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Introduction

Selon les données du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCRNU, 2017, 2018 et 2019), plus de 5,6 millions d’individus ont fui la Syrie depuis 2011. Alors que la majorité des personnes se sont réfugiées dans les pays limitrophes, d’autres ont été relocalisées dans des pays plus éloignés (HCRNU, 2019). Le Québec a accueilli 7 583 réfugiés syriens en 2015-2016 (Ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, 2017). L’arrivée de nombreux jeunes élèves réfugiés a mis l’école québécoise face à de nombreux défis, tant sur le plan de leur accueil que sur celui de l’organisation et des pratiques scolaires (Papazian-Zohrabian, Mamprin, Lemire, Turpin-Samson, Hassan et Rousseau, 2018). Alors que l’école joue un rôle important dans l’accueil des enfants réfugiés, cette conjoncture a soulevé des questionnements et a entraîné des défis particuliers pour les institutions scolaires québécoises.

En considérant ce contexte particulier, nous avons mené une recherche-action, intitulée « Favoriser l’intégration des élèves réfugiés syriens en développement leur sentiment d’appartenance à l’école et leur bien-être psychologique » (Conseil de recherches en sciences humaines du Canada [CRSH], subvention spéciale, 2016-2017). L’objectif principal de cette recherche était d’évaluer l’influence d’une intervention à deux volets mise en oeuvre en contexte scolaire, sur le développement du bien-être et du sentiment d’appartenance des élèves réfugiés syriens. Tout au long de l’analyse des données, nous avons noté un écart palpable entre les expériences relatées par les jeunes et leurs familles et la perception que les acteurs scolaires avaient de leur parcours. Cet article présente les résultats de la recherche en mettant en relief l’importance de la compréhension et la prise en compte de l’expérience pré-, péri- et post-migratoire des élèves réfugiés en vue de favoriser leur accueil et leur expérience socioscolaire. Pour terminer, quelques recommandations pour le milieu scolaire seront mises de l’avant.

Problématique

Pour décrire le contexte social, nous avons visité la littérature concernant l’expérience des réfugiés dans une perspective pré-, péri- et post-migratoire. Les différentes recherches relèvent les défis vécus par les réfugiés, l’influence possible de ces conditions de vie hostiles sur leur santé mentale, mais aussi le rôle important de l’école dans la promotion de la santé mentale des élèves réfugiés.

Certains auteurs soulignent la vulnérabilité des réfugiés due aux conditions possiblement adverses de la migration (Cantekin et Gençöz, 2017 ; Hadfield, Ostrowski et Ungar, 2017). Avant et pendant la migration, ces familles déplacées ont pu souffrir de différentes violations des droits de la personne (ex. : massacres, assassinats, exécutions, enlèvements) (Hassan, Kirmayer et Mekki-Berrada, 2015). En contexte de violence collective, les familles et leurs enfants peuvent également être exposés à de multiples facteurs de stress comme la pauvreté, la violence et la séparation de la famille (Pacione et collab., 2012). Les enfants affectés par la guerre, persécutés ou victimes de discrimination peuvent se voir contraints de quitter leur domicile pour des raisons de sécurité (Joop et De Jong, 2002 ; Ringold, Burke et Glass, 2005). D’autres doivent interrompre leur scolarité en raison de déplacements multiples et d’un contexte de violence collective (Sirin et Rogers-Sirin, 2015), ce qui limite parfois l’accès aux services les plus élémentaires comme les services éducatifs et de santé (Pacione et collab., 2012). Lors du parcours migratoire, les enfants et leur famille peuvent également vivre non seulement plusieurs pertes matérielles et humaines, mais aussi leur vision de l’avenir (Dryden-Peterson, 2016). En contexte pré- et péri-migratoire, les déplacements sont parfois nombreux et peuvent engendrer une importante détresse psychologique (Fazel, Garcia et Stein, 2012).

Arrivés au pays d’accueil, les nouveaux arrivants vivent de nombreux défis. Certaines recherches menées auprès de populations réfugiées au Canada ont souligné des défis relatifs à l’employabilité des adultes, à la discrimination vécue, aux barrières linguistiques et au manque de services culturellement appropriés (Stewart et collab., 2015). Ces défis ont pu être vécus plusieurs fois par les familles durant leur parcours migratoire, si celles-ci se sont déplacées dans plusieurs pays différents (Dryden-Peterson, 2016). D’ailleurs, le fait d’avoir vécu plus de quatre relocalisations est associé à une faible qualité de la santé mentale des enfants et des adolescents réfugiés (Fazel et collab., 2012). Des recherches menées auprès de réfugiés montrent l’importance de l’environnement humain sur le développement de leur bien-être. Ainsi, divers chercheurs (Hart, 2009 ; Rousseau, Meashamet Moro) soulignent l’importance des politiques d’immigration et des services d’accueil du pays hôte dans la promotion de la santé mentale et de l’intégration de cette population.

