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Introduction

Plusieurs évaluations de programmes sont effectuées par les organisations publiques fédérales canadiennes afin d’étudier le sentiment d’appartenance au pays et l’engagement des personnes ou des groupes dans leurs communautés. Toutefois, lorsque ces programmes s’adressent à de jeunes populations, l’utilisation d’outils pour les évaluer, le plus souvent destinés à des personnes adultes, ne convient pas. Les langages des différentes générations sont distincts et nécessitent la mise en place de méthodes d’évaluation adaptées à ces différentes populations.

Évaluer des programmes auprès de jeunes adolescents représente un défi de taille, notamment lorsqu’il s’agit d’explorer des thèmes portant sur les valeurs de l’appartenance ou de l’engagement citoyen. Le programme « Les jeunes s’engagent » (LJE) du ministère du Patrimoine canadien (MPC) constitue un exemple intéressant de ce genre de défi. Il fait partie d’une stratégie générale d’éducation à la citoyenneté moderne et alloue des sommes d’argent à des projets dirigés par des jeunes (généralement de 7 à 30 ans). Ces projets ont comme objectifs, entre autres, de donner aux jeunes l’occasion de s’engager dans leur communauté ou bien de participer à des activités collaboratives.

Lorsque vient le temps de regarder l’impact et l’efficacité de ces programmes, un questionnaire est souvent utilisé pour sonder les personnes. Or la question se pose pour le MPC de savoir si ce questionnaire est adapté à tous les âges. Plus particulièrement, est-il pertinent pour des jeunes de 7 à 12 ans?

Dans ce projet de recherche, nous avons expérimenté des outils de collecte et d’analyse de données afin d’évaluer un programme d’initiation au scoutisme destiné aux jeunes du primaire au Québec (7 à 12 ans). La création d’une méthode d’évaluation innovante adaptée à cette population a été expérimentée avec la participation et l’engagement des parties prenantes (Hurteau, Houle, Marchand, Ndinga, Guillemette, & Schleifer, 2012). Notre approche, qui était mixte (quantitative et qualitative), se voulait en cohérence avec les valeurs d’engagement des parties concernées. Elle se situait dans une perspective inductive, surtout dans la dimension qualitative.

C’est de cette perspective qualitative inductive que nous voulons rendre compte dans cet article. Nous y décrirons donc essentiellement la démarche méthodologique avec ses fondements dans la posture épistémologique et nous présenterons les principaux résultats qualitatifs. Ceux-ci permettent de mettre en lumière le fait que le projet de recherche a été réalisé au cours d’une activité pédagogique qui avait, elle aussi, une approche inductive. Ainsi, on trouve ici l’approche inductive à la fois dans l’aspect méthodologique et dans l’aspect pédagogique du projet de recherche.

1. Posture épistémologique

La science est un formidable paradoxe. Elle repose sur des postulats de l’existence d’interconnexions et de régularités dans l’ordre des choses telles qu’elles nous sont données. Elle se fait également rébellion contre l’emprise épistémologique de l’enchaînement causal, règne absolu qui bannit la pensée libre, l’exercice du doute et tous ces futurs possibles qui dépendent de nous, incluant ceux de la science. Autrement dit, la véritable science est une noble cause qui pose comme principe que la causalité efficiente, celle qui nous dirige d’une main de fer, brille tout autant par son absence que par sa présence. Toute recherche qui combine soigneusement pensée systémique et engagement citoyen repose elle aussi sur ce même paradoxe. Dans une démarche dialectique, elle cherche à mieux comprendre les invariants de notre monde tout en essayant de le changer, et vice-versa (Chevalier & Buckles, 2013).

