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Introduction

Cet article partage l’expérience d’une recherche qui s’annonçait prévisible, mais qui a surpris l’équipe. Présenté à la manière d’un cahier de bord, ce texte décrit notre parcours en trois temps. Les membres de l’équipe étant tous formés à l’école hypothéticodéductive, notre recherche débute par une mise en contexte, une recension des écrits ainsi qu’une problématique en bonne et due forme. Le design de recherche repose essentiellement sur une analyse de contenu médiatique, une méthodologie éprouvée. Or, dès les premiers exercices de codage, il appert que la stricte analyse de contenu ne permet qu’un regard partiel sur la problématique énoncée. Une deuxième phase de collecte de données s’ajoute alors sous la forme de courts entretiens individuels. La richesse des réponses recueillies amène l’équipe à reconsidérer le design de la recherche, tant sur le plan de la problématique que de la méthodologie. La pertinence des approches épistémologiques et méthodologiques choisies au départ est remise en question. Ainsi, la troisième section de l’article fait état des discussions qui mènent à un redéploiement dans une perspective plus inductive, reposant essentiellement sur des questions de recherche ouvertes et faisant le choix de ne pas vérifier d’hypothèse. Le lecteur observera la réorientation de la recherche à travers les prises de conscience de l’équipe, l’évaluation des techniques de recherche utilisées et même par le changement du vocabulaire privilégié.

L’article se termine par une réflexion critique a posteriori sur l’ensemble de la démarche. Nous y constatons que l’équipe a délaissé une méthodologie peu contestable pour une méthodologie plus téméraire. Cette aventure démontre que le succès d’une recherche ne repose pas strictement sur un choix méthodologique précis, mais surtout sur son adéquation avec l’état des connaissances sur l’objet investigué. Nous en concluons que les approches inductives s’avèrent précieuses au moment d’amorcer un programme de recherche d’envergure.

Le propos principal de cet article est une réflexion méthodologique. Or, comme mentionné précédemment, ce n’est pas de l’objectif principal de la recherche dont ce texte émane. Il nous faut donc dire quelques mots sur la recherche qui fut le théâtre de cette expérience. Chercheurs en communication, nous nous intéressons aux médias et à leur contenu informationnel. Toute société démocratique nécessite la présence, voire la vigueur, d’institutions et de mécanismes de communication permettant aux citoyens d’échanger entre eux et avec les gouvernements. Nous estimons, à l’instar d’autres auteurs (Habermas, 1978; Schlesinger, 1987; Schudson, 1995), que les médias, bien qu’imparfaits, jouent un rôle de premier plan dans le maintien d’une cohésion sociale. Considérant l’importance de l’information journalistique dans les sociétés, nous consacrons notre recherche à l’étude des transformations qu’elle vit sous la pression exercée par les relations publiques.

L’étude des médias et de leurs contenus constitue un champ de recherche documenté et foisonnant. Or, la majorité des travaux et les meilleures pratiques sont ancrées dans le paradigme hypothéticodéductif. Nous tenions à partager notre expérience pour signaler à d’autres chercheurs que cette approche peut s’avérer limitative. Par cet article, nous désirons aussi attirer l’attention des chercheurs en relations publiques et en journalisme et les introduire aux démarches inductives, lesquelles sont très rarement préconisées dans ces domaines.

1. Contexte et problématique générale

Le questionnement sur l’importance des relations publiques dans les informations journalistiques est né à la suite d’une recherche sur la convergence (Francoeur, 2012). La convergence est le mot d’ordre dans l’industrie des médias depuis les années 90 (Bernier, 2008; Quinn, 2006; Winseck, 1998). Elle se manifeste de différentes façons : intégration des équipes journalistiques radio, télé et Web en une seule équipe multiplateforme (Francoeur, 2012), réutilisation du même contenu journalistique dans plusieurs médias d’une même entreprise de presse (Bernier, 2008), coproduction de contenu entre professionnels et non-professionnels (Jenkins, 2006), etc. Singer (2004) parle de la convergence comme de combinaisons à géométrie variable, agençant différemment les reporters, les technologies, les produits et la géographie. La convergence est liée aux développements technologiques, à la fragmentation des auditoires et aux impératifs économiques et règlementaires (George, 2010).

La convergence a un impact sur les méthodes de travail des journalistes : la recherche à l’origine du présent projet a montré que les journalistes sont confrontés à un manque de temps face aux nombreuses plateformes à alimenter. Ils doivent adapter leurs façons de travailler à cette nouvelle réalité. Une des méthodes de travail qui semble émerger est d’utiliser l’information fournie par des relationnistes et de la mettre rapidement en ondes et en ligne, sans traitement journalistique. Cette constatation au cours de la recherche de Francoeur (2012) nous interpelle. Puisque les journalistes ont énoncé ces faits, nous estimons qu’une nouvelle recherche est nécessaire. Celle-ci pourrait vérifier, empiriquement, la présence et l’importance des relations publiques dans les nouvelles[1].

