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VOIX ET IMAGES Pour commencer, j’aimerais que vous parliez un peu de votre parcours, de votre évolution en tant qu’écrivaine. Qu’est-ce qui a suscité en vous le désir d’écrire ?

FRANCE DAIGLE Je pense que ce n’est pas nécessairement un accident, mais un peu quand même. Quand je songe aux formes d’art qui étaient disponibles quand j’étais jeune, l’écriture était la plus commode. C’était quelque chose qu’on apprenait à l’école, et mes parents nationalistes croyaient à l’importance de bien parler et de bien écrire le français. D’autant plus que mon père était lui-même journaliste et qu’il valorisait énormément la langue française.

VOIX ET IMAGES Il vous a encouragée à écrire ?

FRANCE DAIGLE C’était presque une obligation pour nous, les enfants, de savoir bien parler et bien écrire le français. On avait conscience qu’à l’école, le français était une matière importante et qu’il fallait bien l’apprendre. Pour moi, ça ne posait pas un gros problème. Je ne sais pas si c’est un hasard ou pas, mais j’aimais la grammaire, j’aimais les constructions de phrases et ce qu’on appelait l’analyse grammaticale, comme diviser une phrase en propositions principale, subordonnée et tout ça. Pour moi, c’était aussi logique que les mathématiques. Alors, disons que j’ai acquis un certain bagage. J’ai voulu faire du cinéma. C’est sans doute la forme d’art qui, par la suite, m’a le plus attirée. J’ai même écrit quelques scénarios que j’espérais voir portés à l’écran.

VOIX ET IMAGES Et cela n’a jamais abouti ?

FRANCE DAIGLE Non. Ç’aurait peut-être abouti si j’avais persisté, mais je trouvais ça vraiment trop long et compliqué. Tout le processus dépend de beaucoup trop de gens. Faire un film, ça suppose une trentaine de personnes environ, tandis qu’une seule personne peut écrire un livre, même si, à la limite, l’éditeur et le correcteur lui feront part de leurs suggestions. Ce n’est pas du tout la même expérience. Donc, je me suis rabattue sur l’écriture. Je peux dire que j’y prends maintenant un réel plaisir, ce qui n’a pas toujours été le cas. Souvent, j’avais l’impression d’écrire tant bien que mal. Je pensais aussi que ce désir me passerait ! Je croyais qu’un jour je n’aurais plus besoin d’écrire, que je serais arrivée au bout de cette chose-là. Mais ce sentiment s’est effacé avec mes deux ou trois derniers livres.

VOIX ET IMAGES Ça se voit d’ailleurs dans vos premiers textes, qui sont beaucoup plus difficiles d’accès. Maintenant que j’y retourne, après avoir lu les derniers, j’y redécouvre une foule de choses qui étaient déjà présentes dans ces textes-là, mais y restaient cachées sous la densité de l’écriture.

FRANCE DAIGLE C’est probablement aussi dû au fait de prendre de l’âge ; l’expérience aide à faire la part des choses et à mieux choisir ce qu’on veut dire.

VOIX ET IMAGES Parlons un peu de votre rapport à la langue. C’est dans Pas pire que le « chiac » fait sa première apparition, n’est-ce pas ?

FRANCE DAIGLE Oui, mais il est à peine présent. Et puis, en écrivant le livre suivant [Un fin passage], j’étais un peu découragée parce qu’il y revenait encore. Mais dans mon dernier roman, Petites difficultés d’existence, le chiac me paraît une bonne chose, car il tombe juste. Et pour ce qui est du prochain livre, c’est comme si je n’y résistais plus, ou presque plus…

VOIX ET IMAGES Vous avez éprouvé une sorte de résistance en utilisant le chiac ?

FRANCE DAIGLE Absolument, oui. Parce que je me gardais d’écrire en chiac. Pour moi, c’était loin d’être un idéal. Ce n’est pas par hasard qu’il n’y a pas de dialogues dans mes premiers livres. Je trouvais que les dialogues en français standard sonnaient un peu faux et je ne voulais pas écrire en chiac. C’était déroutant et j’ai fini par évacuer la question en évitant les dialogues. Aujourd’hui, je ne peux pas dire que je suis entièrement à l’aise avec la question du chiac, et ce pour différentes raisons, mais il est sûr que quelque chose est en train de se tranquilliser de ce côté-là pour moi. Par exemple, je viens de lire un livre dont le personnage principal est un Arabe vivant à Paris. Aucun des mots arabes ou anglais n’est mis en évidence, n’est différencié du français par des guillemets, des italiques ou des parenthèses : tout cela forme la langue de ce livre-là. Moi, je n’aurais jamais pensé faire ça ! Ce qui indique que, pour moi, il y a encore dans cette question de langue des divisions, que mes trois langues ne forment pas encore un seul flot. J’ai encore beaucoup de livres devant moi pour résoudre ça…

VOIX ET IMAGES Je me demande dans quelle mesure le chiac est ludique pour vous et aussi dans quelle mesure il prend un aspect revendicateur, comme chez Gérald Leblanc par exemple.

