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Introduction

La transformation du marché du travail provoque des changements dans les milieux de travail, notamment dans les différences de traitement, tant par la création de statuts d’emploi atypiques que par la négociation de clauses orphelin. Même si le mouvement syndical est généralement présenté comme un important vecteur d’amélioration des conditions de travail et de vie des salariés, il peut également contribuer, volontairement ou non, à institutionnaliser la discrimination en milieu de travail en négociant des clauses de disparité de traitement dans les conventions collectives. C’est pourquoi nous voulions comprendre, interpréter et expliquer les effets conséquents, dans un milieu de travail syndiqué, de la négociation collective de « clauses orphelin »[1].

Notre recherche propre au champ d’études que sont les relations industrielles (RI) se distinguait des autres recherches dans le même domaine en se concentrant sur l’effet empirique de la mise en oeuvre d’une norme. Plus précisément, la thèse avait comme principal objectif de répondre à la question suivante : Quels sont les effets sur l’acteur syndical (ou l’action syndicale) du recours à la norme d’égalité à la suite de la négociation de clauses orphelin? Pour y parvenir, nous avons utilisé une méthode qualitative impliquant une recension des écrits sociohistorique, théorique et juridique, une analyse de la jurisprudence existante à ce sujet et l’étude de deux cas suggestifs portant sur la négociation d’une « clause orphelin ».

Selon les termes de Quivy et van Campenhoudt (1995), notre recherche pouvait être qualifiée de déductive et d’inductive. Déductive parce que ce sont les repères théoriques de Brunelle (2001, 2002, 2007a, 2007b, 2008a, 2008b), de Demers (1996), de Frege et Kelly (2003), de Legault (2005, 2006), de Lévesque et Murray (2010), de Rocher (1988, 1996) et de Weil (1994) qui ont permis de concevoir un modèle d’analyse et d’avancer des propositions – et non pas des hypothèses – de recherche traduisant des relations pouvant être appliquées à l’étude d’une réalité observable. Cependant, notre démarche était surtout inductive, car le concept même de l’effectivité comportait une dimension insoupçonnée : les effets inattendus. Par ailleurs, le recours à l’enquête de terrain souligne le caractère inductif, mais également exploratoire de notre démarche intellectuelle.

Afin de comprendre sur quelles bases les syndicats locaux construisent leurs actions en matière de discrimination, il fallait reconstituer ce qui fait que ces acteurs s’inscrivent dans l’espace de la constitutionnalisation du droit du travail[2] et analyser les éléments – comme le contexte socioéconomique et politique ou les pressions exercées par l’employeur – favorisant la négociation de clauses de discrimination. Troublée par la division intra syndicale provoquée par l’existence de ces clauses de disparité de traitement, nous désirions mieux comprendre ce phénomène puisque cette division, d’une grande complexité, créait non seulement une ligne de fracture entre un groupe minoritaire et un groupe majoritaire de salariés, mais aussi des subdivisions entre les groupes minoritaires, fragilisant le collectif syndical.

La recension des écrits s’est déroulée en quatre phases principales ayant permis de cerner l’objet et la problématique de recherche, de définir et d’opérationnaliser les différents concepts à l’étude et de construire une typologie de l’action syndicale, pour ensuite bâtir le modèle d’analyse. Au moment de l’analyse des résultats, la dernière phase d’analyse jurisprudentielle et de consultation de documents syndicaux a bonifié cette étape. Chacune de ces phases a été divisée en plusieurs étapes. Nous avons circonscrit le contexte historique, juridique et politique, procédé à l’analyse de la jurisprudence, notamment pour construire une typologie de l’action syndicale, ciblé le contexte théorique et le modèle d’analyse. Cela a permis de définir le concept d’effectivité, de s’affranchir de points de vue dominants en relations industrielles et de statuer que, pour rencontrer nos objectifs de recherche, il fallait poursuivre avec une enquête terrain. L’analyse de la jurisprudence et de la doctrine a aussi permis de mesurer les changements dans les milieux de travail syndiqués, ainsi que de peaufiner les différentes propositions de recherche.

Dans cet article, nous voulons discuter tant de l’utilité d’une recension des écrits en continu que de l’importance de la distanciation des données au cours d’une recherche inductive. Nous présenterons d’abord le cheminement et l’utilité de chacune des phases de recension des écrits par lesquelles nous sommes passée, puis l’opérationnalisation concrète et contextualisée de l’ensemble de la démarche de recherche et des écueils rencontrés. La discussion portera ensuite sur le processus de mobilisation des écrits scientifiques et des résultats. Nous conclurons que notre démarche s’inscrit dans le courant de nombreuses recherches inductives et qu’elle met en lumière le fait que laisser la place aux données recueillies permet de prendre du recul, permet aussi de s’affranchir de certains courants théoriques existants dans un domaine d’étude, démontrant ainsi la valeur ajoutée de la recherche inductive au-delà de la généralisation des résultats.

