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Introduction

Je vis avec un handicap de naissance, une paralysie cérébrale athétosique, et n’ai donc pas l’usage de la parole, ni le contrôle de mes mouvements.

J’ai raconté mon parcours dans un livre « Rage d’exister », paru en 2018 aux éditions Ateliers Henry Dougier, où je raconte mes années d’adolescence et de jeune étudiant faisant face aux difficultés administratives pour simplement pouvoir étudier post-Bac, et les impacts que cela a eu dans ma vie.

Depuis au moins une dizaine d’années, je crois profondément que nous assistons à l’émergence d’une génération nouvelle de personnes en situation de handicap, et de personnes dites valides, qui ont à coeur de réunir l’ensemble de la société dans des projets d’avenir et porteurs de sens. Étant entouré de mon équipe, de mes proches, je me réjouis d’être un des représentants de cette génération. J’ai bien conscience que mon expérience n’est pas la même que celles d’autres d’âges, de parcours d’études, de caractères, d’encadrements familiaux et professionnels, de lieux de vie similaires ou différents du mien.

En tout état de cause, au vu du caractère transversal des difficultés ressenties, vécues, exprimées depuis un an, cette génération n’a pas échappé à la crise qui nous a touchés toutes et tous depuis début 2020 et nous touche encore aujourd’hui. Le confinement, le couvre-feu et l’ensemble des mesures de distanciation physique ont pesé et pèsent sur nous personnes en situation de handicap, au moins autant que sur les personnes dites valides.

Via cet article, je suis heureux de vous proposer mon expérience du confinement, mon apprentissage des outils numériques (des difficultés aux réjouissances de pouvoir m’en servir maintenant de façon autonome), ainsi que plus largement mon fonctionnement personnel, professionnel et quelques changements qui se sont opérés durant cette période.

Qu’est-ce qui fait que cette crise semble à la fois tout arrêter alors que le travail n’arrête pas?

En premier lieu, j’aimerais vous décrire comment pendant toute la première partie de la crise COVID-19, je me suis confiné à domicile dans mon propre appartement en Ile-de-France. J'y ai la chance d’entendre parfois les oiseaux chanter et d'avoir une vue depuis la fenêtre de mon salon sur une forêt, où je peux me balader si les conditions météorologiques, sanitaires et administratives le permettent.

J’ai profité de la période du printemps 2020 pour beaucoup travailler. J'ai essayé d'avancer au maximum sur mes différents projets : les concevoir, les mettre en forme, creuser le sens de chacun en fonction des opportunités.

J’ai évoqué en conférence le fait que je trouvais que ce confinement ressemblait au cocon transformateur d’une larve en papillon. Un temps long, une posture d’introspection pour puiser les ressources afin de se révéler ensuite différents. D’ailleurs, en tant que mammifères, a contrario des ours par exemple, nous sommes quasiment les seuls à ne pas hiberner, stocker un maximum de nourriture en nous pour laisser le temps à la nature d’agir alors que nous reposons nos corps.

Mon athétose est, si j’ose le parallèle, une forme de confinement dans mon propre corps. La paralysie cérébrale, même si son nom prête à confusion, ne me paralyse pas le cerveau. En ce qui me concerne, c’est même tout le contraire! C’est la seule partie valide en ce qui me concerne, sur laquelle j’ai une partie de contrôle et sur laquelle d’ailleurs je me base pour faire avancer le reste.

Renouveler l’équipe qui m’entoure et travaille avec moi début avril 2020 m’a permis d’envisager différemment ce confinement sur le plan moral, humain et professionnel. Les conditions sanitaires de distanciation physique nous ont également contraint de réorganiser notre espace de travail à mon domicile. En particulier, revoir l’organisation ergonomique de mon environnement personnel et mon salon pour en faire un lieu de travail, afin que je sois plus autonome individuellement pour la réception et l’envoi de SMS, de mails; la participation à des réunions via Zoom, Skype ou WhatsApp sans dépendre trop de l’aide d’autres personnes. Ceci a vraiment marqué un tournant par rapport à ma vie d’avant, car j’ai pu ainsi rester largement en contact virtuel mais pourtant bien réel avec ma famille, mes amis et mes contacts professionnels.

