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Au cours des deux dernières années, les revues de langue française ont porté une attention accrue au théâtre contemporain. Alors que Voix et images consacrait tout un numéro à la dramaturgie de Daniel Danis, les revues Degrés et Tangence se sont penchées sur l’engagement du spectateur. De son côté, Jeu a traité de thématiques aussi diversifiées que le féminisme, le vivre-ensemble, le sexe et le jeu de l’acteur.

La dramaturgie de Daniel Danis décortiquée

Dirigé par Gilbert David, le dossier du numéro 118 de Voix et images, qui correspond également au 40e anniversaire de la revue de littérature québécoise, est consacré à la dramaturgie de Daniel Danis. Les textes présentés dans ce dossier rendent compte des particularités et de l’originalité de l’écriture de cet auteur, dont la pratique marque, au début des années 1990, « l’émergence d’une dramaturgie discordante, d’un théâtre-récit polyphonique qui bousculait bon nombre de conventions du drame dialogué, du personnage, de la fable et de l’action ».

Dans le premier article du dossier, Hervé Guay fait une lecture mythocritique de la ritualisation de la fable chez Danis. Il se penche notamment sur les mythes de création et de destruction présents dans plusieurs de ses pièces. Outre l’analyse de ces deux mythes fondateurs, Guay montre la diversité des sources à l’origine de l’imaginaire mythologique de Danis, parmi lesquelles figurent le christianisme, l’hindouisme, le judaïsme et la spiritualité amérindienne.

Geneviève Brousseau Rivet et Gilbert David déplient ensuite les différentes strates de la narration du Chant du Dire-Dire pour faire ressortir comment s’entremêlent récit de vie et témoignages des frères Durant dans cette pièce. Les deux chercheurs s’intéressent également à l’analyse de la posture paratopique de Danis dans le paysage théâtral québécois, alors qu’il multiplie les néologismes et les images verbales dans ses textes, participant ainsi d’un procédé d’étrangéisation dans son oeuvre.

Audrey Camus se penche sur la romanisation présente dans e. Roman dit. Prenant appui sur les théories de Bakhtine quant à la contamination des autres genres littéraires par le roman, elle analyse la nature composite du matériau narratif à la base de cette pièce, qui puise dans l’épopée, le conte et la chanson de geste et qu’elle associe à une résurgence contemporaine de la ménippée ou du comique sérieux. Camus en vient ensuite à examiner l’hybridation de l’oralité et de la littérarité dans cette pièce, où les tons et les matériaux se mélangent pour rendre compte de manière formelle de la fable qui y est racontée.

Puis, Jean-Pierre Ryngaert s’intéresse à la poétique de la parole de Danis, qui procède par accumulation d’épisodes souvent violents. Cette façon de raconter se distingue des usages habituels, alors que l’écriture danisienne est marquée par le gestus de la comparution, du témoignage, de la confidence et du commentaire. Ainsi, le spectateur devient partenaire d’une choralité intime et publique, à la fois objectivante et subjective.

Dans son article « Kiwi ou le vacillement des frontières », Joseph Danan expose quatre manières qu’a Danis de se jouer des catégories habituelles du théâtre jeune public : la porosité entre le théâtre et le roman, la prise en charge par l’auteur de l’écriture scénique de son texte, un questionnement sur le tabou qui concerne certains sujets légitimes comme la sexualité, ainsi que le déplacement d’une dramaturgie fortement ancrée en territoire québécois vers l’exploration d’un ailleurs.

Marie-Christine Lesage pose son regard sur la posture d’écrivain scénique qu’adopte Danis au tournant du millénaire, laquelle modifie le statut du texte au sein de la représentation. En tant qu’écrivain de plateau, Danis multiplie les langages, notamment audiovisuels et scénographiques, et fait émerger un imaginaire sensoriel où la fable linéaire fait place à un paysage mental livré aux associations libres de la pensée du spectateur.