Cela dit, il y a un énorme fossé entre cette dialectique obligée et la recherche conventionnelle peu innovante sur le plan de son engagement social. Les fondements de la recherche collaborative que nous empruntons permettent d’enrichir la participation et l’engament des personnes. Malgré la finesse des idées et la grande diversité de perspectives auxquelles elles aspirent, les sciences sociales ne cessent d’utiliser les mêmes méthodes relativement simples pour recueillir et traiter les données à caractère social, notamment l’observation, les questionnaires, les sondages, l’entrevue, les groupes de discussion et l’analyse de contenu (Hansotte, 2004). L’innovation sur le plan de la technê du savoir que déploient les chercheurs fait grandement défaut. Aussi, il est ironique de constater que cet éventail étroit d’outils de recherche menée avec des sujets humains est trop souvent et à plusieurs égards dépourvu de tout caractère social, s’affairant plutôt à générer quantité de données brutes (Gadrey, 2006). Pour trouver cette implication sociale et le dialogue soutenu qui en découle, la recherche peut avoir à se confronter au réel et devenir un creuset d’idées concurrentes qui résistent à l’épreuve du feu de l’action (Chevalier & Buckles, 2013).

La nécessité d’arrimer la recherche aux exigences du dialogue social soulève d’autres questions fondamentales. Jusqu’à quel point le langage et les idées qui façonnent le discours des sciences sociales reflètent-ils la manière dont les acteurs eux-mêmes se perçoivent et définissent les catégories et les rapports sociaux au quotidien? Les termes que les chercheurs utilisent peuvent-ils être transposés d’une époque ou d’un milieu culturel à un autre sans en changer le sens? Que faire quand le langage du chercheur n’a aucune résonance sur le plan des valeurs ou des pratiques locales? N’y a-t-il pas lieu alors de s’inspirer des connaissances et des valeurs exprimées dans un langage qui colle à la réalité des sujets prenant part à la recherche? C’est avec ces préoccupations épistémologiques que nous avons abordé notre projet de recherche. Cette posture a tout d’abord orienté notre manière d’élaborer la problématique.

2. Problématique

Plusieurs évaluations de programmes sont effectuées par les organisations publiques fédérales canadiennes afin d’étudier le sentiment d’appartenance au pays et l’engagement des personnes ou des groupes dans leurs communautés. Mais Patrimoine canadien considérait que ses outils n’étaient pas adaptés à de jeunes populations (Patrimoine canadien, 2016).

L’Association des scouts du Canada (ASC) est un organisme au service des jeunes qui propose un programme nommé Initiation au scoutisme destiné aux jeunes du primaire au Québec (7 à 12 ans). Ce programme comporte huit rencontres et se finalise par un camp (neuvième rencontre). Pour évaluer les résultats de ce programme, le MPC souhaitait créer une méthodologie d’évaluation adaptée à cette population avec la participation et l’engagement des parties prenantes. Pour réaliser ce projet, le MPC a mandaté les deux auteurs de cet article afin de générer, en collaboration étroite avec le MPC et l’ASC, une nouvelle méthodologie à la fois rigoureuse et suscitant la participation, la réflexion et l’engagement des parties concernées, rejoignant ainsi les objectifs du MPC qui sont les suivants :

  • Adapter des outils d’évaluation sur mesure et établir la stratégie de mise en oeuvre de l’atelier spécialement conçu dans des visées à la fois éducatives et de recherche auprès des jeunes âgés de 7 à 12 ans.

  • Accompagner et animer trois événements avec les chefs de projet et les jeunes participants : une réunion sur la coconception de l’atelier et deux prestations de l’atelier.

  • Rédiger un rapport final résumant les activités et l’analyse des résultats.

Les deux chercheurs mandatés ont décidé d’utiliser dans une approche méthodologique inductive et participative les méthodes associées au programme SAS2 Dialogue[1]. Il s’agit d’un programme de recherche-action, de planification et d’évaluation participatives proposant une pratique et des dispositifs capables de produire des entrelacements de savoirs et des fils de conversation multiples. Le but de cet article est de montrer comment les outils ont été spécifiquement utilisés dans ce projet de recherche. Le propos relève donc de la recherche méthodologique sur une expérience pédagogique avec des jeunes de 7 à 12 ans dans une perspective inductive et participative.

3. Méthodologie

Sur le plan méthodologique, le projet s’est déployé en trois phases.

3.1 Phase 1 : Élaboration du projet de recherche et de sa méthodologie

Nous avons commencé par un examen de la documentation existante pour y recueillir les informations pertinentes sur les outils habituels du MPC dans l’évaluation de programmes, notamment les questionnaires « après projet » pour les participants du programme LJE, les formulaires de reddition de compte, etc.