À ce propos, tout le monde était logé à la même enseigne : ne pouvant plus ou pas se déplacer en vrai, il nous a fallu savoir utiliser encore plus les outils numériques et audiovisuels dans nos usages personnels et professionnels.

Depuis toujours et de façon générale, je travaille beaucoup. Je n’ai pas le choix de travailler plus que les autres, afin de compenser ma pathologie, et la nécessité qu’elle entraîne d’une temporalité décalée : je n’improvise pas mes propos, vu que je dois les transcrire de ma tête à l’oral de ma synthèse vocale via la rédaction par le biais d’un ordinateur. Et je n’ai pas le luxe de pouvoir improviser une réponse longue du tac au tac, dans une conversation de groupe.

Côté travail, je n’ai pas ralenti mes activités pendant le confinement; au contraire! J’ai souvent enchaîné plusieurs réunions par jour, par semaine, toujours dans l’optique d’améliorer l’inclusion des personnes en situation de handicap, mais plus globalement pour l’ensemble de la société, de faire tomber les barrières entre personnes dites « valides » et dites « handicapées ».

En parallèle, durant ce confinement et depuis les périodes de couvre-feu, j’ai pu faire quotidiennement une promenade dans mon quartier pour m'aérer. Même si mon environnement est citadin, urbain, cela m’a permis de lutter contre la déprime. Je n'ai pas l'habitude de rester aussi longtemps chez moi sans être connecté à la nature.

Parmi les activités durant le premier confinement qui m’ont bien occupé, j’ai été référent francilien de la plateforme nationale « Solidaires Handicaps » qui a rassemblé plusieurs centaines d’actions locales, régionales et nationales, spécifiquement en faveur des personnes en situation de handicap, de leurs familles et aidants, par des structures déjà sensibilisées ou non.

Cet élan d'initiatives m'a ému de par la gratuité, la générosité et la diversité dont ont témoigné nos concitoyens durant une période qui aurait pu se traduire uniquement par du repli sur soi et de l'indifférence.

J'ai également essayé de mettre en place un réseau local au sein de ma résidence, afin de développer une solidarité entre voisins, en particulier entre personnes âgées, personnes isolées, personnes en situation de handicap. Alors que je ne visais pas uniquement un apport en courses alimentaires, mais bien un réconfort humain dans l’épreuve de la solitude, cette démarche s’est soldée par un échec.

Je peux comprendre maintenant qu'il n'était sûrement pas facile pour tout le monde de sortir de sa bulle protectrice, de se mettre en mouvement, se rassembler, de s’unir en dehors de son premier cercle familial et amical, alors même que les conditions sanitaires étaient menaçantes voire anxiogènes.

De plus, dans ce cas précis, nous avons hérité d’une diminution de la motivation du voisinage pour des actions collectives, constatée depuis quatre ans. Si toutes et tous le regrettent, peu voire aucun parmi les voisins n’ont fait quelque chose pour lutter contre cet état de fait!

Un autre aspect important de cette période de confinement a été la dimension de mes relations humaines.

J’ai beaucoup aimé passer des moments avec ma famille en vidéo-conférence, quelle que soit la plateforme utilisée.

Cela ne vaut pas la chaleur humaine, ni le contact précieux que je me suis réjoui de vivre à nouveau depuis la période de couvre-feu, moins contraignante que le confinement total.

Mon principal problème a été l'isolement social. La plupart des activités que j'apprécie, la majorité des projets sur lesquels je travaille, et la totalité des activités de loisirs de vacances avaient été mises à l'arrêt.

J’ai eu, dans un premier temps le sentiment d’être réduit à mon statut de personne handicapée. Étant accompagné vingt-quatre heures sur vingt-quatre, je suis particulièrement contraint comme employeur particulier de m'adapter aux difficultés de transport de mes accompagnateurs et auxiliaires de vie, accrues durant cette période.

Si je prends des exemples, les contraintes d’horaires d’arrivée et de départ aux domiciles de chacune des personnes qui m’entourent; la nécessaire adaptation à chaque annonce gouvernementale (confinement total, couvre-feu à 20h puis 18h, ...), la possibilité de se faire vacciner à terme selon leurs âges et priorités, etc.