1. Le cheminement de la recension des écrits

La recension des travaux à l’égard de la discrimination mène au constat que celle-ci persiste dans toutes les sphères du travail, bien que certains milieux y soient plus perméables que d’autres. Cette persistance est embarrassante et ce phénomène nous a interpellée d’abord professionnellement pour en avoir été directement témoin au cours de notre carrière[3], puis personnellement, parce que nous avons dans notre entourage de jeunes adultes confrontés à ce problème. Il va sans dire que la curiosité et le désir de changer les choses à cet égard s’ajoutaient aux motifs encourageant la réalisation d’une thèse qui contribuerait à la reconnaissance du droit à l’égalité dans les milieux de travail. Nous voulions intervenir sur la difficile mise en oeuvre du droit à l’égalité dans les milieux de travail syndiqués.

Durant la première étape de notre démarche de recherche, nous avons mobilisé des écrits sociologiques, historiques et juridiques afin de délimiter l’objet de recherche et la problématique. Il est ressorti de notre première phase de recension des écrits que la négociation de clauses de disparité de traitement était, dans le contexte des années 90, fondamentalement liée à une stratégie de rationalisation des dépenses des gouvernements (déficit zéro). Les syndicats locaux sont quant à eux confrontés aux intérêts divergents de leurs membres et ils doivent maintenant vivre avec une législation du travail plus ou moins adaptée au contexte moderne. De la recension des écrits juridiques a émergé une considération importante. Une panoplie de lois et de règlements visant à contrer la discrimination[4] cohabitent avec un Code du travail encadrant une forme de syndicalisme décentralisé. L’émergence des droits fondamentaux en matière d’emploi au Québec bouleverse l’univers des relations de travail et la pratique du droit des rapports collectifs (Brunelle, Coutu, & Trudeau, 2007). Dès lors, si notre première idée était de mieux comprendre la notion d’accommodement raisonnable en milieu syndiqué, il est vite apparu que de comprendre l’effectivité du recours à la norme d’égalité serait beaucoup plus riche.

Les objectifs de notre recherche sont alors devenus plus clairs. Il s’agissait, premièrement, de comprendre, d’interpréter et d’expliquer comment les acteurs syndicaux s’inscrivent dans l’espace de la constitutionnalisation du droit du travail et les bases sur lesquelles ils construisent leurs actions. Deuxièmement, il s’agissait d’identifier les contraintes et les sources de tensions afférentes à la diversité des contextes, ainsi que les effets de la mise en oeuvre de la norme d’égalité à la suite de la négociation de « clauses orphelin ».

Les auteurs Vallée, Coutu, Rocher, Lapierre et Gagnon (2001) ayant reconnu que l’étude de la jurisprudence ne permet pas de saisir de manière approfondie les stratégies des acteurs ni les effets de son action ou de son inaction, l’étude de cas approfondie apparaissait comme la meilleure voie possible, une fois nos connaissances sur l’objet d’étude mises à jour. Les choix théoriques et méthodologiques ont ensuite été réorientés en conséquence.

Nous avons donc procédé à une analyse jurisprudentielle. Celle-ci a permis d’identifier qu’une des clés du problème concernant la difficile mise en oeuvre du droit à l’égalité découle du fait que l’article 47.2 C.t. (devoir de juste représentation) en cas de négociation de « clause orphelin » demeure compris et administré comme il l’était avant l’adoption des Chartes des droits et libertés de la personne canadienne et québécoise. Il est donc interprété de façon restrictive par les tribunaux.

Nous avons alors conclu qu’une partie de la solution au problème de discrimination repose nécessairement sur la volonté politique. Par contre, cette volonté politique est-elle probable? La conjoncture contemporaine permet d’en douter. Nous avons alors porté notre intérêt vers l’action autonome du mouvement syndical, et ce, pour deux raisons. La première est l’importance pour le milieu syndical de comprendre les changements provoqués par la reconnaissance des droits fondamentaux dans le domaine de l’emploi et de les intégrer à ses pratiques. La seconde est le raisonnement jurisprudentiel en matière d’égalité qui poursuit l’objectif de se rapprocher de l’égalité de faits plutôt que d’attendre son avènement en résultante de l’égalité formelle.

Le questionnement s’est par la suite précisé pour tenter d’orienter davantage notre recherche. Nous allions étudier l’impact des clauses de disparité de traitement. Mais pourquoi introduire de telles clauses? À quoi servent-elles? (Gagné, 2014) L’égalité est un des principes au coeur de l’action syndicale, mais de quelle égalité parle-t-on? Il fallait oser poser la question.

Ce sont ces découvertes découlant de la première phase de la recension des écrits et de l’analyse jurisprudentielle qui ont articulé notre pensée et conduit à l’élaboration de notre question de recherche. Conséquemment, pour comprendre le phénomène et ses effets, le ou les cas choisis devaient permettre une étude longitudinale en profondeur de cette problématique complexe et le terrain devait être accessible.

Il s’agissait alors de s’outiller afin d’être en mesure de répondre à la question. La démarche de recherche adoptée mettait à contribution le droit, les relations industrielles (RI) et la sociologie du droit pour assurer un traitement exhaustif d’un objet d’étude relativement vaste, soit l’effet empirique de la mise en oeuvre de la norme d’égalité chez des syndicats qui ont introduit dans leur convention collective des « clauses orphelin ». C’est cette démarche qui sera développée dans la prochaine section.