Cette vérification serait cruciale pour qui réfléchit à ce qui distingue les deux métiers liés à la création d’information. Miège décrit la différence entre l’information journalistique et les relations publiques ainsi : « La légitimité socio-politique des premières s’est construite en référence à quelques-unes des valeurs fondatrices et centrales des régimes politiques démocratiques; quant aux secondes, elles sont toujours attachées aux phénomènes d’influence et de manipulation sociales » (1997, p. 158). La Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) indique, quant à elle, dans son Guide de déontologie qu’un journaliste ne doit pas être confondu avec un relationniste :

Les journalistes doivent s’abstenir d’effectuer, en dehors du journalisme, des tâches reliées aux communications : relations publiques, publicité, promotion […]. Les journalistes ne peuvent pas communiquer un jour des informations partisanes et le lendemain des informations impartiales, sans susciter la confusion dans le public et jeter un doute constant sur leur crédibilité et leur intégrité

1996, article 9a

La convergence (et les autres facteurs modifiant le paysage médiatique : concentration, diminution des revenus publicitaires, concurrence de plus en plus forte entre les médias) amène-t-elle les journalistes à abdiquer leur rôle au profit des relationnistes? Les journalistes sont-ils moins des initiateurs de reportages que des techniciens formatant des messages conçus par d’autres – des relationnistes? La convergence généralisée des médias signifie-t-elle aussi la convergence relations publiques-journalisme, où les journalistes utilisent le matériel fourni par les relationnistes de façon systématique (Sissons, 2012)? Ce sont les questions auxquelles nous cherchons des réponses. La mesure de la place des relations publiques dans les nouvelles représenterait une première réponse à nos inquiétudes.

Cette problématique intéresse de nombreux chercheurs. Avant de lancer notre propre recherche, nous avons examiné les écrits scientifiques qui pouvaient guider notre démarche. Dans la prochaine section, nous proposons un condensé de notre analyse des écrits portant sur les liens entre les relationnistes et les journalistes.

2. Recension des écrits scientifiques

Nos lectures révèlent que la dynamique entre relationnistes et journalistes n’est pas seulement influencée par les changements dans le paysage médiatique. Elle est aussi transformée par les changements au sein de l’industrie des relations publiques. Cette industrie est en croissance exponentielle depuis plusieurs années.

Depuis les années 80, les budgets de relations publiques ont explosé. Franklin, Hogan, Langley, Mosdell et Pill (2009) donnent l’exemple du gouvernement britannique : en dix ans, le nombre de personnes affectées à « l’information » a crû de presque 500 % à la santé, de 77 % à l’agriculture, pêche et alimentation et de 185 % au transport. En 1980, la société américaine comptait 1,2 professionnel des relations publiques par journaliste. En 2008, le rapport est passé à 3,6 pour un (Pew Research Center, 2012). Au Québec, en 2011, il y avait 4 000 journalistes pour 13 000 professionnels des relations publiques et des communications[2] (Emploi Québec, 2011). Cette infériorité numérique des journalistes par rapport aux relationnistes suscite de nombreuses questions.

Des études empiriques ont été menées par d’imposantes équipes de recherche. Elles affirment que les communiqués de presse et autres communications émanant des relationnistes occupent une place prépondérante dans les nouvelles (Davis, 2002; Sissons, 2012; Sullivan, 2011). Dans une recherche menée en Grande-Bretagne, Lewis, Williams et Franklin (2008) ont analysé 2 207 articles de la presse écrite et 402 reportages radio et télé. Ils ont trouvé qu’au moins 41 % des reportages écrits et 52 % des reportages radio et télé reprennent les communiqués des relationnistes ou sont inspirés des relationnistes. Onze ans plus tôt, Glasser et Salmon (1995) affirmaient eux aussi que 51 % des communiqués de presse et autres documents fournis par les relationnistes étaient utilisés par les médias pour élaborer leurs nouvelles. Tremblay, Saint-Laurent, Saint-Jean et Carontini constataient la même chose au Québec en 1988 : « 47 % des nouvelles font usage d’éléments extraits du discours de promotion » (1988, p. 16). Ainsi, en considérant l’émergence du phénomène de convergence, les résultats de notre recherche devraient hypothétiquement montrer une présence encore plus forte des relations publiques dans les informations journalistiques.

Des équipes qui se sont penchées sur des problématiques similaires à ce qui nous préoccupe ont constaté que la convergence entraîne une augmentation de la présence des relations publiques dans les nouvelles. Cottle et Ashton (1999) ont étudié ce qui s’est passé à Bristol, site choisi par la British Broadcast Company (BBC) pour lancer le journalisme multiplateforme. Ils ont observé que les journalistes optent davantage pour la diffusion d’entrevues en direct. Ces entrevues radio ou télé accueillent la plupart du temps des porte-parole, et non des acteurs des évènements. C’est le même constat dans les salles de cinq entreprises de presse allemandes pratiquant la convergence, étudiées par Mitchelstein et Boczkowski. Les chercheurs y constatent l’émergence d’un journalisme de seconde zone « second hand journalism » (2009, p. 569), où les impératifs sont la vitesse et l’immédiat, créant une dépendance accrue au matériel provenant de relationnistes. Maguire, aux États-Unis, a lui aussi observé une diminution des sources non officielles présentes dans les articles, ce qui suggère que moins d’efforts sont consacrés à approfondir l’information au-delà des « sources officielles » (cité dans Bernier, 2008, p. 48). Les sources officielles sont en général des relationnistes ou des personnes formées par des relationnistes.

Cette recension des écrits montre la pertinence de la problématique et l’importance de contribuer à l’effort international de démonstration de l’influence des relations publiques sur les informations journalistiques. Forts de ce constat, nous avons alors émis l’idée de pallier à un des manques dans les écrits scientifiques, soit l’absence de données empiriques récentes sur la présence des relations publiques dans les informations journalistiques au Québec.

3. Problématique et questions de recherche

La dernière recherche québécoise portant précisément sur cette réalité remonte à plus de 25 ans (Tremblay et al., 1988). D’autres études autour de problématiques similaires ont toutefois été menées depuis. En 1994, Charron a réalisé un rapport sur les relations entre les membres de l’Assemblée nationale, les attachés de presse et les journalistes de la tribune de la presse. Au milieu des années 2000, la FPJQ a produit deux rapports sur les communications gouvernementales illustrant les difficultés des journalistes à obtenir de l’information du gouvernement du Québec (2004, 2005). À la même époque, Lavigne s’est penché sur l’hybridation des relations publiques et du journalisme (2002, 2005). Enfin, la Chaire en relations publiques de l’Université du Québec à Montréal[3] a réalisé des enquêtes sur la perception des journalistes et des relationnistes quant au métier de chacun (De Schepper, Kouamé-Kodia, Lacerte, & Richer, 2005; Fournier & Goudreau, 2006). Outre ces études qui datent ou qui visent un domaine en particulier, il n’existe pas de recherche à jour sur les questions qui nous intéressent.