À titre personnel, j’ai gardé la routine matinale que j’adopte depuis des années pour ma préparation : douche, habillage, petit déjeuner, kinésithérapie ...

L'après-midi, je me suis adapté pour travailler exclusivement chez moi. Je n'ai plus pris de rendez-vous à l'extérieur, à l’exception de mes séances de kinésithérapie.

J'avais souvent des sollicitations le soir, mais elles se sont interrompues du fait du confinement. Cependant, j'ai multiplié les réunions par visioconférence.

Selon moi, le principal inconvénient de cette crise a été la distanciation physique. On n’a alors rencontré presque plus aucune nouvelle personne, et la majorité voire la totalité de nos projets ont été a minima ralentis voire n’ont pas abouti.

J’ai eu, et ai encore l’impression de ne jamais voir le bout du tunnel, ce qui m’a maintenu dans un niveau d’angoisse légèrement au-dessus de mon état normal.

J'ai eu l'impression d'être doublement enfermé : d'abord, par la nature même de mon handicap, puis je l’ai été encore davantage dans le contexte si particulier et inédit du confinement.

Ne pouvant rien programmer à moyen terme, je me suis senti étriqué dans mon quotidien alors que je débordais de projets : activation de l'association « Rage d'exister »; animation de formations dans des entreprises par exemple; participation active au sein du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH); interventions à des colloques; management de l'équipe qui m'accompagne au quotidien, etc.

Le confinement a eu le seul avantage, selon moi, de préparer l'avenir sous un angle vraiment différent, propice à ouvrir la voie, à créer une alternative de société et à s'engouffrer dans une brèche au profit de l'inclusion et du vivre ensemble.

Comme beaucoup, j’ai souhaité également prendre part à la construction du « Monde d'après » que plusieurs ont appelé de leurs voeux!

Ouvrir cette brèche pour que notre société soit nettement plus, et mieux inclusive, et que chacune, chacun puisse y trouver sa place, grâce notamment à notre « pouvoir d'agir » collectif.

Faire face au numérique

Je veux faire le lien avec une dimension majeure de ma vie, qui a pris une toute nouvelle ampleur durant la crise COVID-19. Il s’agit du numérique, dont je réalise chaque jour davantage l’impact dans ma vie, ce qui m’a donné envie de réfléchir sur son rôle dans notre société.

Depuis mon enfance et mon apprentissage d’outils adaptés, une question majeure dans ma relation avec le numérique est celle de l’interface. Étant limité dans mes capacités d’action physique, l’interface qui m’est proposée est une dimension importante de mon autonomie, de ma communication, de ma prise en compte par la société.

Mes premiers pas avec le numérique, je les ai faits en 1986-87 avec HECTOR, un ordinateur avec un logiciel de synthèse vocale. Je le commandais avec un contacteur positionné sur ma tête.

Par la suite, j’ai utilisé un système développé par un ami pour faciliter ma vie étudiante, au moment de mon lycée. Je l’ai en réalité surtout utilisé lors de mes week-ends dans ma maison familiale.

Dès la fin du lycée et le début de mes études supérieures, j’ai eu la possibilité de travailler avec un ordinateur. Cependant, ce n’était pas moi directement qui travaillait sur cet outil, mais les personnes qui travaillaient avec moi.

Parallèlement, vers 2008, j’ai, comme presque tout le monde, fait l’acquisition d’un téléphone portable. Je me demandais à quoi il pouvait me servir, avant d’en devenir rapidement accro. Et d’ailleurs, dont aujourd’hui je ne peux plus me passer!

Cet outil me permettait à l’époque d’être dans une relation moins directe avec mon entourage, car mes accompagnateurs écrivaient mes messages pour moi, grâce au système d’épellation mis en place entre nous.

Ce dispositif ne m’était donc d’aucune utilité lorsque je me retrouvais seul. Ce n’était donc pas un facteur d’autonomie, mais plutôt un facilitateur de ma relation au monde.

Ce trouble, ces difficultés par rapport aux interfaces et à l’utilisation en autonomie, ont façonné plusieurs réflexions chez moi.

D’une part, j’ai développé un certain scepticisme vis à vis de l’utilité de ces outils pour moi.