2. L’opérationnalisation de la démarche de recherche

Le premier postulat de notre recherche était que le recours à la norme d’égalité (sa mise en oeuvre) a des effets variables, lesquels peuvent être étudiés en portant attention au niveau d’action (qui saisit la règle), au recours intenté, à la stratégie adoptée et à la documentation consultée. Une seconde phase de recension des écrits, qui a aussi exigé une large analyse de la jurisprudence, a été poursuivie afin d’opérationnaliser le concept d’effectivité (section 2.2.2), de nous affranchir des points de vue dominants en relations industrielles (section 2.1) et de construire une typologie de l’action syndicale (section 2.1.1).

Enfin, une troisième phase de recension des écrits a été nécessaire pour construire notre modèle d’analyse (section 2.2) dans lequel les repères théoriques ont été identifiés (section 2.2.1), le concept de l’effectivité a été mobilisé à la manière de Demers (1996), et les deux études de cas ont été choisies (2.2.3).

2.1 S’affranchir de points de vue dominants

Le discours ambiant à propos de l’effet de la reconnaissance des droits fondamentaux sur les relations de travail est plombé de lourds préjugés. Donc, pour traiter cet objet, il fallait d’abord adopter une perspective affranchie de quatre points de vue dominants dans notre domaine (RI) qui influencent et perpétuent ce discours. D’entrée de jeu, nous avons refusé de confiner les droits fondamentaux à des droits individuels puisqu’ils sont souvent aussi, en matière d’emploi, des droits collectifs mais minoritaires. Dès lors, plutôt que de restreindre le conflit provoqué par l’introduction de la norme d’égalité au conflit entre droits individuels (salariés ayant des caractéristiques particulières) et collectifs (syndiqués), on entre dans toute la complexité de l’objet, soit le conflit entre plusieurs droits collectifs, dont certains sont minoritaires.

Le terme clause orphelin a été retenu et préféré à l’expression clause de disparité de traitement, recommandée par l’Office québécois de la langue française pour trois raisons : 1) ce terme est celui utilisé par les acteurs touchés par le phénomène; 2) il évoque la charge affective qu’a eue le phénomène sur une génération de travailleurs; 3) il permet d’éviter la confusion entre plusieurs formes de disparité de traitement.

Enfin, inspirée par un courant sociologique concernant l’action collective (Gagnon, 1991) et une approche sociohistorique de la tradition sociologique marxienne et wébérienne, nous avons refusé de conférer aux membres d’un syndicat le simple statut épistémologique d’élément de l’environnement syndical (Gagné, 2014), et ce, parce que derrière une telle caractérisation, en relations industrielles, on distingue une conception du collectif syndiqué incarné par des représentants qui jouissent du pouvoir – délégué – d’agir au nom des membres, tellement qu’on en arrive à confondre syndicat et comité exécutif du syndicat. Ce faisant, l’on remet en cause un cadre analytique, notamment celui de Weil (1994), fortement utilisé en relations industrielles et dont la source idéologique n’est pas étrangère au problème qu’elle étudie.

Par la suite, il importait de bien situer le domaine d’études de la recherche. La définition des relations industrielles (RI) proposée par Hyman, « une arène d’interactions ou un terrain de tensions où s’affrontent la régulation du travail et de l’emploi, les forces du marché et la régulation sociale » (Hyman, 2000, p. 149), a été retenue. Selon cette interprétation, les relations industrielles peuvent être étudiées comme un champ d’étude multidisciplinaire où se rencontrent sociologie, droit, politique, économie, etc., de telle sorte qu’il est préférable qu’un groupe de chercheurs ne détermine pas ses postulats de base en référence à une seule théorie[5], attendu que la pluralité de points de vue et la confrontation d’idées seront profitables à la réalisation de travaux de recherche dans le domaine.

2.1.1 Une typologie de l’action syndicale

Nous avons construit une typologie de l’action syndicale afin de guider la démarche empirique. Inspirée en partie par les typologies de Lapointe et Bélanger (1996), de Jalette (2005) et de notre analyse de la jurisprudence – provenant tant des tribunaux supérieurs tels que la Cour suprême du Canada que des tribunaux administratifs, incluant les tribunaux d’arbitrage –, nous avançons que l’action syndicale locale en lien avec le droit à l’égalité peut être qualifiée soit de promotion, de contournement, d’abstention ou d’indifférence, voire de rejet ou d’hostilité. Il s’agit ici de types idéaux au sens de Weber (1967) dans Dantier (2004), c’est-à-dire d’une catégorisation expérimentale qui implique une certaine stylisation de la réalité (Dantier, 2004). Ces types idéaux ont été utilisés à titre heuristique pour ensuite contrôler la validité des types construits sur la base d’une démarche empirique de recherche[6].

Bref, la recension des écrits a permis ici de cerner les contextes, tant normatif, institutionnel qu’empirique dans lesquels les organisations syndicales doivent manoeuvrer. Ensuite, nous avons classifié les différentes stratégies syndicales adoptées par rapport à la discrimination et aux disparités de traitement dans les milieux de travail. Le développement de cette typologie a été une démarche préliminaire importante. Nous y reviendrons à la section 2.2.3, puisque le modèle d’analyse et le choix des deux cas à l’étude découlent tant de cette typologie de l’attitude syndicale (Gagné, 2014) que de la recension des écrits méthodologiques et théoriques.