Finalement, Yves Jubinville réfléchit au vivre-ensemble dans plusieurs oeuvres de l’auteur. À la croisée de la sociologie et de l’anthropologie, il avance que le théâtre danisien exposerait des figures marginalisées et métissées, qui évoluent dans des mondes affectés par la dissolution du commun, tout en restant animées par l’utopie d’une communauté réinventée.

En plus des sept études ci-haut mentionnées, le dossier « Daniel Danis » regroupe une entrevue menée par Gilbert David avec le dramaturge, un texte inédit de l’auteur intitulé « Dernier demain », huit images de productions scéniques des pièces de Danis ainsi qu’une bibliographie exhaustive préparée par Camille Robidoux-Daigneault. Par ailleurs, pour marquer le 40e anniversaire de Voix et images, le comité de rédaction a choisi d’intégrer trois articles parus antérieurement dans les pages de la revue, en reproduisant à l’identique la mise en page originale de ces textes. Parmi ces trois textes se trouve le premier article sur le théâtre jamais publié dans Voix et images, soit « Le Cid et Hamlet : Corneille et Shakespeare lus par Ducharme et Gurik », écrit par Renald Bérubé en 1975. Ce texte proposait alors une lecture intertextuelle et allégorique des pièces Le Cid maghané et Hamlet, prince de Québec, toutes deux créées en 1968.

Spectateur sous enquête

Organisé par Hervé Guay et Catherine Bouko, le colloque international L’engagement du spectateur s’est tenu du 19 au 22 mai 2014 à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Les communications prononcées dans le cadre de cet événement ont donné lieu à la publication de deux numéros thématiques, le premier dans la revue de sémiologie Degrés et le second dans Tangence.

Les sept articles rassemblés dans le numéro 160 de Degrés portent sur des pratiques théâtrales qui interrogent différentes modalités de l’engagement du spectateur amené à vivre des expériences singulières. D’abord, Anne Nadeau aborde la sortie au théâtre dans le contexte scolaire québécois. Après avoir dressé brièvement le portrait de la situation du théâtre jeune public au Québec, elle définit le rôle et les responsabilités des élèves-spectateurs, en faisant ressortir l’hétérogénéité qui caractérise ce « public captif » composé d’individus qui n’ont pas tous la même sensibilité ni le même bagage culturel. Dans une perspective socioconstructiviste, elle termine son article en insistant sur le rôle de l’enseignant comme « passeur-culturel ».

Dans son article « Celui qui retourne dehors : la figure d’un spectateur engagé par la scène et vers le monde », Daniel Le Beuan aborde l’engagement social du spectateur comme un matériau esthétique. Il étudie notamment le « rapport au dehors » du spectateur dans sa dimension spatiale (hors théâtre), temporelle (avant et après la représentation) et symbolique pour comprendre en quoi ce contexte influence l’activité spectatorielle. Le Beuan analyse par la suite le dispositif singulier du projet Cour d’honneur, présenté par Jérôme Bel en 2013 au Festival d’Avignon, qui consiste à faire du témoignage du spectateur la matière première du spectacle. Le Beuan souligne finalement les limites d’une analyse de l’activité spectatorielle strictement axée sur la réception en élargissant son analyse au contexte temporel et social de la sortie au théâtre et en proposant une manière de repenser les « processus complexes d’appropriation » au théâtre par le biais de l’analyse spécifique du récit de Jacqueline, un des quatorze témoignages qui composent Cour d’honneur.

Maria Stasinopoulou se penche quant à elle sur le travail de la compagnie hellénique Le Train de Rouf, qui a la particularité de présenter ses spectacles dans un wagon de train qui date du début du XXe siècle. Ce théâtre montre que, loin de limiter le choix du répertoire, l’exploitation de cette scénographie environnementale particulière permet de construire une relation peu conventionnelle avec le spectateur. En analysant les mises en scène qu’a fait Le Train de Rouf des pièces québécoises Le collier d’Hélène de Carole Fréchette et L’enclos de l’éléphant d’Étienne Lepage, Stasinopoulou illustre comment les particularités du rapport scène-salle affectent les composantes traditionnelles du spectacle telles que le texte, le décor, le son et le jeu des acteurs, en plus d’offrir une expérience kinesthésique au spectateur.

