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Introduction

La recherche et l’apprentissage en matière de développement durable impliquent la production de connaissances utiles. Ils sont hautement normatifs, fondamentalement interdisciplinaires et exigent une intégration entre les sciences naturelles et sociales. La recherche en ce domaine exige donc la création d’espaces interdisciplinaires et transdisciplinaires pour assurer un dialogue et un transfert de connaissances. En ce sens, la plate-forme de dialogue électronique e-dialogue a été élaborée en 2001 dans le but d’explorer le potentiel d’Internet pour mobiliser divers groupes et réunir une multitude de points de vue afin qu’un dialogue de fond puisse avoir lieu. La plate-forme en question est un système de conversations textuelles en ligne. L’analyse d’une conversation électronique est généralement réalisée par un, deux ou trois chercheurs. Ainsi, compte tenu de la subjectivité de l’observateur, les diverses idées et divers points de vue qui ressortent de conversations en ligne ne sont pas captés lors de l’analyse de celles-ci. La Technique Newell & Dale de modélisation des conversations (TNDMC) a été mise au point dans le but de réaliser une analyse en profondeur de dialogues afin de cerner des idées, de déterminer les liens entre des idées et des thèmes, et de fournir une synthèse cohérente et une meilleure compréhension des tendances sous-jacentes des conversations en ligne. La TNDMC fait appel à une méthodologie empirique inductive et engendre des modèles pouvant servir à examiner le plus impartialement possible les résultats de dialogues improvisés. La mise en application et l’amélioration continue de la TNDMC par des chercheurs qui utilisent des processus dialogiques dans la réalisation de leurs travaux peuvent mener à des méthodologies qui améliorent la synthèse d’idées et d’innovations créées par l’entremise du discours numérique.

E-dialogue, un outil en ligne dont le développement a été piloté par la titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur le développement communautaire durable, Anne Dale, a fait l’objet de nombreuses recherches visant à montrer comment Internet peut favoriser l’organisation d’entretiens de groupe. Une première recherche a été publiée par Guillemette, Luckerhoff et Guillemette (2011) et portait sur les raisons pour lesquelles un entretien de groupe est organisé en ligne et sur les spécificités de l’entretien de groupe en ligne. Plus spécifiquement, les chercheurs ont porté leur attention sur la façon dont l’entretien se déroule, les enjeux de son animation et le statut épistémologique des données qu’il permet de recueillir. Ces chercheurs ont montré que « les différences entre les entretiens de groupe en ligne et les entretiens en présence physique ne sont pas aussi importantes qu’on pourrait le croire » (p. 96). Leur analyse portait surtout sur l’animation des entretiens et les discours produits par les participants. La présente recherche porte surtout sur l’analyse possible des discours produits par les participants à des entretiens de groupe en ligne.

1. Méthode

Nous avons analysé plus de 45 dialogues en ligne, de 2001 à 2013, afin d’étudier le potentiel d’Internet pour les entretiens de groupe. La plate-forme de dialogue électronique (e-dialogues.ca) utilise un système entièrement fondé sur le texte pour les conversations afin d’assurer l’accessibilité aux utilisateurs disposant d’une connexion à faible bande passante (Dale & Newman, 2006a). Les dialogues ont porté sur des sujets tels que l’infrastructure urbaine, la gestion des déchets nucléaires, l’économie verte – y compris le rôle des jeunes relativement aux initiatives portant sur la durabilité –, les innovations en matière de changement climatique, la redéfinition de la croissance et du progrès dans les temps modernes, et d’autres sujets portant sur les mesures à prendre pour favoriser un avenir durable. Les dialogues électroniques sont archivés à des fins d’apprentissage continu et de référence. La conversation d’un dialogue électronique est synchrone et se déroule en temps réel. La conversation est alimentée par des messages textuels auxquels les interlocuteurs peuvent joindre des liens vers des images et des documents. Une conversation peut être divisée en plusieurs discussions plus restreintes par l’utilisation de « citations », c’est-à-dire qu’une personne peut écrire un message en réponse à un autre message et en citant cet autre message.

Nous avons mené cette recherche selon les procédures de la méthodologie de la théorisation enracinée (Charmaz, 2006; Corbin & Strauss, 2008; Luckerhoff & Guillemette, 2012). Nous avons analysé les données au fur et à mesure, en respectant les principes de circularité entre la collecte et l’analyse des données (Charmaz, 2006; Corbin & Strauss, 2008) et d’échantillonnage théorique (Charmaz, 2006).

En tant qu’illustration d’une approche inductive, nous proposons donc une analyse de notre démarche, à partir de nos observations, des notes que nous avons prises et de nos discussions, entre chercheurs participants.

2. Les entretiens en ligne dans le cadre d’une problématique du développement durable

Le développement durable comporte d’importants défis à la fois pour les praticiens et les éducateurs (Dale, 2001; Robinson & Tinker, 1997). L’aspect le plus important pour les praticiens communautaires est de prendre appui sur les pratiques exemplaires et les technologies de pointe, tout en minimisant le risque par rapport à l’apprentissage. Les éducateurs sont également préoccupés par la diffusion des résultats de recherche et du savoir en lien avec des pratiques exemplaires pour parvenir au développement de collectivités durables. Étant donné que la recherche et l’apprentissage en matière de développement durable impliquent la production de connaissances utiles, qu’ils sont hautement normatifs, fondamentalement interdisciplinaires et qu’ils intègrent les sciences naturelles et les sciences sociales, ils exigent des espaces interdisciplinaires et transdisciplinaires pour assurer un dialogue et un transfert de connaissances. Il est donc essentiel de faire appel à des approches transdisciplinaires pour aborder la nature complexe des problèmes du monde réel (Krishna, 2001), et pour assurer la production de connaissances utiles afin de jeter un pont entre la sphère de la recherche universitaire et le monde des connaissances tacites et expérimentales (Krishna, 2001). Par conséquent, l’apprentissage et la pratique exigent tous deux des méthodes novatrices de diffusion des connaissances, particulièrement si on tient compte du fait que l’implantation de solutions dépasse la compétence et l’expertise d’un secteur ou d’un gouvernement donné. Contrairement à d’autres défis de nos temps modernes, il n’existe pas une seule bonne réponse, mais plutôt plusieurs solutions et plusieurs voies d’implantation. Nous sommes donc clairement dans un paradigme subjectiviste.