De plus, il nous paraît pertinent d’actualiser ces données puisque plusieurs éléments de contexte ont changé. Mentionnons entre autres :

  • une multiplication des supports de diffusion de l’information, le développement du Web et des plateformes mobiles, ainsi que de nouveaux moyens de communication (du courriel aux réseaux socionumériques en passant par les blogues);

  • une concentration et une financiarisation des entreprises médiatiques qui se concrétisent par la formation d’entreprises de grande taille et avec l’arrivée d’autres entreprises issues de l’industrie des communications (informatique et télécommunications);

  • une convergence à la fois d’ordre technologique, économique, politique, social et organisationnel.

Il serait donc intéressant de valider si la tendance décrite dans les écrits scientifiques est vécue dans l’espace médiatique québécois. C’est avec cette intention que s’est amorcée notre démarche, l’objectif principal de la recherche étant de mesurer et de qualifier l’importance des relations publiques dans les informations journalistiques. La confirmation d’une très grande présence d’éléments de relations publiques au sein des informations journalistiques renforcerait notre intuition selon laquelle l’espace public québécois est lui aussi soumis aux contingences exposées par les écrits scientifiques. Cette confirmation stimulerait notre intérêt à investiguer plus en profondeur la dynamique installée entre les deux groupes de professionnels impliqués dans la création de contenus. Nous estimons que les liens qui unissent les relationnistes et les journalistes ont nécessairement évolué en réaction aux nombreux changements qu’a subis leur environnement de travail.

En résumé, notre recherche visait à illustrer la convergence relations publiques-journalisme en quantifiant la présence des relations publiques dans le journalisme par une analyse quantitative et qualitative d’un corpus de nouvelles. Nous avons formulé une question générale : « Dans quelle mesure les informations journalistiques québécoises sont-elles influencées par les efforts de relations publiques? », suivie de questions spécifiques et d’hypothèses :

  • Q 1 : Dans quelle proportion les informations journalistiques sont-elles porteuses d’éléments de relations publiques?

  • Q 2 : Quelles formes prennent les éléments de relations publiques dans les informations journalistiques?

  • H 1 : La majorité des informations journalistiques comporteront des éléments de relations publiques.

  • H 2 : Toutes les stratégies de relations publiques peuvent, au final, viser les médias, que ce soit directement ou indirectement. En conséquence, il n’y a pas de limite aux formes d’éléments de relations publiques inclus dans les informations journalistiques.

Voici donc les prémisses de notre projet de recherche. Comme énoncé dans l’introduction, la démarche s’inscrit au départ dans une démarche hypothéticodéductive classique.

4. Méthodologie initiale

4.1 Design général de la recherche

Nous présentons ici le premier volet de la recherche amorcé sous une approche hypothéticodéductive. Le projet adopte au départ un design de recherche reposant sur une analyse de contenu documentaire (Bardin, 2007). Sélectionnant des informations journalistiques, nous désirons les étudier pour y repérer des traces d’éléments de relations publiques. Ces dernières démontreraient l’importance des relations publiques dans les informations journalistiques. Ayant recueilli ces items d’informations, nous les catégoriserons pour esquisser un portrait des traces que laissent les activités de relations publiques dans les contenus journalistiques. Cette démarche d’abord qualitative permettait ensuite de quantifier les récurrences des items dans chaque catégorie. Cette analyse de contenu et les résultats devraient nous fournir les informations nécessaires pour répondre aux questions spécifiques.

4.2 Terrain, échantillonnage et corpus

Les ressources financières et humaines ainsi que le temps alloué à cette recherche étant limités, il nous est impossible d’analyser l’ensemble des contenus médiatiques de l’espace public québécois. Nous déterminons un terrain de recherche précis, soit, les quotidiens. Conscients des biais possibles qu’entraîne cette sélection[4], il nous faut tout de même trancher pour cette première étape de la recherche. Notre choix est justifié par le fait que les quotidiens offrent des contenus fixes, stables durant 24 heures. Ils sont plus faciles à analyser que les pages Web, dont les contenus sont fluides et changent au fur et à mesure que la nouvelle évolue (Deuze, 2008).

Dans le même esprit, nous décidons d’analyser le plus gros titre en « une », plutôt que de nous concentrer sur un réseau d’informateurs beat (i.e. domaine spécialisé de couverture, par exemple : culture, sport, politique, santé, éducation, etc.) en particulier. Le choix de la nouvelle ayant le plus gros titre en « une » s’explique par le fait que le travail journalistique présenté en « une » est celui où s’exprime le pouvoir décisionnel des équipes de salles de rédaction : qu’est-ce qui est le plus important, le plus significatif pour l’intérêt public, qu’est-ce qui met le plus en valeur la salle de rédaction? Qu’est-ce qui fait le plus vendre? Leur réponse se retrouve en « une » (Karlsson, 2010).

L’échantillonnage s’effectue parmi trois quotidiens francophones montréalais (La Presse, le Journal de Montréal, Le Devoir). Cet échantillon peut sembler restrictif[5]. Or, il permet de comparer les articles couvrant l’actualité d’une même communauté, tout en s’intéressant à des médias aux profils différents, tant sur le plan de l’actionnariat que du public cible. Le corpus est constitué des articles les plus importants paraissant en « une » entre le 4 février et le 8 mars 2013. La collecte de données se déroule sur le Web, en s’assurant qu’il s’agit bien de la « une » de la version imprimée. Au total, 75 « unes » sont analysées.