2.2 La construction du modèle d’analyse

La troisième phase de la recension des écrits a porté sur la conception du modèle d’analyse et a représenté une étape charnière entre le choix de la problématique et le travail d’investigation empirique (Quivy & van Campenhoudt, 1995). Compte tenu de l’importance de cette phase, cette section présente la démarche conceptuelle et analytique retenue afin d’assurer la validité et la fiabilité du travail (Thiétart, 2007). Nous explicitons les repères théoriques, le concept d’effectivité et la démarche empirique, c’est-à-dire le choix des cas.

2.2.1 Les repères théoriques

Au premier temps de la troisième phase de recension des écrits, nous avons retenu trois repères théoriques. Le premier souligne que non seulement le chercheur peut recourir à plusieurs théories, mais, selon Gagné (2014), qu’il existe plusieurs conceptions de la théorie en sciences sociales :

[…] les thèses de Popper (père de la réfutabilité et défenseur de l’unicité scientifique) et de Kuhn (père de la révolution scientifique et défenseur du relativisme) représentent l’incarnation même de ce débat. Entre ces deux théoriciens de la science, le discours semble irréconciliable. Pourtant, entre les deux positions, il existe différents postulats partagés par différents chercheurs [qui sont] eux plus ou moins conciliables[7]

p. 131

Pour ce qui est du deuxième repère théorique, nous avons admis, comme Vallée et al. (2001) et les tenants de l’approche stratégique, que la règle est une ressource dans une relation de pouvoir entre les acteurs du système de relations industrielles. Ainsi, la décision de mobiliser ou non les normes relatives à la discrimination peut dépendre de la composition de la main-d’oeuvre d’un secteur donné, de la formation ou de l’expérience particulière des acteurs qui interviennent dans la mise en oeuvre de la règle d’égalité (Vallée et al., 2001).

Enfin, en ce qui concerne le troisième repère théorique, puisque nous cherchions à comprendre la réponse des différents acteurs aux défis reliés au recours à la norme d’égalité, nous avons retenu la posture de Flyvbjerg (2001) qui suggère, à l’instar d’Aristote, de mettre l’accent sur la connaissance pratique dans l’étude des hommes et de la société et de prendre en compte le contexte social et historique, puisque de toute façon, l’étude des individus et de la société ne pourra jamais être normale au sens kuhnésien du terme, à cause des relations entre d’un côté la théorie scientifique idéale de Dreyfus[8] et les activités humaines de l’autre (Flyvbjerg, 2001).

Par la suite, au deuxième temps de la troisième phase de recension des écrits, nous avons passé en revue plusieurs courants théoriques pouvant nous aider à comprendre les effets de la mise en oeuvre du droit à la non-discrimination. Comme Flyvbjerg (2001), Frege et Kelly (2003) et Lévesque et Murray (2010), nous avons choisi un modèle d’analyse qui se situe au carrefour des influences stratégiques et institutionnelles et qui aborde les problèmes à la fois sur le plan humain (du côté des acteurs) et sur le plan structurel (même si cela est certainement plus difficile à réaliser)[9]. Ce modèle d’analyse devait permettre la compréhension des logiques d’actions syndicales aux différents niveaux ainsi que l’évaluation des différentes structures institutionnelles et leur influence sur les ressources et les capacités des différents acteurs syndicaux.

Ainsi, suivant Giles et Murray (1996, 1997) et à l’encontre de Burrell & Morgan (1979), le dialogue entre les paradigmes devenait non seulement possible mais souhaitable puisqu’il permet une certaine influence qui enrichit les débats, en ouvrant l’étude de multiples facettes de la relation d’emploi sous différents angles. De même, comme Giles (2000) en économie politique internationale et Kochan, McKersie et Cappelli (1984) en choix stratégiques, qui ne prônaient pas le remplacement des théories actuelles mais bien l’ajout de leur théorie aux théories existantes, nous estimons que la construction du modèle d’analyse profite de cet apport multithéorique, soit une approche alliant tant une connaissance du droit du travail (le rôle de l’évolution législative et jurisprudentielle et son influence sur les acteurs syndicaux) que les contextes des relations industrielles et les aspects pratiques du syndicalisme.

Prenant en considération l’action syndicale et la mise en oeuvre du droit à l’égalité (la non-discrimination), notre position théorique se résume en trois éléments. Premièrement, nous croyons, à l’instar de Rocher (1988), de Demers (1996) et de Leroy (2011), que la mise en oeuvre du droit à l’égalité entraîne une multitude d’effets. Ceux-ci peuvent être concrets, symboliques, immédiats, différés, voulus ou non intentionnels (Demers, 1996). Deuxièmement, comme Lévesque et Murray (2010), nous considérons que l’action syndicale est non déterminée, dans la mesure où les acteurs syndicaux contribuent à la détermination de leurs conditions de travail et de l’emploi. Troisièmement, nous estimons que l’action collective est un construit interactif constamment remanié par ses acteurs (Dufour-Poirier, 2011). Donc, les acteurs font des choix stratégiques en fonction de leurs besoins et de leurs attentes (Frege & Kelly, 2003; Weil, 1994). Voyons maintenant ce que nous avons retenu des écrits à propos du concept de l’effectivité.

