Notes de lecture

Sylvain Schryburt, De l’acteur-vedette au théâtre de festival. Histoire des pratiques scéniques montréalaises 1940-1980. Montréal : Presses de l’Université de Montréal, coll. « Socius », 2011[Record]

  • Alexandre Cadieux

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  • Alexandre Cadieux
    Université du Québec à Montréal

Depuis une vingtaine d’années, l’historiographie théâtrale au Québec a connu un ralentissement qu’ont déjà souligné, inquiets, plusieurs chercheurs dans le domaine comme Yves Jubinville et Jean-Marc Larrue. L’édition récente d’une poignée de livres à caractère historique semble indiquer un certain soubresaut qui, espérons-le, annonce un renouvellement de la discipline. Dans l’ouvrage qu’il consacre à l’évolution des pratiques théâtrales à Montréal entre 1940 et 1980, Sylvain Schryburt procède à un découpage qui permet de suivre l’apparition et le développement de l’art de la mise en scène au Québec. Il identifie ainsi différents régimes successifs au cours desquels le rôle d’agenceur des différentes dimensions de la représentation reviendra d’abord à l’acteur-vedette d’une troupe ou à son animateur avant que n’émerge la figure du metteur en scène comme instance auctoriale principale du spectacle théâtral, une autorité qui sera finalement contestée par les défenseurs d’une approche collectiviste de la création. Dans ce livre qui reprend l’essentiel de sa thèse doctorale, l’auteur adopte une approche bourdieusienne qui lui permet d’analyser, pour chacune des périodes étudiées, la dynamique des échanges entre les tenants de différentes positions idéologiques dans le champ soigneusement délimité du théâtre montréalais. Il expose également en détail comment les différentes innovations et orientations proposées par les nouveaux joueurs propres à chaque époque identifiée viennent modifier, après des périodes d’incubation de durée variable, l’horizon d’attente propre au public montréalais et à la critique dramatique. La première période (1937-1952) correspond au moment où le modèle de création productiviste hérité du XIXe siècle, qui prévoit la mise à l’affiche d’une nouvelle pièce par semaine, va être contesté par deux troupes dont les animateurs respectifs prendront tous les deux la plume pour défendre de nouvelles conceptions de l’art dramatique. Au théâtre résolument commercial comme celui qui se joue à l’Arcade, vu par ses détracteurs comme un temple du cabotinage et du vedettariat, le père Émile Legault et ses Compagnons d’une part et Pierre Dagenais et l’Équipe d’autre part vont opposer de nouvelles visions éthiques et esthétiques. Si les premiers favorisent un haut répertoire classique et chrétien et une interprétation stylisée, les seconds mettent l’accent sur un jeu naturel et un répertoire moderne. S’affichant comme une troupe professionnelle, l’Équipe de Dagenais choisit de consacrer un minimum de six semaines de répétition à chaque spectacle, ce qui permet un travail en profondeur sur le texte. Cette condition est essentielle à l’émergence de la figure du metteur en scène, qui dispose désormais d’une période de temps plus adéquate pour s’investir en profondeur dans la conception de tous les aspects de la production. Cette approche moins commerciale et davantage tournée vers une hausse générale de la qualité artistique de l’offre théâtrale montréalaise va se poursuivre au cours des années 1950, alors que les principales compagnies en activité que sont le Théâtre du Rideau Vert, le Théâtre-Club et surtout le Théâtre du Nouveau Monde s’engagent dans le développement de ce que Schryburt qualifie de « modèle de pureté ». Soucieuses de durer, ces compagnies n’ont pas le choix d’explorer un répertoire éclectique qui tient compte des goûts du public. Le TNM, dont la grande majorité des fondateurs ont étudié auprès de maîtres européens après avoir séjourné un temps chez les Compagnons, va se démarquer du lot grâce à la haute tenue de ces spectacles résultant de la professionnalisation de ses membres. La troupe animera même durant quelques années sa propre école afin de former une relève de qualité apte à participer à l’essor du théâtre montréalais. Les acteurs les plus doués de la compagnie, Jean Gascon et Jean-Louis Roux, font le plus souvent office de metteurs en scène ; proches des …