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Ce dictionnaire, projet des Cahiers de théâtre Jeu, est un ouvrage de qualité à tous les égards. Quelle belle initiative ! C’est tout simplement un énorme plaisir de tenir ce livre entre les mains, avant même de l’ouvrir. La reliure est de la plus grande qualité artisanale (à un prix si modique !) – les pages de cet outil de référence majeur, qu’on n’hésite pas à ouvrir tout grand de peur d’en casser le dos, ne s’envoleront pas, même après de nombreuses consultations. Le design de la couverture est par ailleurs impeccable. Cette couverture, qui offre la photo de Denise Morelle et de Marcel Sabourin dans la mise en scène de Jean-Pierre Ronfard d’Ubu roi (L’Égrégore, 1962), représente en microcosme tout ce qui caractérise le théâtre québécois depuis son nouveau départ vers la fin du xixe siècle et que le Dictionnaire illustre si brillamment : la beauté artistique, la rigueur professionnelle, la recherche audacieuse, la créativité originale, l’engagement social, le ludisme subtil ou scandaleux, l’ouverture sur le monde, et le respect des traditions théâtrales qui n’empêche d’aucune façon des performances hautement irrévérencieuses. Et ensuite, le plaisir de commencer le tour de l’ensemble du territoire du théâtre québécois, en feuilletant rapidement le livre, et de se rappeler des moments inoubliables de l’histoire de ce théâtre, en contemplant les belles photos de spectacles, d’interprètes, de mises en scène et de scénographies.

En parcourant les entrées biographiques – concises et néanmoins riches en informations fiables –, les lecteurs auront la preuve que le théâtre québécois est tout simplement, comme le dit Michel Vaïs dans son introduction, « un art vivant, reconnu dans le monde comme l’un des plus dynamiques et inventifs qui soient » (p. 17). Vaïs explique que l’idée de l’ouvrage « était de consigner le parcours de 450 artistes qui ont le plus marqué le théâtre québécois des origines à nos jours » (p. 9). Sept des recherchistes les plus respectés du théâtre québécois forment la cohorte qui a collaboré, avec Vaïs et les Cahiers de théâtre Jeu, à la conception de ce dictionnaire et à la rédaction de la plupart des entrées : Hélène Beauchamp, Patricia Belzil, Raymond Bertin, Claire Dé, Jean-Marc Larrue, Renée Noiseux-Gurik et Christian Saint-Pierre. Vingt-six autres collègues y ont aussi contribué. Ces experts ont dû consulter des sources diverses, souvent difficiles à trouver et à vérifier, et aussi adapter leurs informations, quelles que soient la richesse et la durée de la carrière de l’artiste, au protocole éditorial qui imposait le même format et plus ou moins la même taille à toutes les entrées.

Vaïs consacre son introduction à l’exposé des objectifs qui ont déterminé le contenu du Dictionnaire et à l’explication des frontières qui ont délimité les champs historiques et artistiques représentés. Se faisant le porte-parole de l’équipe de collaborateurs, Vaïs se dit conscient du fait que, inévitablement, le bien-fondé des choix de l’équipe ne serait pas reçu à l’unanimité. Au nom de l’équipe, il en assume la pleine responsabilité : « Ce dictionnaire reste […] celui de l’équipe qui l’a fait […] Il y a là un jugement de valeur que nous assumons, comme le fait toute démarche historique » (p. 11-12). L’équipe a pris comme point de départ du projet l’affiche l’Arbre du théâtre québécois, préparée pour fêter, en 2001, le vingt-cinquième anniversaire de la revue Jeu. Cette première représentation de l’ensemble du théâtre québécois comportait sur ses branches et autres ramifications, sans commentaires, le nom d’interprètes, de metteurs en scène, d’auteurs, de scénographes, de critiques, de pièces, de compagnies, de lieux, de festivals, de maisons d’enseignement, d’éditeurs, de regroupements et d’organismes de soutien. Le Dictionnaire, cadeau d’anniversaire précieux offert à celles et à ceux qui aiment le théâtre, fait suite à la production de cet Arbre et célèbre les trente ans de la revue Jeu, fondée en 1976. Vaïs, le comité de rédaction et les membres de l’équipe se sont donné, pour des raisons réalistes et réalisables, l’objectif de se pencher uniquement sur la biographie théâtrale des artistes de la scène. Ils ont donc éliminé du Dictionnaire des entrées sur les auteurs, les pièces, les compagnies, les lieux, les critiques et les organismes, pour augmenter considérablement le nombre des artistes présentés. Ces derniers ont été classés – parfois arbitrairement – dans l’une des trois catégories adoptées : interprète, metteur en scène (metteurs en scène, marionnettistes, directeurs de troupe, pédagogues) et scénographe (décorateurs, costumiers, maquilleurs, éclairagistes, concepteurs de son).