2.2.2 Le concept d’effectivité

L’effectivité du droit est un modèle théorique en sociologie du droit qui entend aller au-delà de l’efficacité ou de l’inefficacité de la norme. Toutefois, selon Demers (1996), la notion de l’effectivité du droit était à l’origine subordonnée à « l’étude plus générale de l’évaluation des règles de droit » (p. 135). Selon Rocher (1998), l’effectivité se réfère à « tout effet de toute nature qu’une loi peut avoir » (pp. 136-137). Il s’agit par conséquent d’une signification beaucoup plus large que la simple efficacité de la loi se référant au fait qu’elle atteint ou non l’effet désiré par le législateur. De ce fait, l’ineffectivité du droit ne serait, pour Rocher (1998), qu’un effet négatif de la norme. Autrement dit, c’est l’effet empirique de la norme ou de sa modification qui sera considéré. Il s’agit alors « de mesurer non seulement les effets de toute nature, mais aussi les raisons expliquant ces effets et la façon dont ils se produisent » (Leroy, 2011, p. 728).

En adaptant la typologie originalement développée par Demers (1996), nous avons déterminé que, s’il est question des effets concrets, les modalités d’application sont consignées, par exemple, les mesures adoptées ou négociées. Pour ce qui est des effets symboliques, nous nous sommes intéressée à la valeur et au sens (légitimité et validité) donnés par les différents acteurs à ce droit à la non-discrimination. Quant aux effets immédiats et différés, ceux-ci ont été évalués en neuf temps[10]. Pour étudier les effets voulus qui réfèrent à l’égalité des chances, malgré certaines caractéristiques personnelles, ce sont les mécanismes de négociation et d’accommodement raisonnable mis en place (ou non) qui ont été retenus. En ce qui concerne les effets non intentionnels, nous avons analysé les conséquences de l’émergence, de la consolidation et de la disparition des associations parallèles.

En résumé, cette typologie se prêtait bien au sujet d’étude, puisqu’il fallait étudier les effets observés, au sens de Rocher (1998), du droit à l’égalité, ce qui incluait les effets attendus et ceux inattendus, les interactions entre les différentes institutions et règles, même informelles, les impacts de la mise en oeuvre de ce droit dans les milieux de travail syndiqués, les comportements des différents acteurs et les déterminants justifiant certains choix. Il en découle qu’il n’est donc pas possible de passer outre l’analyse des contextes, des relations entre les différents acteurs, des sources de pouvoir ainsi que celle des ressources disponibles, qu’elles soient juridiques, matérielles, financières ou encore humaines. Pour y arriver, encore fallait-il choisir des cas probants. Une nouvelle ronde de recension de la jurisprudence s’amorçait.

2.2.3 Le choix des cas

L’étude de cas demeurait l’approche à privilégier pour répondre à notre questionnement de recherche. Nous avons retenu l’étude de cas « suggestifs » qui « ressortent par leur caractère atypique ou suggestif du cas étudié » (Roy, 2003, p. 166). Pour ce faire, nous avons sélectionné des cas parmi les recours intentés pour discrimination devant le Tribunal des droits de la personne du Québec (TDPQ), chargé d’entendre les plaintes déposées par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ). Nous avons répertorié trois cas où des regroupements de travailleurs ont intenté des recours contre leur employeur et leur syndicat afin de contester une « clause orphelin ».

Les deux cas qui ont fait l’objet de notre étude, soit celui des pompiers de la ville de Laval[11] et celui des constables spéciaux du Québec[12], ont été sélectionnés pour sept raisons : 1) la cause a été portée en Cour d’appel; 2) l’exécutif syndical local a, tout comme l’employeur, contesté la décision du TDPQ donnant raison aux plaignants; 3) tant les pompiers que les constables spéciaux ont perdu leur cause devant la Cour d’appel[13]; 4) la négociation s’est déroulée dans un contexte de rationalisation des dépenses publiques mise de l’avant par le gouvernement Bouchard; 5) des syndicats indépendants disposant de peu de marge de manoeuvre se sont retrouvés en position défensive, où ils devaient protéger leurs acquis et chercher à limiter les concessions; 6) une même intention, soit celle d’éviter une situation jugée encore plus dommageable (la création d’un statut d’emploi temporaire ou des suppressions de postes), anime les syndicats locaux; 7) le syndicat des pompiers et des constables spéciaux ont négocié avec une administration publique (la ville de Laval ou le gouvernement du Québec) l’introduction d’une seconde échelle salariale qui s’est avérée désavantageuse pour une catégorie de travailleurs (futurs pompiers ou constables spéciaux occasionnels). Le troisième cas, non retenu, portait plutôt sur un gel d’échelon salarial et n’a jamais été entendu sur le fond.

D’autres motivations justifiaient le choix de ces deux cas. Les décisions rendues par le TDPQ confirmaient que, concernant la négociation d’une nouvelle échelle salariale, cette échelle s’appliquait de manière discriminatoire en fonction de la date d’embauche, pour les pompiers de Laval, et du statut d’emploi et de la date d’embauche, pour les constables spéciaux du Québec. Outre un terrain accessible, la complexité des causes en faisait deux exemples pertinents à l’égard de notre objet de recherche. En effet, les syndicats locaux ont plaidé, de concert avec l’employeur, la prescription du recours et une défense de nécessité fondée sur le contexte économique et les exigences législatives. En outre, dans ces décisions, les syndicats ont été tenus conjointement responsables avec l’employeur par le TDPQ. Une demande d’appel à la Cour suprême a été présentée par la CDPDJ dans le cas des pompiers de Laval. En mai 2012, la Cour suprême a refusé d’entendre la cause. La décision de la Cour d’appel du Québec est donc devenue exécutoire.

