiserie silencieuse du serpent, ce qui n’est pas sans poser problème, puisque Sagal est au contraire caractérisée par sa franchise, sa spontanéité et sa volonté d’afficher au grand jour son opposition au gouvernement dans un contexte de dictature. Le dernier extrait illustre assez bien les richesses sonores et iconiques dont fait mention Berman (1999) dans son analytique de la traduction; plus précisément, ce passage montre dans quelle mesure la dimension sonore peut indirectement étayer la sémantique en passant par une interface iconique :

Would he forgive himself it he angered the woman who began him, the woman who begat him and gave him the loan of life?

Sardines, 1992, p. 71

Pourrait-il se pardonner s’il mettait en colère la femme qui l’avait conçu, qui l’avait engendré et lui avait accordé la vie?[18]

Sardines, 1995, p. 97

L’extrait original présente une étonnante cascade de paronomases (give/anger/began/begat/gave) ainsi qu’une série d’oppositions « pneumatiques » qui repose sur une alternance de syllabes expirées et inspirées (he/who et who/him) et, enfin, une courte suite allitérative qui, pour être brève, s’entend néanmoins distinctement étant donné la proximité de loan et de life dans la phrase. L’enchaînement paronomastique renforce bien la succession logique des faits et souligne la redevance de Samater envers sa mère, redevance dont celle-ci abuse tout au long de l’histoire. Cet enchaînement sonore appelle à son tour une autre dimension, que Berman appellerait sans doute iconique. Il suggère en effet, telle une suite logique, un emboîtement de matriochkas, dont Samater représenterait la dernière petite poupée enfermée et étouffée dans une succession de carcans. Les oppositions pneumatiques signifient à deux niveaux : elles évoquent d’une part, dans leur logique d’inspiration-expiration, le souffle de la vie, mais aussi, dans leur alternance rythmique, les pulsions du muscle cardiaque, l’ensemble concourant à suggérer le don de vie dont il est question dans ce passage. Enfin, il serait dommage de ne pas souligner la valeur répétitive[19] de cette série paronomastique, la répétition étant une caractéristique propre à l’art oral (Zumthor, 1983; Bandia, 2008). Cette double dimension sonore et iconique n’est pas perceptible dans la version de Surber qui semblait cependant avoir amorcé une série de répétitions du son « é », patron sonore qui aurait pu suggérer à la fois un procédé poétique de reprise anaphorique et la juxtaposition propre à l’énoncé oral, en jouant sur l’analogie sonore entre la finale « é » et la conjonction de coordination « et ».

Perception et traduction du son : une élaboration théorique en cours

La discussion qui fait l’objet de cette dernière partie a une valeur essentiellement prospective, dans la mesure où elle constitue l’axe de réflexion d’une recherche en cours[20] et où elle s’inscrit dans un débat récent en traductologie. En effet, si l’on en croit Fraser (2007), la traduction de schèmes sonores manquerait encore d’un appareil théorique. Certes, Meschonnic avait bien proposé d’ériger le rythme comme principe de traduction en posant ce « rythme comme signifiance et signification » (1973, p. 425). Il avait notamment soutenu que : « [l]’hypothèse est que le rythme (à la fois prosodie et rythme, intensité, souffle et geste) est plus porteur de sens que le signifié lui-même » (ibid., pp. 269-270). À son tour, Berman avait soulevé, dans son analytique de la traduction (1999), la question de la destruction des richesses sonores ou iconiques. Cependant, aucun des deux traductologues n’a réellement théorisé la problématique du son dans une perspective traductive.