Leur définition de l’artiste a nécessité l’exclusion de ceux et celles qui ont fait du théâtre avant 1880, ou qui sont ou étaient surtout des auteurs, des animateurs, des artistes de cinéma ou de télévision, des performeurs, des vidéastes, des chorégraphes, des danseurs, des conseillers dramaturgiques, des régisseurs, des comédiens-chanteurs et des producteurs. En même temps, l’équipe a voulu que la définition opératoire du théâtre inclue non seulement « l’art de la scène urbain, conventionnel et pour adultes », mais aussi le théâtre amateur, « le théâtre estival et pour jeunes publics, des marionnettistes et des mimes, des artisans du spectacle de variétés » (p. 10). L’équipe a considéré comme Québécois « des gens qui, travaillant au Québec, ont exercé une influence sur l’activité théâtrale qui s’est déroulée sur le territoire du Québec, quel que soit leur lieu de naissance » (p. 10). Dans la majorité des entrées, il s’agit d’artistes du théâtre francophone du Québec et de la région de la capitale fédérale. Quelques entrées seulement portent sur des activités théâtrales au Québec dans d’autres langues.

Parmi les trente artistes nés au xixe siècle, pionniers exemplaires qui exerçaient toutes les fonctions, figurent les premiers comédiens professionnels nés au Québec : Louis Labelle et Blanche de la Sablonnière. Les membres de cette génération d’artistes visionnaires ont participé à l’activité théâtrale en tant qu’amateurs et professionnels. Ils ont créé des associations, fondé et dirigé des troupes et des théâtres professionnels, offert des saisons largement variées, tout en créant quelques pièces québécoises, et donné des cours d’élocution et de diction. Ces cours préfigurent les écoles et conservatoires de théâtre fondés dans les années 1950 et 1960 et subventionnés par l’État, auxquels on doit en partie l’essor de l’activité théâtrale dans la seconde moitié du xxe siècle. Parmi les initiatives pédagogiques de départ, il faudrait signaler la contribution inestimable de deux enseignantes, Mme Jean-Louis Audet et Sita Riddez, à la formation professionnelle des générations d’artistes de la première moitié du xxe siècle, non seulement en diction et interprétation, mais aussi en mise en scène et connaissance des grands textes. Noiseux-Gurik qualifie de « cellule incubatrice du théâtre à Montréal » l’école de Mme Audet (p. 79). Dé écrit, à propos de Riddez, qu’il « n’est guère d’acteurs de la modernité québécoise qui ne lui doivent une part de leur apprentissage. […] elle peut être considérée comme une pierre angulaire de la formation théâtrale au Québec, la source inestimable d’un vaste lignage d’interprètes » (p. 343). Souvent aussi, les artistes de la première moitié du xxe siècle devaient leur formation à leurs aînés et à des stages en Europe.

La vision des artistes nés dans la première décennie du xxe siècle a engendré les premiers pas vers la modernité du théâtre québécois. C’était la première génération d’artistes à faire carrière sur les planches et aussi à la radio, au cinéma et, même, à la télévision. Parmi ceux et celles de cette génération qui ont participé à la fondation de compagnies et de théâtres populaires, il faudrait mentionner Ovila Légaré, Germaine Giroux, Charles Goulet, Jean Despréz, Émile Legault, Rose Ouellette et Gratien Gélinas. Le goût de la nouveauté manifesté par ces artistes s’exprimait au même moment dans de nouvelles approches du jeu, de la mise en scène et de la scénographie. Jacques Pelletier était, selon Noiseux-Gurik, le « pionnier de la conception scénographique et de l’éclairage tel qu’il est pratiqué aujourd’hui » (p. 315). Selon la même auteure, Marie-Laure Cabana « a jeté les bases d’un nouveau professionnalisme dans le domaine du costume de théâtre au Québec en mettant l’accent sur la création et l’unité scénique et sur une interprétation plus personnelle des personnages » (p. 79).

