Recherche-création

Vera Icona : poétique de l’image-scène[Record]

  • Véronique Caye

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  • Véronique Caye
    Artiste chercheuse

L’image pour la scène a toujours accompagné mon parcours de vidéaste et de metteure en scène. En tant qu’espace projeté, elle constitue le point de départ de mes spectacles. Apparitions, disparitions, illusions... l’image dialogue avec l’espace de la scène, brouille les sens, les regards, détourne et dévoile un espace mental, invite à découvrir le caché et l’invisible. L’image vidéo a envahi nos plateaux de théâtre et notre monde quotidien. L’image-scène est peut-être le plus grand bouleversement formel du théâtre d’aujourd’hui. La nécessité de mener une enquête pour décoder la mise en scène de l’image dans le spectacle vivant s’est imposée à moi. J’ai intitulé cette enquête Vera Icona : poétique de l’image-scène. Elle relève d’une ambition qui se veut artistique et subjective. Je ne juge pas, ne donne aucune leçon, je ne cherche qu’à établir des correspondances, mettre en tension, poser des énigmes. Cette enquête a commencé avec mon premier spectacle : Shot. Dans cette création et les suivantes, l’image vidéo occupe une place centrale dans la dramaturgie, qu’elle partage à parts égales avec le texte et le jeu de l’acteur. Espace, sens, actrice, l’image est au centre de la représentation. Shot est inspiré de l’essai poétique du même nom de Patrick Bouvet traitant des images-choc qui ont marqué le XXe siècle : « Pendant l’écriture de Shot, je travaillais sur Hiroshima, et je suis tombé sur le témoignage du pilote qui a lâché la bombe. Il expliquait que la prise de conscience de son acte n’avait eu lieu qu’après avoir vu les photos. La réalité passait par l’image », dit Bouvet (cité dans Dalain, 2001). Cette parole m’a profondément marquée. Depuis, la pensée d’une surpuissance de l’image ne m’a jamais quittée. Le pilote d’Hiroshima a constaté la réalité de son acte en voyant la photographie. Le regard du spectateur aurait-il besoin de l’image-scène pour rendre le théâtre plus réel? L’image vidéo ouvrirait-elle un accès vers une autre dimension, une autre réalité, à la fois superposée et concomitante? Le théâtre, dans le cadre de sa scène, offre déjà une image scénique. L’ajout d’une image vidéo viendrait-elle créer un vertige, une mise en abîme des réalités, un nouveau cosmos? Le corps de l’acteur serait-il aspiré par la nébuleuse image? Ou bien, au contraire, plus vivant que vivant? Comment le verbe parviendrait-il à son destinataire? Par l’image, par la voix, par l’esprit? Le regard du spectateur, face aux multiples impulsions de l’image scénique augmentée de l’image vidéo, dialoguant avec le corps, le texte, l’espace, se perdrait-il dans ce théâtre abyssal ou cultiverait-il son extralucidité pour accéder à une perception aiguisée du sens? Qu’est-ce que l’image-scène? Qu’est-ce qu’elle fait? Qu’est-ce qu’elle nous fait? Répondre à ces questions revient à considérer la puissance sémiologique de l’image vidéo sur scène. Par sa faculté de représenter la présence du réel en son absence, de l’augmenter ou le commenter, d’agir sur l’inconscient du spectateur, l’image-scène ne peut pas être seulement décorative ou anecdotique. Elle est partie prenante du processus de création d’un spectacle, comme un messager, un acteur central de la dramaturgie et de la scénographie. Les formes de l’image-scène étant multiples (vidéo en direct ou tournée en amont, diffusion sur écran, projection, image abstraite ou narrative, etc.), il n’est pas aisé pour le créateur de déterminer le « rôle » de notre personnage-image, de trouver le juste chemin dans cette nébuleuse. L’image-scène peut devenir vertige, avaler, échapper, engloutir celui qui voudrait la saisir. Elle est une énigme que j’ai eu envie de décoder au sein même de ma pratique artistique, mais également …

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