Bon nombre de collectivités tentent présentement de relever le défi du développement durable, mais leurs efforts sont souvent réactifs, ne se produisent que de façon ponctuelle et ne sont pas consignés adéquatement. Or, il est évident que l’existence de nouveaux réseaux transdisciplinaires conçus pour favoriser la collaboration est déterminante pour assurer un développement de collectivités durables (Bradford, 2003; Dale, 2001). Une approche transdisciplinaire devrait permettre de combler l’écart entre la recherche et la prise de décisions (Rammel, 2003), et – de façon particulièrement importante pour la présente étude de cas –, permettre à un outil de bien fonctionner pour divers groupes d’utilisateurs. La mise en place de tels réseaux permettrait aux groupes communautaires d’éviter les répétitions qui grèvent les ressources et de tirer des leçons des erreurs et des succès d’autres groupes. De quelle façon, au juste, de tels liens peuvent-ils être établis, et comment la vitesse de partage des connaissances et d’adoption de nouvelles technologies peut-elle être accélérée (Horlick-Jones & Sime, 2004)?

Étant donné que l’adaptation, l’interaction dynamique (Norgaard, 2004), l’innovation et l’acquisition continue du savoir sont des composantes essentielles des connaissances et des pratiques en matière de développement durable, nous avons décidé, en 2001, d’examiner plus à fond la possibilité d’élaborer un outil en ligne qui faciliterait l’acquisition continue de connaissances et un dialogue permanent portant sur les questions fondamentales en matière de politiques publiques, en particulier en ce qui a trait au développement durable. Nos sociétés sont en constante mutation, et cette nature changeante de la société et de la biosphère, loin d’être en équilibre (Weddell, 2002), remet en question l’idée qu’une société idéale, statique et en parfait équilibre doit être créée. Comme l’indique l’écologiste Christian Rammel (2003, p. 395) : « Le développement durable doit appuyer un processus adaptatif et souple afin que des changements inévitables soient apportés aux systèmes environnementaux et socio-économiques »[1] [traduction libre]. Une société durable doit être dynamique et toujours réexaminer ce qui est durable selon les conditions du moment (Norgaard, 2004). Comme le souligne Rammel (2003, p. 396) : « [...] la voie du développement ne peut être dans un état idéal, ou parfaitement équilibré ou optimal »[2] [traduction libre] – il s’agit d’un voyage sans escale vers une destination qui sera sans doute toujours inaccessible (Robinson & Tinker, 1997). Cela dit, notre outil se devait d’avoir la capacité d’engendrer une interaction dynamique et de saisir l’apprentissage et le changement continus. Afin de faciliter les interactions et saisir l’apprentissage, une mise en grappes (niches ou cluster[3]) est nécessaire au sein des réseaux, et cette mise en grappes est un processus dynamique (Gargiulo & Benassi, 2000). L’outil doit pouvoir faire écho, activement, aux connaissances et aux expériences qui évoluent continuellement. Il doit avoir la capacité de saisir l’expertise et l’expérience variées des utilisateurs, sans quoi il risque de devenir un système d’interaction unidirectionnelle plutôt qu’une base de connaissances diversifiées utilisée par divers utilisateurs et un grand nombre de collectivités.

La mise en grappes comporte de nombreux avantages, notamment la capacité des grappes à favoriser des degrés élevés d’échange d’innovations, d’information et de ressources, la capacité de partage d’infrastructures et la capacité de partage entre spécialistes (Gargiulo & Benassi, 2000). Il y a aussi beaucoup à gagner à favoriser l’éducation au sein d’une grappe, particulièrement en ce qui a trait à l’exploitation du savoir. Reste à savoir, cependant, comment faciliter ce type de mise en grappes. Le concept initial de l’outil visait à aller au-delà de la salle de classe et au coeur des collectivités afin de corriger les asymétries en fait de capital social et d’améliorer la diffusion de la recherche dans les collectivités et de l’apprentissage au sein de celles-ci.

Le moyen de transfert de l’information et la forme de cette information sont des éléments essentiels aux yeux des leaders de groupes, des facilitateurs et des universitaires qui tentent d’aider les groupes en tissant des liens par l’entremise du partage d’information. L’un des problèmes d’une étude non disciplinaire est de comprendre la manière avec laquelle les différentes parties intéressées vont communiquer (Narayan, 1999). Une approche transdisciplinaire qui va au-delà de la pédagogie traditionnelle d’une seule discipline est nécessaire. Par conséquent, un autre de nos objectifs visait à créer un forum pour mettre en lien le savoir et l’apprentissage d’universitaires, d’activistes communautaires, de décideurs et d’innovateurs en fournissant un espace et un lieu dynamiques et interactifs qui allaient permettre aux collectivités de jeter des ponts au-delà de leurs frontières géographiques et d’accéder à des ressources traditionnelles.