Ensuite, nous avons réalisé une conception préliminaire d’outils d’évaluation spécifiques au projet. Notre principale préoccupation était de favoriser la participation optimale des jeunes de 7 à 12 ans au processus de recherche. Ainsi, notre perspective méthodologique fondamentale s’inscrit dans les approches de recherche participative (Argyris & Schön, 1989; Bourassa, Bélair, & Chevalier, 2007; Chevalier & Buckles, 2013; Couture, Bednarz, & Barry, 2007; Kemmis & McTaggart, 2005; Kindon, 2010; Muzychka, & Morris, 2002; Wimpenny, 2010) et de recherche-action (Amado & Lévy, 2001; Angwin, 1998; Barbour, 2008; Brown & Gaventa, 2010; Burns, 2007; Champagne, 2007; Chevalier, & Buckles, 2013; Dolbec & Prud’homme, 2009; Freire, 1982; Greenwood & Levin, 2006; Hall, 2005; Kemmis, 1999; Lapan, 2011; McNiff & Whitehead, 2009; Mesnier & Vandernotte, 2012; Morin, 2010; Reason & Bradbury, 2008; Stringer, 2008; Whitehead & McNiff, 2006).

Tout en concevant les outils d’évaluation, nous avons, de manière concomitante, élaboré une stratégie de mise en oeuvre de la collecte des données par les ateliers, en tenant compte des conditions dans lesquelles ces ateliers allaient être vécus et en tenant compte du fait que les participants étaient des jeunes de 7 à 12 ans. La stratégie générale a été structurée à partir des différentes composantes du programme à évaluer.

La principale méthode de collecte des données s’inscrit dans la tradition des focus groups. (Duchesne & Haegel, 2009; Geoffrion, 2009; Liamputtong, 2011; Morgan, 2004; Stewart, Shamdasani, & Rook, 2007). Par contre, il faut mentionner que les outils SAS2 sortent des sentiers battus des focus groups traditionnels notamment par leurs méthodes impliquant davantage la participation active des acteurs sociaux et par leurs recours à des symboliques autres que le simple discours verbal (Chevalier & Buckles, 2008). Des exemples précis de l’approche SAS2 sont présentés dans les descriptions ci-après, et on pourra ainsi les différencier des méthodes traditionnelles des focus groups.

Cette méthode de collecte de données permet à la fois de recueillir le discours des participants sur ce qu’ils vivent personnellement et de coconstruire ce discours collectivement, ce qui est pertinent lorsqu’on étudie un phénomène collectif (Baribeau & Germain, 2010; Cameron, 2010; Currie & Kelly, 2012; Neuman, 2011).

L’élaboration de cette nouvelle méthode d’évaluation est innovante en raison de la participation et de la coconstruction orientée vers l’action dans une démarche de découverte avec un outillage nouveau. L’ensemble de ces moyens nous permet de passer en mode métaréflexion et permet aux niveaux des jeunes de réfléchir en mode métaobservation grâce à l’utilisation d’outils de synthèse appropriés.

La méthodologie générale, de même que les méthodes spécifiques, avec leur caractère provisoire, ont été présentées aux représentants des parties concernées (le MPC et l’Association des scouts du Canada) et des discussions avec les deux chercheurs ont permis d’améliorer la stratégie générale et les outils.

Le fruit des discussions et la mobilisation partielle des outils déjà en place au MPC ou à l’Association des scouts du Canada (ASC) ont permis de finaliser le dispositif d’évaluation pour qu’il corresponde à la fois aux visées de la recherche et aux visées institutionnelles des organisations partenaires. Une version détaillée et révisée de tout le dispositif a été présentée aux parties prenantes.

L’organisation de la réalisation du dispositif a été faite en concertation avec le MPC et l’ASC. Une formation a été donnée aux animateurs des groupes de jeunes scouts qui ont vécu les ateliers.

