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Vers une anthropologie politique du handicap, à propos du livre « Comprendre la condition handicapée. Réalité et dépassement » Henri-Jacques Stiker, 2021, Erès[Record]

  • Loïc Andrien

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  • Recension de
    Loïc Andrien
    INSHEA
    Programme Handicaps et Société (EHESS)
    Auteur correspondant
    loic.andrien@gmail.com

Il est des oeuvres qui semblent dépasser l’ambition de leurs auteurs. Le livre « Comprendre la condition handicapée » de Henri-Jacques Stiker en fait assurément partie. En tentant de décrire et d’analyser la condition handicapée, en faisant une référence directe aux notions de condition noire (Ndiaye, 2009), de condition féminine (de Beauvoir, 1986) ou de condition ouvrière (Weil, 2002), l’auteur nous amène à penser au-delà même de cette notion. Il esquisse alors ce qui pourrait être une nouvelle façon de penser la participation sociale, les formes de mobilisation ou la contributivité des personnes ayant des capacités différentes. Le livre en lui-même, comme souvent chez H-J. Stiker (2013, 2017), est extrêmement riche, trop parfois. Il est articulé autour d’une réflexion théorique documentée et fouillée autour de la notion de condition, d’une part, et d’un matériau d’observation et d’analyse emprunté à un corpus important de livres biographiques, autobiographiques ou de témoignages de personnes présentant des incapacités, d’autre part. L’ambition annoncée par l’auteur dès le début est de tendre vers une « phénoménologie du handicap », considérer le handicap comme un phénomène pour mieux dépasser les clivages habituels entre nature et culture, entre individuel et social. L’usage du concept de condition renvoie en ce sens à une volonté de prendre en compte les caractéristiques processuelles et contextuelles du phénomène handicap. Dans ces « manières d’être et d’être ensemble », nous pouvons lire une proximité avec le travail de François Laplantine sur la notion d’un sujet qui se définit à travers son rapport aux autres (2007). C’est ce rapprochement qui nous permet de situer cet ouvrage dans une perspective d’anthropologie politique. En faisant de la notion de condition la description d’une expérience sociale minoritaire, H-J Stiker fait du handicap une modalité d’être au monde qui dépasse les questions identitaires. Mais en évoquant les tensions que cette réflexion fait émerger entre les identités prescrites ou choisies, il montre également l’ambiguïté que les personnes dites handicapées peuvent nourrir face à la question des normes et de la normalité, la rejetant en même temps qu’elles peuvent la rechercher. Le handicap est donc à la fois un fait anthropologique touchant un individu au plus profond de ce qui le constitue, tout comme un fait politique qui influence son rapport aux autres ainsi que le rapport des autres à lui. Le livre est découpé en fonction de différentes vies, comme des moments contigus mais pas confondus. La « vie brisée » fait état de la régularité dans les biographies ou témoignages de ce moment qui a basculé, de l’accident, de l’annonce du handicap. Cette expérience de la limite, de la liminalité, du seuil, du moment où la vie se transforme. Ce moment fait du handicap un phénomène à part, difficile à qualifier lorsque l’on s’attache à une tradition rationaliste et cartésienne. Il ne s’agit pas d’un simple changement d’état, mais bien d’un changement de rapport au monde. Le handicap inaugure alors des « vies nouvelles » comme autant de nouvelles perspectives qui ne sont ni moins bonnes ni meilleures qu’avant, simplement et radicalement différentes. Cette condition handicapée ne peut pas être simplifiée en un rapport entre effondrement et redressement. La condition handicapée, bien plus qu’une catégorie, est une constante variation difficile à saisir ou à photographier mais que l’on peut situer dans une histoire. La condition s’inscrit et inscrit l’individu ou le sujet dans des séries de continuités et discontinuités qui la rendent complexe. En considérant la notion de condition handicapée, nous pouvons penser avec H-J. Stiker qu’une situation de handicap n’est plus seulement produite par une société (Oliver, 1995), plus seulement le résultat d’une interaction entre des facteurs …

Appendices