Abstracts
Résumé
Le but de cet article est de faire part d’une des spécificités du projet Rêver en français, dont l’objectif est le soutien à l’apprentissage du français chez des étudiants internationaux inscrits aux études supérieures. À l’intérieur d’ateliers conçus selon les principes de l’approche basée sur les tâches et mis sur pied afin de répondre aux intérêts et aux besoins déclarés par les étudiants, les connaissances lexicales sont priorisées. Dans le but de construire ces dernières, jugées essentielles à la réalisation des tâches, les apprenants sont invités à s’engager dans des prétâches interactives et dynamiques mettant l’accent sur l’exposition à des mots individuels et à des unités phraséologiques d’utilisation fréquente chez les locuteurs natifs (p. ex. : débarquer de l’autobus, argent comptant). Étant donné les caractéristiques propres aux unités phraséologiques ainsi que les difficultés d’appropriation que ces dernières peuvent causer, trois traitements pédagogiques ont été retenus : 1) la présentation des unités phraséologique en tant qu’entités indivisibles, 2) la mise en évidence de l’input et 3) la fréquence d’exposition. Dans cet article, nous exposons la démarche de conception des prétâches et nous l’illustrons à l’aide d’une sélection de trois prétâches tirées du projet facilitant la réalisation d’une tâche principale.
Mots-clés :
- approche basée sur les tâches,
- unités phraséologiques,
- mise en évidence de l’input,
- fréquence d’exposition
Article body
Introduction
Le projet Rêver en français est à la base d’ateliers de formation et de conversation en français langue seconde ayant pour fin le soutien à l’apprentissage du français et la compréhension de la culture québécoise chez les étudiants internationaux inscrits aux études supérieures de l’Université Laval (Bejarano et De Koninck, 2019). Le projet a vu le jour à l’issue d’une enquête menée auprès des étudiants internationaux de l’Université Laval, dans laquelle ces derniers ont manifesté leur intérêt à l’égard de la culture québécoise et de la possibilité d’interagir avec des membres de la communauté de Québec. De plus, les étudiants sondés, se trouvant à différentes étapes de leur apprentissage, ont signifié vouloir étudier le français dans une formule axée sur la compréhension et la production orale. Afin de répondre aux intérêts et aux besoins déclarés, des ateliers de conversation conçus selon les principes de l’approche basée sur les tâches ont été proposés. Les tâches sont des activités qui amènent les apprenants à utiliser le sens pragmatique de la langue (Bygate, 2015) soit dans des situations authentiques du monde réel (Long, 2015) soit dans des interactions semblables à celles rencontrées dans la vie réelle (R. Ellis, 2003). Par exemple, dans la vie réelle, on peut se mettre d’accord pour aller regarder un film ou décider le meilleur parcours pour se rendre à l’université depuis un point X.
L’approche basée sur les tâches a été choisie pour atteindre les principaux objectifs des ateliers : préparer les étudiants à utiliser le français dans des situations de la vie réelle et soutenir l’apprentissage du français et de la variété québécoise. Cette approche permet également de modifier ou de concevoir des tâches selon la complexité (p.ex. : les exigences cognitives et attentionnelles), le niveau de difficulté, les différences individuelles (p. ex. : l’anxiété), les conditions d’apprentissage (p. ex. : le degré de familiarité avec le sujet et le type d’interaction) (Robinson, 2001) ainsi que le niveau de compétence des apprenants. Autrement dit, la tâche peut être adaptée et modifiée pour que chaque apprenant puisse la réaliser.