3. Élargir la sphère publique pour le dialogue

En 2001, nous avons commencé à étudier le potentiel d’Internet pour ouvrir un dialogue de fond entre des groupes diversifiés de gens et différents points de vue sur le sujet de la durabilité, tout en enrichissant la littératie relativement aux questions clés du développement durable et en influençant la communauté des politiques publiques (Dale, 2005). La plate-forme de dialogue électronique (e-dialogues.ca) élaborée par la suite utilise un système entièrement fondé sur le texte pour les conversations afin d’assurer l’accessibilité aux utilisateurs disposant d’une connexion à faible bande passante (Dale & Newman, 2006b). Ainsi, elle permet aux gens issus de différents types de collectivités, urbaines ou rurales, et disposant de différentes capacités technologiques, d’entrer en lien. Parce qu’il s’agit d’un système en ligne pouvant être accueilli par la plupart des ordinateurs et des connexions Internet, la plate-forme permet à diverses collectivités d’entretenir un dialogue, indépendamment de l’échelle de chacune, et fournit un espace transdisciplinaire où peuvent se réunir chercheurs, praticiens, responsables de l’élaboration de politiques et leaders de collectivités. Ainsi, des perspectives inclusives peuvent être recueillies tout en minimisant les dépenses et les émissions de carbone associées aux déplacements. De plus, bien que les forums Internet puissent être sujets à l’homophilie (Witschge, 2002), les dialogues électroniques peuvent être, et d’ailleurs ont été, utilisés pour réunir intentionnellement des personnes dont les points de vue diffèrent dans le but de stimuler le dialogue et créer des aperçus complets d’enjeux cruciaux relatifs à la durabilité (Dale & Newman, 2006a, 2006b; Dale, Luckerhoff, & Guillemette, 2012; Guillemette, Luckerhoff, & Guillemette, 2011). En effet, le deuxième auteur a à ce jour dirigé activement plus de 45 dialogues de ce type afin de garantir l’inclusion des différents points de vue. Ceux-ci ont été engagés sur une variété de sujets tels que l’infrastructure urbaine, la gestion des déchets nucléaires, l’économie verte – y compris le rôle des jeunes relativement aux initiatives portant sur la durabilité –, les innovations en matière de changement climatique, la redéfinition de la croissance et du progrès dans les temps modernes, et d’autres sujets portant sur les mesures à prendre pour favoriser un avenir durable. Les dialogues électroniques sont archivés à des fins d’apprentissage continu et de référence.

La conversation d’un dialogue électronique est synchrone et se déroule en temps réel. La conversation est alimentée par des messages textuels auxquels les interlocuteurs peuvent joindre des liens vers des images et des documents. Une conversation peut être divisée en plusieurs discussions plus restreintes par l’utilisation de « citations », c’est-à-dire qu’une personne peut écrire un message en réponse à un autre message et en citant cet autre message.

La transcription de la conversation intégrale (voir la Figure 1) présente une liste des messages dans l’ordre dans lequel ils ont été affichés ainsi qu’avec le nom de leur auteur.

Figure 1

Une image de la plate-forme d’un dialogue électronique illustrant les fonctions de messages et de citation

Une image de la plate-forme d’un dialogue électronique illustrant les fonctions de messages et de citation

La figure ci-dessus affiche une partie d’une capture d’écran de la conversation d’un dialogue électronique. L’auteur du message affiché dans la capture d’écran est Robert Newell et les commentaires précédents cités par ce message (ou auxquels ils font référence) se trouvent dans les champs emboîtés sous le texte. L’ordre d’emboîtage est l’ordre dans lequel les commentaires précédents ont été cités avec le message d’origine d’un fil contenu dans le champ emboîté le plus à l’intérieur.

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Les articles créés en réponse à d’autres commentaires sont incorporés au commentaire cité. De cette façon, des fils de conversations ou de sous-conversations prennent forme à l’intérieur d’un dialogue électronique. Un seul commentaire peut générer une multitude de réponses. Ainsi, plusieurs fils peuvent découler d’un seul message au fur et à mesure que les gens citent et font des ajouts à ces fils. Par conséquent, les dialogues électroniques sont en fait des processus à ramifications dynamiques qui ne suivent pas une voie linéaire simple. Des observations empiriques supposent qu’ils facilitent des styles d’apprentissage plus latéraux que littéraux, et que le premier style est peut-être plus important pour la recherche et les pratiques interdisciplinaires.

4. Le modèle de conversation (TNDMC) : une approche inductive

Bien que les dialogues électroniques aient la capacité de réunir divers groupes de personnes, l’analyse de la transcription d’une conversation est généralement réalisée par un, deux ou trois chercheurs et non par la même diversité de gens. En considération de ceci, en dépit du fait qu’une conversation puisse être composée de divers points et d’expertises, cette diversité ne sera pas nécessairement captée par l’analyse étant donné que la recherche qualitative est sujette à la partialité de l’observateur (Greenhalgh & Taylor, 1997). Par conséquent, les principaux thèmes d’une conversation et les idées novatrices qui ressortent couramment de « laboratoires d’idées » (Johnson, 2010) risquent de ne pas être pris en compte puisque le chercheur analyse la conversation en fonction de ses propres points de vue et de son domaine d’expertise.