La santé mentale des jeunes réfugiés

Bien qu’un grand nombre de jeunes réfugiés soient résilients, beaucoup d’entre eux développent à la fois des problèmes intériorisés (ex. : anxiété, anxiété de séparation, dépression) et externalisés (ex. : troubles du comportement, concentration et mémorisation, troubles oppositionnels) (Hart, 2009 ; Silove, Ventevogel et Rees, 2017). En contexte post-migratoire, plusieurs éléments psychosociaux peuvent venir exacerber la vulnérabilité des jeunes réfugiés (Eruyar, Maltby et Vostanis, 2018 ; Fazel, Garcia et Stein, 2012 ; Silove, Ventevogel et Rees, 2017). Dans une étude menée en 2017, Cantekin et Gençöz identifient plusieurs conditions de vie difficiles rapportées par les réfugiés : des préoccupations quant à la famille, des soucis associés à l’avenir, des séparations entre les membres de la famille, des difficultés financières et la perte de repères culturels. En outre, une recension systématique des écrits ayant analysé 29 études et regroupant des résultats associés à 16 010 réfugiés de guerre, menée par Bogic, Njoku et Priebe (2015), souligne les particularités et les différences des parcours migratoires et des problèmes de santé mentale qui pourraient leur être associés. Par exemple, les conditions adverses pré-migratoires et le stress post-migratoire seraient davantage associés aux troubles anxieux, à la dépression et aux syndromes de stress post-traumatiques. De façon plus spécifique, les expériences liées à la guerre et aux déplacements sont aussi susceptibles d’entraîner différentes problématiques inhérentes à la santé mentale des enfants réfugiés (Sirin et Rogers-Sirin, 2015). La discrimination possiblement vécue par les élèves réfugiés peut également avoir une influence sur leur santé mentale (Beiser et Hou, 2016). D’ailleurs, les observations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS, 2016) soulignent la différence marquée entre la prévalence des traumatismes chez les réfugiés (15 %) comparativement à la population générale (1 %) (cité dans Silove, Ventevogel et Rees, 2017).

Les expériences vécues par ces jeunes réfugiés peuvent également porter atteinte à leurs facultés cognitives (Hassan, Kirmayer et Mekki-Berrada, 2015 ; Özer, Şirin et Oppedal, 2013). En ce sens, dans une perspective post-migratoire, l’adaptation scolaire et les apprentissages des jeunes peuvent aussi être compromis par les deuils et les traumatismes vécus lors de leur parcours migratoire (Papazian-Zohrabian, 2015 et 2016). À cela s’ajoutent les défis relatifs à l’adaptation aux attentes scolaires, aux différences culturelles du pays d’accueil ou à l’apprentissage d’une nouvelle langue (Kanouté, Gosselin-Gagné, Guennouni Hassani et Girard, 2016 ; Kupzyk, Banks et Chadwell, 2016 ; Tyrer et Fazel, 2014).

La réalité éducative des jeunes réfugiés

Alors que les problèmes de santé mentale ont un impact négatif sur le développement des jeunes réfugiés et leur expérience scolaire, le deuil et les traumatismes pré-, péri- post-migratoires peuvent également affecter négativement leur adaptation scolaire et entraîner des difficultés d’apprentissage (Hart, 2009 ; Papazian-Zohrabian, 2015). Plusieurs auteurs soutiennent le rôle protecteur de l’éducation chez les jeunes réfugiés (Crea et collab., 2017 ; McBrien, 2005 ; Sleijpen et collab., 2016). En effet, l’éducation favorise l’ajustement psychosocial, l’inclusion sociale, la mobilisation sociale, l’accès au soin en santé mentale et le bien-être psychologique (Correa-Velez, Gifford, McMichael et Sampson, 2017 ; Crea, Hasson, Evans, Cardoso et Underwood, 2016 ; McBrien, 2005 ; Naidoo, 2013 ; Pacione et collab., 2012). Par contre, pour diverses raisons, les enfants réfugiés ne peuvent jouir pleinement de ce droit en tout temps (MacNevin, 2012). En effet, plusieurs jeunes réfugiés sont sous-scolarisés en raison d’une interruption de leur cheminement scolaire ou d’un faible accès à l’éducation (Correa-Velez, Gifford, McMichael et Sampson, 2017 ; Hadfield, Ostrowski et Ungar, 2017 ; Hoot, 2011 ; MacNevin, 2012 ; Pacione et collab., 2012). Les jeunes accumulent un retard scolaire, ce qui compromet leur accès à l’éducation en société d’accueil (Sirin et Rodgers-Sirin, 2015).

Le rôle de l’école dans le développement du bien-être psychologique des élèves réfugiés

L’école peut être considérée comme un facteur important contribuant au développement du bien-être psychologique des enfants ayant vécu des traumatismes associés aux conflits armés (Persson et Rousseau, 2008). Celle-ci peut être un lieu pour favoriser la socialisation et l’expression créatrice et symbolique, qui peuvent contribuer au bien-être des enfants réfugiés (Rousseau, Ammara et collab., 2007 ; Rousseau, Benoit et collab., 2007). Malgré ces qualités, certains auteurs relèvent que le manque de formation des acteurs scolaires et l’absence de ressources (Gagné, Al-Hashimi, Little, Lowen et Sidhu, 2018 ; MacNevin, 2012) peuvent avoir une influence inverse sur le développement du bien-être des élèves réfugiés (Yohani, 2010). En effet, dans l’étude canadienne menée par Gagné et ses collaborateurs (2018), les éducateurs interrogés ont mentionné que la santé mentale était un facteur important à prendre en considération pour favoriser l’intégration des élèves syriens. Toutefois, ceux-ci ont relevé un manque de formation, de soutien et de préparation qui leur aurait permis de mieux accueillir et accompagner ces élèves. Ces intervenants soulevaient également l’importance de prendre en considération la diversité des parcours et des profils des jeunes réfugiés fréquentant l’école pour éviter de les percevoir comme une unité.