Dans l’approche basée sur les tâches, la tâche est souvent précédée d’une étape de préparation du contenu conceptuel nécessaire pour favoriser la réalisation de la tâche (Bygate, 2015). Les prétâches peuvent viser différents objectifs comme amener les apprenants à porter attention, de manière implicite ou explicite, aux connaissances langagières nécessaires pour réaliser la tâche ou alléger la charge cognitive lors de son exécution (Payant et Michaud dans ce même numéro). Dans le cadre du projet Rêver en français, le développement des connaissances lexicales a été priorisé dans les prétâches, comme proposé par R. Ellis (2009). Les apprenants sont invités à réaliser des prétâches d’association, de classement, d’organisation, de comparaison, d’évaluation et de jugement. De plus, les prétâches sont généralement de nature interactive et dynamique et mettent l’accent sur l’exposition à des mots individuels et à des unités phraséologiques fréquentes chez les locuteurs (quasi-) natifs du français.
Les unités phraséologiques
Dans cet article, le sens que nous attribuons aux unités phraséologiques est celui de combinaisons de mots produites de manière fluide (Wray, 2002) et auxquelles la cooccurrence fréquente confère un statut privilégié chez les locuteurs (quasi-) natifs comme moyen conventionnel pour exprimer quelque chose (Erman et Warren, 2000). Ce choix s’explique par le fait que ces dernières sont omniprésentes dans toute communauté linguistique (Pawley et Syder, 1983) et qu’elles font partie du langage conventionnel utilisé au quotidien par les locuteurs de la communauté cible (Forsberg, 2010). Par exemple, les locuteurs (quasi-) natifs peuvent privilégier l’utilisation de la combinaison partir en voyage au lieu d’aller en voyage. Les unités phraséologiques peuvent, entre autres, prendre la forme de collocations (Sinclair, 1991) comme voix grave, d’expressions conventionnelles (Bardovi-Harlig, 2009) comme on s’entend ou encore d’expressions idiomatiques ou figuratives comme cogner des clous (Webb et Nation, 2017).
Les études sur l’acquisition des unités phraséologiques soulignent que la connaissance de la grammaire et des mots individuels ne serait pas toujours suffisante pour comprendre et produire toutes les constructions possibles de la langue (Laufer et Girsai, 2008). De plus, les unités phraséologiques ne sont pas toujours transposables de la L1 vers la langue cible[1] (Lx) (Laufer et Girsai, 2008), ce qui peut occasionner la production par l’apprenant de structures qui ne sont pas des unités phraséologiques dans la Lx. Par exemple, un anglophone pourrait dire être honte (to be ashamed) pour désigner un sentiment d’humiliation ou d’infériorité sans savoir qu’en français, on emploierait plutôt la construction avoir honte. Le problème peut aussi résider dans la complexité à établir des liens entre les combinaisons de mots et leur fonction communicative dans un contexte d’utilisation (Bardovi-Harlig, 2009). Par exemple, un apprenant de français Lx pourrait formuler une construction telle que T’es malade? plutôt que Qu’est-ce qui s’est passé? en rencontrant une personne qui a une jambe dans le plâtre.
Une autre difficulté touchant la reconnaissance des unités phraséologiques se situe dans la fréquence de l’input puisque les unités doivent être lues ou entendues plusieurs fois pour être remarquées (Webb, Nation et Chang, 2013)[2] . D’ailleurs, Boers, Demecheleer, He, Deconinck, Stengers et Eyckmans (2017) soulignent le fait qu’elles ne sont pas souvent rencontrées à plusieurs reprises dans un même texte oral ou écrit. Par exemple, l’expression toutes mes sympathies est utilisée dans un contexte bien précis : à savoir lorsque l’on présente des condoléances à quelqu’un ayant perdu un proche. Un contexte aussi précis d’utilisation ne semble pas fournir assez d’occasions pour que cette expression soit remarquée dans l’input par les apprenants et que son acquisition accidentelle ait lieu (Szudarski et Carter, 2016). La problématique résiderait donc dans le fait que les apprenants n’ont pas une exposition suffisante aux différents contextes et cotextes (les éléments linguistiques entourant un mot ou une phrase) permettant que certaines combinaisons de mots soient traitées en tant qu’unités lexicales récurrentes (Szudarski et Carter, 2016).