Dans le but de limiter la partialité de l’observateur et de capter les thèmes et idées « émergents » d’un dialogue électronique, nous avons créé la Technique ND de modélisation des conversations (TNDMC). Cette technique met en lumière les thèmes, les idées et les relations à l’aide d’un modèle empirique. La technique fait appel à des méthodes de recherche de termes et de regroupement. Ensuite, une ligne est tracée entre les thèmes et les idées émergents qui entretiennent un lien et selon leur force ou leur prévalence dans la conversation. La TNDMC est une technique qui peut être utilisée sans que la transcription de la conversation doive être lue afin que les thèmes, les idées et les relations puissent être captés avec un minimum de partialité de la part des chercheurs.

Nous n’avions pas l’intention, en créant cette technique de modélisation, de remplacer l’analyse qualitative des conversations en ligne – la TNDMC ne réussit pas à capter ni le ton ni la nuance ni le contexte d’une conversation; nous voulions plutôt en faire un outil complémentaire et une façon de trianguler les analyses des données. La création d’un modèle de conversation permet au chercheur de réaliser une évaluation « de très haute définition » de la transcription archivée en comprenant mieux la dynamique d’une conversation. De plus, la TNDMC permet de dégager des liens intéressants et non intuitifs entre les thèmes et les idées sur lesquels un chercheur peut faire une enquête plus poussée.

La TNDMC a été créée à partir d’un dialogue électronique tenu le 16 juin 2011, intitulé CRC Reflections : Past Five Years and Future Forward (Dale, 2011). Il s’agit d’un survol des cinq dernières années du programme CRC in Sustainable Community Development et d’une séance de remue-méninges portant principalement sur les aspects sur lesquels mettre l’accent au cours des cinq années à venir. Cet exemple précis a été choisi compte tenu du caractère très complexe et ouvert de la discussion, qui était une séance de remue-méninges entre les membres de l’équipe de recherche du CRC impliquant de multiples tangentes et fils. La mise en application de la TNDMC à cette conversation nous a permis d’étudier le potentiel de ce processus de modélisation à capter les éléments communs et les idées émergentes dans le cadre d’une discussion libre et légèrement dirigée. Il est important de noter que la TNDMC a été élaborée à l’aide de la transcription d’une conversation issue du système de dialogue électronique et que, par conséquent, l’utilisateur de cette technique doit disposer d’une conversation consignée dont la forme et la disposition s’apparentent à celles d’un dialogue électronique (voir la Figure 1).

5. Précisions techniques

La TNDMC a été conçue dans le but de déterminer inductivement les principaux thèmes d’une conversation, le degré d’importance accordée aux thèmes lors de la conversation, les idées qui ont jailli de ces thèmes et les idées ou les relations partagées entre les thèmes. Les sections suivantes précisent de quelle façon les thèmes, idées et liens ont été extrapolés, et comment ceux-ci ont été exprimés, sous forme de graphique.

5.1 Axes et plan du tracé

Le modèle est tracé sur un plan cartésien. L’axe des x représente le moment (plus précisément, l’ordre dans lequel) un thème ou une idée a été discuté (« séquence »), alors que l’axe des y représente pendant combien de temps un thème ou une idée a été discuté et à quel moment un thème émergent a été soulevé à nouveau lors d’une discussion (« étendue »).

L’axe de la séquence couvre toute la durée de la conversation d’un dialogue électronique et illustre où, au cours d’une conversation – dans quel ordre –, les thèmes et les idées ont été abordés et discutés. L’ajout d’une composante séquentielle à un modèle de conversation vise à la fois à capter suffisamment la genèse et l’origine des idées émergentes et à répertorier avec facilité les idées et les thèmes en établissant des références croisées avec la transcription de la conversation. Les unités sur l’axe de séquence représentent le nombre de messages et l’ordre dans lequel ils sont affichés; cet axe est strictement séquentiel et ne présente aucune information temporelle (ni secondes ni minutes au cours d’une conversation). La conversation CRC Reflections compte 96 messages dont l’origine se situe au « zéro-ième » point, c’est-à-dire avant la conversation. Le point terminal de l’axe des temps représente le 96e message, soit le dernier de la conversation. Le reste de l’axe est fractionné en unités égales (le 24e message serait aligné avec le quart de l’axe à partir du point d’origine, le 48e message serait aligné à mi-chemin le long de l’axe, etc.).

L’axe de la séquence affiche un thème lorsque celui-ci a été abordé pendant une conversation. Or, étant donné que les thèmes sont représentés graphiquement par des marqueurs circulaires sur le graphique (discutés en détail ci-dessous), cet axe ne peut capter avec précision pendant combien de temps un thème ou une idée a fait l’objet d’une discussion. Par exemple, l’idée des « paysages » a été abordée près du début de la conversation CRC Reflections; elle serait donc tracée plus près de l’origine de l’axe du temps. Or, cette idée a été discutée pendant plusieurs messages, plus près du milieu de la conversation. Pour saisir pendant combien de temps une idée ou un thème a été discuté, les idées et les thèmes sont également tracés le long d’un axe de l’étendue. Cet axe commence à zéro (c’est-à-dire aucun message) au point d’origine d’une idée ou d’un thème faisant l’objet d’une discussion, pour la durée maximale (c’est-à-dire depuis le premier message jusqu’au dernier) au point terminal de l’axe. En ce qui a trait à la conversation CRC Reflections, un thème qui a été discuté dans le premier message et aussi dans le 96e message serait situé au point le plus élevé de l’axe de l’étendue.