À partir des théories du sociologue Richard Sennet, Klaas Tindemans se penche sur le rapport social et citoyen que met en place le collectif suisse-allemand Rimini Protokoll dans son spectacle 100% Bruxelles ainsi que sur les possibilités d’autogestion du spectacle par les spectateurs dans Numax Fagor Plus de l’artiste catalan Roger Bernat. Il rappelle que dès le XVIIIe siècle, la configuration de la salle servait à éviter que les spectateurs se transforment en un public spontané et chaotique, la police tenant à maintenir l’ordre dans le microcosme théâtral. Toutefois, l’homogénéité du public « embourgeoisé » et l’attitude consensuelle des spectateurs feraient en sorte que cet éveil social ne s’opère plus dans les spectacles contemporains, même ceux qui ont une ambition citoyenne comme ceux de Rimini Protokoll et de Bernat.

En prenant appui sur son expérience de spectatrice, Marion Chénetier-Alev analyse la radicalité de l’engagement du spectateur dans The Pyre et Jerk, deux spectacles de la metteure en scène franco-autrichienne Gisèle Vienne. Outre le mélange des supports intégrés à la représentation (marionnettes, danse, vidéo, musique, éclairages), les créations de Vienne sont déstabilisantes en raison de l’expérience singulière de lecture qu’elles instaurent. Dans les deux spectacles étudiés, Vienne opère une dissociation du visuel et du verbal, ainsi qu’une réinvention du couplage scène-salle. Dans The Pyre, un texte d’une quarantaine de pages est remis aux spectateurs et consiste en la dernière et troisième partie du spectacle, que le public aura la discrétion de lire (ou pas) dans les conditions spatiotemporelles qu’il aura choisies. De même, la lecture est intégrée au dispositif scénique de Jerk, alors qu’un temps est prévu durant la représentation pour que les spectateurs puissent prendre connaissance de certains passages écrits, qui prennent le relais de l’histoire racontée par le comédien sur scène.

Hervé Guay étudie l’interaction entre les spectateurs et les performeurs du spectacle En anglais comme en français, it’s easy to criticize en s’appuyant sur la théorie des cadres de l’expérience d’Erving Goffman. Il étudie les microperturbations qui surviennent dans chacun des trois cadres définis par Goffman, soit les cadres représentationnel, spatial et cognitif-culturel. Il démontre que c’est en altérant les limites de ces cadres que le metteur en scène Jacob Wren transforme et personnalise l’expérience du spectateur dans sa production.

Finalement, Bénédicte Boisson s’intéresse aux spectacles du Théâtre du Radeau, qui permettent de réfléchir à l’articulation du singulier et du commun dans la relation de coprésence que vivent les acteurs et les spectateurs. Entre approche sensible et mise à distance du dispositif, la pratique du Théâtre du Radeau subvertit les conventions dramatiques pour proposer une dramaturgie davantage interartistique et performative. Boisson explique que même si chacun entretient un rapport subjectif aux pièces de cette compagnie française, les perceptions des spectateurs sont traversées par des imaginaires et des représentations collectives à cause de leur expérience commune du spectacle.

Dans le numéro 108 de la revue Tangence, l’agencement des articles vise plutôt à redéployer la réflexion sur le spectateur contemporain autour de trois dimensions liées à l’engagement : l’expérience, le corps et le discours. Les cinq chercheurs qui collaborent à ce numéro sont issus non seulement des études théâtrales, mais aussi de la philosophie, de l’architecture, de la danse et de la littérature.