Ne pouvant pas ou peu m’en servir moi-même, je doutais de la balance bénéfice-coût. Ce scepticisme a ouvert une réflexion plus large sur l’intérêt de ces techniques pour moi, mais aussi sur l’intérêt du transhumanisme. Je voyais dans cette évolution un certain danger vis-à-vis de « l’homme augmenté ».

J’ai donc mis du temps à me réconcilier avec les outils du numérique.

Heureusement, une amie fidèle depuis trente ans, ergothérapeute, m’a convaincu de faire un essai avec un nouvel outil, un logiciel de commande oculaire.

Avec prudence, j’ai tenté l’expérience.

J’ai rapidement été conquis par la possibilité qui m’était offerte de communiquer directement, et par moi-même avec mon environnement.

Depuis maintenant quatre ans, je l’emploie avec ses qualités et ses limites.

Communicator5 est un logiciel qui crée une interface spécifiquement construite pour être contrôlée avec une commande oculaire.

Au sein de cette interface et grâce à une barrette de suivi du regard qui localise et calibre la position de mes yeux dans l’espace en trois dimensions, je peux accéder à de nombreuses fonctionnalités. Parmi celles-ci, mes mails, mes SMS, respectivement faisant le transfert de mon adresse électronique et de mon téléphone portable lorsque connectés à proximité grâce à l’application Beam.

Mais, au-delà de l’utilisation des outils classiques du numérique, Communicator5 propose des fonctionnalités qui lui sont spécifiques. Je peux ainsi écrire, grâce à mes yeux, des phrases qu’il m’est possible de « prononcer » ou « vocaliser » par le biais d’une synthèse vocale intégrée au logiciel.

Dans ce cadre, je peux aussi enregistrer à l’avance des phrases, que je peux retrouver et utiliser facilement, mais aussi, et c’est le coeur de ma démarche de travail aujourd’hui, rédiger des textes entiers, dont je peux rythmer la vocalisation à l’aide de pauses.

Comme vous pouvez vous en douter, un outil tel que celui-ci est, pour quelqu’un présentant des restrictions physiques comme les miennes, d’une utilité formidable!

Rendez-vous compte : le numérique me permet, moi qui n’ai pas l’usage de mes doigts, d’utiliser les fonctionnalités essentielles d’un téléphone et d’un ordinateur!

Cela me donne une autonomie et un accès à une vie privée qui me sont chères. J’ai aussi, au travers de cet outil, accès à un « pouvoir d’agir » nouveau.

Je suis maître de ma communication avec le monde!

C’est la technique qui me permet aujourd’hui de m’adresser à vous. Je dois dire que ma vie a radicalement changé depuis l’arrivée de cet outil.

C’est pour moi un outil de communication essentiel, mais aussi, et je vais vous le détailler, un outil de travail formidable. Cela me permet de développer à la fois ma vie sociale et ma présence professionnelle et publique, d’une manière qui me satisfait chaque jour davantage.

En équipe, notre utilisation des outils du numérique s’est fortement développée durant le confinement.

Depuis le début de l’année 2020, j’ai profondément changé ma façon de travailler en équipe, et cela génère de nombreuses réflexions vis-à-vis de mon autonomie et de ma capacité de travail.

Auparavant, j’utilisais énormément mon logiciel Communicator5 pour la création de mes écrits.

Je rédigeais donc moi-même, soit seul soit en collaboration avec mon équipe, soit sous la dictée, les phrases constituant mes mails, mes conférences et plus largement mes interventions.

D’un côté, cette méthode assure ma participation, ma compréhension et mon engagement dans les sujets que je traite.

Cependant, cette autonomie est pour moi une contrainte temporelle majeure. Je mets en effet un temps très important pour rédiger une phrase, ce qui rend la rédaction d’un écrit très longue.

La solution inverse, impliquant que la personne qui travaille avec moi écrit elle-même le texte en me consultant n’est pas satisfaisante. J’ai du mal à réfléchir sur un texte que je ne peux pas visualiser directement.

Nous avons donc trouvé une solution qui me convienne, ainsi qu’à mon équipe : je produis sur mon logiciel Communicator5 un écrit très bref, condensé, de mon expérience et de mes connaissances sur le thème qui nécessite une intervention.

La personne qui travaille avec moi reprend ce texte sur un autre ordinateur, dont l’écran est dupliqué et projeté face à moi.