5.2 Cerner les thèmes communs

Comme l’illustre la Figure 1, les dialogues électroniques permettent à des fils ou à des sous-conversations de prendre forme compte tenu de la fonction de citation. La TNDMC utilise ces fils pour déterminer les principaux thèmes d’une conversation. Un thème se définit par les concepts ou les sujets qui constituent le principal point de mire d’un fil de messages. Le thème est extrait d’un fil de messages en effectuant une analyse de la fréquence des termes ou concepts les plus courants. Les résultats de l’analyse de fréquence sont traités pour faire en sorte que seuls les mots liés aux concepts sont inclus, c’est-à-dire qu’aucun élément grammatical tel que les prépositions ou les conjonctions, ni les synonymes ou les mots dérivés ne sont saisis dans le cadre du même concept (p. ex. « innovateur » et « innovation » seraient tous deux saisis comme appartenant au même concept).

En élaborant la TNDMC à l’aide de la conversation CRC Reflections, un ou deux termes comprennent plus de 5 % du texte et, ensuite, la fréquence chute considérablement pour le prochain terme le plus courant et les termes qui suivent. Dans certains cas, plus d’un terme surviendrait dans un fil aux fréquences les plus élevées, mais égales entre elles, parce qu’elles sont liées. Par exemple, « bâti » et « environnement » sont apparus dans un fil, chacun avec une fréquence de 2,54 % car la conversation était axée sur « l’environnement bâti ». La TNDMC caractérise un fil en fonction des termes qui s’y retrouvent le plus fréquemment (voir la Figure 2) et les qualifie de « thèmes d’une conversation ».

Dans un modèle de conversation, ces thèmes sont représentés par des marqueurs circulaires (voir la Figure 3). Les thèmes sont représentés sur l’axe de séquence en centrant le cercle du message médian du fil de conversation entourant le thème. Par exemple, le thème « humains et nature » a été abordé dans sept messages et le message médian était le 27e de la conversation CRC Reflections; il est donc aligné avec l’incrément 27 de l’axe de séquence. La médiane a été choisie comme moyenne statistique à utiliser pour représenter un thème pour la raison suivante : les médianes produisent souvent des nombres non entiers, ce qui aurait pour conséquence de centrer un thème sur une valeur non existante d’un message. Le mode n’existe pas pour les séries de données de messages étant donné que tous les messages se font assigner une valeur séquentielle unique.

Les thèmes jalonnent l’axe de l’étendue selon le nombre de fois qu’ils surviennent entre le premier message et le dernier portant sur eux. Par exemple, le premier message du thème « voisinages et jardins communautaires » [Neighbourhoods and Community Gardens] est survenu près du début de la conversation, et il s’agissait du 14e message de l’ensemble du dialogue électronique. Le dernier message de ce thème est survenu vers le milieu de la conversation, le 40e message du dialogue électronique. Donc, l’étendue de ce thème a été de 27 messages (y compris le premier et le dernier message), et il est représenté à l’incrément 27 de l’axe de l’étendue.

Figure 2

Courbe de fréquence des termes pour « collectivité et espaces », un thème cerné dans le dialogue électronique CRC Reflections

Courbe de fréquence des termes pour « collectivité et espaces », un thème cerné dans le dialogue électronique CRC Reflections

La figure ci-dessus affiche le nombre de fois que surviennent les termes au cours d’un fil de conversation produit dans le dialogue électronique CRC Reflections. Les termes sont tracés le long de l’axe des x depuis le degré élevé de fréquence (le plus près du point d’origine) jusqu’au degré de fréquence le plus faible (le plus éloigné du point d’origine), alors que la tendance de la fréquence parmi les termes est tracée par une ligne de tendance noire. La ligne verticale rouge démarque (grossièrement) la diminution la plus marquée de fréquence observée sur la ligne de tendance. Les termes situés à la gauche de la ligne rouge servent à caractériser un fil de conversation et à déterminer le « thème » d’une conversation.

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Figure 3

Les principaux thèmes du dialogue électronique CRC Reflections

Les principaux thèmes du dialogue électronique CRC Reflections

La figure ci-dessus représente un tracé des principaux thèmes tirés des divers fils de conversation. Les centres des thèmes sont représentés le long de l’axe des x selon l’ordre de leurs messages médians respectifs, et le long de l’axe des y selon le nombre de messages qui se trouvent entre leurs premiers et derniers messages respectifs. Les représentations des thèmes varient en taille selon le nombre relatif de messages émis autour d’un thème.

*

Le « nombre de messages » sur l’axe des y (étendue) fait référence au nombre total de messages entre le premier message et le dernier portant sur un thème. Cette mesure illustre le nombre de messages sur tous les thèmes de la conversation ayant été abordés entre le premier message et le dernier message d’un thème donné.

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Notons que le thème « voisinages et jardins communautaires » [Neighbourhoods and Community Gardens] était composé au total de 14 messages et d’une étendue de 27 captages en tout (c’est-à-dire des messages en lien avec d’autres thèmes également), du message entre le premier et le dernier message du thème. Les thèmes sont répartis de cette façon afin de veiller à ce que le modèle puisse saisir la concurrence de conversations et de moments pendant lesquels certains thèmes risquent d’être abordés à nouveau dans un dialogue. Par exemple, la Figure 3 illustre que les thèmes « espaces communautaires » et « environnement bâti » ont tous deux fait l’objet d’une discussion au début de la conversation parce qu’ils se trouvent près de l’origine de l’axe de la séquence. Or, la discussion sur ces thèmes présente une grande étendue. Par conséquent, nous pouvons affirmer, à partir du modèle, que ces thèmes ont été discutés tôt pendant le dialogue électronique (et la majeure partie de l’engagement à l’endroit de ces thèmes s’est produit au début du dialogue électronique). Or, ces thèmes ont été abordés à nouveau beaucoup plus loin dans la conversation, ce qui signifie qu’un commentaire survenu plus tard pendant le dialogue électronique a incité les participants à revoir une conversation et à ajouter au fil de celle-ci autour du thème. En revanche, la Figure 3 illustre que « gouvernement municipal » et « innovation communautaire » ont été discutés plus loin et que l’étendue de ces discussions était faible. Nous pouvons donc affirmer que ces thèmes ont fait surface à la fin de la conversation et qu’ils n’ont été discutés qu’à la fin, ce qui signifie qu’ils étaient des sujets autour desquels la conversation a tourné plutôt que des idées refaisant surface à partir du début de la conversation.