Les recherches de Fraser viseraient ainsi à contribuer, du moins en partie, à une meilleure conceptualisation des différentes catégories de traduction de patrons sonores. Dans cette optique, il s’appuie sur les deux modes de lecture conceptualisés par Northrop Frye. Si l’on en croit Frye, toute lecture est à la fois centrifuge et centripète. Le premier mode de lecture, centrifuge, met l’accent sur le signifié et renvoie à l’aspect fonctionnel de la lecture – la collecte d’information; le second, centripète, nous fait « plonger » au coeur du noyau sensoriel, c’est-à-dire actualise la lecture dans sa dimension sonore (Frye, 1957, p. 73). Fraser rappelle cependant que Saussure posait le paradigme exactement inverse, présentant les patrons sonores du signe verbal comme une enveloppe extérieure et le signifié comme intérieur conceptuel (2007, p. 133). La question ne semble donc pas tranchée quant à la conceptualisation de l’actualisation du son (immédiate, différée ou simultanée? extérieure ou intérieure?). Cela dit, l’un ou l’autre mode prévaut selon la motivation qui sous-tend la lecture : s’il s’agit de collecter de l’information, le mode centrifuge aura préséance; mais si les jeux de langue constituent l’enjeu de la lecture, c’est le mode centripète qui primera, et – avec lui – la dimension sonore des structures verbales (Frye, 1957, pp. 73-74). Spontanément, on pourrait être tenté d’avancer que le genre romanesque fait plutôt appel à un mode de lecture centrifuge[21]. Néanmoins, il serait assez difficile, voir contradictoire, de prétendre que l’écriture de Farah peut se décoder en marge d’une lecture centripète; au contraire, je suggère que ce mode de lecture est tout particulièrement activé et qu’il a également des répercussions sur les stratégies de lecture et de réécriture que présuppose la traduction de ce type de littérature.

Les exemples de Farah et de Surber présentés plus haut illustrent une catégorie de traduction que Fraser intitule « cratyléenne[22] », dans la mesure où le texte est abordé comme ayant une unité de sens et de son. Cette vision cratyléenne ne repose pas sur un principe de motivation du langage comme fait, mais plutôt sur une motivation poétique. Folkart rejoint Fraser et Frye sur le principe de la motivation référentielle du son en littérature[23] et illustre sa prise de position de la manière suivante :

It’s the acoustic texture of Yeats’s elegy, the way line 21 repeats the vowel sounds of line 2, that makes a statement about time passing, or rather shows time passing, and what it does to us. Poetry is a way of being in the world, and making meaning of it.

Folkart, 1999, p. 34

D’autres études ont examiné les relations que le contenu référentiel entretient avec son enveloppe phonique. La capacité des patrons sonores à renforcer ou à nier les signifiés dans le genre romanesque a été notamment soulignée par Gregory Rabassa, qui rappelle que la perception auditive est subjective[24], mais affirme que le traducteur ne peut l’ignorer, tant au stade de la lecture qu’à celui de la réécriture :

[W]hat we appreciate in writing is much the same as what we look for in rhetoric […] –sound, whether heard or imagined; sound which can either enhance or detract from the meaning. The translator with a tin ear is as deadly as a tone-deaf musician. […] He must have a good ear for what his author is saying and he must have a good ear for what he is saying himself.

Rabassa, 1971, pp. 82 et 85

Les recherches de la linguiste Françoise Skoda (1982) à propos de ce phénomène qu’elle qualifie de « redoublement expressif », semblent indiquer que ce procédé motivé est universel[25]. Skoda met notamment en évidence comment chaque langue peut exploiter les ressources potentielles d’une telle pratique. Au stade de la traduction, on peut avancer que ce redoublement expressif pose un véritable défi, peut-être moins de l’ordre de la faisabilité d’ailleurs, que du fait du manque d’attention portée aux structures sonores par les théoriciens de la traduction, du moins dans le genre romanesque. Les extraits présentés ci-dessus visent ainsi à ouvrir un débat afin de mieux explorer comment les patrons audibles de ce type de texte peuvent être conceptualisés, que ce soit dans une optique cratyléenne ou non, à partir du concept plus large de motif sonore.

