« Je veux être lu comme un témoin pour l’Histoire », déclarait Gérard Étienne, à qui ce numéro est consacré, pour commémorer le quinzième anniversaire de sa disparition. L’écrivain haïtiano-canadien, dont « l’oeuvre romanesque anticipe la tragédie haïtienne actuelle » (Gérard Des Rosiers, Mois du créole à Montréal, 22e édition), avait plus d’une corde à son arc. Il était journaliste, éditorialiste, chroniqueur, reporter, critique littéraire, poète, essayiste, romancier, dramaturge et éminent linguiste ; il écrivait sans répit. Tantôt des articles savants, tantôt des reportages dans la presse : Le Moniteur, Le Voilier, Le Point, Le Matin, Le Devoir et Haïti-Observateur, entre autres. Écrire pour lui était un impératif mémoriel. Tous les genres littéraires qu’il abordait étaient pour lui une manière de dénoncer les injustices et les crimes commis par le pouvoir dictatorial des Duvalier, tous les présidents confondus, comme le laisse entendre la pièce de théâtre, Monsieur le président, écrite quelques mois avant sa mort et présentée à Montréal avec succès par la troupe Racine. C’est avec acharnement qu’il fustige les Duvalier et leurs méthodes de torture. Il démonise et tourne en dérision ces criminels imbus de pouvoir, incompétents, corrompus et cruels, qu’il compare à Hitler et à l’ancien président de l’Ouganda, Idi Amin Dada. Il divulgue le pacte tissé entre les présidents et les hougans (prêtres vaudou), qui permettait aux premiers de gouverner en misant sur la peur répandue par les seconds et en exploitant ainsi la naïveté du peuple. Il clame sa « dissidence par rapport aux régimes despotiques de (s)on pays » et son opposition à la doxa. Sa plume est le bras armé de sa lutte contre l’injustice dans son pays d’origine, nous faisant prendre conscience de l’usurpation des droits de la personne. Alors que des nantis qu’il nomme « les gros messieurs » s’engraissent, les gens du peuple n’ont ni de quoi manger ni où déposer leur corps pour une nuit de sommeil et dorment « par rotation dans une pièce d’un mètre de longueur sur un mètre de largeur ». Il a recours aux oeuvres de fiction, qui grossissent les faits, pour se faire l’avocat des droits de la femme. C’est ainsi qu’il rend compte de la situation en Haïti où une femme n’ayant pas de carte d’identité ne peut avoir accès à un lit d’hôpital. Ses recherches universitaires le conduisent à la publication d’un essai d’anthroposémiologie, La femme noire dans la littérature haïtienne (2007), dans lequel sur plus de deux cents pages, il analyse le statut de la femme noire, dénigrée et avilie. À travers toute son oeuvre, il s’attachera à la réhabiliter. Le contre-discours sur la femme noire, figurant dans la pièce de théâtre, vante la beauté de cette dernière et son intelligence, et la revalorise, nous rappelant qu’Étienne a été profondément inspiré par les idées véhiculées par les pères du mouvement de la négritude, Aimé Césaire, Léopold Senghor et Léon Gontran Damas, qui cherchaient à valoriser la Noire et la Métisse, ainsi que la culture noire. L’auteur dénonce également la domination masculine que l’habitus nous fait accepter. L’exilé politique qu’est Étienne critique la polarisation sociale aussi bien en Haïti qu’en Acadie, sa deuxième patrie. Il lutte contre les stéréotypes et les préjugés, contre la xénophobie, contre le racisme et l’antisémitisme. Il assume en outre son rôle d’intellectuel, à la façon dont le conçoit Michel Foucault : « rendre visibles les mécanismes de pouvoir répressif qui sont exercés de façon dissimulée » (Foucault, 1994, t. IV : 772), s’engageant dans l’ensemble des luttes « éthiques, sociales et religieuses ». Je veux souligner la précieuse collaboration de Jean-Luc Desalvo, professeur …
Appendices
Bibliographie
- Agamben, Giorgio (2008). Qu’est-ce que le contemporain ?, traduit par Maxime Rovere, Paris, Payot et Rivages.
- Meizoz, Jérôme (2009). « Ce que l’on fait dire au silence : posture, ethos, image d’auteur », Argumentation et analyse du discours, nº 3 « Ethos discursif et image d’auteur », [En ligne], [https://journals.openedition.org/aad/667] (consulté le 30 avril 2022).