Vaïs affirme que le Dictionnaire « couvre essentiellement le xxe siècle du théâtre québécois, avec une prédominance pour la seconde moitié de ce siècle. C’est en effet avec l’avènement des premières compagnies stables que l’activité théâtrale s’est régularisée et professionnalisée » (p. 13). C’est donc la génération d’artistes nés dans les années 1930 et 1940 qui, travaillant sur les bases mises en place par leurs précurseurs, fait pousser les nombreuses branches de l’arbre du théâtre québécois tel qu’il s’est enraciné dans les années 1950 et 1960 et qu’il a feuillé si abondamment au cours des dernières décennies du xxe siècle. Sylvain Schryburt considère Pierre Dagenais « comme le premier metteur en scène du Québec » grâce à son intention de « réformer les modes de production » (p. 108). L’Équipe, fondée par Dagenais en 1942, était la première de ces compagnies par lesquelles l’activité théâtrale s’est régularisée et professionnalisée. Yvette Brind’Amour et Mercedes Palomino ont fondé le Théâtre du Rideau Vert en 1949 ; Jean Gascon, Jean-Louis Roux et les autres, le Théâtre du Nouveau Monde en 1951. Ces départs audacieux ont ouvert les portes à de nombreux théâtres de recherche ou de répertoire à Montréal, à Québec et dans plusieurs autres villes québécoises, théâtres qui forment encore aujourd’hui l’infrastructure de la collectivité théâtrale du territoire. Ces théâtres, les écoles et conservatoires, les universités et les collèges, les bourses et les prix, les associations professionnelles ont favorisé l’émergence de générations d’interprètes (nés au Québec ou arrivés d’ailleurs), de metteurs en scène et de scénographes talentueux. Grâce à ces femmes et de ces hommes, le théâtre institutionnel, le théâtre de création, le théâtre expérimental, le théâtre pour jeunes publics, le théâtre de marionnettes, le théâtre musical, le théâtre radiophonique et télévisuel, le cirque et le cinéma au Québec se sont forgés une place parmi les meilleurs du monde. Aussi, l’engagement de ces artistes a donné le coup de pouce à la dramaturgie, qui a pris son essor au Québec dès le milieu du xxe siècle.

Chaque entrée du Dictionnaire donne le lieu et la date de naissance des artistes, suivis de détails spécifiques sur leur formation artistique et le parcours de leur service au théâtre (rôles, titres, dates, metteurs en scène, auteurs, compagnies, spécialités), les hauts points de leur carrière, les postes occupés, les prix reçus, le tout organisé autour d’un « bref jugement sur son apport au théâtre québécois » (p. 16). C’était un si grand plaisir pour moi de vagabonder sur les sentiers de la forêt luxuriante du théâtre québécois. Chaque nom d’artiste exemplifie une vocation créatrice et généreuse. Prises ensemble, les entrées du Dictionnaire nous parlent de l’évolution d’un volet essentiel de notre histoire et de notre identité, et célèbrent, en protégeant la vitalité de notre mémoire collective, la beauté de ces initiatives à travers les décennies.

Mon seul regret porte sur l’index à la fin du Dictionnaire, qui contient plus de quatre cents noms d’« artistes cités n’ayant pas d’entrée dans cet ouvrage » (p. 413). Cet index se limite au nom des personnes, d’ici ou d’ailleurs, qui ont « agi comme artistes au sens des catégories retenues ». Ce triage a mis en place une liste qui me paraît anormale, surtout parce que les nombreux dramaturges qui ne sont ni interprètes ni metteurs en scène sont exclus, malgré l’importance de leur oeuvre dans les carrières des artistes. Ainsi, tandis que le nom de ces dramaturges se trouve dans les entrées, il n’est pas facile d’en suivre la trace au cours de l’ouvrage. Heureusement, d’autres outils existent pour avoir des informations sur au moins quelques-uns de ces dramaturges. Cependant, il me semble bizarre que Liv Ullman, par exemple, soit digne de figurer dans l’index, tandis que les Françoise Loranger, Marcel Dubé, Carole Fréchette, Michel Tremblay, Antonine Maillet, Michel Marc Bouchard, Jovette Marchessault ou Normand Chaurette y sont absents. Un index des dramaturges aurait été pertinent, ou mieux, un index global de l’ouvrage permettant de repérer les étapes du parcours d’un dramaturge, d’un théâtre, d’une compagnie en se référant aux événements de la carrière des artistes.