La présentation des quatre phases de la recension des écrits a mis en lumière le cheminement et l’utilité des écrits mobilisés pour mener à bien la recherche doctorale. Nous avons circonscrit le contexte historique, juridique et politique, procédé à l’analyse de la jurisprudence, notamment pour construire une typologie de l’action syndicale, ciblé le contexte théorique et le modèle d’analyse, ce qui a permis de définir le concept d’effectivité, de s’affranchir de points de vue dominants en RI et de statuer que, pour rencontrer nos objectifs de recherche, il fallait poursuivre avec une enquête de terrain. L’analyse de la jurisprudence et de la doctrine a aussi mené à mesurer les changements dans les milieux de travail syndiqués ainsi qu’à peaufiner les différentes propositions de recherche.

Nous expliquerons maintenant les choix méthodologiques concernant les deux cas à l’étude et nous discutons de la distanciation en regard de la recension des écrits.

3. Les choix méthodologiques

Dans cette section, nous présenterons d’abord le déroulement du travail de terrain ainsi que les moyens que nous avons mis en place afin d’en arriver à des résultats valables et fiables, pour ensuite conclure avec la discussion autour du processus de la mobilisation des écrits scientifique (3.2).

3.1 Le déroulement de l’enquête de terrain

La collecte de données a été réalisée à partir d’entrevues semi-dirigées et complétée par une analyse documentaire. À ce stade, la collecte de données a servi à décrire l’environnement de travail et les organisations syndicales étudiées. Nous avons choisi de faire des entrevues semi-dirigées puisqu’elles apparaissent particulièrement utiles lorsque l’on désire analyser « le sens que les acteurs donnent à leur pratique » (Quivy & van Campenhoudt, 1995, p. 196). Vallée et al. (2001) abondent en ce sens, puisque le répondant peut expliquer la perception des phénomènes et le contexte, ce qui permet un approfondissement des questions et un accès aux stratégies utilisées pour influencer la mise en oeuvre du droit à la non-discrimination.

Les avantages découlant de l’utilisation des entrevues semi-dirigées sont importants, mais encore faut-il que les données soient parlantes. En conséquence, les données recueillies devaient nous permettre de retracer l’histoire du cas et son contexte ainsi que la chronologie des évènements afin d’être en mesure d’en dégager les effets et les impacts. Étant entendu que de bons informateurs sont des personnes engagées dans leur milieu, ayant du temps et de l’intérêt pour participer à la démarche (Deslauriers, 1991; Gagné, 2004), nous avons retenu ces critères afin de procéder à l’échantillonnage par choix raisonné, aussi nommé échantillonnage intentionnel (Fortin, 2010).

Ainsi, les personnes rencontrées devaient répondre à au moins un de ces critères : être ou avoir été membre de l’exécutif syndical, être une personne lésée par l’adoption de la « clause orphelin », être un plaignant, connaître la cause, être membre de l’association syndicale, avoir été impliqué dans la cause. De plus, chaque catégorie devait être représentée de façon significative et proportionnelle. C’est pourquoi nous avons procédé avec un échantillon non strictement représentatif, mais tout de même caractéristique de la population à étudier (Quivy & van Campenhoudt, 1995). Nous avons complété notre stratégie d’échantillonnage par la technique dite « boule-de-neige » (snowball sampling)[14] pour identifier les répondants provenant de différents niveaux au sein des milieux de travail étudiés et les acteurs que nous aurions pu oublier.

Cinquante-quatre personnes ont été rencontrées en entrevues, 25 répondants chez les pompiers de Laval, 28 personnes dans le cas des constables spéciaux et le procureur de la CDPDJ (celui-ci a plaidé dans les deux cas). La durée des entrevues a varié entre 70 minutes et 210 minutes, pour une durée moyenne de 100 minutes. Le nombre d’entrevues a été jugé satisfaisant lorsque nous avons atteint un effet de saturation des catégories, c’est-à-dire que nous n’apprenions plus rien de vraiment substantiel et que toutes les catégories identifiées avaient été rencontrées (Deslauriers, 1991). Les entrevues ont eu lieu entre les mois de février 2011 et septembre 2011, soit avant que les décisions ne soient rendues par la Cour d’appel.

Cette situation a fait en sorte qu’une partie des propos des entrevues était plus spéculative. Les répondants devaient anticiper leurs réactions. Lorsque les décisions ont été rendues, il a fallu analyser ces jugements, car ceux-ci avaient une incidence importante pour la suite des choses. D’une part, nous avons dû reprendre contact avec certains répondants pour constater que leur déception était très grande, même si cette décision avait été anticipée très sérieusement chez les pompiers. D’autre part, la Cour d’appel, en ne reconnaissant pas les victimes de discrimination, venait ajouter une nouvelle dimension à l’analyse des données empiriques. Nous devions alors prendre en compte les difficultés à concilier les visions lorsqu’il s’agit de reconnaître les torts et les victimes de discrimination.