4.3 Outils de recherche et analyse

Comme l’ont fait plusieurs autres équipes de recherche ayant mené des projets similaires (Lewis et al., 2008; Pew Research Center, 2010; Sissons, 2012), nous procédons à un codage manuel de chacun des articles. L’originalité de notre démarche réside dans la création d’une liste de catégories d’éléments de relations publiques (voir le Tableau 1). Ces catégories sont inspirées des écrits les plus cités et les plus récents sur les pratiques de relations publiques (Boulay, 2012; Grunig, Grunig, & Dozier, 2002; Kugler, 2010).

Tableau 1

Catégories d’éléments de relations publiques

Catégories d’éléments de relations publiques

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Deux étudiants au doctorat sont responsables de la grille de codage. Ils surlignent les éléments de l’article qui viennent explicitement des relations publiques. Ils classent ensuite les items selon les catégories. En cas de doute, ils discutent de leur codage avec les autres membres de l’équipe. Or, au fil de l’analyse, l’équipe constate que la lecture des articles n’offre pas assez d’information pour que le codage soit solide. Par exemple, pendant La semaine de la mode (février 2013), un article porte sur l’industrie de la mode et cite un designer. Le designer livre ses observations à titre d’expert (qui ne serait donc pas un relationniste). Or, il est aussi porte-parole de la semaine de la mode : faut-il coder sa présence dans l’article comme un élément de relations publiques (« citation d’un porte-parole »)? Ou encore : le directeur d’une association de garderies donne des entrevues individuelles à des journalistes, mais il répète le même message tout le temps, avec les mêmes mots, pour influencer la décision de la ministre à propos des subventions à venir. Faut-il le classer dans la catégorie « discours construit »?

5. L’ajout d’une méthode de collecte de données ad hoc

À plusieurs occasions, les codeurs ont des doutes quant à leur compréhension de la teneur des informations à coder. L’équipe décide de vérifier, auprès des journalistes signant les articles, sa compréhension de l’information et le codage qu’elle effectue. À titre de test, quatre appels sont effectués la journée même de la parution de l’article en cause. Cela assure aux chercheurs que toutes les démarches liées à l’article sont fraîches à la mémoire du journaliste. Trois questions sont posées :

  • « Comment s’est fait le choix du sujet? » (Initiative du journaliste, d’une source? Cette source est-elle un relationniste?)

  • « Pouvez-vous m’indiquer la source de cette information / citation / donnée? S’agit-il de relations publiques? » Par cette question, le chercheur tente de valider son interprétation de l’information, s’il doute d’une « probable » présence de relations publiques dans certaines portions de l’article.

  • « Avez-vous d’autres remarques liées à la présence des relations publiques dans les nouvelles? »

Ces discussions permettent de raffiner le codage effectué et de confirmer plusieurs des intuitions des codeurs, qui sont habitués avec les contenus médiatiques, avec les pratiques journalistiques et avec la réalité des relationnistes. En effet, à plusieurs occasions, ils pressentent que certaines informations provenaient des relations publiques, sans toutefois que ce soit identifié comme tel. Ces appels indiquent aussi à l’équipe que ces discussions sont essentielles. Faut-il systématiquement communiquer avec les journalistes signant les articles codés? L’équipe répond à l’unanimité : oui. Toute recherche future devrait donc prévoir des entretiens courts permettant de solidifier le codage[6]. Déjà ici, l’équipe reconnaît la richesse et la valeur des entretiens courts pour la compréhension du terrain et de la problématique. Avec le recul que nous avons au moment d’écrire ces lignes, nous estimons qu’il s’agit là du point de rupture, c’est-à-dire le premier pas vers une transformation de la démarche épistémologique et méthodologique de l’équipe.

6. Résultats et interprétation

L’équipe a procédé aux analyses qualitatives et quantitatives des données recueillies. Nous en présentons ici les résultats principaux et partageons quelques-unes de nos interprétations en regard des questions et hypothèses énoncées précédemment.

6.1 Retour sur la première question de recherche

Dans quelle proportion les informations journalistiques sont-elles porteuses d’éléments de relations publiques?

Tableau 2

Portrait de la présence d’éléments de relations publiques dans les informations journalistiques

Portrait de la présence d’éléments de relations publiques dans les informations journalistiques

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Nous constatons que les « unes » de la publication Le Devoir présentent plus souvent des éléments provenant des relations publiques. Cela suscite des questions : Est-ce parce que Le Devoir utilise plus de matériel venant des relations publiques? Est-ce parce que Le Devoir identifie les éléments venant des relations publiques de façon plus systématique? Est-ce parce que les autres quotidiens utilisent plus de sources anonymes et qu’il devient alors impossible de savoir si ces sources sont issues des relations publiques? Est-ce que les articles des autres quotidiens citent moins de sources? L’équipe n’a pas de réponse à ces questions puisqu’elles requerraient une autre recherche. Or, celles-ci montrent les limites de l’analyse de contenu dans ce cas particulier.

L’hypothèse présumait que la majorité des informations journalistiques contiendrait des éléments de relations publiques. Cette estimation se basait sur la recension des écrits. En effet, des auteurs mentionnent que plus de 50 % (Lewis et al., 2008) et même jusqu’à 70 % des contenus médiatiques (Pew Research Center, 2010) sont issus d’une initiative de relations publiques. Or, nos résultats ne semblent pas corroborer ces conclusions. Est-ce en raison de tactiques d’analyse ou d’échantillonnages différents? Pour notre part, nous analysons strictement le produit journalistique final. Plusieurs autres recherches amorcent leur démarche par l’étude des stratégies des relationnistes, pour ensuite les discerner dans les médias. Cela pourrait expliquer, en partie, la différence entre nos résultats respectifs.