3.2 Phase 2 : Collecte des données

Pour cette partie sur la collecte des données, nous allons décrire en détail ce qui s’est passé lors de la première prestation de l’atelier. La seconde prestation s’étant déroulée de manière semblable, il serait redondant de la décrire ici.

Le premier atelier a été réalisé avec la participation de 27 jeunes et de 7 animateurs. Le déroulement des ateliers était supervisé par trois chercheurs. Deux assistantes de recherche notaient tout ce qu’elles pouvaient sur le contenu des échanges verbaux durant les étapes en grand groupe. Les deux premières étapes ont été réalisées en grand groupe. La troisième étape a été effectuée en petites équipes. Il y a eu sept petites équipes (une par animateur). Les animateurs prenaient des notes durant la troisième étape. La quatrième étape a été vécue en « familles », celles-ci étant constituées par un autre regroupement que celui des petites équipes, comme on le verra. Les cinquième et sixième étapes ont été vécues en grand groupe.

Étape 1 : En grand groupe, le dispositif a été présenté. Puis, un échange informel a été réalisé sur ce que les jeunes avaient vécu dans leur activité scoute la plus récente. Cet échange avait pour but d’établir le climat de participation et le principe de partir de leurs expériences, de leurs vécus. Nous avions ainsi une certaine préparation à la dynamique des focus groups.

Étape 2 : Des objets symboliques utilisés dans le milieu du scoutisme étaient disponibles pour les jeunes. Chaque jeune devait choisir un objet qui représentait ce qu’est un « vrai scout » pour lui[2], en silence. La prédéfinition du « vrai scout » provient de termes usuels provenant de l’Association des scouts du Canada. Le choix d’un objet par chaque jeune s’est fait librement, sans consignes particulières. Un animateur a expliqué à chaque jeune qu’il n’aurait pas à justifier son choix, mais plutôt à parler de ce qu’est pour lui un « vrai scout » à partir de l’objet. Le jeune était libre d’interpréter l’objet comme il le voulait. Il n’était donc pas lié par la prédéfinition du « vrai scout » ni par les termes usuels provenant de l’Association des scouts du Canada.

Étape 3 : En petite équipe, chaque jeune présentait ce qu’est un « vrai scout » selon lui, en faisant des liens avec l’objet symbolique qu’il avait choisi. Ensuite, l’animateur a proposé au jeune de classer sa définition d’un « vrai scout » dans une des caractéristiques prédéfinies (emprunté du vocabulaire du milieu du scoutisme canadien) ou de la classer dans « Autre ». Les caractéristiques prédéfinies étaient : entraide, respect, faire de son mieux, débrouillardise, environnement et santé. De plus, l’animateur résumait la définition du jeune en lui proposant une liste de mots-clés. Ainsi, à chaque caractéristique prédéfinie se trouvait associé un ensemble de mots-clés pour aider le jeune à faire son choix.

Étape 4 : À cette étape, l’ensemble des jeunes s’est divisé en « familles » selon la caractéristique dans laquelle chaque définition personnelle se retrouvait. Par exemple, une famille était formée autour de la caractéristique « Entraide », une autre autour de « Respect », etc. Chaque famille préparait un résumé sur une affiche et un mime (ou un sketch) portant sur sa caractéristique en se servant des objets symboliques choisis. Il y a eu sept familles puisqu’il y avait sept caractéristiques, incluant la catégorie « Autre ». Ainsi, les sept animateurs ont animé l’étape 4 dans les familles. Chaque animateur notait les échanges entre les jeunes de sa famille afin de recueillir le sens que les jeunes donnaient à la caractéristique du « vrai scout » qu’ils avaient définie par leurs mots-clés. L’animateur prenait bien soin de noter les mots des jeunes lorsqu’ils s’exprimaient pour réaliser leur affiche et pour préparer leur présentation (mime ou sketch). L’animateur notait aussi le contenu de cette présentation.

Étape 5 : L’affiche de chaque famille a été présentée à l’ensemble du groupe sans plus d’explications. Puis, chaque animateur d’une « famille » a présenté la caractéristique de sa famille à partir des notes qu’il avait prises durant le travail en « famille »[3].

