Note de lecture

Le devoir d’insoumission. Regards croisés sur l’occupation américaine d’Haïti (1915-1934), sous la direction de Roberson Edouard et de Fritz Calixte[Record]

  • Mélissa Arneton

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Cet ouvrage en sciences sociales, paru au quatrième trimestre 2016, renvoie à une page méconnue de l’histoire de la Caraïbe et qui fait l’objet de peu de travaux scientifiques : l’occupation entre 1915 et 1934 de la première république noire, Haïti, par la première république blanche, les États-Unis d’Amérique. Le collectif d’auteurs mené par Roberson Edouard et Fritz Calixte présente de manière argumentée différents points de vue sur une situation d’occupation qui, loin de se limiter à un rapport néocolonial basé sur des rapports ethnicisés, renvoie à une mobilisation culturelle et identitaire majeure. Douze chapitres, regroupés en trois parties, permettent d’aborder ce que les auteurs appellent le « devoir d’insoumission » en tant [qu’] « acte politique de désobéissance civile » (p. 294). La première partie, historique, présente différents éléments des rapports entre États expliquant l’occupation américaine d’Haïti sous les angles sociologique, philosophique et économique. Le premier chapitre de philosophie politique relève les différences et les similitudes entre deux révolutions menées dans des colonies pour « rompre avec par et pour la métropole » (p. 24). Le deuxième chapitre revient sur le droit et le devoir d’ingérence que s’octroient les États les plus stables économiquement pour éviter la précarité d’autres États de la même aire géographique, au nom de valeurs telles que la démocratie ou le progrès, et il évoque de manière historique différentes étapes annonçant l’occupation américaine. Le troisième chapitre est davantage tourné vers les enjeux économiques au sein du Nouveau-Monde : il décrit les relations entre des États caraïbéens (Cuba, Haïti, République dominicaine) et l’État américain. À partir d’ouvrages d’époque, le quatrième chapitre fournit des éléments contextuels des relations entretenues avec Haïti, des points de vue américain (État dominant Haïti pendant l’occupation) et dominicain (région dominée par Haïti de 1822 à 1844, avant son indépendance). La deuxième partie de l’ouvrage évoque les effets de l’occupation au travers d’analyses de pratiques de résistances mises en oeuvre par des intellectuels (écrivains, journalistes et politiciens) de l’époque. Deux chapitres analysent des oeuvres littéraires rédigées sur le mode fictionnel engagé (Le Choc et Le Joug) critiquant l’occupation américaine. Les deux autres chapitres évoquent le parcours de Jacques Roumain, auteur d’une autre oeuvre engagée, Gouverneur de la Rosée, et homme politique de gauche. La troisième partie fournit des analyses compréhensives de manifestations de résistance ou de pratiques d’insoumission plus populaires que dans la section précédente. Populaire est à entendre ici au sens d’éléments répandus parmi l’ensemble du peuple, quelle que soit la classe sociale, qu’il s’agisse de la poursuite de pratiques religieuses décriées par l’occupant (chapitre 9), de la création d’une langue dans certaines zones géographiques pour ne pas être compris de l’occupant (chapitre 11) ou de la transmission sur un mode mythique du passé de résistance armée de l’oppression coloniale française à l’occupation américaine au travers d’oeuvres picturales très connues des Haïtiens (chapitre 12). Le chapitre 10, sur l’éducation comme lieu de résistance, semble moins relever de cette partie consacrée à l’insoumission populaire : il est davantage tourné vers les résistances politiques des Haïtiens à la mise en oeuvre d’un nouveau système éducatif par les Américains que vers les pratiques de scolarisation des familles. Les approches théoriques mobilisées dans cet ouvrage concernant la culture et l’identité ne relèvent pas d’une approche sociohistorique (Misantrope et Costalat-Founeau, 2014) ou sociocognitive (Berteaux, 2010), ni d'une approche clinique (Moussa-Babaci, 2016) : c'est un cadre d’analyse davantage tourné vers les institutions et l’action politique mené par certains individus qui est mobilisé par les auteurs. Ce positionnement en sciences sociales, partagé par les différents contributeurs qu’ils soient en sociologie ou en littérature par exemple, est …

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