6.2 Retour sur la deuxième question de recherche

Quelles formes prennent les éléments de relations publiques dans les informations journalistiques?

Le Tableau 3 montre les éléments venant des relations publiques que nous estimons comme étant les plus faciles à repérer : message construit, entrevue exclusive, citation d’un porte-parole, référence à une conférence de presse et utilisation d’extraits de communiqués de presse. En effet, ces éléments sont souvent présentés comme tels par les journalistes. De plus, les stratégies de relations avec les médias peuvent être inventives, mais la plupart d’entre elles restent assez proches des modèles traditionnels que sont l’envoi de communiqués, la tenue de conférences de presse et le partage privilégié d’information (Motulsky & Vézina, 2008).

Tableau 3

Récurrence et répartition des types d’éléments par publication

Récurrence et répartition des types d’éléments par publication

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Ces stratégies sont orchestrées de manière à répondre aux contingences des médias tout en offrant une latitude aux relationnistes. Leur impact et leur efficacité sont non seulement démontrées, mais théorisées par les concepts de mise à l’agenda (Bregman, 1989; Dearing & Rogers, 1996) et de construction de l’agenda médiatique (Curtin, 1999). De plus, les communiqués et les conférences de presse rythment les couvertures des salles de presse qui cherchent à « rendre l’inattendu routinier » (Tuchman, 1972, p. 660).

Tous les éléments identifiés dans les articles s’arriment à une des catégories proposées par la grille. Cela pourrait signifier que les catégories de codage sont justes, objectives, mutuellement exclusives et pertinentes (Grawitz, 2001). Or, les résultats du Tableau 3 indiquent que nous n’avons pas trouvé des traces de toutes nos catégories. Aucun astroturfing ni pseudo-événement ne sont répertoriés : est-ce parce qu’il n’y en avait pas durant la période analysée ou est-ce parce qu’ils sont difficiles à débusquer? Enfin, aucun matériel venant de sites Web, de fiches techniques ou de rapports annuels n’est détecté, ce qui est improbable. Se pourrait-il que les journalistes n’identifient pas toujours les sources de leurs chiffres, données et autres informations? Ou considèrent-ils qu’il s’agit du fruit de leurs recherches et non pas du matériel de relationnistes? Ces questions restent encore une fois sans réponse. Ainsi, l’exercice d’analyse de contenu et son codage fournissent des informations d’une certaine valeur, mais ces informations ne nous permettent pas de répondre entièrement à nos questions de recherche.

7. Limites et constats relativement à la démarche hypothéticodéductive amorcée

Les premier et deuxième volets de la recherche fournissent plusieurs données, mais ils suscitent surtout des interrogations : l’analyse de contenu ne peut révéler la totalité des influences des relations publiques puisque plusieurs d’entre elles se font en amont de la rédaction d’un article (mise à l’agenda). Par ailleurs, l’analyse de contenu a posteriori ne permet pas, non plus, d’appréhender la totalité des influences des relations publiques, ce que les entretiens courts ont permis de faire. Pour évaluer la présence réelle d’éléments de relations publiques dans un article, il faudrait adopter une approche ethnographique et examiner le processus de création d’un article dans son contexte. Ces limites de l’analyse de contenu surprennent l’équipe qui accordait une grande valeur à cette méthode puisqu’elle avait été adoptée par plusieurs autres équipes étudiant des problématiques similaires.

Les débats et discussions de l’équipe mènent à trois constats. D’abord, tel que l’analyse des données l’a démontré, la méthodologie n’est pas adaptée aux questions de recherche, puisqu’elle ne permet d’obtenir que des réponses partielles. Ensuite, il semble que le design général de la recherche ne soit pas en adéquation avec la problématique que nous désirons examiner. La prémisse de notre recherche est que le travail multiplateforme imposé par les transformations des industries médiatiques ainsi que l’augmentation des relations publiques pourraient mettre en danger l’exercice de la profession journalistique et, par conséquent, la qualité de l’information disponible dans l’espace public. Or, nous estimons maintenant que l’analyse de la présence de relations publiques dans les nouvelles – tant sur le plan de leur importance que sur le plan de leur nature – est un exercice limité qui ne permet pas de démontrer notre hypothèse. Deux réflexions ont émergé au sein de l’équipe :

  • Le fait qu’il y ait des éléments de relations publiques dans un article ne peut pas être révélateur de la qualité ou de la valeur informative d’un article. Par exemple, un article en « une » faisant état d’une situation d’intérêt public méconnue, étant le fruit d’un travail journalistique d’enquête et contenant une citation d’un relationniste, peut-il être équitablement comparé à un autre article relativement peu d’intérêt public mais ne contenant aucune présence de relations publiques?

  • Le fait qu’il y ait des éléments visibles de relations publiques dans un article ne peut pas non plus être révélateur de l’importance de l’influence des relations publiques dans l’information journalistique. Un journaliste peut inclure la réaction d’un relationniste dans un article simplement par souci d’équité et d’équilibre. Il peut aussi faire appel à un relationniste pour obtenir des informations factuelles (date, nom ou titres précis); comme un journaliste peut aussi taire la présence de matériel venant des relations publiques.