Le traitement didactique des unités phraséologiques
Étant donné les caractéristiques propres aux unités phraséologiques ainsi que les difficultés que ces dernières peuvent causer chez les apprenants, les concepteurs du projet Rêver en français se sont penchés sur trois traitements pédagogiques pour l’enseignement des unités phraséologiques dans les prétâches : 1) la présentation des unités phraséologique en tant qu’entités indivisibles, 2) la mise en évidence de l’input et 3) la fréquence d’exposition.
La présentation des unités phraséologique en tant qu’entités indivisibles
Dans les prétâches, les unités phraséologiques sont présentées en tant qu’unités, c’est-à-dire que les mots qui les forment ne devraient pas être séparés. Boers, Demecheleer, Coxhead et Webb (2014) ont démontré que les exercices qui séparent les mots des unités phraséologiques peuvent engendrer des connexions erronées dans la mémoire de l’apprenant, même si une rétroaction corrective est réalisée par l’enseignant. De plus, les études suggèrent que les unités phraséologiques sont stockées de manière holistique comme des blocs préfabriqués (Wray, 2002), car elles sont lues (Conklin et Schmitt, 2008) et produites (Onoda, 2014) plus rapidement que les constructions libres (celles construites à partir de la grammaire).
La mise en évidence de l’input
Étant donné que l’enseignement principalement axé sur le sens ne peut pas garantir que les apprenants portent attention à des éléments linguistiques faisant l’objet de l’apprentissage (Loewen, 2015), un éventail de techniques amenant les apprenants à porter attention à la fois au sens et à la forme (focus on form) a été proposé (R. Ellis, 2002). L’attention portée sur la forme (incidental form-focused attention) peut être définie comme « l’attention portée sur la forme pour la part des apprenants et des enseignants en Lx dans un contexte d’enseignement axé sur le sens »[3] (R. Ellis, Basturkmen et Loewen, 2001, p. 407). Elle s’appuie, d’une part, sur la négociation du sens et de la forme (Ellis, 2002) et, d’autre part, sur le processus cognitif de l’action de remarquer (noticing) (Schmidt, 1990)[4]. L’attention portée sur la forme peut se réaliser à l’aide de techniques implicites (l’input accru) ou d’un traitement plus explicite (la rétroaction corrective) (Loewen, 2015). Dans le cadre du projet Rêver en français, les concepteurs ont privilégié la mise en évidence textuelle (input enhancement) selon laquelle l’objet d’apprentissage est en quelque sorte mis en relief (Sharwood Smith, 1993). Dans les prétâches, les unités phraséologiques choisies sont généralement présentées de façon contextualisées et en gras ou encore soulignées.
La fréquence d’exposition
Les approches basées sur l’usage (usage-basedapproach) postulent que l’acquisition d’une Lx s’appuie, entre autres, sur l’exposition à l’input langagier, laquelle permettrait d’induire les règles au moyen des mécanismes cognitifs (p. ex. : l’attention) sollicités dans tout type d’apprentissage (N. Ellis et Wulff, 2015). L’expérience linguistique est soumise à des processus d’ancrage et de figement dus aux usages répétitifs de certaines expressions dans certaines situations d’usage (Tomasello, 2000). Par exemple, un apprenant, à force d’entendre la combinaison arrêt demandé lorsqu’il prend l’autobus tous les jours, peut arriver à traiter ces deux mots comme une seule unité. En outre, les études portant sur l’apprentissage implicite du vocabulaire à partir de la lecture ont montré que la fréquence d’occurrence a des effets positifs sur la reconnaissance de nouveaux mots et des unités phraséologiques (Webb, Newton et Chang, 2013). Dans le projet Rêver en français, les unités phraséologiques apparaissent à plusieurs reprises dans les prétâches. Elles peuvent être travaillées de manière délibérée dans une prétâche qui prend la forme d’une activité qui introduit le vocabulaire (voir image 1) ou d’une prétâche ayant un élément « authentique ». Autrement dit, la prétâche contextualise les unités phraséologiques au moyen d’une situation dans laquelle les expressions sont utilisées (voir image 2).