Conclusion

Décider de tenir compte des patrons sonores lors de la traduction d’une oeuvre romanesque africaine europhone revient à dire deux choses. D’une part, c’est reconnaître l’ancrage de l’oeuvre et du regard sur l’oeuvre dans l’espace social et le temps historique (Buzelin, 2005, et Tymoczko, 1999b, à la suite de Bourdieu, 1992) et prendre la responsabilité de mettre ces patrons-là en relief (Tymoczko, 1999b), dans la mesure où ils participent d’un héritage oral qui informe le texte. D’autre part, c’est percevoir et identifier certains romans africains comme oeuvres poétiques, et leur accorder les outils de lecture et de recomposition traditionnellement mis en oeuvre dans la traduction de textes à valeur poétique, autrement dit, tendre la même oreille à un splashing and playful in the shallows of safety qu’à un full of sound and fury. Meschonnic et Dessons (2005) ont raison de souligner que la distinction occidentale entre prose et poésie – en apparence évidente et universelle – est aussi confuse que durable (elle remonte à Aristote). Poser comme seuls critères poétiques la métrique et les vers constitue une grave erreur, poursuivent-ils. D’une part, tout texte versifié n’est pas poésie; d’autre part, le rythme n’est pas dépendant de la seule métrique. Jacques Roubaud se contredisait en affirmant : « Il n’y a pas de rythme dans la prose. Il n’y a pas de rythme sans mètre et il n’y a pas de mètre dans la prose. » (Roubaud, 1995, p. 223). En énonçant cet apparent principe, Roubaud est pris en flagrant délit : la reprise anaphorique « il n’y a pas de », et les paires rythme/prose, rythme/mètre et mètre/prose induisent au contraire une prosodie flagrante. À la suite de Finnegan (1977), Zumthor abonde dans le même sens en soulignant que l’opposition entre prose et poésie n’est pas valide pour la performance orale en Afrique (1983, p. 170).

Enfin, c’est autour du concept de performance, tel que présenté au début de cet article, que l’on pourrait élaborer un paradigme de lecture et de traduction adapté à certaines littératures africaines europhones. À partir de l’idée de traduction métonymique de Tymoczko évoquée plus haut, il semble intéressant de proposer le concept de traduction comme performance. Manifestement, le concept d’équivalence ne tient pas la route en matière de littératures postcoloniales (voir Robinson, 1997; Venuti, 1998; Niranjana, 1992, entre autres), puisque cette approche tend à nier la spécificité et l’hybridité du texte source et envisage les univers de départ et d’arrivée comme monolingues et clos. Loin de constituer un processus mimétique, fondé sur l’équivalence, la performance s’inscrit davantage dans l’idée de recomposition, de recréation à partir de certains éléments d’une ou plusieurs oeuvres chronologiquement antérieures. Cette position traductive n’est ni originale, ni nouvelle, mais elle semble bien fonctionner dans ce contexte. Folkart pose ainsi que « [t]he thinking translator does as (not what) the source-language author did » (1991, p. 89), tandis qu’Hokenson et Munson (2007) évoquent le paradigme de traduction en écho[26]. Cette conceptualisation semble pertinente, tout au moins pour le cas particulier que constitue l’oeuvre romanesque de Nuruddin Farah. L’exemple que fournit Bandia à propos de la traduction d’un passage d’Achebe, où les traducteurs Almeida et al. choisissent d’actualiser l’onomatopée « lick, lick, lick » avec la suite allitérative « lécher les louches » (Bandia, 2008, p. 198), c’est-à-dire en privilégiant l’axe sonore, illustre également le paradigme évoqué ci-dessus. L’« idée » du liquide coulant sur le menton des femmes est suggérée au moyen d’une technique différente, mais qui fonctionne de manière similaire, tout en restant dans le registre sonore. La notion d’écho joue d’ailleurs sur deux niveaux : elle illustre, d’une part, le lien entre patrimoine oral et littérature africaine europhone et, d’autre part, celui entre texte de départ et traduction, celle-ci pouvant se lire comme un double écho, à la fois du métatexte oral (Tymoczko, 1999a) et de la mise en texte de l’écrivain. C’est dans ce cadre de traduction-performance, de traduction en écho, que le concept de traduction cratyléenne du son avancé par Fraser pourrait constituer un potentiel à explorer en matière de littératures postcoloniales : « [t]he cratylian translator would be receptive to the vectors of signification implicit in the text’s pattern of vocal sound » (Fraser, 2007, p. 183). La reconstruction de ces vecteurs de signification pourrait s’appuyer sur des techniques similaires à, ou différentes de, celles utilisées par l’écrivain, tant que les schémas sonores inspirés du métatexte se réalisent dans la version traduite. L’étude d’un corpus plus vaste, avec d’autres combinaisons de langues[27], permettrait de déterminer dans quelle mesure ce vecteur de signification a droit de cité dans le cadre de la traduction des littératures africaines europhones.