La littérature présentée va dans le sens des hypothèses au point de départ de notre recherche sur les facteurs en lien avec l’expérience socioscolaire des jeunes réfugiés, soit leur situation psychosociale, les conditions d’adversité dans lesquelles ils ont survécu, les deuils et les traumatismes pré, péri et post-migratoires véhiculés, le rôle essentiel de l’école dans l’accueil et l’intégration des élèves réfugiés et le potentiel mal-être dans lequel ils se trouvent à leur arrivée. L’objectif principal de cet article est de présenter des résultats qui soulignent l’importance de la prise en compte de cette expérience pré-, péri- et post-migratoire des élèves réfugiés en vue de favoriser leur accueil et leur expérience socioscolaire.

Cadre de référence

Notre recherche s’inscrit dans une perspective systémique et s’appuie sur le modèle processus, personne,contexte, temps (PPCT) proposé par Bronfenbrenner et Morris (1998). Compte tenu du contexte présenté précédemment et des thèmes ayant émergé de l’analyse primaire de nos données, nous présentons dans cette section certains concepts pertinents pour soutenir notre angle de réflexion. Nous détaillerons la personne, composante associée aux caractéristiques et aux expériences de l’individu (Bronfenbrenner et Morris, 1998), en s’appuyant sur la théorie psychodynamique des deuils et des traumatismes, qui permettra également de traiter de la problématique de l’expérience socioscolaire des jeunes réfugiés et de leurs difficultés scolaires. Aussi, nous aborderons certains éléments proximaux ou distaux de l’environnement qui ont une influence sur l’individu et qui, en cohérence avec le modèle PPCT, sont associés au contexte (Bronfenbrenner et Morris, 1998).

Les traumatismes

À la suite d’un contexte migratoire parfois hostile, décrit dans la première partie de ce texte, les jeunes réfugiés peuvent avoir vécu des traumatismes. Cela peut être défini comme étant la réaction naturelle, adaptative de tout individu face à un événement traumatique : violence physique, sexuelle, psychologique, catastrophes naturelles, guerres, attentats, tortures, persécutions, découverte inopinée de corps, exposition à des scènes de violence, déplacements forcés ou brutaux, etc. (Papazian-Zohrabian, 2015).

Selon l’approche bio-psycho-médicale ou psychiatrique, tout événement traumatique peut entraîner chez le sujet un « trouble de stress post-traumatique » (Manuel DSM-5, publié par l’American Psychiatric Association [APA], 2013). Les symptômes de cet état chez l’enfant sont un comportement désorganisé ou agité, une réviviscence de l’événement, souvent à travers des jeux, des dessins, des cauchemars répétitifs, un sentiment de détachement, un évitement de tout ce qui peut rappeler l’événement traumatique, ainsi qu’une activation neurovégétative (APA, 2013). Selon la théorie psychanalytique et de nombreuses études cliniques, le traumatisme entraîne une angoisse importante chez l’individu, angoisse non déchargeable par l’activité motrice ou la créativité, et contre laquelle les mécanismes de défense du Moi sont inopérants (Freud, 1926 ; Janin, 1996). L’effet cumulatif des traumatismes chez l’individu a été relevé par divers auteurs (ex. : Catani Catani, Gewirtz, Wieling, Schauer, Elbert et Neuner, 2010 ; Khan, 1963).

Selon Barrois (1998), tout traumatisme, quelle que soit sa source, est un corrélat conscient ou inconscient d’une rupture, d’une discontinuité ou d’une perte. Cette rupture peut être vécue sur plusieurs plans selon l’événement traumatique et peut avoir des conséquences importantes sur le vécu et le comportement des individus. La rupture pourrait être vécue ou exprimée sur divers plans : rupture psychique dans la symbolisation des expériences, des affects, des liens réels et symboliques, du sens, du temps, de l’espace, de l’histoire individuelle, familiale ou collective, de la culture.

L’approche psychanalytique souligne que ce n’est pas la nature de l’événement qui définit son aspect traumatique, mais il s’agit plutôt de l’évaluation subjective que la personne qui y est confrontée en fait. La qualité du processus adaptatif qui en découle fait que l’événement se transforme en traumatisme ou non (Taïeb et collab., 2004). En effet, tous les enfants ne sont pas nécessairement traumatisés par les mêmes événements, de la même manière et avec la même intensité. Certains enfants vont être plus protégés que d’autres ou plus résilients que d’autres (Papazian-Zohrabian, 2015).

Les deuils

Dans une perspective pré-, péri- et post-migratoire, les jeunes réfugiés peuvent également avoir vécu plusieurs pertes entraînant des deuils. Le deuil est un phénomène universel lié à toute situation de perte, due à la mort ou à la séparation définitive. L’objet perdu peut être un être humain, un objet, un idéal ou encore des valeurs (Bacqué, 1992 ; Freud, 1915 ; Hanus, 1994). Des études cliniques mettent en évidence les principaux processus psychiques marquant un deuil « normal » (Hanus, 1994 ; Lebovici, 1994) : 1) la sidération et le déni de la réalité de la perte, 2) l’acceptation de cette réalité, 3) la douleur psychique marquée par des symptômes dépressifs, 4) le surinvestissement de l’objet perdu suivi de son désinvestissement. La dépression, caractérisée par la douleur de la perte, est l’une des phases essentielles du deuil. Chez le jeune, elle est caractérisée par une démotivation, un manque d’intérêt pour les activités habituelles, une irritabilité, voire une agressivité, des troubles du sommeil (hypersomnie) ou alimentaires (APA, 2013). De plus, les observations cliniques d’enfants endeuillés mettent aussi en évidence une intolérance à la frustration, un manque de communication et d’interaction, une tristesse (Arfouilloux, 1983), mais aussi une fréquence importante de deuils traumatiques, vu leur incapacité à comprendre la mort, leur immaturité affective et leurs mécanismes de défense non élaborés (Lebovici, 1994). Notre étude clinique (Papazian-Zohrabian, 2004) a montré que le deuil traumatique augmente les peurs, l’angoisse de séparation, la dépendance des enfants et les rend moins expressifs et communicatifs. Ces phénomènes ont une certaine influence négative sur l’adaptation des enfants. Les difficultés de comportement et d’adaptation sont relevées par divers auteurs (Beiser et collab., 2010 ; Skokauskas et Clarke, 2009).