Les risques de biais ont été diminués grâce à la triangulation des données, c’est-à-dire par le fait de comparer les réponses des répondants avec l’analyse documentaire complémentaire, soit la jurisprudence et certains documents [15]qui soutiennent l’analyse des positions et des objectifs des organisations, les systèmes de valeurs et la culture dans son sens le plus large (Deslauriers, 1991; Gauthier, 2003; Yin, 2003).

Le questionnaire a été divisé en quatre parties : 1) l’historique du cas; 2) la perception et l’adaptation des différents acteurs en regard de la norme d’égalité et des obligations d’accommodement jusqu’à la contrainte excessive qui en découle; 3) la situation dans les milieux choisis, la perception des répondants concernant l’évaluation des décisions rendues, le contexte en regard de la situation de l’égalité, l’accommodement raisonnable et les associations parallèles; 4) le bilan, soit les perspectives actuelles et futures et l’évaluation du répondant quant à l’impact de la situation sur les membres et l’action syndicale. À la fin de chaque entrevue, le répondant pouvait formuler des commentaires ou des remarques et, lorsque nous jugions que c’était pertinent, nous demandions l’accès aux documents produits en regard de l’un ou l’autre des points abordés au cours de l’entrevue et le nom d’une personne à rencontrer (en fonction de certains critères).

Pour mieux juger de la cohérence de la stratégie syndicale, la même grille d’entrevue a été utilisée pour l’ensemble des personnes rencontrées. Nous avons enregistré les entrevues avec la permission des répondants auxquels nous avons assuré confidentialité et anonymat. Avant chaque entrevue, la même introduction générale a été lue, question d’assurer une certaine uniformité en donnant une même mise en situation.

Nous avons enregistré près de 99 heures d’entrevues. Ce matériau constitue notre source de données primaires. C’est pourquoi, afin de les préparer et de les analyser efficacement, nous avons opté pour une transcription détaillée et intégrale de ces entrevues. De plus, à chaque entrevue, nous avons pris des notes (commentaires ou impressions) et, au moment de la première relecture, ces notes ont été associées aux verbatims.

À l’aide du logiciel QDA miner, nous avons ensuite procédé à la codification des verbatims en différents thèmes de classement, en fonction du modèle d’analyse. Certaines catégories étaient plus descriptives, d’autres plus interprétatives. Ce logiciel nous a permis une organisation conceptuelle des données recueillies chez les pompiers de Laval. Toutefois, à cause de délais expirés, nous n’avons plus eu accès à ce logiciel en décembre 2011; nous avons alors repris la même codification, mais avec les logiciels Word et Excel.

En résumé, l’enquête de terrain a été préparée et réalisée de façon à répondre aux plus importantes critiques concernant les études de cas. Les biais ont été minimisés, les catégories de répondants étaient variées, la grille d’entrevue a été construite à partir du questionnement découlant du cadre théorique du concept d’effectivité et la grille d’analyse a permis de vérifier et de valider, en partie du moins, les propositions émanant de la recension des écrits incluant l’analyse jurisprudentielle.

Dans la prochaine section, la discussion portera sur l’utilité de mobiliser des écrits scientifiques en continu dans le cadre d’une recherche inductive.

3.2 La discussion autour du processus de la mobilisation des écrits scientifiques

En fait, dans cette section, nous désirons discuter de l’intérêt de mobiliser, dans le cadre d’une recherche inductive, une démarche de recension des écrits multidisciplinaires, et ce, dans un processus en continu.

Pour notre part, la recension des écrits a permis d’élargir le domaine de la recherche en utilisant notamment le droit et la sociologie du droit afin de mieux cerner l’objet, soit le concept d’effectivité de la norme et la jurisprudence concernant la discrimination, ce qui a conduit à la fois à saisir abstraitement les effets des normes promulguées au-delà de l’intention du législateur et à procéder concrètement à l’examen systématique d’indicateurs. Les approches stratégique et néoinstitutionnelle, utiles en relations industrielles, donnaient les moyens d’interpréter simultanément l’action syndicale.

Cet exercice n’est pas anodin, car il exige du chercheur l’appropriation de plusieurs cadres théoriques avant d’en arriver à construire et à maîtriser un cadre théorique multidisciplinaire. De plus, pour nous donner une prise solide sur l’objet de recherche, il fallait prendre en compte une multitude de facteurs, et ce, à plusieurs moments, pour ne pas négliger l’impact du passage du temps sur les effets étudiés, de manière à considérer l’état du droit et la réalité du milieu de travail. Pour concilier ces divers apports en un ensemble cohérent, ils ont été modélisés logiquement plutôt que simplement juxtaposés. Cependant, un piège nous guettait, celui de la gloutonnerie livresque. Cela requérait donc de bien circonscrire les textes nécessaires à l’élaboration du modèle opérationnel de la recherche.

D’autres contenus importants résultent de la recension des écrits. Pensons aux éléments propres à « l’acteur syndical et au Code du travail », car les rudiments historiques et juridiques du droit des rapports collectifs du travail sont utiles au lecteur intéressé par le sujet, mais ignorant le contexte québécois des rapports collectifs de travail. La définition de l’environnement sociopolitique a contribué à approfondir l’analyse des négociations du secteur public et parapublic et la contextualisation de la recherche.