5.3 Le degré d’engagement à l’endroit des thèmes

À la lumière du nombre de messages créés autour de chacun des thèmes, nous constatons que certains thèmes ont mobilisé un nombre plus élevé de participants que d’autres. La TNDMC capte le degré d’engagement à l’égard d’un thème en traçant les thèmes dimensionnés selon leur engagement relatif. Par exemple, la discussion portant sur le thème « intégration et esthétique » comptait 14 messages, alors que la discussion portant sur « Paris et l’environnement bâti » en comptait 3. Le cercle « intégration et esthétique » est plus grand que celui de « Paris et l’environnement bâti ».

L’analyse à la fois de la position et de la taille des positions graphiques des thèmes fournit une grande compréhension du moment où le sujet a été discuté, de la durée et de la profondeur de la discussion. Le thème « intégration et esthétique », qui occupe une position élevée sur l’axe de l’étendue, a fait l’objet d’un grand engagement (grand cercle) et se trouve au milieu de l’axe de séquence. Cela dit, nous pouvons affirmer, à partir de la modélisation, que ce thème a refait surface et était présent pendant toute la durée du dialogue électronique. En revanche, le volet « échelle » a une faible étendue et un engagement relativement faible (petit cercle). Nous pouvons donc affirmer que ce thème a été discuté brièvement à environ un tiers de la durée du dialogue électronique (positionné sur l’axe de séquence).

5.4 Circonscrire les idées au coeur des thèmes

Circonscrire les idées qui ressortent des thèmes permet de mieux comprendre la conversation qui se déroule autour d’un thème et permet aussi au chercheur de cerner les idées qui relient les thèmes. Certains messages et commentaires convergent sur une multitude de thèmes (voir plus haut à la section 3. Élargir la sphère publique pour le dialogue), et le fait d’examiner les idées au coeur d’une conversation aide à déterminer ces points de convergence et à fournir un aperçu quant au débit de la conversation et à la genèse des concepts et des pensées qui ressortent de conversations en ligne.

Les idées sont cernées en examinant les termes qui font surface le plus souvent pendant toute la durée du dialogue électronique. De façon semblable à l’analyse d’un thème, seuls les termes liés à un concept sont pris en compte dans le modèle, ce qui signifie qu’aucun élément grammatical tel que les prépositions, les articles et les conjonctions, ni les dérivés ou les synonymes d’un terme sont tenus comme faisant partie de la même idée. Les idées qui composent le dialogue électronique CRC Reflections ont été discutées pendant la conversation selon une fréquence de 0,5 % et plus, ce qui signifie que l’idée est mentionnée au moins 12 fois au cours d’une conversation. Toutes les idées sélectionnées pendant le processus de modélisation étaient présentes dans un minimum de trois messages de conversation car le thème affichant l’engagement le plus faible (« échelle ») ne comptait que deux messages et, avec un minimum de trois messages, aucune idée ne peut être entièrement contenue à l’intérieur de ce thème marginal, ce qui signifie que c’est un thème dont l’engagement est exceptionnellement faible.

La Figure 4 illustre les idées (petits cercles vert pâle) tracées avec les thèmes. La TNDMC trace les idées sur les axes de séquence et d’étendue de la même façon qu’avec les thèmes. Les idées sont représentées le long de l’axe de séquence en fonction du message médian où elles étaient mentionnées, et le long de l’axe de l’étendue en fonction du premier message et du dernier dans lesquels elles ont été mentionnées. Dans la conversation CRC Reflections, l’idée « adaptation » (cercle no 43) a été mentionnée brièvement dans la dernière moitié de la conversation. Celle-ci est donc située dans le 57e incrément de l’axe de séquence et a une étendue faible, ce qui signifie qu’elle se trouve près de l’origine sur l’axe de l’étendue. En revanche, « diversité » (cercle no 8) a été noté fréquemment du début à la fin de la conversation, depuis le 2e message jusqu’au 86e message. Sa position est donc élevée en fait d’étendue et il est situé vers le centre de l’axe de séquence.

Étant donné qu’un nombre beaucoup plus important d’idées que de thèmes sont tracées, les idées sont représentées par des cercles plus petits que ceux des thèmes. Donc, leur force relative (ou fréquence) dans la conversation n’est pas facilement démontrée par la taille du cercle. Par conséquent, leur force relative est démontrée par des valeurs d’indice et est affichée dans la légende. Les valeurs d’indice sont calculées en assignant à l’idée la plus courante la valeur 1, « développement » dans ce cas-ci. Toutes les autres valeurs d’indice sont calculées selon les fréquences relatives à la fréquence de l’idée la plus courante.

Figure 4

Les principaux thèmes et idées qui ressortent du dialogue électronique CRC Reflections

Les principaux thèmes et idées qui ressortent du dialogue électronique CRC Reflections

La figure ci-dessus illustre un tracé à la fois des principaux thèmes tirés de divers fils de conversation produits par le dialogue électronique CRC Reflections et des idées qui font surface pendant toute la durée du dialogue. Semblables à des thèmes, les centres d’idées sont représentés le long de l’axe des x selon l’ordre de leurs messages médians respectifs, et le long de l’axe des y selon le nombre de messages qui se trouvent entre leurs premiers et derniers messages respectifs. Les tracés d’idée sont identifiés dans la légende par un numéro. Les fréquences relatives de discussion des idées sont fournies entre parenthèses à côté de chaque idée, dans la légende.