L’influence sur les difficultés d’adaptation et d’apprentissage

Les conséquences des traumatismes sur le développement et la personnalité des enfants sont multiples. Des difficultés d’adaptation et d’apprentissage ainsi qu’un arrêt du développement affectif ou social ou une régression en font partie. Les recherches montrent que les enfants traumatisés présentent souvent des difficultés de comportement, telles que l’agitation, la méfiance envers les autres, l’agressivité ou le repli sur soi (Beiser, 2016 ; Papazian-Zohrabian, 2015 et 2016 ; Skokauskas et Clarke, 2009).

Quant aux deuils, leurs influences sur les apprentissages et l’adaptation scolaire sont multiples. Les résultats de diverses recherches soulignent la présence de problèmes au niveau de la compréhension, surtout des matières nécessitant une grande concentration comme les mathématiques, les sciences et la grammaire (Dyregrov, 2004), une baisse du rendement scolaire ou un échec scolaire (Davou et Widdershoven-Zervakis, 2004). Des effets négatifs à court et à long terme sur la scolarisation des enfants en deuil sont notés (Abdelnoor et Hollins, 2004), tels qu’un manque de motivation, d’implication, de disponibilité cognitive pour la tâche (Davou et Widdershoven-Zervakis, 2004 ; Worden, 1996). Nous pouvons donc conclure que les expériences de pertes et d’événements traumatiques peuvent affecter indirectement divers aspects de la vie de ces jeunes et influencer leur expérience socioscolaire.

L’expérience socioscolaire

Selon la conception de Charrette et Kalubi (2016), l’expérience socioscolaire serait notamment composée d’éléments scolaires, psychologiques, affectifs et sociaux relatifs à la scolarisation de l’enfant. L’expérience socioscolaire se dessine à travers l’interaction des environnements dans lesquels et avec lesquels l’enfant ou le jeune évolue : l’école, la famille et la collectivité. L’apport de cette définition englobante de l’expérience socioscolaire est certainement de dépasser les conceptions restreintes à la réussite scolaire (Charette et Kalubi, 2016), pour comprendre les processus et dynamiques qui peuvent moduler l’expérience des enfants en contexte scolaire. En cohérence avec ces idées, Lafortune (2012 et 2014) souligne l’importance de prendre en compte les facteurs personnels, sociofamiliaux et scolaires pour mieux comprendre l’expérience socioscolaire des élèves réfugiés.

Bon nombre de variables peuvent influencer l’expérience socioscolaire des élèves immigrants (Kanouté et collab., 2016). En ce qui concerne les jeunes réfugiés, des écrits soulignent quelques facteurs qui contribuent au développement de leur résilience dans leur nouveau contexte de vie : de bonnes habiletés sociales, l’utilisation de stratégies d’adaptation efficaces, une vision positive de soi-même, le soutien social, familial et scolaire ainsi que des services adaptés en santé mentale (Betancourt et Khan, 2008 ; Halcón et collab., 2004 ; Mohamed et Thomas, 2017). Sur le plan scolaire, la confiance en ses capacités, la motivation scolaire, le désir d’apprendre le français, l’habileté à demander de l’aide et la qualité de la collaboration école-famille sont des exemples de facteurs contribuant à la résilience du jeune et à sa réussite scolaire (Gosselin-Gagné, 2012).

Plusieurs défis attendent les élèves réfugiés, comme l’adaptation aux attentes scolaires et aux différences culturelles du pays d’accueil, tout en apprenant une nouvelle langue (Kanouté et collab., 2016 ; Kupzyk, Banks et Chadwell, 2016 ; Tyrer et Fazel, 2014), l’apprentissage de la langue de scolarisation (Armand, 2005), les processus d’évaluation des besoins et de classement des élèves réfugiés ou demandeurs d’asile (Borri-Anadon, Duplessis-Masson et Boisvert, 2018). Les élèves réfugiés peuvent aussi vivre de la discrimination dans leur pays d’accueil, ce qui peut engendrer des conséquences sérieuses sur leur santé mentale (Beiser et Hou, 2016) et sur leur adaptation sociale (Papazian-Zohrabian et collab., 2018 ; Montgomery et Foldspang, 2007). Parmi les éléments favorisant le parcours post-migratoire, le sentiment d’appartenance envers l’école a été identifié par les jeunes réfugiés et demandeurs d’asile comme étant le facteur le plus important leur permettant d’adopter des stratégies efficaces quant aux difficultés vécues, alors qu’un sentiment d’appartenance envers la société d’accueil est associé à une meilleure santé mentale (Beiser et Hou, 2017 ; Hadfield, Ostrowski et Ungar, 2017). Selon Charrette et Kalubi (2016), la collaboration école-famille-collectivité porte l’expérience socioscolaire des élèves immigrants ou réfugiés. Cette collaboration prend une autre valeur dans une société socioculturellement diversifiée (Mondain et Couton, 2011).

Bien que l’expérience socioscolaire n’ait pas été un concept étudié dans le cadre de cette recherche, nous considérons que certaines données relatives à sa définition méritent d’être soulignées. En effet, l’analyse menée sur les données recueillies nous a permis de noter un écart important entre la perception que les acteurs scolaires avaient du parcours, des deuils et des traumatismes pré-, péri- et post-migratoires de leurs élèves et les expériences réelles vécues par ceux-ci.

