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Je suis venue m’installer à Québec un peu plus d’un an après l’élection du gouvernement de René Lévesque. En ce janvier 1978, avec mon groupe d’étudiants américains, j’ai compris le vrai sens de l’expression québécoise « passer l’hiver », dans cette ville ouverte aux vents du Saint-Laurent. Plus important, nous avons découvert ensemble le chaleureux accueil d’un peuple fier de sa culture. C’était l’époque où les chauffeurs d’autobus aussi bien que les étudiants à l’Université Laval offraient des discours impromptus sur le sens de la culture québécoise, tout en fredonnant une chanson de Gilles Vigneault.

Ma grande surprise fut la rencontre avec une littérature jusqu’alors presque inconnue aux États-Unis, à l’exception du best-seller Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy. À Québec, il y avait des films, des pièces qu’on pouvait aller voir, avec un sandwich, au Grand Théâtre, des livres qu’on pouvait dénicher dans l’ambiance vieillotte de l’ancienne Librairie Garneau. Les étudiants, qui en arrivant comprenaient à peine le français, se sont vite fait des amis québécois, avec qui ils ont pleuré à chaudes larmes sur le sort des Patriotes pendant une représentation de La complainte des hivers rouges de Roland Lepage, vers la fin de leur séjour.

Je savais qu’en rentrant aux États-Unis j’allais devoir intégrer ce nouveau monde dans le cadre, alors très traditionnel, de l’enseignement du français. Mais comment m’y prendre ? C’est en cherchant la réponse à cette question que je suis tombée sur un numéro de Voix et Images. Tout d’un coup, je trouvais des collègues qui s’intéressaient aux mêmes questions que moi. Peu connue aux État-Unis, peu reconnue en France, la littérature québécoise existait, tant au Québec qu’à l’étranger, à travers cette revue littéraire qui inspirait des recherches de haute qualité. La revue révélait aussi des controverses animées : l’indépendance, le féminisme, la langue d’écriture — toutes ces interrogations trouvaient leur expression dans ses pages. Les articles de Voix et Images me faisaient connaître les textes à lire, tout en les intégrant dans une tradition littéraire québécoise qui — comme il est évident maintenant — s’établissait dans les pages de la revue.

Dans les premières années de la revue, les critiques étaient, pour la plupart, écrites par des Québécois. Pour les chercheurs américains, ils fournissaient des aperçus précieux non seulement sur la structure du texte, mais sur ses rapports avec divers contextes culturels, l’histoire, la langue du pays. Tout comme la production littéraire de France, c’était une littérature qu’on ne pouvait pas tout à fait comprendre sans connaître son pays d’origine, un point de vue qui trouvait son inscription dans le premier titre de la revue, Voix et Images du pays. Mais avec ses scènes hivernales dans les bois d’hiver et ses descriptions de villes encombrées de gratte-ciel, c’était, pour une Américaine, une littérature beaucoup moins exotique que celle de la France.

Inspirée par Voix et Images, je suis rentrée aux États-Unis avec l’idée de créer une association d’études québécoises. Quelques années plus tard, nous avons fondé notre propre revue, Québec Studies, qui a établi sa généalogie en remontant directement à Voix et Images.

Après toutes ces années, Voix et Images est devenue une vieille amie. J’ai moi-même réussi à publier dans ses pages, avec d’autres collègues américains, maintenant nombreux à s’intéresser à la littérature québécoise. J’accueille encore chaque numéro avec enthousiasme et curiosité : qu’y a-t-il de nouveau cette fois ? Et il y a toujours quelque chose qui répond à mon appel. Je la félicite pour ses trente ans de recherche en littérature québécoise.