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5.5 Le lien entre les thèmes et les idées

La TNDMC établit les liens entre les thèmes et les idées pour déterminer les idées qui ressortent d’un thème de conversation et celles vers lesquelles les thèmes ont convergé. Les lignes grises des Figures 5a et 5b mettent en lien les marqueurs d’idées et les marqueurs de thèmes. Des idées convergentes entre les thèmes sont observées au fur et à mesure qu’une idée est mise en lien avec plusieurs thèmes. Les lignes branchées sont « plus épaisses » afin d’illustrer le degré d’une idée ressortie pendant la discussion portant sur un thème précis, ce qui signifie que les lignes plus grasses indiquent qu’une idée a été notée et discutée plus souvent. Ce système permet à l’utilisateur d’une modélisation de conversation d’obtenir un aperçu à la fois de quelles idées sont mises en lien avec quels thèmes, et dans quelle mesure certaines idées sont courantes dans un thème de conversation.

Les Figures 5a et 5b illustrent que les idées partagées par les thèmes « voisinages et jardins communautaires » et « intégration et esthétique » étaient « public », « espace » et « beauté ». Cette relation schématique fait allusion à l’usage de jardins communautaires pour intégrer l’esthétique et la beauté aux espaces publics des voisinages. Des recherches réalisées antérieurement ont démontré que créer et réaliser des espaces de jardin au sein des collectivités peut aider au développement d’un sens d’appartenance chez les résidents locaux (Newman & Dale, 2009) et constituer des lieux de rencontre pour permettre aux membres de la collectivité d’établir des liens (Armstrong, 2000). Donc, en analysant les liens entre les idées et les thèmes de conversations en ligne, nous pouvons commencer à dégager les concepts supérieurs formulés et les mettre soit en lien avec des recherches antérieures ou les étudier comme de nouveaux enjeux et de nouvelles priorités en matière de politiques publiques.

Les Figures 5a et 5bci-dessous illustrent les liens entre les thèmes et les idées. Un tracé de thème est mis en lien avec un tracé d’idée lorsque l’idée fait surface ou est discutée pendant la conversation portant sur le thème en question. L’épaisseur de trait des lignes tracées varie selon la fréquence à laquelle une idée a fait surface ou a été discutée à l’intérieur du thème. Les Figures 5a et 5b illustrent les lignes de liaison droites ou courbées (respectivement) pour montrer les liens dans une figure pouvant être occultés dans l’autre.

Figure 5

Les liens entre les idées et les thèmes du dialogue CRC Reflections

a

b

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6. Le débit et l’accent de la conversation

L’utilisation de la TNDMC avec le dialogue en ligne CRC Reflections a permis de dégager 17 thèmes de la conversation et les a mis en lien avec 44 idées émergentes. Étant donné que les thèmes et les idées ont été tracés en fonction du moment où ils ont été discutés (séquence) et du moment où ils ont été soulevés la première fois et à nouveau (étendue), on peut avoir une idée du « débit », ou du déroulement de la conversation d’un sujet à l’autre, et de l’« accent » donné, ou des principaux sujets discutés, d’une conversation en procédant à une analyse stratégique du modèle.

La Figure 6 illustre une méthode qui sert à déterminer le débit et l’accent d’un dialogue d’un modèle de conversation généré par l’entremise de la TNDMC. Créer une voie en forme d’arc à fond bas à travers le modèle permet de voir la séquence principale des sujets et des thèmes discutés, tout en relevant les sujets qui ont été discutés fréquemment pendant la conversation et qui, par conséquent, pourraient jouer un rôle directeur dans la discussion.

Les thèmes près du fond de l’arc comprennent des sujets qui ont été discutés en séquence et, compte tenu de leur faible étendue, ils peuvent être vus comme faisant partie d’une conversation qui passait séquentiellement d’un accent à l’autre. En étudiant les idées qui mettent en lien les thèmes dans la partie inférieure de l’arc, on peut avoir un aperçu des idées qui ont fait passer la conversation d’un thème à un autre.

En revanche, au point culminant de larc, on voit les sujets centrés près du milieu de la conversation (sur l’axe de séquence) et dont l’étendue est élevée. La discussion de ces thèmes s’est étendue sur la majeure partie du dialogue électronique et, puisque ces thèmes sont alignés avec le centre de l’axe de séquence, ils ont été discutés de façon relativement égale du début à la fin de la conversation. Il est important de prendre en note ces thèmes lorsque le débit et l’accent d’une conversation sont pris en compte, car ils pourraient agir comme facteurs d’influence lors des transitions d’un sujet à l’autre et/ou ils pourraient contenir des idées d’intégration en lien avec tous les sujets de conversation.

Les thèmes et les idées dans le coin supérieur gauche, le coin supérieur droit et dans la partie inférieure au centre du modèle sont exclus lorsque le débit et l’accent d’une conversation doivent être définis; ils sont des éléments marginaux en fait de fluidité de la progression de la conversation. Les thèmes et les idées dans le coin supérieur gauche et le coin supérieur droit ont une étendue élevée, mais sont situés près du point d’origine ou terminal de l’axe de séquence (respectivement), ce qui signifie qu’ils ont été largement discutés au début ou à la fin de la conversation, mais des points « errants » ont été ajoutés au fil, ailleurs dans la séquence. La progression de la conversation autour de ces thèmes devient ainsi « agitée », et ceux-ci ne peuvent fournir une impression précise de l’ensemble du débit de la conversation. Les thèmes dans la partie la plus inférieure du centre sont exclus de l’arc parce que leur étendue est très faible, ce qui signifie qu’ils représentent des conversations en marge qui ne contribuent pas à l’ensemble du débit du dialogue électronique.