Le sélection et validation des unités phraséologiques
Les unités phraséologiques sont sélectionnées et validées en fonction de la tâche principale (p. ex. : indiquer le meilleur parcours pour se rendre à l’université en autobus. Voir image 1). Les concepteurs se fient d’abord à leur intuition (Wood, 2015) et à la « naturalité » d’usage dans un contexte précis de communication (Edmonds, 2013). Ils proposent une liste de combinaisons de mots qui leur semblent naturelles et nécessaires d’utiliser pour la performance de la tâche principale. Ensuite, ces combinaisons sont validées dans des corpus linguistiques (Sinclair, 1991) : le dictionnaire des cooccurrences d’Antidote et le moteur de recherche Google. Le premier indique la force de cooccurrence des unités phraséologiques, tandis que le second montre la quantité d’entrées de la combinaison dans des textes oraux et écrits. Par exemple, dans le dictionnaire Antidote, l’expression embarquer dans l’autobus a une force d’association plus grande que grimper dans l’autobus. Également, embarquer dans l’autobus compte plus d’entrées dans Google en 2020 que l’autre construction, soit 9510 entrées contre 1950. Les expressions ayant une faible cooccurrence d’apparition et peu d’entrées sont considérées comme des combinaisons qui ne sont pas préférées, voire peu utilisées. Par conséquent, elles ne sont pas retenues.
Certaines unités phraséologiques ne peuvent pas être validées à partir de la fréquence dans les corpus linguistiques car elles sont critiquées, dites familières, empruntées à la langue anglaise ou formées de variantes propres à l’oral. Par exemple, l’unité chauffer son char ne se trouve pas dans le dictionnaire des cooccurrences d’Antidote et n’a que 384 entrées dans le moteur de recherche Google. Dans de tels cas, il est possible de se référer à des ouvrages descriptifs portant sur le français moderne ou sur le français québécois, comme celui de Reinke et Ostiguy (2016) ou encore de s’appuyer sur le principe d’échangeabilité (Erman et Warren, 2000). Ce dernier postule que les composantes d’une séquence de mots ne peuvent pas être remplacées par d’autres sans changer la signification de l’ensemble de l’expression (Erman et Warren, 2000). Par exemple, dans l’expression heure de pointe, si nous changions le mot pointe pour les synonymes record, limite et sommet la signification de l’ensemble de la séquence changerait. On ne dit pas heure de sommet pour exprimer le moment de grande affluence de voitures et de personnes.
La conception d’une séquence de tâches dans le projet Rêveren français
Une séquence de tâches est conçue à partir de trois étapes de conception. En premier lieu, la tâche principale est choisie en fonction des intérêts manifestés par les étudiants. En deuxième lieu, les concepteurs déterminent les objectifs de la séquence et la quantité de prétâches nécessaires pour l’accomplissement des objectifs et la réalisation de la tâche. Finalement, les unités phraséologiques sont sélectionnées, validées et intégrées dans les prétâches. Nous présentons maintenant comme exemple une tâche principale et trois prétâches qui sont axées sur le travail des unités phraséologiques. Elles sont tirées d’une séquence de tâches portant sur l’utilisation du Réseau de transport de la Capitale (RTC) de la ville de Québec, dont les objectifs sont : reconnaitre le fonctionnement du RTC et indiquer le meilleur parcours pour se rendre d’un point X à un point Y à partir de l’application mobile du RTC.