La maîtrise de la jurisprudence en matière de « clauses orphelin », mais aussi de discrimination en emploi et de devoir syndical de juste représentation, ajoutait au pouvoir explicatif de la recherche terrain et a rendu possible la mise à jour des données jusqu’à la toute fin du processus (soit le dépôt de la thèse), augmentant ainsi le degré de pérennité des résultats de la recherche. En effet, c’est cette connaissance intime des décisions qui constituait la colonne vertébrale de la compréhension des idéaux pour lesquels tous ces acteurs sociaux se sont battus.

Ainsi, en combinant recension des écrits et analyse de la jurisprudence, sur le plan théorique, le cadre d’analyse proposé s’est avéré fort utile à la fois pour étudier empiriquement et pour présenter, dans toute sa complexité, le parcours ardu de la mise en oeuvre de la norme d’égalité par les syndicats et ses effets.

Conclusion

Notre recherche doctorale avait comme objectif de reconstituer comment les acteurs syndicaux locaux s’inscrivent dans l’espace de la constitutionnalisation du droit du travail et de comprendre sur quelles bases ils construisent leur action; identifier les contraintes et les sources de tensions reliées à la diversité des contextes (l’arbitrage intraorganisationnel) pour en arriver à mesurer les effets de la mise en oeuvre du recours à la norme de l’égalité à l’encontre de son syndicat, à la suite de la négociation d’une « clause orphelin ». Si nous ne pouvions faire l’économie des entrevues semi-dirigées, il fallait aussi une connaissance fine d’univers théoriques différents. C’est pourquoi nous avions besoin de faire une recension des travaux tant sociologiques, historiques, théoriques que juridiques, incluant l’analyse de la jurisprudence, dans un processus en continu.

Les trois phases de la recension des écrits ont été présentées afin de mettre en lumière les différentes sources de données ainsi que les raisons et les processus de leur mobilisation. À la première phase, il fallait circonscrire le contexte historique, juridique et politique. Cette étape était donc descriptive. Lors de la deuxième phase, explicative, nous avons analysé la jurisprudence afin de comprendre le contexte juridique et d’établir une typologie de l’action syndicale. En conséquence, nous avons déterminé les cas dits suggestifs. À la troisième phase, la recension des écrits nous a permis de cibler le contexte théorique et le modèle d’analyse.

Nous avons ainsi défini le concept d’effectivité, nous nous sommes affranchie de points de vue dominants en RI, puis nous avons identifié qu’il fallait poursuivre avec une enquête de terrain. Dès lors, la démarche intellectuelle a pu être aussi considérée comme une démarche exploratoire (interprétative). En ce sens, cette recherche s’inscrit dans le courant des approches inductives comme la méthodologie de la théorisation enracinée (MTE).

Nous avons choisi deux des trois cas classés dans la position extrême de rejet ou d’hostilité, puisqu’ils se démarquaient par leur caractère suggestif et atypique. En ce qui a trait aux personnes interrogées, nous avons rencontré des personnes qui s’occupaient de ces dossiers et qui pouvaient nous renseigner sur les stratégies mises de l’avant. Il ne s’agissait donc pas ici d’un échantillon au sens strict du terme, mais d’un échantillon raisonné.

L’enquête de terrain s’est déroulée sans que les causes aient été entendues par la Cour d’appel. Il en découlait qu’une partie du contenu des entrevues était plus hypothétique. C’est pourquoi, lorsque les décisions ont été rendues, nous avons repris contact avec trois répondants représentatifs de chaque partie à l’étude afin de confirmer si les réactions anticipées lors des entrevues s’étaient concrétisées. Puisque c’était le cas, nous avons pu poursuivre l’analyse de ces données. Ces entretiens téléphoniques ont aussi servi à nuancer certains propos.

En admettant que nos choix méthodologiques de recherche souffrent de certaines limites (biais, non-généralisation, subjectivité, limite de temps), ils offrent néanmoins de sérieux avantages comme celui de comprendre les interactions et les relations entre les personnes, leurs actions et les institutions dans le temps. Pour les fins de cet article, nous avons choisi de mettre en lumière certains aspects de la démarche mobilisée. Nous avons mis l’accent sur certaines différences entre les deux cas, notamment en ce qui a trait à la composition des membres, aux ressources financières disponibles et à l’organisation interne. Ces différences ont demandé une attention spéciale au moment de contextualiser et de comparer l’analyse des données.

Dans le cadre de cet article, nous avons illustré comment nous avons pu mobiliser les écrits scientifiques tout au long de la démarche et sommes demeurée disponible à ce que les données de terrain suggéraient. Tout au long du processus, il y a eu des allers-retours entre les deux types de méthodologies utilisés. L’originalité de la démarche réside dans le fait que la mobilisation des connaissances était multidisciplinaire et en continu, notamment à cause de l’aspect sociojuridique de la recherche.

La description de notre démarche met en lumière qu’il existe des moyens permettant de s’affranchir d’un courant existant dans un domaine d’étude, lorsque l’on est sensible aux données recueillies et que ce type de démarche mobilisant un cadre d’analyse multidisciplinaire ne peut faire l’économie d’une recension des écrits minutieuse et bien ciblée.