En ouverture de dossier, Aline Wiame rend compte de l’apport de John Dewey dans l’ancrage de la notion d’expérience dans la philosophie et l’esthétique contemporaine, notamment par le biais de son ouvrage Art as Experience, ainsi que des obstacles rencontrés après lui par d’autres philosophes qui ont réfléchi à la question du spectateur. Elle en vient au fait que la position du spectateur doit être comprise en fonction d’un réseau relationnel où priment l’expérience active et l’engagement autour d’une oeuvre aux frontières mobiles et poreuses, définies tout autant par ceux qui la produisent que par ceux qui la reçoivent et la remodèlent. Wiame termine son article en retraçant quelques chercheurs, comme Jacques Rancière, qui s’inscrivent dans le prolongement de la pensée de Dewey et qui en sont venus à développer une Performance Philosophy qui permet de repenser les articulations entre philosophie et arts de la scène.

Catherine Bouko se questionne sur la relation entre théâtre immersif et interaction, deux notions qui impliquent une grande diversité de définitions. Afin de mieux les distinguer, Bouko cherche à voir en quoi l’interaction se différencie d’autres notions voisines, comme celle de partage, de participation, d’échange et de sensation, avant de proposer sa propre définition du concept. Elle suggère ensuite trois critères permettant d’identifier l’immersion au théâtre : la rupture avec la frontalité, l’intégration du spectateur à l’espace de la fiction et sa confrontation avec des « troubles perceptifs » de tous genres. Elle en vient à identifier différentes stratégies mises en oeuvre dans les spectacles immersifs, à la lumière d’exemples tirés de la dramaturgie européenne actuelle.

C’est sur les « intermittences de l’expérience immersive » que se penche Catherine Cyr dans son article. À partir des spectacles montréalais Himmelweg de Geneviève L. Blais et Résonances de Carole Nadeau, elle cherche à relever des traits récurrents des parcours ambulatoires. Son analyse subjectiviste se base sur la théorie d’une conscience corporelle réflexive, élaborée par Richard Shusterman, et met en relief les modalités particulières de réception qu’implique l’engagement physique du spectateur dans un espace qu’il partage avec des acteurs présents ou virtuels. Cyr démontre que le théâtre immersif, par le détournement d’un lieu réel à des fins fictionnelles, par l’enveloppement sonore du spectateur ou par diverses stratégies de mise en doute du réel, transporte le spectateur dans des environnements à l’intensité variable, allant d’une surexcitation sensorielle à des passages à vide favorisant une « inattention sélective ».

Julia M. Ritter appuie son analyse sur son expérience personnelle pour étudier le spectacle Sleep No More. Dans son article, elle cherche à cerner le rôle de la danse comme vecteur de participation du spectateur dans le théâtre immersif. À la lumière d’une centaine d’entrevues réalisées avec des artistes et des spectateurs de la production, elle propose l’idée selon laquelle Sleep No More use d’une danse en tandem (tandem dance) afin de stimuler le mouvement du public à travers les six étages et la centaine de pièces de l’Hôtel McKittrick, où se déroule le spectacle. À la chorégraphie prédéterminée des danseurs s’ajoute celle improvisée des spectateurs, ce qui donne au spectacle sa forme particulière. Ritter conclut en démontrant que la chorégraphe Maxine Doyle s’est servie de quatre stratégies typiques de la danse postmoderne américaine afin de concevoir cette chorégraphie : le mouvement piéton et les gestes quotidiens, l’utilisation du hasard, le contact improvisation et l’attention portée à la spécificité du lieu.

Finalement, Catherine Aventin étudie les arts de la rue d’un point de vue spatial et sensible en faisant ressortir les liens qui unissent l’architecture et le public lorsque des événements spectaculaires sont présentés dans la ville. Elle s’appuie sur la prestation du Royal de Luxe et sur celle des compagnies Groupe ZUR et Embarquez afin de voir quels liens peuvent se créer entre le lieu de représentation, l’événement artistique et les pratiques et représentations sociales. Elle cite des témoignages de spectateurs pour montrer l’incidence de ces performances sur leurs perceptions et sur l’usage qu’ils font de leur corps dans l’espace public. Aventin termine en s’interrogeant sur la trace que ces événements laissent dans la mémoire des spectateurs.