Tâche principale du RTC
Dans cette tâche, les apprenants placés en dyades multiniveaux devront discuter et trouver le meilleur parcours sur l’application du RTC pour se rendre d’un lieu à l’Université Laval (voir Image 1 : partie A). Les apprenants de niveau débutant mettront en ordre l’information pour utiliser l’application (voir Image 1 : partie B). Ces derniers seront invités à interagir en français avec leurs camarades et, pour les aider, la tâche s’appuiera sur des supports visuels et textuels afin d’en réduire la complexité, de faciliter la compréhension et d’éviter la surcharge cognitive. De plus, ils pourront s’appuyer sur ces exemples pour leur production orale. Certaines unités phraséologiques sont également présentées en gras : débarquer de l’autobus et heure de passage (voir Image 1 : partie B).
Prétâche prendre l’autobus
Cette prétâche consiste en un jeu de mémoire dans lequel les apprenants, placés en dyades multi-niveaux, devront associer chaque unité phraséologique à l’image correspondante. Sur une table, toutes les cartes seront étalées face cachée. À manière d’une compétition, l’enseignant encourage les apprenants à trouver les paires pour chaque image dans les plus brefs délais. Les objectifs de cette prétâche sont de présenter le vocabulaire lié au moyen de transports et d’établir un premier contact avec les unités phraséologiques qui seront travaillées tout au long de la séquence. Même si les unités phraséologiques sont présentées hors contexte, le but est de faire une première association entre le sens et la forme pour chacune des unités ciblées et d’éveiller la motivation des apprenants à partir d’une activité détendue.
Prétâche actions dans le RTC
Cette prétâche est contextualisée et mène les apprenants à établir des interactions semblables à celles rencontrées dans la vie réelle. Ils devront négocier quelles sont les actions que l’on fait pour aller d’un point X au point Y. L’enseignant demande aux apprenants de former des dyades et de décider selon leur propre expérience l’ordre des actions qu’un étudiant devra faire pour se rendre d’un quartier de la ville à l’Université Laval à Québec. Il leur donne 10 minutes pour la réalisation de la prétâche avant de faire un retour en grand groupe. L’ensemble du groupe discutent l’organisation du déplacement la plus pertinente pour l’étudiant. Cette prétâche a pour objectif d’avoir un deuxième contact (fréquence d’exposition) avec les unités phraséologiques présentées dans la prétâche prendre l’autobus. Également, les unités phraséologiques sont présentées en gras afin de favoriser l’attention sur la forme (la mise en évidence textuelle).
Prétâche conseils pour le RTC
Cette prétâche sollicite la compréhension orale des unités phraséologiques travaillées dans les prétâches de prendre l’autobus et actions dans le RTC. Les apprenants écouteront l’enregistrement audio d’une femme qui explique à un étudiant comment se rendre à l’Université Laval en utilisant le RTC. Les unités phraséologiques sont utilisées en contexte et répétées plusieurs fois par le locuteur (fréquence d’exposition). Dans cette prétâche, les apprenants travailleront individuellement selon leur niveau de compétence. Les étudiants de niveau débutant devront d’abord écouter l’enregistrement deux fois et ensuite cocher l’ordre des actions que l’étudiant étranger devra faire pour atteindre son objectif. Un appui textuel et visuel sera fourni par l’enseignant pour faciliter la compréhension de ce qui est dit dans l’enregistrement. Pour leur part, les étudiants de niveau intermédiaire écouteront également deux fois l’enregistrement et devront répondre aux questions, mais sans appui textuel et visuel. Ils seront invités à prendre des notes et à répondre aux questions dans leurs propres mots. Cette prétâche a pour objectif de présenter à l’oral les unités phraséologiques travaillées précédemment, afin que les étudiants puissent établir des relations entre la forme phonétique et le sens des expressions lorsqu’elles sont en contexte. Également, les unités phraséologiques sont en gras (mise en évidence textuelle) dans le matériel écrit pour faciliter la compréhension et l’identification de ces dernières.