FRANCE DAIGLE En tant que francophone à Moncton et Acadienne en Amérique, je trouve qu’utiliser un mot anglais lorsqu’on connaît bien le mot français équivalent est une perte et non un gain. Car on bâtit, on renforce sa langue en la parlant, en l’utilisant. C’est pour ça que j’ai des résistances à écrire en chiac, même si, d’une autre manière, je peux le trouver ludique aussi. Après tout, le chiac est une langue qui puise à plusieurs sources, d’où son intérêt, sa richesse — dont, en tout cas, j’essaie de me convaincre [rires].

VOIX ET IMAGES Pour en revenir à l’ensemble de votre parcours d’écrivaine, y voyez-vous des livres qui peuvent être regroupés ?

FRANCE DAIGLE Eh bien, les trois premiers [Sans jamais parler du vent, Film d’amour et de dépendance, Histoire de la maison qui brûle] forment une suite, une trilogie, probablement parce qu’ils sont clairement une sorte d’exploration de la forme. Cette exploration a continué avec les autres livres, Variations en B et K et La beauté de l’affaire. Puis, avec La vraie vie, j’ai essayé d’aller plus loin, de passer au roman proprement dit. Même si la forme est encore très visible, au moins les pages sont pleines et on ne dit plus : « Ah, ben, c’est de la poésie. » Il y a autre chose qui s’y est glissé.

VOIX ET IMAGES Le cinéma, par exemple, n’est-ce pas ?

FRANCE DAIGLE Oui. Disons que cela m’est venu comme un film, mais le processus cinématographique étant ce qu’il est, j’ai décidé de l’écrire comme un livre, un peu pour me faire plaisir à moi-même. Peut-être que le premier roman proprement dit, c’est 1953. La vraie vie serait un entre-deux. Personnellement, je considérais aussi mes textes précédents comme des romans, mais je comprends que les gens ne les aient pas vus comme ça. Les trois derniers livres [Pas pire, Un fin passage, Petites difficultés d’existence] et celui que je suis en train d’écrire présentement forment un autre ensemble, une espèce de suite, mais pas à tous points de vue. Le roman en cours, par exemple, constitue une sorte de suite aux précédents dans le sens qu’il s’articule autour d’une forme précise, le cube cette fois, constitué de 12 unités par côté, donc 12 (hauteur) x 12 (largeur) x 12 (profondeur), pour un roman qui comptera 1728 passages, le chiffre 12 multiplié par lui-même étant un symbole de plénitude. On y retrouve aussi des personnages issus des romans précédents qui y continuent tout simplement leur vie. Mais ce roman est différent en raison de la dimension du projet, qui laisse beaucoup de place au déploiement d’une matière autre que le vécu des personnages. Beaucoup de liberté donc, beaucoup de terrain à digression, beaucoup de coupes, de découpes et de recoupements. Et je commence à croire que le véritable propos du roman se situe surtout dans ces espaces que n’occupent pas les personnages. Enfin, ça reste à voir.

VOIX ET IMAGES Quant à ces personnages qui réapparaissent d’un livre à l’autre, existe-t-il un principe qui motive cette démarche ?

FRANCE DAIGLE Pas vraiment, non. Je constate que les gens réagissent bien à Terry et Carmen, et moi-même, je découvre avec eux une sorte de légèreté. Tant qu’ils seront là…

VOIX ET IMAGES Ce que je trouve intéressant dans cette suite de personnages, ce sont les noms propres, surtout ceux des personnages récurrents : Hans traverse plusieurs livres, Élizabeth figure dans au moins deux, La vraie vie et 1953, puis il y a Claude, Terry et Carmen et, enfin, Claudia. Comment ces prénoms vous viennent-ils à l’esprit ?

FRANCE DAIGLE Je ne fais pas de grande recherche pour les prénoms. Il me semble qu’un nom sonne bien, vous savez, et c’est à peu près ça. C’est drôle à dire, mais je trouve qu’il y a beaucoup de choses dans mes livres qui sont un peu approximatives. C’est comme si dans le plaisir d’écrire, je n’avais pas envie de perdre du temps à chercher la perfection. Donc, quand j’ai besoin d’un nom, j’y pense deux minutes puis je me dis : « Ah ! ce nom-là, c’est bon assez. » Je n’ai pas de théorie pour dire que celui-ci s’appelle un tel parce que… Sauf pour Claude, parce que là, il y avait une raison, une petite raison.

VOIX ET IMAGES Quelle est alors cette petite raison ?

FRANCE DAIGLE Ce nom vient du latin claudus, ce qui veut dire boiteux, d’où claudiquer, c’est-à-dire boiter. Et Claude est un personnage dont on peut se demander s’il marche droit ou non. Je pense que c’est surtout ça. La chose est que… je commence à oublier d’un livre à l’autre exactement ce que j’y mettais.

VOIX ET IMAGES Quant à Claude, il y a aussi l’ambiguïté sexuelle.

FRANCE DAIGLE Oui, dans d’autres livres aussi. C’était là dès le départ, dans Sans jamais parler du vent.