Nous allons maintenant présenter la méthodologie adoptée pour la réalisation de cette recherche ainsi que ses résultats secondaires, d’une grande pertinence sociale.

Méthodologie

Cette recherche (CRSH, subvention spéciale, 2016-2017) avait pour objectif d’évaluer l’influence d’une action ciblée sur le développement du bien-être psychologique et du sentiment d’appartenance des jeunes élèves réfugiés syriens. En cohérence avec cette requête, nous avons mené une recherche-action. Morrissette (2013) associe trois principales caractéristiques à ce type de recherche : une visée d’amélioration des pratiques, un engagement individuel et collectif des acteurs impliqués et une démarche de recherche adoptant un cycle de planification-action-observation-réflexion, ce qui correspond à nos objectifs de recherche. L’approche méthodologique adoptée est qualitative, appuyant le caractère exploratoire de notre recherche.

Les groupes de parole et l’accompagnement psychosocial

La partie action de cette recherche se décline en deux interventions menées dans trois écoles considérées comme des points de service pour l’accueil des réfugiés syriens à Laval et à Montréal. Ces écoles sont multiculturelles et ont des indices de défavorisation élevés. Les écoles participantes se sont elles-mêmes portées volontaires  : elles avaient depuis peu des classes d’accueil au sein de leur établissement et voulaient créer de meilleures conditions pour ces élèves. Afin de choisir les classes participantes, nous avons pris en considération le niveau de maîtrise du français des élèves. Celui-ci devait être suffisant pour que les élèves puissent participer activement aux discussions. Les enseignants titulaires de ces classes devaient également être volontaires.

La première action, menée auprès de 34 élèves du primaire de 8 à 12 ans, de 46 élèves du secondaire de 12 à 17 ans et de 5 enseignants de 5 classes d’accueil d’une école primaire et de 2 écoles secondaires, a pris la forme de groupes de parole. Trois règles régissaient ces groupes : (1) une liberté d’expression totale, (2) de la bienveillance, par une attitude exempte de jugements et (3) une confidentialité des propos. Durant les dix séances de ce groupe, les élèves abordaient les thèmes suivants : voyage, migration, mort et pertes, différences, foi, violence, identité, famille, vie et, finalement, l’expérience des groupes de parole. La participation à l’activité et la prise de parole étaient volontaires pour les élèves et leur enseignant (Papazian-Zohrabian et collab., 2017).

L’activité a été animée par des assistants de recherche. Une traduction arabe était fournie pour favoriser l’expression des jeunes. Ces groupes de parole s’inscrivent dans une approche d’intervention psychopédagogique et psychosociale en milieu scolaire et favorisent l’expression symbolique des traumatismes, les processus de deuil, l’expression des émotions et des souffrances. Ils permettent également d’offrir un cadre propice à la rencontre humaine. Cette activité, où les élèves peuvent échanger sur leurs expériences et leurs sentiments, se base sur le principe clinique spécifiant qu’un espace de parole libre favorise le développement du bien-être et le sentiment d’appartenance à l’école (Papazian-Zohrabian et collab., 2018).

La seconde action de cette recherche était l’accompagnement psychosocial, individuel ou familial, mené en contexte scolaire auprès de 7 élèves ciblés, ayant entre 8 et 17 ans, répartis dans les trois écoles. Les élèves participants à ce second volet ont été ciblés par les acteurs scolaires comme étant en mal-être. Leur suivi, réalisé par des psychologues scolaires-chercheures, a été adapté aux besoins de chaque élève et de sa famille. L’accompagnement a été fait auprès de 5 élèves et leurs parents et de 2 élèves sans leurs parents. En s’appuyant sur l’anamnèse de l’élève, la connaissance de son histoire développementale et scolaire, mais aussi sur la documentation du parcours migratoire de la famille, plusieurs besoins psychosociaux et scolaires ont été identifiés. Des interventions multimodales (en particulier accompagnement de la famille, du jeune et de l’enseignant avec écoute, conseils et mise en réseau avec la communauté) ont ensuite été proposées pour favoriser une expérience socioscolaire positive chez ces jeunes réfugiés.

Collecte de données et stratégie analytique

Les données ont été collectées dans le cadre (1) de rencontres de groupe pré-action avec les directions et les enseignants des classes d’accueil, (2) d’enregistrements audio des dix séances de groupe de parole menés dans les 5 classes, soit 50 au total, (3) d’entrevues semi-dirigées suivant l’activité (directions et enseignants) ainsi que (4) d’enregistrements audio transcrits ou de notes de 14 rencontres d’accompagnement psychosocial avec les parents et les élèves participants. Les entrevues avec les professionnels ont permis de recueillir les perceptions de ces acteurs sur la réalité de ces jeunes et de leur famille, sur les défis et les enjeux de leur expérience socioscolaire, mais aussi de souligner les besoins des écoles. Le contenu des groupes de parole et des rencontres d’accompagnement a été enregistré sur bandes audio puis transcrit.