Étape 6 : Chaque famille a présenté son mime (ou son sketch) afin de partager à l’ensemble du groupe sa compréhension de la caractéristique correspondant à la famille. Après chaque présentation, tous les jeunes ont été invités à partager ce qu’ils avaient compris de la caractéristique présentée. Le partage se faisait dans une atmosphère de célébration des valeurs du scoutisme. Les deux assistantes de recherche notaient le contenu des échanges afin d’enrichir la description de chaque caractéristique.

On voit bien comment la collecte des données a été réalisée de manière inductive et collaborative. Dans cette phase, la recherche est coconstruite et les jeunes sont réellement participants au processus de recherche comme tel, ce qui dépasse la fonction de collecte de données que l’on retrouve dans les focus groups traditionnels.

3.3 Phase 3 : Analyse

Les objectifs de cette recherche appelaient une approche méthodologique mixte. En effet, nous avions besoin d’une stratégie méthodologique mettant l’accent sur les mots employés par les personnes qui vivent le phénomène à l’étude comme vecteurs du sens donné à leur vécu (Hammersely, 2008; Savoie-Zajc, 2000). Pour cette recherche, il nous fallait trouver des méthodes qui nous permettaient de recueillir et d’analyser l’expérience et les valeurs des jeunes scouts participant à la recherche. De plus, nous voulions nous ancrer dans l’expérience personnelle de chacun, y compris dans ce que cette expérience a en commun avec d’autres individus.

Notre approche a été résolument participative. Les étapes de la démarche méthodologique ont impliqué une coconstruction avec les jeunes, une collaboration réelle. Ainsi, notre recherche a été inscrite dans le courant de la recherche collaborative (Cheek, 2008; Desgagné, 2001, 2007; Heron & Reason, 2008; Reason & Riley, 2008; Savoie-Zajc & Deschamps-Bednarz, 2007).

Notre posture d’observateurs nous a conduit à porter une attention systématique aux données fournies par les jeunes sur le phénomène à l’étude. Nous avions comme principe d’analyse de nous centrer sur le point de vue des jeunes et non sur notre point de vue de chercheurs qui interprètent de l’extérieur (Lapan, Quartaroli, & Riemer, 2012).

La collaboration s’est également manifestée avec les parties prenantes, comme il se doit dans les approches contemporaines d’évaluations de programmes (Hurteau et al., 2012). Des représentants du MPC et de l’Association des scouts du Canada, de même que les animateurs des groupes de scouts, ont participé à la collecte des données et à l’analyse. Ils ont aussi collaboré à la rédaction du rapport final.

L’analyse proprement qualitative permet de comprendre ce qui se passe dans le monde réel par l’expression des gens qui tiennent un discours en leurs propres termes (Paillé, 2007).

Nous avons été attentifs et sensibles aux points de vue des jeunes durant les entretiens de groupe et durant les rencontres participatives. L’approche que nous avons adoptée a favorisé une flexibilité dans les méthodes, de telle sorte que les différentes étapes traditionnelles de collecte et d’analyse n’ont pas été isolées et la démarche a été plus circulaire que séquentielle (McLeod, 2001; Paillé, 2007; Rossman & Rallis, 1998). Par exemple, nous avons commencé les analyses durant les ateliers qui étaient situés plutôt dans la phase de collecte de données (analyse des discours empruntés par les scouts, lecture des notes d’observations et des prises de photos à différents moments du processus…).

Les analyses devaient prendre en compte le caractère complexe du contexte social des jeunes et adopter une conception souple de la recherche afin de demeurer fidèles aux données verbales dans leur caractère peu structuré, subjectif et spontané plutôt que de demeurer fidèles à des méthodes d’analyse très structurées, par exemple dans les analyses statistiques (Geertz, 1973).

4. Résultats

Pour illustrer la fécondité de notre démarche méthodologique inductive, nous donnons ici les principaux résultats de nos analyses qualitatives. L’essentiel de ces résultats se trouve dans les définitions des caractéristiques du « vrai scout » qui ont été construites à partir du vécu des jeunes et à partir des valeurs qu’ils ont développées autour de leur expérience commune du scoutisme. Ces caractéristiques sont au nombre de six. Nous les présentons ici dans l’ordre d’importance qui leur a été accordée par les jeunes eux-mêmes. Cet ordre décroissant a pu être établi grâce à une méthode quantitative de sondage auprès des jeunes durant les ateliers. Nous commençons donc par la caractéristique qui a le plus d’importance aux yeux des jeunes participants.