VOIX ET IMAGES Y a-t-il une raison pour cette ambiguïté ?

FRANCE DAIGLE Il est sûr que moi, quand j’ai commencé à écrire, je trouvais la question du genre embêtante au niveau de l’écriture. Vraiment, j’aimerais qu’on soit anglophone pour cette raison-là ! [Rires] Je trouve que cette précision du genre charrie des clichés. Déjà dans mon premier livre, je mettais « ceux/celles ». Ce n’était pas juste par principe. À cette époque-là, je sentais vraiment qu’on ne pouvait rien tenir pour acquis. Et cela a continué, à des degrés divers. Par exemple, dans 1953, où je parle d’écriture, je dis « le romancier » au lieu de « la romancière » en sachant très bien que je parle de moi. Quelqu’un m’a dit : « Pourquoi t’as fait ça ? » Eh bien, parce que dans le contexte, dire « la romancière » aurait faussé le portrait ; j’ai donc gardé le masculin. La question du genre est particulièrement fatigante. Il faut sans cesse déjouer les clichés, les choses typées dans le langage. La question de l’homosexualité revient aussi dans plusieurs livres. Pour moi, l’homosexualité et la question des genres ne sont pas tout à fait sur le même pied, mais c’est un petit peu la même sorte de problème des types et des stéréotypes. J’aime laisser de l’ambiguïté. L’idée n’est pas de définir exactement les choses ; parfois il suffit de laisser planer les possibilités.

VOIX ET IMAGES J’aimerais que vous parliez encore un peu des femmes, si vous voulez bien. Dans Pas pire, le personnage de Bernard Pivot demande à l’écrivaine qu’il est en train d’interviewer si elle est féministe. Je me demande si la réponse est seulement celle de la protagoniste ou si c’est aussi la vôtre ?

FRANCE DAIGLE La réponse est que…

VOIX ET IMAGES « Comment ne pas [l’]être pour le bonheur des femmes autant que pour celui des hommes, des enfants, des vieillards… » [Pas pire, 149].

FRANCE DAIGLE Oui, pourquoi pas… On l’est forcément. Si vous êtes une femme aujourd’hui, il est presque impossible de ne pas être féministe ; le contraire me paraît inconcevable.

VOIX ET IMAGES Pourquoi inconcevable ? Pourriez-vous développer votre réponse un peu ?

FRANCE DAIGLE Je ne pense pas que le féminisme recouvre autre chose que l’exigence de reconnaître que les hommes et les femmes ont absolument des droits égaux, et que tout aménagement politique, économique ou social doit refléter ce fait fondamental. En fin de compte, cela signifie que pour se développer en tant qu’individus et en tant que citoyennes et citoyens à part entière, les unes et les autres doivent jouir de moyens égaux, ou, si vous voulez, de moyens adaptés à leurs différences. C’est peut-être l’éducation qui a rendu ce fait si évident qu’il est devenu, de nos jours, une simple question de bon sens.

VOIX ET IMAGES Dans ce contexte, je pense à certaines féministes québécoises qui ont été beaucoup influencées par la psychanalyse. Dans vos livres, la psychanalyse apparaît ici et là, mais son importance n’est pas du tout la même.

FRANCE DAIGLE Il me semble que, de nos jours en tout cas, on n’a pas besoin de bases psychanalytiques pour parler de féminisme. Il y a eu des gains dans ce sens-là, et on vit plus librement. Je ne crois pas que mes petites connaissances de la psychanalyse aient beaucoup influencé mes réflexions sur ma situation de femme. C’est la vie elle-même qui m’y a poussée.

VOIX ET IMAGES Si la psychanalyse ne joue pas un grand rôle dans vos textes, c’est tout le contraire en ce qui concerne l’astrologie et le Yi King. Est-ce que vous voudriez expliquer ces intérêts-là ?

FRANCE DAIGLE C’est un peu pour m’amuser tout ça. Il y a sans doute des gens qui diront : « Ce n’est pas moi que ça amuse », mais moi… Tenez : je vais à l’hôpital, j’attends, je tombe sur une revue (elle n’est évidemment pas du mois courant !), je vais aller lire l’horoscope. Juste pour rire, quoi ! Sans le prendre au sérieux, on aime lire malgré tout. Pour moi, c’est une forme primitive de psychanalyse, si vous voulez, parce qu’on lit ça par rapport à soi-même. C’est une sorte de miroir de ce qu’on est ou de la direction dans laquelle on s’en va. Bien sûr, c’est léger, on peut en prendre et en laisser. Dans mes livres, cela me permet de prolonger un peu la réflexion sur les personnages sans tomber dans la grosse psychologie qui, au fond… Je ne sais pas si elle a beaucoup plus de réponses. Et cela m’emmène sur une autre piste. Je n’ai jamais pensé pouvoir écrire un roman où les personnages auraient une constitution psychologique tout à fait cohérente, développée, avec un semblant de profondeur. Je n’ai jamais pensé pouvoir faire ça. En fait, créer de fines psychologies ne m’intéresse pas vraiment. Je dessine tout ça à gros traits avec, ici et là, de menus détails.