Pour l’analyse de ces données, nous avons codé les extraits des groupes de parole et d’accompagnement psychosocial en fonction des manifestations de bien-être et de mal-être, des expériences de perte, de l’élaboration de deuils, d’expériences traumatiques et de l’élaboration de traumatismes. Une analyse thématique a ainsi été réalisée à l’aide du logiciel QDA-Miner selon un codage mixte (Van der Maren, 1996), en codant d’abord selon notre cadre conceptuel, prenant en considération les indicateurs pour chaque composante des concepts qui étaient à l’étude, mais en prenant également en considération des catégories émergentes. Cette première analyse nous a permis de relever des résultats spécifiques en lien avec nos objectifs de départ, soit le développement du bien-être et du sentiment d’appartenance au groupe-classe. À la suite de ce premier codage et de l’émergence des catégories, une analyse secondaire nous a semblé pertinente. Les extraits des entrevues avec les acteurs scolaires ont donc été codés en fonction de leur perception de la réalité psychosociale et éducative de ces jeunes et de leur expérience socioscolaire. Les journaux de bord des chercheurs ont permis également de recueillir des informations relatives au déroulement de l’activité ainsi que divers éléments contextuels permettant de nuancer l’analyse thématique.

Résultats

Parallèlement à nos principaux résultats de recherche relatifs au développement du bien-être psychologique de ces jeunes réfugiés et de leur sentiment d’appartenance à l’école, qui seront publiés ultérieurement, l’analyse nous a permis de relever, à travers les entretiens pré- et post-action auprès des acteurs scolaires, une méconnaissance du parcours pré-, péri- et post-migratoire de leurs élèves réfugiés ainsi qu’une méconnaissance de l’influence des deuils et traumatismes pré-, péri- et post-migratoires sur leurs difficultés d’adaptation et d’apprentissage. Ces lacunes peuvent influencer la manière dont les acteurs scolaires font face à la complexité de leur réalité. Tout semble indiquer que, tout en ayant de bonnes intentions, certains acteurs scolaires influencent négativement l’accueil et l’expérience socioscolaire des élèves vulnérables de leur école. À la lumière de ces résultats, il nous apparaît important de mettre en exergue certains écarts entre la perception et le discours de certains acteurs scolaires quant à la réalité et les défis des élèves réfugiés syriens autour de trois thèmes : leurs parcours migratoires, la réalité post-migratoire et le désir d’intégration.

Une perception banalisée du parcours migratoire

Lors des entretiens, les témoignages de certains acteurs scolaires nous laissent croire qu’ils semblent mal connaître le parcours migratoire de leurs élèves. Cette méconnaissance du parcours des élèves, jumelée à un manque de connaissances sur les deuils et les traumatismes, amène certains acteurs à banaliser parfois le vécu des élèves.

Plus j’apprends à les connaître, plus on apprend que, je ne dis pas qu’ils n’ont pas souffert, mais ils n’ont pas traversé une énorme crise au point de vue que nous les Occidentaux on voit, mon Dieu, les bombes, etc. Ils ont quitté rapidement vers le Liban, ont été scolarisés, viennent de familles généralement bien nanties, ils avaient des domestiques. Oui, ils ont dû abandonner des biens matériels là-bas, oui, ils ont vécu un déracinement, mais ils n’ont pas manqué de grand-chose. Oui, en arrivant ici ils ont vécu un choc, mais je ne pense pas que c’est un choc traumatique, mais je ne suis pas psychologue. […] Ils n’ont pas trop souffert, à part les biens matériels et le déracinement.

Acteur scolaire

Pourtant, plusieurs élèves participants ont vécu de multiples pertes et de multiples deuils migratoires (figure 1). Certains ont perdu des êtres chers à la suite de plusieurs événements, dont des effets de la guerre. Pour illustrer ces propos, voici l’exemple du témoignage d’un élève ayant vécu plusieurs pertes : « J’ai perdu mes amis… Chaque personne qui manque dans la Syrie, je l’ai perdue, chaque immeuble, chaque parc, chaque école, j’ai perdu beaucoup de choses. » Un autre élève témoigne de deuils liés à la guerre : « J’ai des amis qui sont morts par la guerre. » Finalement, lors de l’accompagnement, une mère raconte les pertes de son fils : « Ici, tout est changé pour lui, la langue, les amis, il a quitté la maison de sa grande mère en Syrie, toute la situation a changé pour lui. »

Les participants ont également témoigné avoir vécu de nombreux événements potentiellement traumatiques pré-migratoires, en Syrie et en lien avec la guerre, tels que l’exposition à la mort d’un être cher, la rupture brutale par la mort, l’angoisse de perdre un être cher, l’angoisse de mort ou la vue de cadavres. Lors du groupe de parole, deux élèves racontent la mort brutale de leurs enseignants :

Mon enseignant de sciences. Avant, un jour, il m’aidait pour, pour l’examen, j’ai examen de sciences euh... et il m’aidait et le jour après il m’appelait il dit comment ça se passe ton examen ? Et j’ai dit : il est très bien, il est très content et comme ça et aussi mes feuilles et mon livre restés dans sa maison et après quelques heures à 8 h 15 et il y a des personnes qui ont tué… dans sa maison, devant la porte.

Élève

J’ai vu mon enseignante de français en Syrie comment elle a quitté. Comment elle était devant moi … Elle était devant moi comme ça… il y a comme une bombe. J’étais juste à côté, devant moi… elle est morte. Je lui parlais comme ça, elle est morte devant moi.

Élève

Figure 1

Types de pertes vécues par les élèves

Types de pertes vécues par les élèves

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D’autres élèves et leurs familles ont vécu des traumatismes dans les pays de transit et ont vécu des parcours migratoires complexes, avec plusieurs déplacements :

[…] ils avaient des diplômes, donc quand ils sont partis dans les pays voisins, les personnes là-bas avaient peur d’eux, peur de prendre leur place. Donc ce qu’ils ont fait, ils ont quand même brûlé leurs magasins, leurs affaires, leurs propriétés pour les obliger à pas posséder quelque chose là-bas, mais plutôt travailler comme des ouvriers chez les autres.