Le troisième constat découlant de cette partie de la recherche est le fait que, somme toute, la problématisation ne correspond pas réellement à nos questionnements sur le sujet. L’équipe reconnaît s’être laissé influencer par la recension des écrits. En effet, de nombreuses recherches hypothéticodéductives démontrent la présence et l’influence des relations publiques dans les contenus médiatiques. Les chercheurs en ont déduit que cela devenait nécessairement un problème pour les journalistes et un danger pour la qualité de l’information. C’est là où le bât blesse. La deuxième partie de cette logique n’a pas été validée, mais elle est strictement tenue pour acquise. Notre recherche repose sur les mêmes présomptions, mais les données et leur analyse nous indiquent que cette corrélation de cause à effet ne peut être assumée aussi simplement. Plus encore, l’ensemble de nos constats nous amène à nous interroger sur la pertinence des choix méthodologiques des autres équipes en lien avec la problématique de l’influence des relations publiques sur l’information journalistique. Nous estimons qu’une telle recherche ne peut se baser strictement sur de l’analyse de contenu, mais doit aussi investiguer les relations de travail établies et s’adresser directement aux acteurs impliqués.

Ces trois constats principaux résultent de moult discussions, de remises en question et de l’ouverture d’esprit de l’équipe par rapport à sa propre démarche. Aujourd’hui, nous constatons que l’esprit critique et la capacité à se remettre en question sont des valeurs fondamentales des approches inductives.

8. Réorientation de la recherche dans une perspective inductive

Outre une réflexion sur l’adéquation entre le sujet, sa problématisation et la méthodologie pertinente, l’équipe a posé un regard sur sa position épistémologique. Reconnaissant la forte influence des données sur l’orientation de la recherche et le fait que les changements amenés à la planification initiale rendent obsolète une démarche strictement hypothéticodéductive, l’équipe sent le besoin d’ouvrir ses horizons.

Aucun des membres n’étant familiarisé avec les approches inductives, nous entamons des lectures pour remédier à cette situation. Nous découvrons, entre autres, que l’épistémologie inductive a été adoptée par Aristote et qu’elle reste présente dans la littérature depuis (Grawitz, 2001; Holland, 1986). C’est toutefois au tournant du 20e siècle que les philosophes de la science s’emparent du sujet (Broustau & Le Cam, 2006). Il en émerge plusieurs conceptions et opinions à propos de l’induction (Peirce, 1878; Popper, 1968), mais la majorité concède qu’elle réfère à un processus scientifique développé principalement autour du terrain et des données, guidé par ces derniers, et ce, jusqu’à l’interprétation (Corbin & Strauss, 2008). L’induction, lorsque déployée avec rigueur, peut mener à la théorisation. L’induction représente aussi une constituante importante du paradigme scientifique, puisqu’elle permet d’explorer des terrains et des objets de recherche et de peaufiner les problématisations pour amorcer un processus de concaténation. La concaténation est le fait de cumuler l’expérience et les résultats de nombreuses recherches identiques ou très similaires. Les données et constats qui en découlent détiennent alors une valeur scientifique augmentée. Quivy et van Campenhoudt (1988) considèrent en effet que l’induction offre la possibilité de créer des définitions opérationnelles sur lesquelles on peut faire reposer des projets orchestrés dans un paradigme hypothéticodéductif.

Ce premier contact avec les approches inductives intéresse l’équipe qui y voit légitimées plusieurs de ses intuitions méthodologiques. L’impasse ressentie par rapport aux constats découlant des deux premiers volets se dissipe alors et l’équipe décide de relever le nouveau défi méthodologique. L’approche inductive et ses corolaires (l’écoute du terrain, les méthodes de collectes de données ouvertes, etc.) guident donc la suite du déploiement de la recherche.

8.1 Une problématique précisée par les acquis de la première phase

L’équipe revisite son approche et reprécise la problématique tout en restant fidèle à son intuition de départ, à l’effet que les dynamiques de travail entre les journalistes et les relationnistes ont changé au cours des dernières années. Revenant aux écrits scientifiques et aux changements importants qu’elle décrit, l’équipe oriente la recherche directement auprès des acteurs, plutôt que de tenter de trouver des traces de ces changements dans les contenus médiatiques produits. Nous estimons qu’en discutant avec les journalistes, nous pourrons en savoir plus sur les méthodes de travail actuelles, sur la nature des échanges avec les relationnistes et, plus généralement, sur la relation de travail entre ces deux groupes de professionnels. Cette nouvelle orientation offre l’occasion de percevoir, dans les discours de chacun, comment se vivent réellement ces changements. Peut-être que les données statistiques (nombre de journalistes vs nombre de relationnistes) et la lourde présence d’éléments de relations publiques nous mènent sur de fausses pistes? La forte présence des relationnistes n’implique pas nécessairement que le professionnel de l’information ait renoncé à exercer son jugement journalistique ou à développer son propre reportage. Elle pourrait toutefois indiquer que le journaliste manque de marge de manoeuvre (manque de temps, manque de ressources) pour éviter ou contourner les relationnistes. Or, sans discussion avec les journalistes, ces intuitions ne restent que présomptions.

Recadrant la recherche autour de la dynamique de travail entre les journalistes et les relationnistes, nous rédigeons de nouvelles questions de recherche. Celles-ci sont plus nombreuses et plus ouvertes. Leur grand nombre permet d’explorer un maximum de thèmes autour de la problématique et leur ouverture limite l’orientation que les questions pourraient imposer aux répondants. Ces choix s’inscrivent dans la perspective inductive que nous avons adoptée.

Nous ne formulons pas d’hypothèses pour ces questions. Nous avons des intuitions quant aux réponses que nous obtiendrons, mais nous préférons analyser les résultats de la collecte de données et laisser le terrain parler, plutôt que de les énoncer. Nous désirons respecter le caractère inductif de la démarche[7], d’autant plus que notre expérience des entretiens courts nous indique que les répondants se montrent généreux lors d’entretiens.