VOIX ET IMAGES Quand vous faites des recherches pour vos livres, disons des recherches sur le Yi King que vous utilisez dans Petites difficultés d’existence et ailleurs, comment procédez-vous ?

FRANCE DAIGLE Le Yi King, je le connaissais. À un moment donné, je le pratiquais même. En fait, je l’ai ressorti parce que je voulais encore parler des jours dans ce roman. Dans Un fin passage, je parlais des différents jours de la semaine, et je voulais continuer un peu dans ce sens-là, parler de la vie au jour le jour. Et puis j’ai pensé au Yi King. En fait, j’ai écrit Petites difficultés d’existence à partir des résultats obtenus en faisant le Yi King. Il y avait là-dedans aussi une sorte de petit défi, à savoir : « Bon, tu vas voir à matin c’est quoi ton prochain chapitre, pis arrange-toi pour te rendre ! », vous comprenez ? C’était amusant. Je ne dis pas ne pas avoir triché un peu, mais pas beaucoup, je dois dire ! C’était surprenant de voir comment tout pouvait s’enchaîner. Le Yi King est aussi une sorte de miroir de soi-même. On peut y lire tout ce qu’on veut.

VOIX ET IMAGES Et le rôle du hasard dans tout ça ? Le hasard qui joue un si grand rôle dans vos textes ?

FRANCE DAIGLE Je crois au hasard en ceci que je me laisse vivre comme dans l’expression « Go with the flow ». Vous savez, dans ce sens-là, les choses qui arrivent, quelles qu’elles soient, c’est ça mon matériel. Tout ce qui se passe, ce qui est aujourd’hui, c’est mon matériel. Inutile alors de résister. Des fois, j’ai l’impression d’improviser quand je m’assois le matin à ma table de travail. Je pars un peu sur n’importe quelle idée, sur un détail quelconque, et j’écris, je découvre où ça mène. Et le lendemain, je recommence. Je pense que c’est ça la création : être libre, se sentir libre d’aller où cela veut aller. Être pris dans l’idée qu’on se fait d’un livre, ce n’est pas de la création. La création ne peut pas être préconçue ; elle est « ce qui va sortir aujourd’hui et ce qui va sortir demain et la manière dont tout ça va s’assembler ». Pour moi, c’est ça le plaisir. Si je savais d’avance ce qu’il faut que j’écrive, alors là, mon Dieu ! comme ce serait ennuyeux !

VOIX ET IMAGES Vous avez commencé à parler de votre méthode de travail, du caractère spontané et imprévisible de l’écriture. Est-ce qu’il y a autre chose — des conditions matérielles particulières — dont vous avez besoin pour écrire ?

FRANCE DAIGLE D’un certain climat de tranquillité, dans le sens qu’il ne faut pas qu’il y ait trop d’énervement alentour. Si un jour je reçois un chèque, j’ai de la misère à travailler parce que là, il faut que j’aille à la Caisse, il faut que je touche mon chèque et que je règle les paiements en suspens. Il faut que rien ne presse, que rien ne crie pour être fait. Ce qui est bien aussi, c’est le fait que je ne vole le temps à personne : il m’est devenu légitime d’écrire. C’est mon travail. Et là je me dis : « Mon Dieu, c’est merveilleux de se sentir comme ça ! » À part ça, ça ne prend pas vraiment grand-chose : un ordinateur, des livres. Quant aux livres, on dirait qu’ils finissent par me tomber entre les mains, ou alors je finis par tout simplement me servir de ceux qui sont autour de moi. Non, ça ne prend pas tant de choses que ça, vraiment.

VOIX ET IMAGES Et après le premier jet, y a-t-il une réécriture ?

FRANCE DAIGLE Eh bien, avec le chiac ça demande parfois des rajustements. Des fois, je me rends compte d’avoir écrit quelque chose d’une certaine manière et, cinquante pages plus loin, je me dis que cela aurait dû s’écrire d’une autre manière. C’est de la correction, vraiment. Dans le contenu, je ne change jamais grand-chose. D’ailleurs, ça me fascine moi-même de voir comment ma façon de travailler n’exige pas beaucoup de réécriture.

VOIX ET IMAGES Comment coordonnez-vous votre écriture avec votre travail à Radio-Canada ?

FRANCE DAIGLE Ah ! ben, je travaille de moins en moins à Radio-Canada. [Rires] Voilà le secret ! Je suis en congé depuis presque deux ans, et j’ai reçu une bourse de vingt-mille dollars pour chacune de ces années, l’une du Conseil des Arts du Canada et l’autre du Conseil des Arts du Nouveau-Brunswick — j’en profite pour faire un peu de publicité ! C’est sûr que ça crée un climat favorable, idéal même. Je n’ai pas à me demander comment je vais survivre le mois prochain, j’ai seulement le devoir d’écrire. Pour moi, en ce moment, c’est merveilleux. Ça me permet, entre autres, d’envisager un ouvrage assez volumineux. D’ailleurs, la grosseur de mes livres correspond un peu au temps que j’avais pour les écrire.