Mère

Oui, on s’est beaucoup déplacés. Nous avons quitté notre maison et nous sommes allés chez mes beaux-parents qui étaient en voyage. Après nous sommes allés chez mes parents et après chez mon beau-frère… à cause de la situation. La dernière fois, on était chez mon beau-frère, et une roquette provient d’une région proche, tombe sur l’étage au-dessous, l’appartement explose et une dame meurt… Mon fils a entendu les vitres (se) casser, les stores, il a senti qu’il s’est passé quelque chose et avait peur.

Mère

Ces témoignages d’élèves et de parents expriment bien les difficultés et les traumatismes vécus lors du parcours migratoire vers le Canada, témoignages qui contrastent avec celui de l’acteur scolaire.

Une réalité post-migratoire difficile

Ces partages, tant des élèves lors des groupes de parole que des parents lors des rencontres d’accompagnement, ont mis en lumière la difficulté de leurs parcours post-migratoires. Plusieurs élèves participants au groupe de parole mentionnent qu’ils ont perdu une vie et des opportunités : « Il (élève) voit ça difficile parce qu’il sent qu’il doit recommencer à zéro. » (traduction du témoignage d’un élève). Malgré l’espoir d’une vie meilleure, certains élèves réalisent que la vie après la migration est difficile :

Ça va faire un an que je suis là et mon problème c’est que je pensais que ça allait être plus facile la vie ici. Je ne retrouve pas l’ambiance qu’il y a en Syrie… Mes amis me manquent, je ne peux pas voir des personnes avoir des problèmes et sentir que je ne peux rien faire pour les aider.

Traduction du témoignage d’un élève

Plusieurs parents ont aussi verbalisé lors des rencontres qu’ils avaient perdu leur vie et leur statut :

Le mot réfugié me fait très mal. Lorsqu’on est arrivé, il y a exactement un an à l’aéroport, quand j’ai lu le mot réfugié sur un papier, j’ai pleuré pendant plus d’une heure trente… C’est nous qui accueillons les réfugiés, irakiens, palestiniens, libanais… Ça me fait sentir que je suis quelqu’un en besoin d’aide… Et certains gens sentent qu’on vient prendre leur place et on nous apprécie pas.

Mère

Nos données soulignent que plusieurs participants vivent de nombreuses expériences traumatiques post-migratoires, telles que des actions et des paroles violentes et discriminatoires envers eux. Un élève témoigne d’un racisme de la part de autres élèves envers les Syriens : « Je dis que c’est pas juste les [membres d’une autre communauté arabe] qui détestent les Syriens, c’est le tout. » Un autre explique la discrimination vécue par les élèves inscrits en classe d’accueil : « Nous sommes dans les accueils. […] nous sommes habitués à des mots comme ça ou des mots qui nous insultent comme ça. »

Par ailleurs, cette discrimination mène parfois à des gestes insultants faits aux Syriens, comme celui-ci, partagé en groupe de parole :

Une fois, ils étaient devant leur casier, tous les Syriens, la cloche a sonné. Donc il y avait un groupe de garçons [d’une autre communauté arabe] en face et ils jetaient des spaghettis sur les Syriens. […] ils ont versé des jus aussi sur leur tête.

Élève

Ces discours viennent résonner dans le silence des acteurs scolaires relatif à toute situation de violence, de discrimination ou de racisme à l’école, alors que les entrevues visaient la situation des jeunes réfugiés à l’école et les défis de leur intégration.

Une mauvaise perception du souhait d’intégration

Jumelé à cette banalisation du vécu migratoire et post migratoire, le discours de certains acteurs scolaires laisse croire qu’ils doutent également du souhait d’intégration de leurs élèves :

Il y en a qui s’intègrent et il y en a que non et on sent pas une volonté [de vouloir s’intégrer], non, et à ce point-ci, désolée, c’est mon opinion, si à ce point-ci de l’année, tu sais pas plus parler français qu’au début de l’année, […]. Il y en a qui veulent pas.

Acteur scolaire

Moi j’ai expliqué à mes élèves que je ne pense pas que les autres de l’école les rejettent, mais c’est juste qu’ils sont toujours ensemble, qu’ils parlent une langue que certains ne comprennent pas… Les Québécois de souche, on ne parle pas l’arabe, alors moi, je me sens exclue, ils savent que moi je me sens exclue dans la classe...

Acteur scolaire

Pourtant, les témoignages de leurs élèves indiquent qu’ils veulent, au contraire, s’intégrer à la société d’accueil, mais que plusieurs obstacles les empêchent ou leur nuisent pour y arriver : « On nous dit de parler en français, mais quand on commence à parler on sent que les autres n’ont pas la patience de nous écouter. » (traduction du témoignage d’un élève). Un élève explique même qu’il souhaiterait avoir des amis québécois :

Il y a deux choses difficiles pour moi, d’abord avoir des amis québécois, c’est le plus difficile ici, j’ai beaucoup d’amis, mais je veux avoir des amis québécois, je veux pratiquer avec lui, quand je vois un ami arabe je ne peux pas lui parler en français.

Élève

Nous avons essayé, à travers ces extraits, de donner la parole aux élèves et aux familles réfugiés syriens réinstallés à Montréal ou à Laval pour mettre aussi en relief que pour bien accueillir et favoriser l’expérience socioscolaire positive de ces élèves, il est important de les connaître, de comprendre leur réalité et de prendre en compte leurs expériences. La mise en contraste avec les propos d’acteurs scolaires à leur égard nous permet d’illustrer ce que nous nommons un « écart de perception ». Nous allons maintenant discuter des implications de cet écart.