8.2 Méthodologie de la deuxième phase

La majorité de nos questions trouveront des réponses à travers des entretiens individuels où les journalistes pourront nous exprimer et nous expliquer leur point de vue relativement à la marge de manoeuvre qu’ils estiment avoir face aux relationnistes. Toutefois, il faut rejoindre ces journalistes. La première phase de la recherche nous a démontré que les journalistes sont ouverts à discuter de leurs articles et de leurs méthodes de travail. Nous développons un design de recherche en trois étapes :

  1. Analyse de contenu des « unes », tel qu’expérimentée dans la phase 1.

  2. Entretien court (5 à 10 minutes) avec les journalistes.

  3. Entretien long (40 à 60 minutes) avec les journalistes qui accepteront notre invitation.

La première partie de la démarche procure au chercheur du matériel brut pour aborder le journaliste et lui poser des questions sur son travail. De plus, elle recueille des données permettant de répondre à la question spécifique no 1. L’analyse de contenu des « unes » se déroule de la même façon que lors de la phase 1. Nous conservons la même logique de terrain et d’échantillonnage, ciblant ainsi les journalistes qui oeuvrent aux actualités et dont les articles font la « une ». L’analyse et le codage sont effectués le jour même de la parution de l’article, utilisant les mêmes catégories. Même si la pertinence du codage a été mise en doute au tout début de la recherche, nous considérons que cette étape est essentielle pour permettre une prise de contact avec les répondants et pour tisser un lien entre le chercheur et le participant.

Dans un deuxième temps, la réalisation systématique d’un entretien court avec le ou les journalistes ayant signé les articles analysés offre la possibilité de valider le codage fait par le chercheur. Or, les réponses des journalistes seront considérées comme des données analysables, ce qui n’était pas le cas dans la première phase de la recherche. En effet, le codage devient presque une excuse pour poser les nouvelles questions rédigées. Celles-ci touchent l’identité des sources et les démarches entreprises pour les joindre, la proportion d’information qui est inédite dans un article et les ressources à la disposition du journaliste lors de la rédaction de l’article. Ce premier entretien court se termine avec une invitation à participer à un entretien long.

Les répondants volontaires peuvent ensuite participer à un entretien plus long. Cette étape est en fait la plus importante pour la collecte de données puisqu’elle sera la plus féconde. Les entretiens, qu’ils soient en personne ou par échanges de courriels, sont monnaie courante dans les démarches inductives (Ben Affana, 2012). Nous avons divisé l’entretien en deux blocs principaux, soit un qui porte sur les relations publiques et un sur les pratiques journalistiques. Au sein du premier bloc, nous organisons les questions autour de 3 thèmes : définitions des relations publiques, relations de travail avec les relationnistes et, finalement, perceptions des métiers liés aux relations publiques. Le bloc portant sur les pratiques journalistiques s’intéresse d’abord aux valeurs et normes qui influent sur les décisions du journaliste, ainsi qu’à l’impact des relations publiques sur l’opérationnalisation de celles-ci. L’entretien se termine avec des questions sur les différents facteurs de contingences qui influencent la pratique des journalistes : délais, ressources octroyées, production pour de multiples plateformes, etc. La collecte de données, quant à elle, se termine après que le participant ait rempli le questionnaire sociologique préparé par l’équipe.

8.3 Analyse des données de la seconde phase

Les résultats de chacune des phases sont analysés individuellement, mais par le même chercheur. La première phase est analysée de la même manière que lors du premier volet de la démarche, qualitativement et quantitativement, puisqu’il s’agit d’une analyse de contenu documentaire classique (Bardin, 2007; Grawitz; 2001). En ce qui a trait aux entretiens, les deux sont analysés selon les mêmes procédures. D’abord, un verbatim est produit pour chacun des entretiens. Des analyses lexicale et thématique sont effectuées. L’analyse est organisée autour de chacune des questions posées lors de l’entretien, puis autour des questions spécifiques de recherche. Par la suite, les données des étapes 2 et 3 sont confrontées. En effet, l’étape 2 réfère aux actions posées sur le vif lors de la rédaction de l’article et l’étape 3 porte sur les idées, les perceptions et les valeurs relativement à des pratiques idéales. Finalement, les données du questionnaire sociologique offrent un portrait des répondants. En outre, si le corpus est assez imposant, il sera intéressant d’effectuer des analyses croisées entre les réponses des questions ouvertes et les données du questionnaire sociologique.

9. Regard critique sur une démarche évolutive, voire hélicoïdale

Les lectures effectuées avant le redéploiement de la recherche, le recul que permet le passage du temps et la réflexion sous-jacente à la rédaction de cet article nous amènent à voir notre démarche sous un autre oeil. Notre processus n’en fut pas un d’essais et d’erreurs. Il a plutôt demandé une révision de notre approche épistémologique pour tendre vers l’induction. Nous retrouvons une certaine filiation entre nos choix et la méthodologie de la théorisation enracinée (MTE) (Luckerhoff & Guillemette, 2012a). La MTE, dont les instigateurs furent Glaser et Strauss (1967), est « un projet épistémologique visant à renverser l’ordre traditionnel de la démarche scientifique. Il s’agit de donner priorité aux données, au terrain, pour ensuite avoir recours aux écrits scientifiques » (Luckerhoff & Guillemette, 2012a, p. 3). Nous avons pu constater les dangers de ne se laisser guider que par les écrits. Le chercheur qui procède par la MTE s’inspire prioritairement des données et réfère aux écrits pour bonifier sa réflexion. Il continue son travail intellectuel par un constant mouvement d’aller-retour entre le terrain et sa théorisation pour qu’au final, les derniers contacts avec le terrain puissent compléter sa théorisation.