VOIX ET IMAGES Bien que vous disiez être agoraphobe — ou vous le faites dire à votre protagoniste dans Pas pire —, le voyage occupe une place importante dans plusieurs de vos textes.

FRANCE DAIGLE C’est très étrange toute cette histoire-là. J’ai voyagé, j’ai aimé ça, je suis revenue. Ensuite, pour une raison ou pour une autre, c’est comme si je ne pouvais plus voyager, au moins pas seule. Parce que si je suis accompagnée, ça peut aller. Non pas que j’irais au fond de la jungle, mais je peux quand même faire des voyages. Le voyage est pour moi un peu la même sorte de liberté que je ressens quand j’écris. Je crois que les gens en voyage goûtent chaque jour à cette expérience de liberté. Je vois le voyage comme une liberté et un enrichissement. Moi, je suis curieuse, beaucoup de choses attirent mon regard. J’aime connaître, j’aime comprendre et les voyages sont riches dans ce sens-là. Comme les livres, d’ailleurs. Donc, je mets tout cela dans la même catégorie, vous comprenez : liberté, connaissance, plaisir.

VOIX ET IMAGES Et quête ?

FRANCE DAIGLE Et quête, oui. Mais là, ça devient plus délicat. Pendant longtemps, je croyais que le voyage était la principale manière de réaliser ma quête. À présent je vois que tous les moyens sont bons pour vivre la quête, cela n’a pas besoin de passer par le voyage.

VOIX ET IMAGES Je pense surtout à ces personnages qui sont constamment en train de voyager et, chez certains, on a l’impression qu’il s’agit vraiment d’une quête identitaire.

FRANCE DAIGLE Dans mon prochain livre, il n’y a pas du tout de voyages, ou très peu. Cela va avec ce que je vis. Il y a donc quelque chose qui s’est tranquillisé à ce sujet. La quête se transforme, se manifeste autrement.

VOIX ET IMAGES Qu’est-ce qui vous a donné l’idée de vous mettre en scène, dans 1953 d’une certaine manière et dans Pas pire d’une autre manière ? Est-ce parce que l’écriture autofictionnelle est à la mode ?

FRANCE DAIGLE Non. J’aurais même préféré ne pas le faire [rires], justement pour ne pas entendre dire : « Ah ! ben, c’est une mode. » Dans 1953, je m’étais donné le défi d’aller voir ce qui s’était passé l’année de ma naissance. Je ne me suis pas nommée dans le livre, mais j’en ai nommé d’autres, par contre. En tout cas, tout en me mettant en scène, je voulais surtout créer la scène, recréer l’univers de 1953. Dans Pas pire, le livre qui a suivi, je me suis par contre entièrement mise en scène. Pourquoi ? L’agoraphobie était pour moi un réel problème, c’était quelque chose qui me dérangeait et que personne ne soupçonnait. Alors je me suis dit : « Tant pis, je vais me nommer, parce que, de toute façon, il va falloir que je le dise à un moment donné. » Aussi, j’aurais trouvé ridicule de nommer ce personnage Janice LeBlanc, par exemple, quand tout le monde se serait bien douté qu’il s’agissait de moi. Pourquoi jouer à ce jeu-là ? Je me suis donc nommée. Remarquez bien, je n’aimais pas ça au fond et j’aurais préféré ne pas me nommer, mais il y avait autant de bonnes raisons de le faire que de ne pas le faire. Par la suite, j’ai vu que ça pouvait être drôle, que cela pouvait être utilisé comme un élément du livre, que ça valait la peine de jouer un peu avec cet élément. Je n’y ai pas réfléchi longtemps, je l’ai juste fait. Puis j’ai été tentée de me nommer dans les autres livres aussi. Je ne l’ai pas fait, mais ç’aurait été facile. Facile, et peut-être aussi amusant ou drôle. Je ne l’ai pas fait, mais je le ferai peut-être à l’avenir. De toute façon, réalité et fiction sont drôlement entremêlés dans mon esprit. Je pourrais vous jurer que Terry et Carmen existent vraiment, sauf que je ne peux vous les montrer du doigt. Dans cet univers, je peux facilement me mettre moi-même. Je me sens tout à fait sur le même pied que mes deux protagonistes.

VOIX ET IMAGES Permettez-moi d’évoquer un instant Antonine Maillet, qui a explicitement dit que, avec Évangéline Deusse (et aussi avec Pélagie-la-Charrette), elle voulait réagir contre l’Évangéline de Longfellow. Pour votre part, dans Histoire de la maison qui brûle, avez-vous voulu réagir à La tragédie d’un peuple d’Émile Lauvrière, d’une manière ou d’une autre ? Comment décririez-vous les liens entre votre propre texte et celui de Lauvrière ?