  1. Le respect. Pour les jeunes participants, cette caractéristique s’exprime dans des comportements qu’ils décrivent avec des exemples concrets. Les jeunes affirment qu’il est préférable de prendre des techniques de communication verbales positives plutôt que de procéder à des agressions physiques sur des personnes. Ils mentionnent aussi l’importance d’éviter les agressions verbales ou la détérioration des objets. En leurs propres mots, ils disent : « Parler au lieu de cogner »; « parler doucement sans se battre »; « ne pas continuer à se battre »; « arrêter de se chicaner »; « ne pas crier dans la classe »; « ne pas faire des choses qui dérangent les autres »; « ne pas faire de vandalisme ».

    De même, les jeunes considèrent que le respect des règles signifie le respect de l’autre et le respect de l’environnement. Ils mentionnent aussi que les règles sont là pour le respect de soi, voire la valorisation de soi. En leurs propres mots, ils disent : « Si on a du respect, c’est flatteur pour nous »; « écouter la personne qui nous parle »; « on se sent bien quand on est écouté »; « être attentif aux autres »; « respect de la nature »; « ne pas écrire sur les arbres avec un couteau ».

  2. La santé. L’importance accordée à la santé se traduit, selon les jeunes scouts, par la pratique d’activités de mise en forme physique favorisant son mieux-être et sa longévité. Ils ont notamment dit : « Être en bonne santé parce que l’on peut faire plus d’activités »; « on peut vivre mieux et plus longtemps ».

  3. L’environnement, l’écologie. Pour les jeunes participants, l’attention à l’écologie se manifeste en posant des gestes qui permettent d’assurer la lutte contre la pollution. Ils affirment aussi qu’il est important de porter attention aux mécanismes de prévention en se considérant comme responsable de la nature, comme en témoignent quelques-uns des propos qu’ils ont tenus : « Ne pas jeter ses déchets »; « bien les gérer et faire ce qu’il faut avec »; « éviter la pollution incluant la pollution sonore »; « utiliser moins les voitures »; « prendre soin de la nature parce que la nature a besoin d’aide »; « protéger les arbres ».

  4. Faire de son mieux. Pour les jeunes scouts participants, faire de son mieux se traduit par le positionnement de soi et de son regard à faire face à des situations diverses d’adversité. En leurs propres mots, ils disent : « Se dépasser »; « se forcer »; « avoir de la persévérance »; « poursuivre un but »; « avoir une bonne attitude »; « ne pas se décourager, même si c’est difficile »; « donner le meilleur de soi en tout temps ».

  5. L’entraide. Pour les jeunes participants, la valeur de l’entraide se caractérise par une aide gratuite, naturelle et rassérénante auprès d’autres personnes confrontées à des difficultés ou à des problèmes. Dans leur rôle de scout, les jeunes veulent aussi contribuer à des actes sociaux favorisant le développement de la société. Ils disent, par exemple : « Parce qu’on aide quelqu’un, on va faire un meilleur monde »; « lorsque j’aide quelqu’un à réparer sa blessure, je l’aide dans le respect des autres »; « on peut aider les autres quand on le demande »; « on peut se proposer pour aider comme une bonne action »; « par les voyages humanitaires, on va aider les autres »; « quand on va être rendu pionnier et aussi dans le quotidien, on peut aider les autres »; « à travers le secourisme, on aide les autres ».

  6. La débrouillardise. La débrouillardise pour les scouts peut s’exprimer par l’apprentissage de techniques d’adaptation en situations diverses ou en effectuant des tâches quotidiennes variées. Elle permet aussi d’agir de façon plus autonome de sorte qu’il est plus facile d’aborder diverses situations avec habileté. En effet, les jeunes ont expliqué cette caractéristique en ces mots : « Être capable de se débrouiller donc de s’arranger, que ce soit dans la forêt, mais aussi ailleurs pour faire ses devoirs soi-même ou quand on est seul à la maison ou quand les parents sont partis, pour faire le repas »; « on développe la débrouillardise de deux façons dans les scouts : en apprenant des techniques comme les noeuds, les abris, puis aussi en développant des aptitudes comme être organisé et aussi autonome ».