La MTE n’a pas guidé notre démarche et nous n’en avons pas parfaitement respecté l’esprit. Cela était impossible considérant l’état de nos connaissances à son sujet à ce moment. Or, force est d’admettre que nous avons intuitivement fait des choix qui s’inscrivent dans la logique de cette approche. Nous avons fait preuve d’une grande flexibilité dans la réorganisation de la recherche. Nous avons aussi analysé les données au fur et à mesure qu’elles étaient disponibles (Luckerhoff & Guillemette, 2012b), les écoutant et orientant la recherche en conséquence. Nous sommes allés jusqu’à reproblématiser notre objet. Nous avons dû, à ce moment, convenir qu’il y avait plusieurs avenues pour aborder le même objet de recherche (Corbin, 2012). La MTE encourage l’ajustement des questionnaires au fil de la collecte de données (Guillemette & Lapointe, 2012), ce que nous avons fait entre le deuxième et le troisième volet de la recherche. Nos préoccupations en lien avec l’échantillonnage ont aussi évolué au fil de la recherche. Notons l’effort déployé par l’équipe pour bâtir un échantillonnage statistique et la justification pour démontrer qu’il pourrait mener à une généralisation. Au final, ce ne sont plus tant les caractéristiques des répondants ou leur répartition équilibrée dans le corpus qui compte, mais tout simplement la démarche idéale (utilisant leur article comme hameçon) pour joindre des répondants et développer un contexte optimal pour stimuler les échanges et la collecte de données. Cette perspective s’apparente donc plus à un échantillonnage théorique (Luckerhoff & Guillemette, 2012b) qu’à un échantillonnage statistique, même si dans notre cas spécifique l’objectif final n’en était pas un de confirmation théorique.

Dans le présent article, nous n’avons pas mentionné le cadre théorique sélectionné par l’équipe de recherche. Ce choix est justifié par le fait que nous en étions plutôt à l’exploration de celui-ci, le sachant complexe. Conséquemment, nous n’étions pas persuadés de sa pertinence. La théorie des champs de Bourdieu (1984) nous inspirait, puisqu’elle permettrait de représenter le champ journalistique et le champ des relations publiques comme deux entités distinctes et de réfléchir à l’interpénétration de ces deux champs. Pouvons-nous croire qu’il s’agissait là de nos concepts sensibilisateurs (Strauss, 1987)? Si c’est le cas, nous ne les avons pas suspendus au cours des phases 1 et 2 de la recherche, présumant d’une certaine dynamique entre les deux champs. Nous nous en sommes rendu compte avant d’amorcer la phase 3, où nous avons axé la recherche sur la collecte d’information, tentant de minimiser l’influence de notre subjectivité par divers moyens.

En somme, en observant la démarche de recherche menée comme un tout, et non pas en trois volets indépendants, nous voyons les similitudes avec les principes de la MTE, où la planification rigide n’a pas raison d’être (Charmaz, 1995). De plus, chacun des volets colligeant des données sur l’objet, faisant avancer la réflexion et entraînant des modifications sur le plan de la collecte de données, le déroulement de notre recherche semble analogue au processus recommandé par la MTE pouvant être illustré sous forme hélicoïdale (Plouffe, 2009).

En conclusion, la rigueur et l’écoute des données délogent l’analyse de contenu

L’équipe s’est lancée dans la recherche en mettant en oeuvre les procédés structurés et structurants de l’analyse de contenu documentaire, articulés dans une démarche hypothéticodéductive. Attentive aux résultats qu’elle obtenait, et à ceux qu’elle n’obtenait pas, elle a refusé de rester confinée à une méthodologie qui n’apportait pas la récolte escomptée. Le paradigme hypothéticodéductif dominant dans plusieurs institutions universitaires n’était pas la voie à suivre. L’équipe a fait face aux doutes et aux questionnements en ajustant sa méthodologie. Dans cette recherche, l’induction s’est lentement mais certainement imposée. L’équipe n’a pas consciemment choisi d’aller vers l’inductif ni de quitter l’hypothéticodéductif. Elle a intuitivement réorienté la recherche à quelques reprises. Ce n’est qu’en fin de parcours, en prenant du recul, qu’elle a constaté que ses décisions correspondaient à une démarche inductive et, dans une certaine mesure, à une démarche de théorisation enracinée.

L’objectif de cet article est de partager une expérience de recherche où tout ne se déroule pas comme prévu, mais aussi d’intéresser les chercheurs des champs des relations publiques et du journalisme aux approches inductives, en soulignant leur richesse. Nous avons montré que l’écoute du terrain et une fine connaissance de l’objet sont nécessaires à l’atteinte de résultats de recherche significatifs. Nous avons aussi illustré qu’il peut être justifié de bâtir une méthodologie principalement sur les « besoins de la recherche et [de l’orienter] vers l’objectif de recueillir de nouvelles données pour mieux comprendre le phénomène à l’étude » (Luckerhoff & Guillemette, 2012a, p. 6). Les approches inductives nous apparaissent primordiales pour permettre l’exploration de problématiques, d’objets et de terrains spécifiques. Faire fi des possibilités offertes par ces méthodologies peut mener au gaspillage de ressources lorsqu’une équipe tente de confirmer ou de valider des hypothèses qui se révèlent obsolètes. Que l’on perçoive l’usage des méthodes inductives comme étant préliminaire à des recherches confirmatoires (puisqu’elles peuvent générer des hypothèses) ou qu’on les considère comme des approches visant la théorisation importe peu. Pour notre part, la leçon retenue est de ne pas s’imposer une méthodologie sans s’assurer de connaître et de comprendre l’objet et le terrain de recherche. L’équipe de recherche a pu constater l’abondance d’informations et de résultats que procurent les processus inductifs. Elle a aussi compris leur logique et reconnu leur potentiel pour le développement des connaissances scientifiques dans l’étude des contenus médiatiques. En conséquence, l’équipe évaluera consciencieusement la possibilité et la pertinence d’adopter une approche inductive avant de s’engager dans la classique démarche hypothéticodéductive.