FRANCE DAIGLE Je vois encore les livres de Lauvrière dans la bibliothèque familiale à Dieppe. J’ai dû ouvrir La tragédie d’un peuple une fois ou deux pour voir, puis je l’ai rangé de nouveau. Plus tard, ce livre m’est revenu en tête quand j’ai travaillé aux archives du Centre d’études acadiennes. C’est plutôt de ce contexte de travail que me sont venus les détails historiques de ce livre. L’histoire faisait partie de ma matière à cette époque-là, c’est tout. Quand j’ai commencé à écrire Histoire de la maison qui brûle, j’ai aussi croisé une dame qui venait de se séparer et qui était vraiment prise au dépourvu, avec de jeunes enfants. Sa situation aussi s’est glissée dans ce texte, qui est une sorte de portrait de la réalité…

VOIX ET IMAGES … portrait de la réalité, mais sur fond d’histoire acadienne, quand même.

FRANCE DAIGLE Oui, oui. Et l’histoire acadienne contient sa part d’ironie. Prenez le type qui, dans Histoire de la maison qui brûle, est censé poster des vivres au personnage de Lauvrière et qui est comme « stallé » sur un coin de rue, en face de chez Birk’s, à Montréal, à regarder cette femme de l’autre côté de la rue qui reste là, sans bouger. Je trouve que c’est une situation paradoxale, et j’aime ça. Finalement, la matière à écriture n’est pas n’importe quoi, c’est quelque chose qui nous fait vibrer, qui nous arrête un moment et nous fait voir, par exemple, les différentes composantes d’un portrait.

VOIX ET IMAGES Ce qui m’a frappée à la relecture de vos textes, c’est le motif de la maison : il est là, dès le début, dans Sans jamais parler du vent, évidemment aussi dans Histoire de la maison qui brûle, ainsi que dans Pas pire avec ses maisons astrologiques…

FRANCE DAIGLE Ah ! ça, c’était voulu. J’aimais le thème de la maison, je ne sais pas pourquoi.

VOIX ET IMAGES Vous dites vous-même que d’un côté, c’est la permanence, de l’autre côté, c’est aussi le mouvement, comme pour l’escargot qui porte sa maison sur son dos.

FRANCE DAIGLE Oui ! Je pourrais en parler toute ma vie… pour moi, c’est inépuisable, la maison. C’est en tout cas quelque chose qui m’a accrochée tout de suite. Le roman que je suis en train d’écrire tourne encore autour de la maison, sans que j’y aie même pensé. En fin de compte, je crois que l’habitation, l’habitable, l’habité, l’habitat, c’est la vie finalement, oui, je crois que ce n’est pas plus que ça. Même le voyage est encore l’habitat, ou plutôt son envers, je ne sais pas. Dans le temps, je savais que je reprenais un thème, sous un autre angle ; plus maintenant, mais le thème est toujours là, sans que je le fasse exprès.

VOIX ET IMAGES Avez-vous lu Chronique d’une mort annoncée de Gabriel García Márquez ?

FRANCE DAIGLE Je connais le titre, mais je n’ai pas lu le livre.

VOIX ET IMAGES On jurerait pourtant que vous l’avez lu parce que le concept du temps y est tellement proche du vôtre dans 1953. Chronique d’une naissance annoncée.

FRANCE DAIGLE Non, je n’ai pas lu la Chronique de Márquez. Avec Marguerite Duras, une chose semblable m’est arrivée. Il semblerait y avoir un parallèle entre son Homme assis dans le couloir, que je n’ai jamais lu, et mon Histoire de la maison qui brûle. En création, il semble y avoir, à un moment donné, des choses dans l’air, et on finit par écrire, créer autour de thèmes qui se rejoignent. Quant au livre de Márquez, j’aimais certainement le titre. Je n’ai jamais eu trop de succès à choisir des titres extraordinaires. Aucun des titres que je trouve n’est vraiment LE titre.

VOIX ET IMAGES Ah bon ? Justement, je voudrais vous questionner au sujet de vos sous-titres.

FRANCE DAIGLE J’aime mieux mes sous-titres que mes titres. Ceux-là auraient dû être ceux-ci, selon moi.

VOIX ET IMAGES Est-ce qu’il y a, à côté de vos textes (auto)fictionnels, d’autres écrits, par exemple des écrits personnels, genre journal intime ?

FRANCE DAIGLE Non, non. Je n’ai pas de journal intime. Il est vrai que, puisque je vais avoir cinquante ans bientôt, je me suis dit : « Bon, je vais commencer, à cinquante ans, mon journal intime. » J’avais déjà pris une décision comme ça à un moment donné dans le passé, puis ça a duré quatre jours. Je ne suis donc pas convaincue que ça se passera autrement cette fois-ci. Il y a dans le journal intime quelque chose que j’aime et quelque chose que je n’aime pas. J’écris toujours en fonction d’un projet, un projet de livre la plupart du temps. Parfois, je prends note d’un détail, d’une idée, mais ce n’est vraiment rien. Je n’éprouve pas le besoin d’écrire tout le temps. Mes projets sont longuement mijotés, si bien que, quand vient le temps de les mettre sur papier, l’écriture est assez mûre et je ne perds pas trop de temps à chercher ce que je vais écrire. Je n’ai pas, comme dirait Gérald Leblanc, de textes « cachés dans mes tiroirs ».