S’ouvrir à l’autre

Le premier numéro de la revue Jeu paru en 2015 (154) porte sur la nourriture en scène et rassemble des témoignages d’intervenants issus de la danse, du théâtre et de la performance. Catherine Cyr et Katya Montaignac mentionnent dans le texte de présentation du dossier que la représentation de la nourriture dans les arts vivants bénéficie d’une présence « (re)marquée » sur la scène contemporaine, alors que l’olfaction et le goût ont longtemps été tenus à l’écart. La nourriture bouscule maintenant l’expérience de réception du spectateur, alors qu’elle apparaît sous toutes ses formes. L’objectif des analyses, entretiens et comptes rendus de ce dossier est de circonscrire les différents usages scéniques de l’aliment et leurs effets sur l’expérience de la représentation.

Jeu se tourne ensuite davantage vers des considérations sociales pour les trois numéros qui composent les autres publications de l’année 2015. Le numéro 155, dirigé par Michelle Chanonat, porte sur la proximité linguistique, culturelle et politique qui rapproche la Belgique francophone et le Québec ainsi que sur les échanges artistiques féconds entre ces deux communautés. Différentes démarches de Québécois en Belgique et de Belges au Québec sont donc mises en lumière dans les articles du dossier.

De nouveaux territoires féministes

Dans l’introduction du numéro 156 de la revue Jeu, Emilie Jobin met de l’avant la pluralité des féminismes, ainsi que la résurgence de la pratique féministe en théâtre et en danse qui, selon elle, pourrait avoir été catalysée par les bouleversements sociaux du printemps 2012. Dans le premier article du numéro, Catherine Lalonde dresse un portrait de la comédienne et slameuse Elkahna Talbi, alias Queen KA. Prise entre son désir de correspondre au modèle féminin que commandent ses origines tunisiennes et sa réticence à être cette jolie jeune femme discrète, Talbi puise dans son vécu la matière de ses spectacles. Elle se demande notamment si le féminisme implique nécessairement une militance active. Une inquiétude similaire est récurrente chez plusieurs artistes qui craignent que l’affichage de leurs positions féministes dans l’espace public n’oriente la réception de leur travail. On trouve cette peur de voir les créations réduites à la seule dimension du « théâtre engagé » dans les articles rédigés par Mylène Bergeron et Philippe Dumaine (projet hybris), Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent (Théâtre de l’Affamée), ainsi que Marie-Pier Labrecque, Mylène Mackay et Thomas Payette (Bye Bye Princesse). De même, l’article de Christian Saint-Pierre qui clôt le dossier rend compte de la réticence de Catherine Vidal et de certaines des instigatrices de la pièce S’appartenir(e) à associer leur projet au féminisme.

En outre, comme Marie-Claude Garneau et Emmanuelle Sirois le constatent, le féminisme est un type d’engagement qui suscite encore un malaise particulier au sein de la société, un problème que la réception de la pièce J’accuse, d’Annick Lefebvre met en évidence. Les auteures se penchent notamment sur le parallèle effectué par plusieurs critiques entre J’accuse et La nef des sorcières, pièce canonique du théâtre féministe québécois. Soulignons que le dossier comporte aussi une amorce de théorie féministe de la danse avec l’article de Frédérique Doyon consacré au travail de la chorégraphe Dana Gingras, en particulier au spectacle Somewhere Between Maybe, qui désarçonne le spectateur en renversant les stéréotypes féminins.

Vivre ensemble

Dirigé par Raymond Bertin, le numéro 157 de Jeu porte sur le vivre-ensemble. Il cherche à rendre compte d’expériences scéniques mettant de l’avant la recherche de nouvelles valeurs communes tout en renouvelant les façons de faire au sein même des compagnies de création. 