À partir de ma réflexion initiale, le travail de formulation et de rédaction commence, rendu possible par une communication constante entre mon accompagnateur et moi. Son rôle est alors de me faire des propositions, autant sur le fond que sur la forme, qui viennent alimenter ma réflexion sur le sujet.

Je valide ou non ces propositions et en fait à mon tour. Une fois cette gymnastique achevée, le texte est collé dans mon logiciel de synthèse vocale, et nous le retravaillons ensemble, pour que la prononciation et le rythme me conviennent.

Moi, mon équipe et notre communication

J’établis dans ce cadre un lien fort avec le fonctionnement de Stephen Hawking, décrit dans le livre d’Hélène Mialet « À la recherche de Stephen Hawking ». Tout comme lui, je ne peux développer pleinement mon pouvoir d’agir qu’en collaboration avec le réseau, humain et non humain qui m’entoure.

Cette compréhension de mon identité d’acteur réseau, en parallèle avec cette explicitation des modes de travail de Stephen Hawking, m’a initié à la notion d’acteur-réseau, développée par la sociologie de la traduction de Bruno Latour.

Cette compréhension m’a fait voir l’articulation entre la pensée individuelle et le travail collectif. J’entraperçois maintenant ce que pourrait être un outil numérique qui soutient et donne de la profondeur à une action de réflexion, ce qui est très différent, selon moi, de la mécanique d’utilisation des réseaux sociaux, par exemple.

Le directeur de TF1 de l’époque, Patrick Le Lay, disait en 2004 : « Notre travail consiste à capter un temps de cerveau disponible ».

Mon intérêt pour le numérique se détache fortement de ces considérations. Je crois que c’est peut-être à travers ce souci d’un emploi utile, maîtrisé des outils du numérique, que ce dernier peut être interrogé.

Partir de mon expérience est, selon moi, un angle mort qui permet de travailler avec vigilance cette capacité à contrôler sa pensée, assisté par le numérique.

Appliquons au numérique cette remarque du directeur de TF1.

S’il était, au contraire du vol de nos cerveaux, de nos consciences, un outil permettant de les développer et de les mettre en lien?

C’est en tout cas l’usage que je tente d’en faire dans ma vie!

Il est vrai que la puissance du numérique et l’étendue de son emprise sur nos modes de fonctionnement et de communication sont préoccupantes.

Il faut garder cette préoccupation en tête et ne pas baisser la garde. Mais cela ne doit pas nous empêcher, tel un judoka qui tire avantage de la force de son adversaire, d’utiliser cette puissance dans une optique de développement des consciences.

À ce titre, ma difficulté dans le rapport aux interfaces numériques est pour moi une chance!

Je ne ressens ma propre autonomie que dans l’interdépendance avec les autres, êtres humains et outils technologiques qui les connectent.

Si à titre personnel, individuel, je ne peux pas me servir solo de la plupart des plateformes et outils pensés pour une norme qui ne s’applique pas à moi en premier lieu, je me réjouis de la nécessité que cela crée à un écosystème, une équipe autour de moi.

C’est une chance dans le sens où l’on aurait pu croire en la toute-puissance de l’informatique sur l’humain, et qu’en fait, c’est un apport mutuel et complémentaire.

Je me rends compte à la fois de ma grande dépendance sur ce plan, tout en restant extrêmement vigilant à la distance que je dois préserver.

Le numérique est un acteur important de mon réseau, mais je tiens à dialoguer avec lui en toute indépendance. C’est ce qui motive ma réserve vis-à-vis des travaux proposés notamment par Elon Musk, concernant l’implantation dans le cerveau d’une puce électronique.

Moi qui ne peux rien contrôler, je pourrais en avoir grand besoin, mais cela me donnerait-il pour autant plus de contrôle?

Ma vie m’a permis de développer une forme d’indépendance et de distance que je veux conserver.

Cette distance me permet de me couper de mon réseau, de penser par moi-même. Je tiens à ce choix, à ce pouvoir d’agir avec ou sans cet acteur numérique.

Je suis encore dans une phase de découverte des fonctionnalités de l’outil Communicator5. Je tâtonne, j’expérimente et procède aux adaptations qui me vont le mieux, à titre individuel. Tout en sollicitant régulièrement l’équipe du revendeur du logiciel en France ou bien directement l’équipe de la maison-mère en Suède.