VOIX ET IMAGES Pourriez-vous cerner un peu plus le rôle que joue la lecture dans votre quotidien et par rapport à votre écriture ?

FRANCE DAIGLE Je ne savais pas que j’aimais lire à ce point. Je lis beaucoup de livres qui ne sont pas des romans… « beaucoup » étant relatif. Je lis moins en anglais qu’avant, un peu parce que je suis très sensible. Je peux lire un livre en anglais et ensuite penser en anglais pendant trois jours. Donc, je les dose. Et ça ne me gêne pas de lire des traductions de l’anglais au français. Tout cela solidifie ma langue, mon outil de travail. Je ne suis pas à la fin de mes lectures, loin de là. J’ai eu deux ans pour écrire, mais j’aurais pu prendre deux ans rien que pour lire aussi. Comme je n’ai pas autant de temps que j’aimerais pour lire, je lis ce dont je pense avoir besoin pour continuer à avancer.

VOIX ET IMAGES Est-ce que vous avez des auteurs préférés ou vos préférences ont-elles changé avec le temps ?

FRANCE DAIGLE Je n’en ai plus, ou pas actuellement. Bien sûr, j’ai lu Kerouac, presque tous ses livres. Puis Durrell, Kundera. De Marguerite Duras, j’ai fini par lire pas mal de livres, mais pas tout. Oui, il y a eu des auteurs que j’ai assez aimés pour lire tout ce qu’ils ou elles ont écrit. J’aime découvrir aussi et, comme j’ai dit, ce ne sont pas toujours des romans. Je choisis en fonction de mes intérêts plus proches. Et, encore là, des livres m’arrivent un peu par hasard. Si quelque chose me tente vraiment, je me dis qu’il y a une raison à ça. Souvent, ils finissent par alimenter mes propres livres.

VOIX ET IMAGES Y a-t-il des auteurs acadiens que vous aimez particulièrement ?

FRANCE DAIGLE J’en lis, j’en feuillette. Je ne les lis pas tous. J’en ai beaucoup chez moi que je n’ai pas encore lus. Je viens de terminer le dernier livre de Charles Pelletier [Étoile filante]. J’avais lu son premier [Oasis] l’an dernier ; il est pourtant paru il y a une dizaine d’années. Ce qu’il écrit tombe vraiment dans mes cordes, j’aime les livres de voyage, j’aime lire sur l’Inde. J’ai trouvé ça fascinant, bien écrit, vraiment bien, alors cette lecture m’a fait plaisir et j’ai hâte qu’il en écrive d’autres.

VOIX ET IMAGES Et qu’en est-il de votre écriture pour le théâtre ?

FRANCE DAIGLE Je suis en train d’adapter Sans jamais parler du vent. Ce sera la prochaine production de Moncton-Sable [un groupe de théâtre monctonien]. J’avais lu un article sur une pièce de théâtre jouée à Montréal qui m’a fait penser à Sans jamais parler du vent. En l’adaptant à la scène, je me rends compte que ce ne sera pas une pièce « typique », ce sera du Moncton-Sable ! Et je vais ajouter de la nouveauté. Ce sera Sans jamais parler du vent, prise deux.

VOIX ET IMAGES Une question sur La beauté de l’affaire : n’y a-t-il pas une partie de vous chez chacun des personnages, ou presque ? L’architecte, par exemple, ou le personnage qui construit la clôture : tous les deux travaillent en fin de compte comme vous avec du matériel pour en créer quelque chose.

FRANCE DAIGLE Oui, c’est ce que je disais encore dernièrement. Les gens me demandent souvent : « Est-ce qu’il y a un des personnages qui est plus toi que les autres ? » Au fond, je me retrouve dans tous ces personnages, et chacun est une composante de moi. Ce n’est pas nécessairement quelque chose que les gens vont percevoir. Mais je pense que tous les gens ont différentes composantes, et cela entre un peu en contradiction avec la notion de personnage. Pour moi, les personnages qu’on dépeint d’un bout à l’autre dans une espèce de suite sont presque tragiques.

VOIX ET IMAGES Traditionnels, en tout cas. Dans Un fin passage, vous vous amusez avec Balzac. Vous faites dire à une femme qui travaille dans l’édition : « Bon, les gens veulent lire du Balzac. » On sait que celui-ci développe ses personnages principaux du début jusqu’à la fin, mais ce n’est pas votre style. Chez vous, l’écriture est éclatée, il faut travailler un peu pour voir ce qui se passe dans les interstices ; vous abandonnez vos personnages et les reprenez ailleurs.

FRANCE DAIGLE Et je pense que ça nous ressemble, que ça ressemble à la vie moderne… Et au cinéma ! Le langage cinématographique nous a habitués à faire ces sauts-là. En fait, toute la vie nous permet de faire ces sauts-là. Mon prochain livre est d’ailleurs en mille morceaux, je ne pourrais l’écrire autrement. Le fragment est probablement plus de notre époque que le genre long à la Proust.