Le numéro s’ouvre avec un article d’Émile Proulx-Cloutier à propos de la pièce Pôle Sud : documentaires scéniques, deuxième spectacle conjoint qu’il crée avec Anaïs Barbeau-Lavalette. Les deux artistes ont choisi de travailler avec la collectivité voisine du théâtre Espace Libre et de placer des habitants du quartier Centre-Sud (Montréal) au coeur de leur pièce. Proulx-Cloutier explique que, grâce au dispositif que permet le documentaire scénique, les « personnages » choisis se trouvent sur scène en chair et en os alors que leur voix, issue d’une entrevue préenregistrée, jaillit des haut-parleurs. Le créateur détaille le processus ayant mené à l’élaboration du spectacle, de la recherche jusqu’au montage des entrevues qui constitue, selon lui, la véritable écriture de la pièce.

Dans son article « Le commun, une utopie », Andréane Roy étudie les spectacles Culture, Administration & Trembling d’Antonija Livingstone et D’après une histoire vraie de Christian Rizzo qui mettent tous deux en scène des micro-utopies pragmatiques et sensibles, lesquelles illustrent que le rassemblement et le commun sont devenus des leitmotivs et des préoccupations récurrentes du temps présent.

De son côté, Astrid Tirel aborde la redéfinition du vivre-ensemble en prenant appui sur des artistes présents sur les scènes autochtones actuelles. Il y est question de Lara Kramer (Native Girl, Tame), danseuse et chorégraphe d’origine ojibwée et crie qui puise dans les fractures sociales qui l’entourent pour amorcer un dialogue, du spectacle Réserves – phase 1 : la cartomancie du territoire de Philippe Ducros, présenté au Jamais Lu en 2015, ainsi que de la pièce Muliats, du collectif Menuentakuan.

Nayla Naoufal rend compte d’expériences chorégraphiques pour lesquelles certains chorégraphes contemporains font appel à des non-danseurs qui sont invités à se mouvoir en collectivité. En plus de créer une atmosphère festive et de démocratiser un art qui semble encore hermétique pour plusieurs, ces initiatives participent, selon l’auteure, à l’apprentissage du vivre-ensemble.

Chloé Gagné Dion s’intéresse au dispositif participatif du spectacle Un ennemi du peuple, de Thomas Ostermeier, présentée au Festival TransAmériques en 2013. La représentation comporte un moment d’interaction avec le public, invité à donner son avis sur les enjeux de la pièce, mais cette apparente ouverture au public ne peut en aucun cas modifier la suite de la pièce. Néanmoins, l’auteure remarque que la simple impression d’avoir son mot à dire dans la pièce contente la majorité des spectateurs sans égards à l’efficacité de cette participation.

De son côté, Gibert Turp rend compte de l’évolution des pièces Un, Deux et Trois de Mani Soleymanlou. Le processus de création d’une telle trilogie permet de donner une plus grande ampleur à une démarche d’engagement social et esthétique en théâtre. C’est d’ailleurs la formule qu’a choisie le Théâtre du Futur pour développer plus en profondeur un théâtre identitaire à l’humour acerbe. Michelle Chanonat rend compte de sa rencontre avec les artistes de cette compagnie, Olivier Morin et Guillaume Tremblay, où a été abordée leur « trilogie du futur » (Clotaire Rapaille, L’assassinat du président et Épopée Nord ).

L’article de Raymond Bertin clôt le dossier en se penchant sur deux pièces de théâtre d’Olivier Choinière. Dans Ennemi public, l’auteur et metteur en scène dresse le portrait d’une famille québécoise d’aujourd’hui dans tout ce qu’elle a d’ordinaire, alors que dans Polyglotte, il provoque une rencontre du public avec huit néo-québécois, des immigrants de première génération vivant dans le quartier environnant du Théâtre Aux Écuries. Ces deux pièces mettent en évidence les travers de la société québécoise, travers dans lesquels Choinière se reconnaît d’ailleurs lui-même.