Discussion

Ces résultats secondaires de notre recherche soulignent le fait que les acteurs scolaires ne comprennent pas tout à fait les expériences de pertes et d’adversité et le vécu pré-, péri- et post-migratoire de leurs élèves réfugiés et arrivent à des conclusions qui ne correspondent pas nécessairement à la réalité relative à la souffrance de ces jeunes et de leurs familles et à celle de leur expérience socioscolaire ainsi qu’à leur souhait de réussir leur intégration au Québec. Il y a lieu de croire que cet écart entre la perception et le discours des acteurs scolaires et la réalité des élèves pourrait avoir une influence sur les décisions prises quant au cheminement de ces élèves, à la compréhension de leurs difficultés, mais aussi à l’offre et à l’adaptation des services. Il pourrait ainsi influencer directement leur expérience socioscolaire : la relation avec leurs enseignants et leurs pairs, leur sentiment d’appartenance, leur cheminement scolaire.

Une étude de Rossiter et Rossiter (2009), citée par Hadfield, Ostrowski et Ungar (2017), souligne que la formation des enseignants canadiens est limitée pour proposer aux jeunes réfugiés des interactions culturellement adéquates ainsi que des adaptations pédagogiques pour répondre à leurs besoins éducatifs. Nos résultats s’inscrivent dans cette lignée et mettent en évidence les besoins en formation sur des thèmes variés : la situation des réfugiés, leur santé mentale, les deuils et les traumatismes pré-, péri- et post-migratoires, leur influence sur l’adaptation et les apprentissages des jeunes, les signes de mal-être chez les jeunes, les pistes d’intervention en milieu scolaire et les activités favorisant le bien-être des élèves.

Après avoir présenté les résultats d’une étude qualitative portant sur l’accueil d’élèves réfugiés et en s’appuyant sur la littérature scientifique, MacNevin (2012) propose des pistes pour améliorer la situation scolaire des élèves réfugiés, entre autres, en apportant des changements relatifs à l’enseignement qui leur est destiné, en les soutenant émotionnellement, en assurant leur inclusion scolaire et sociale, en prenant en considération leurs expériences antérieures pour améliorer les apprentissages et en formant davantage les enseignants. L’importance de la formation et du soutien des enseignants et des parents est soulignée par McNeely et collab. (2017) et par certains modèles systémiques adressés aux enfants réfugiés touchés par la guerre, comme celui de Hamilton et Moore (2004).

À l’instar de l’étude de MacNevin (2012), nos résultats mettent en relief l’importance de connaître les élèves pour mieux comprendre leurs comportements en classe et à l’école ainsi que leurs difficultés et mieux les soutenir sur le plan émotionnel.

Nous soulignons aussi les particularités de l’expérience socioscolaire post-migratoire de ces élèves, expérience influencée par la perception et les attentes négatives de leurs enseignants quant à leur motivation pour l’intégration dans la société d’accueil, par la relation avec les pairs marquée par des expériences de discrimination et de violence et par une réalité familiale post-migratoire marquée par de multiples difficultés socio-économiques et psycho-affectives. Ces éléments comptent parmi les composantes psychologiques, affectives et sociales de l’expérience socioscolaire (Charrette et Kalubi, 2016) et peuvent donc l’influencer négativement, alors que le soutien familial, social et scolaire et l’offre de services adaptés, des éléments favorisant cette expérience (Betancourt et Khan, 2008 ; Halcón et collab., 2004 ; Mohamed et Thomas, 2017) sont parfois manquants.

Conclusion

Notre recherche a créé un contexte pour que de jeunes réfugiés s’expriment librement, que des parents puissent raconter leurs parcours migratoires et parler de leur enfant et que des acteurs scolaires puissent faire part de leurs difficultés. Elle a aussi permis de mettre en relief les multiples besoins et défis des écoles dans le processus de l’accueil et l’expérience socioscolaire des élèves immigrants. Sans avoir modifié le corpus de données collectées et sans vouloir généraliser la réalité scolaire mise en évidence, cet article souligne l’importance de la prise en compte des expériences et du vécu des jeunes réfugiés et de leurs familles ainsi que l’urgence de penser les pratiques d’accueil en milieu scolaire, d’en revoir l’organisation et de former les acteurs scolaires à l’intervention auprès de ces jeunes.

Il est vrai que l’arrivée en grand nombre d’élèves réfugiés ayant des parcours migratoires complexes et ayant vécu, dans des conditions d’adversité, des pertes, des deuils et des traumatismes peut déstabiliser une institution scolaire et son personnel et la mettre face à de nombreux défis, surtout si celle-ci n’en a pas l’habitude, la culture ou l’expérience (Papazian et collab. 2018). Il est important cependant de souligner que, pour ces jeunes réfugiés, le retour à l’école marque le retour à la vie, à la normalité (Papazian, 2015 et 2016 ; Persson et Rousseau, 2008). De plus, l’école étant le microcosme de la société, un accueil chaleureux à l’école et une première expérience socioscolaire positive pourraient marquer favorablement le début d’une nouvelle vie. La rencontre entre une société d’accueil et de nouveaux arrivants est un processus dynamique et bidirectionnel. Pour que des élèves se sentent appartenir à une communauté scolaire et s’y intègrent, il est important que celle-ci les accueille, aille à leur rencontre en découvrant leurs expériences pré-, péri- et post-migratoires, en comprenant les conséquences que celles-ci pourraient avoir sur leur adaptation et leur intégration et au besoin en trouvant des pistes de solution avec eux et pour eux.