VOIX ET IMAGES Ces sauts dans le temps, est-ce que vous les faites avec des clins d’oeil, pour vous amuser vous-même et aussi les lecteurs ? Par exemple, l’action d’Un fin passage commence un jeudi, dans l’avion, mais les voyageurs atterrissent seulement le mardi matin. Dans le roman traditionnel, on se demanderait ce qu’ils font entre-temps.

FRANCE DAIGLE Attendez voir, je ne crois pas qu’ils atterrissent le mardi.

VOIX ET IMAGES Ah, si !

FRANCE DAIGLE En tout cas, l’intention première était d’écrire le livre en désordre. Et si du jeudi on passait au mardi, eh bien, on aurait compris que c’était le mardi d’avant. Mais j’ai assez vite abandonné cette idée-là. Après ça, j’ai essayé de l’écrire en suite, en chronologie, tout en laissant de l’ambiguïté. Je pensais avoir éliminé toutes les fausses pistes mais, d’après ce que vous me dites, il faudrait peut-être que j’y jette un autre coup d’oeil. Ce qui est drôle, c’est que dans le livre que je suis en train d’écrire maintenant, c’est comme s’il y avait une chronologie, mais c’est une fausse chronologie, et elle n’est pas importante.

VOIX ET IMAGES Cela souligne le rôle du hasard.

FRANCE DAIGLE Exactement. Quand on raconte une histoire, le temps est normalement un facteur assez important, essentiel au déroulement. Mais, au fond, le temps n’est pas si important que ça. En tout cas, j’ai cette idée-là en tête. J’ai hâte de voir ce que ça donnera. Vous savez, je ne pense ni plus loin ni plus intelligemment que le livre que je suis en train d’écrire. Et je ne peux pas imaginer ce qui viendra après.

VOIX ET IMAGES Dans votre rapport à l’écriture, est-ce que vous vous considérez une écrivaine acadienne, canadienne-française, francophone ou simplement une écrivaine tout court ? J’aimerais aussi savoir à quel point le contexte dans lequel vous vous situez, c’est-à-dire la géographie physique et humaine de Moncton, influe sur votre écriture.

FRANCE DAIGLE Le métier et l’identité sont deux attributs différents. Je me définis non pas de façon générale, mais à partir de ce que connaît mon interlocuteur. Quand je me parle toute seule (!), je pense que je me définis d’abord comme écrivaine. Mon acadianité, elle, fait partie de la matière avec laquelle je travaille (la langue, la culture, un contexte géographique et social, des connaissances, des affinités et aspirations particulières). Sans doute que mon acadianité influence aussi ma façon de travailler. Quant à ma canadianité, je dirais que c’est une identité qui m’inscrit dans le contexte occidental en général. C’est surtout une identité dont je suis fière lorsque le Canada fait réellement progresser la social-démocratie. Au jour le jour, je suis davantage « régionale » que « nationale ». Sauf que ma région englobe la francophonie, principalement la France et le Québec. Par contre, le Moncton dans lequel je vis et écris n’est pas le Moncton réel, car en réalité il a très peu à voir avec la majorité anglophone qui y vit.

VOIX ET IMAGES Si l’espace de votre vie et de votre écriture n’est pas le Moncton « réel », pourrait-on quand même dire que certains de vos livres recèlent un sens politique ? Je pense ici surtout aux auteurs acadiens et à certains écrivains québécois des années 1960 aux années 1980 pour lesquels la revendication du pays et de leur langue a été très importante. Y a-t-il quelque chose de semblable dans vos propres textes ?

FRANCE DAIGLE Si l’Acadie était un pays, je ne l’imagine pas autrement que profondément social-démocrate. C’est sa vraie nature, je pense. Et elle serait francophone, évidemment. L’organisation sociale dépeinte dans Petites difficultés d’existence en est une sorte de miniature. Et le roman en cours poursuit dans la même veine.

VOIX ET IMAGES Pour terminer, j’aimerais savoir si vous collaborez à la traduction de vos livres.

FRANCE DAIGLE D’une certaine manière ; le traducteur me soumet son texte, je le lis et fais mes suggestions. Vraiment, je donne presque toute la place au traducteur puisque l’anglais n’est pas ma première langue. Mais je le connais suffisamment bien pour pointer les erreurs de sens ou de nuance. Et je peux seulement le faire parce qu’il s’agit de l’anglais, car je ne connais pas d’autre langue. Pour la version française, c’est-à-dire la version originale, je suis plus pointilleuse. Rendue à la traduction, je suis plutôt détachée, peut-être parce que je ne sais pas qui est mon public lecteur. En français, j’écris au moins pour quelques personnes ici et là qui, je pense, vont aimer. Pour le reste, allez savoir qui va nous lire ! C’est pour ça qu’il est important que l’on ait un réel plaisir à écrire. Parce qu’au-delà de cette satisfaction, cela devient très compliqué. Le rayonnement du livre dépend de tant de facteurs… Si on ne prend pas plaisir à écrire, je ne suis pas sûre que ça vaille la peine de passer par là.