Nos échanges et retours d’expériences de terrain les font avancer sur la meilleure connaissance des dispositions de leur outil, des besoins des clients et des fonctionnalités à envisager pour l’avenir. La suite se construit donc en partenariat expérientiel mutuel.

C’est de fait très intéressant de comprendre et analyser combien cette dualité êtres humains et machines fascine, interpelle, interroge nos conceptions de société collective et nos rapports individuels.

J’ai fait l’expérience d’accueillir à domicile mi-décembre 2020 un binôme de l’équipe de rédaction de Konbini Techno, qui souhaitait nous interroger, mon équipe et moi-même, sur mes outils de communication et nos méthodes de travail en équipe.

Nous avions planifié leur venue autour de ce rapport fragile entre part humaine et part électronique, numérique, et leur avons proposé trois outils dont je me sers pour diverses fonctionnalités et en fonction du contexte :

  • l’épellation;

  • la licorne;

  • l’utilisation de Communicator 5.

Alors que leurs précédents interviewés étaient à fond technophiles, je pense être le premier invité à émettre autant de distance et de recul critique.

Ce sont d’ailleurs ce sur quoi la majorité des commentaires revient sous la publication de la vidéo sur plusieurs réseaux sociaux.

Publiée tout d’abord sur Facebook, la vidéo a pris son envol dans des délais rapides, puisqu’elle a atteint le million de vues en cinq jours.

Une semaine après, partagée sur Instagram, ce sont près de cinq cent vingt mille vues en vingt-quatre heures.

Ensuite, dans la foulée, près de onze mille vues sur Twitter et cent mille vues sur YouTube sont venues conforter l’idée qu’il se passait quelque chose avec cette interview vidéo.

Non seulement la période des fêtes de fin d’année semble propice à se réjouir des informations non anxiogènes, dites « feel good », positives, optimistes, mais également le fond et la forme du propos ont été une combinaison parfaite pour atteindre ces chiffres.

Ce que je retiens particulièrement est la volonté de l’équipe de tournage et montage de réaliser une interview à vocation humaine, respectueuse de ma personne, de ma personnalité, de nos propos et du moment vécu.

La sensibilité malgré la distance

Je comprends maintenant que je peux mettre le numérique au service de ma participation à la société. C'est pour moi non pas un nouvel univers, mais un univers à appréhender, à explorer, duquel tenter de déterminer les limites et usages les plus adaptés et sur lequel je peux m’appuyer, pour garder un temps d’avance ou des options d’être à l’affût de tendances.

Pendant le confinement, j’ai participé comme nous tous à des vidéoconférences, et j’ai développé ma capacité à prendre part à ces discussions.

Il me reste encore beaucoup à faire pour travailler de façon optimale avec mon équipe et mes interlocuteurs. Mais je sais maintenant mieux que ma voix compte, que la participation est nécessaire, éclairante pour la société, même si nous devons rester vigilants à la dérive d’être nous personnes en situation de handicap des « héros », des êtres extraordinaires, des sources d’inspiration pour les personnes dites « valides », car il en résulterait une coupure sociétale entre un monde considéré classique et un monde du handicap à part, sur un piédestal.

Finalement, le confinement et ses multiples suites à rebondissements permanents, malgré les tensions répétitives, m’ont de fait amené à approfondir mes réflexions sur le handicap et sur ma posture sur la vie. Je reste plus que jamais convaincu que nous, personnes en situation de handicap, devons montrer nos capacités, pas uniquement nos manques, incapacités ou pathologies, maladies, et que nous sommes partie prenante de cette société qui rêve d’un « Monde d’après », qui sera finalement ce que le monde de maintenant en fait sien, à bras le corps.

Durant cette période d’une année, j’ai plutôt ressenti la sensibilité, la fragilité du collectif, du « nous » plutôt que de moi seul. Ainsi que la nécessité de nous intéresser, nous personnes en situation de handicap, à l’ensemble des sujets de la société. Notamment au sujet de la transition écologique, car il n’y a pas d’inclusion particulière pour nous, s’il n’y a pas de prise en compte pour toutes et tous!