Discussion et conclusion
À l’intérieur du projet Rêver en français, aucune recherche n’a été réalisée afin d’analyser si les apprenants acquièrent les unités phraséologiques travaillées tout au long des ateliers. Cependant, nous faisons l’hypothèse que l’acquisition incidente et implicite de ces dernières peut être favorisée puisqu’elles sont pertinentes pour la réalisation de la tâche (Long, 2015). En effet, lors des observations en classe, nous avons constaté que les apprenants acquièrent certaines unités phraséologiques travaillées surtout au niveau de la reconnaissance du sens et de la forme. Ce constat est appuyé par des études empiriques démontrant des gains dans la reconnaissance des unités phraséologiques avec des techniques comme la mise en évidence textuelle (p. ex. : Boers et al., 2017; Sonbul et Schmitt, 2013) et la fréquence d’exposition (p. ex. : Szudarski et Carter, 2016). Par ailleurs, Bouchard-Gervais (2018) a trouvé des gains par rapport à l’aisance à l’oral entre un prétest et un posttest oral administrés avant et après les ateliers de Rêver en français. Même si cette chercheuse n’a pas analysé la production des unités phraséologiques, d’autres études soulignent que l’usage des unités phraséologiques favorisent l’aisance à l’oral (Onoda, 2014; Wood, 2015). Puisque nous ne sommes pas en mesure de savoir si les apprenants ont utilisé ces unités phraséologiques, de futures études pourraient aborder cette thématique.
Nous avons été en mesure de dégager des propositions d’exploitation pédagogique qui pourraient susciter l’intérêt d’enseignants et de chercheurs, car la recherche sur l’enseignement des unités phraséologiques dans un contexte d’enseignement est encore très limitée (Boers et al., 2017; Szudarski et Carter, 2016), notamment selon une approche basée sur les tâches (Wood, 2015). Nous faisons un appel à explorer des thèmes de recherche concernant l’acquisition des unités phraséologiques et l’enseignement des langues basées sur les tâches. Par exemple, la combinaison des traitements pédagogiques comme la mise en évidence de l’input et la fréquence d’exposition dans les prétâches, ou encore l’incidence des types de prétâches (association, organisation, comparaison, classement, etc.) sur la reconnaissance et la production du sens et de la forme des unités phraséologiques. La rédaction de cet article nous a également fourni l’occasion de présenter une séquence d’apprentissage des unités phraséologiques fréquentes dans le discours des Québécois pouvant s’inscrire dans l’approche basé sur les tâches. Même si la séquence de tâches ne peut pas garantir que les unités phraséologiques travaillées dans les prétâches seront réutilisées par les apprenants, les prétâches jouent un rôle essentiel dans le développement lexical des apprenants, car elles peuvent leur permettre de reconnaitre des unités phraséologiques ciblées, fréquentes dans d’autres activités de la vie réelle.
Appendices
Notes
-
[1]
Le terme langue cible et son sigle Lx sont utilisés dans cet article afin de désigner le français sans s’attarder à l’ordre d’acquisition (voir, entre autres, Dewaele, 2006). Par conséquent, ces termes ne s’opposent pas au terme langue seconde et à son sigle L2.
-
[2]
De nombreuses recherches portent sur l’acquisition accidentelle d’unités phraséologiques par la lecture. Il en ressort que les apprenants doivent rencontrer plus d’une fois chacune des unités ciblées pour être capables de les reconnaitre. Toutefois, à notre connaissance, il n’existe pas de consensus quant au nombre de rencontres nécessaires pour établir un gain significatif (voir p.ex. : Sonbul et Schmitt, 2013; Szudarski et Carter, 2016; Webb, Nation, Chang, 2013).
-
[3]
Notre traduction de « incidental attention that teachers and L2 learners pay to form in the context of meaning-focussed instruction ».
-
[4]
Nous adoptons la traduction de Simard (2002) pour le terme en anglais noticing : l’action de remarquer.
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