En déterminant le débit et l’accent à partir du modèle de la conversation CRC Reflections, et en suivant la forme de l’arc, on peut en tirer les dynamiques conversationnelles suivantes :

  • Les thèmes « entreprises communautaires » et « environnement » sont survenus au début du dialogue électronique, ce qui laisse entendre que la conversation a commencé avec une discussion portant sur les entreprises au sein des collectivités et aussi sur des questions environnementales.

  • La conversation s’est ensuite resserrée (et a changé d’échelle) pour aborder des aspects plus précis du développement communautaire, plus particulièrement les voisinages et les jardins communautaires, ce qui a mené à une discussion sur les humains et leurs rapports avec la nature.

  • Réunis par des idées sous le thème de l’intégration et de l’esthétique, des exemples précis d’une ville (Paris) et l’environnement bâti sont ressortis de la conversation sur les voisinages, les jardins communautaires, les humains et la nature.

  • Pendant que la conversation était maintenue sur le thème de l’esthétique, la discussion est ensuite passée à des sujets plus précis sur la façon d’apporter des changements au sein de la collectivité en favorisant la multifonctionnalité, ce qui a mené au rôle joué par le gouvernement municipal.

  • La conversation s’est conclue sur le sujet des innovations communautaires et sur la nécessité de sortir des sentiers battus pour favoriser les transformations souhaitées à des collectivités durables.

Figure 6

L’analyse du modèle de la conversation CRC Reflections afin d’en déterminer le débit et l’accent

L’analyse du modèle de la conversation CRC Reflections afin d’en déterminer le débit et l’accent

La figure ci-dessus illustre un motif qui dépeint l’ensemble du débit (comment une conversation est passée d’un sujet à un autre) et l’accent (les principaux sujets de discussion) de la conversation CRC Reflections.

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Conclusions

Les conversations en ligne prolifèrent sur Internet (Brenner, 2013); la diversité des forums au sein desquels les gens interagissent augmente aussi. Comme il a été démontré dans le présent article, les forums en ligne en temps réel peuvent être une façon très efficace et très efficiente de réunir une variété de chercheurs, de praticiens et de responsables de l’élaboration de politiques dans un même lieu pour y discuter des problèmes mondiaux, mais surtout dans un but de partage d’expertise et de trouver des solutions à des enjeux sociaux complexes. Ces lieux sont d’une importance critique pour la théorie et la pensée transdisciplinaire qui, en retour, sont nécessaires pour assurer l’innovation dans la conception d’avenirs plus durables (Krishna, 2001). Le problème de la captation de la richesse et de la convergence de ces conversations en ligne qui prolifèrent afin de déterminer des points de convergence et de divergence est d’une importance critique pour ces communautés en ligne ainsi que pour les chercheurs.

La TNDMC a été conçue pour assurer une analyse en profondeur de conversations en ligne, en mettant l’accent particulièrement sur notre plate-forme de dialogues électroniques, pour capter des idées, déterminer leurs liens avec des thèmes et fournir une synthèse cohérente et une meilleure compréhension des motifs sous-jacents des conversations en ligne. Les conversations en ligne facilitent à la fois les idées émergentes et la pensée plus latérale, ainsi que le développement d’une pensée holistique et adaptative (Sterling, 2010). Il s’agit à la fois d’une force et d’une faiblesse car elle introduit une certaine anarchie au débit d’une conversation normale. Une nouvelle forme d’analyse est donc nécessaire pour capter des données plus complètes. Cette analyse, de même que la compréhension qui en résulte, peut ensuite servir à guider l’élaboration de politiques et mobiliser davantage l’innovation sociale et, peut-être même à long terme, entraîner des changements sociaux.

Étant donné que la TNDMC fait appel à une méthodologie empirique, les modèles engendrés par cette technique peuvent servir à examiner le plus impartialement possible les résultats de dialogues improvisés. La TNDMC ne remplace pas l’examen d’une transcription de conversation dans le cadre de la recherche sur le dialogue. Par contre, la technique organise les thèmes émergents et le débit de la conversation avec un minimum de partialité en vue d’effectuer une révision en profondeur d’une transcription, ce qui potentiellement contribue à une plus grande rigueur d’encodage pour un projet de recherche. De plus, la TNDMC peut jeter un éclairage sur les résultats d’une conversation qu’un chercheur pourrait rater en passant simplement en revue la transcription.

La TNDMC est un outil d’agrégation/de forage des données pour capter des idées de dialogues. L’intention de cette recherche était de développer un ou des instantanés de l’esprit collectif (Dron & Anderson, 2009). La mise en application et l’amélioration continue de la TNDMC par des chercheurs qui utilisent des processus dialogiques dans la réalisation de leurs travaux peuvent mener à des méthodologies qui captent la richesse de résultats et de processus de conversations, et à l’amélioration de la synthèse d’idées et d’innovations créées par l’entremise du discours numérique. Cette technique constitue également un outil pour la réalisation d’une analyse itérative des façons dont les enjeux sont abordés dans l’espace numérique, et la portée du dialogue et de la recherche d’un consensus autour de ces questions, un aspect qui pourrait revêtir de plus en plus d’importance pour les décisionnaires de démocraties hautement plurielles.