À partir de ces résultats, nous avons voulu faire une analyse en lien avec l’évaluation de programme, et donc à partir des objectifs des programmes soutenus par le ministère du Patrimoine canadien. Sans rappeler tous les détails de ces objectifs, nous pouvons proposer les résultats suivants.

À la lumière de ce qu’ils nous ont partagé, on peut dire que les jeunes participants sont sensibilisés à l’importance d’être un citoyen actif et engagé, et qu’ils prennent part de manière active à la vie de leur communauté, notamment par leur participation au scoutisme. De plus, on peut conclure que les organismes comme les groupes de scouts jouent leur rôle d’éducation des jeunes et qu’ils sont pertinents par le service qu’ils rendent aux jeunes et à la société en général.

Compte tenu du jeune âge des participants, la méthodologie conçue pour cette recherche a permis de constater ce niveau d’engagement des jeunes, de même que la pertinence des associations de scoutisme dans l’éducation à ces valeurs citoyennes. Nous ne pouvions pas espérer constater des valeurs rattachées à des sentiments d’identité culturelle ou d’appartenance au pays parce que ces sentiments apparaissent plus tard dans le développement de la maturité d’une personne.

Conclusion

Le choix d’une démarche inductive pour ce projet de recherche rencontrait les intérêts des chercheurs de notre équipe. Au-delà des critères qualitatifs, cette démarche proposait des critères originaux d’évaluation d’un programme d’initiation au scoutisme destiné aux jeunes du primaire du Québec. Cette nouvelle méthodologie d’évaluation adaptée à cette population avec la participation et l’engagement des parties prenantes laissait d’emblée entrevoir le mouvement inductif qui a été privilégié pour atteindre les objectifs, et a contribué à l’avancement des connaissances en ce qui a trait aux approches inductives qualitatives en évaluation de programmes (Kerivel, 2015; Patton, 1990).

Nous nous sommes interrogés sur sa nécessité : en quoi l’approche inductive s’est-elle imposée à nous? Trois facteurs rendaient ici l’approche inductive incontournable.

Le premier est l’arrimage de la recherche aux exigences du milieu d’une jeune population québécoise. L’utilisation d’outils nécessitait la mise en place d’une méthode d’évaluation inductive adaptée à cette population distinctive.

Le second facteur est la flexibilité du travail collaboratif. Ne pas travailler seul implique d’accepter de se laisser déplacer dans ses convictions.

Le troisième facteur est celui de la dimension « participative » de notre recherche. Comme recherche participative, pour réaliser ce projet, le MPC et les deux auteurs de cet article ont généré une nouvelle méthodologie à la fois rigoureuse et suscitant la participation, la réflexion et l’engagement des parties prenantes.

Depuis la construction de la manière de récolter des données jusqu’à l’analyse de celles-ci, l’approche inductive a été le guide autant que le garde-fou qui nous a permis de « coller » au mieux à la réalité spécifique de la situation étudiée, sans « adhérence » excessive.

L’un des gages de ce succès a été la réaction des jeunes avec lesquels nous avons adapté notre approche et notre langage. Nos avancées durant l’expérimentation leur ont toujours semblé familières, presque d’évidence.

Lors des rencontres préparatoires à l’expérimentation avec les intervenants du MPC, ces derniers n’étaient jamais indifférents à ce que nous produisions. Une rencontre faisant suite à la remise du rapport final a témoigné du fait que nous avions collé de près aux réalités de terrain sans nous départir d’un certain regard qui nous était propre et différent de celui des intervenants du MPC.

Notre objet de recherche nous a conduits à porter un regard neuf sur le monde des adolescents qui était différent de celui des adultes : nous voyions les mêmes choses, mais ne les regardions pas de la même manière.