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Introduction

Les jumelages interculturels sont des activités d’apprentissage qui gagnent à être examinées à la lumière de l’enseignement des langues basé sur les tâches et de l’approche actionnelle. Dans cet article, les auteures examinent différentes modalités selon lesquelles jumelages et tâches peuvent s’articuler dans un cours de français langue seconde (FLS) de niveau postsecondaire. Il s’agira d’abord de présenter la problématique relative aux jumelages interculturels et aux approches mentionnées, puis de définir les jumelages interculturels en classe de FLS et la notion de tâche en didactique des langues. Seront ensuite examinées différentes articulations entre jumelages interculturels et tâches et, en conclusion, des avantages et des limites de combiner ces différentes modalités.

Problématique

Pouvoir communiquer en français à l’extérieur de la classe est capital pour les adultes immigrants apprenant le FLS. Pourtant, bien qu’elles apprennent le français, de nombreuses personnes immigrantes au Québec déplorent qu’elles aient très peu de contacts avec des francophones[1] (Carignan, 2019; Guillot et Carignan, 2018). Ces constats issus du terrain sont confirmés par certaines études (Lussier et Amireault, 2008; St-Laurent et El-Geledi, 2011).

Or, on reconnait depuis l’approche communicative l’importance de communiquer dans des contextes authentiques pour devenir un locuteur compétent dans une langue seconde (L2) et dans un contexte socioculturel donné (Germain, 1993). Cette nécessité d’interaction est encore davantage mise de l’avant avec l’enseignement basé sur les tâches et avec l’approche actionnelle (Rosen, 2009). L’absence d’occasions d’échanges entre ses apprenants et des personnes francophones hors de sa classe est donc une problématique qui concerne l’enseignant de FLS : d’une part, cet isolement comporte des enjeux d’ordre social et psychologique; d’autre part, une telle situation n’est pas favorable au développement d’une véritable compétence communicative dans ses composantes sociolinguistique, discursive, stratégique (Cuq et Gruca, 2017) et interculturelle (Lussier, 2007).

Face à ces besoins, des jumelages interculturels ont été expérimentés et développés dans des cours de FLS d’institutions postsecondaires ces deux dernières décennies (Deraîche et Guillot, 2015; Caza, 2016). Dans ce contexte, un jumelage interculturel prend la forme de rencontres entre étudiants de FLS et étudiants d’autres programmes d’études. Ces rencontres deviennent alors des activités d’apprentissage.

Des articles pédagogiques récents établissent des rapprochements entre les jumelages interculturels et les tâches en classe de L2 (Deraîche, 2014; Bertrand et Berteau, 2015; Blanchet et Martiny, 2015) ou présentent explicitement leur insertion possible dans un enseignement basé sur les tâches (Deraîche et Lamoureux, 2015). D’autres encore font ressortir des affinités entre ce type d’activité et l’approche actionnelle (Blanchet et Martiny, 2015; Blanchet et Bourhis, 2015; Deraîche et Lamoureux, 2015; Guillot et Carignan, 2018). Dans ces publications, le terme de tâche recouvre des acceptions variées. Cette situation invite à pousser plus loin la réflexion quant aux différentes articulations possibles entre jumelages interculturels et tâches en classe de FLS, notamment pour mieux outiller les enseignants de FLS qui voient l’utilité de ces deux outils didactiques pour soutenir le développement des compétences de leurs apprenants.

Pour mener cette réflexion, les auteures s’appuieront sur l’analyse de publications à caractère pédagogique, parues durant les 6 dernières années, faisant état de jumelages interculturels en classe de FLS au niveau postsecondaire. Cette analyse sera enrichie du point de vue des auteures, enseignantes-chercheures en didactique du FLS auprès d’adultes et qui intègrent des jumelages interculturels dans leurs cours. Avant de procéder à cette analyse, toutefois, les notions de jumelage interculturel et de tâche seront présentées à un niveau général.

Définition des jumelages interculturels en classe de FLS

Le mot jumelage est associé à diverses activités de pairage et d’échange. Il est utilisé dans d’autres domaines professionnels, dont celui de la santé, dans le cadre duquel Cadée, Nieuwenhuijze, Lagro-Janssen et De Vries (2016) ont identifié quatre attributs relatifs aux activités désignées par ce terme : un jumelage 1) est basé sur la réciprocité; 2) vise l’établissement de relations interpersonnelles; 3) est un processus dynamique; 4) se réalise entre deux regroupements de cultures différentes. Dans des cours de langue, d’autres expressions sont utilisées pour désigner des activités apparentées à celles que nous décrirons. Le jumelage linguistique met l’accent sur l’aide réciproque dans l’apprentissage des langues (Zapata et Carignan, 2012), alors que le substantif tandem insiste sur la réciprocité langagière (Horgues et Scheuer, 2018) et l’autonomie (Cappellini et Pescheux, 2015).

Qu’il s’agisse de jumelage, de tandem ou d’échange, avec le qualificatif interculturel, cela devient le « pairage de personnes de différentes origines ethniques et, ou culturelles » (Froelich et Pinard-Prévost, 2014 : 222). Dès lors, il s’agit d’une activité visant à favoriser les liens entre les individus de diverses cultures, valorisant la reconnaissance mutuelle et permettant le développement de compétences interculturelles (Deraîche, Carignan et Guillot, 2018). C’est sous l’angle de l’éducation interculturelle et des relations intergroupes que plusieurs publications abordent les jumelages interculturels en milieu éducatif postsecondaire (Berteau et Martiny, 2015; Bhanji-Pitman et Amireault, 2015; Guillot et Deraîche, 2017; Balde, 2018). Pour les immigrants, ils visent aussi « la maîtrise du français, le développement de leur réseau de connaissances et la réduction de leur isolement » (Carignan, 2019 : 95).

Comme le jumelage interculturel est examiné dans cet article sous l’angle de son insertion dans un cours de FLS, il est défini ici comme une activité d’apprentissage prenant la forme d’une rencontre entre, d’une part, un ou plusieurs apprenants de FLS et, d’autre part, une ou plusieurs personnes d’origines ethniques ou culturelles différentes (Guillot, 2017) qui ont le français comme langue maternelle ou comme langue d’usage. Ainsi, pour qu’il s’agisse véritablement d’un jumelage interculturel, l’enseignant de FLS devrait considérer à la fois l’angle du développement des compétences langagières de ses apprenants et celui de leur compétence de communication interculturelle.

La notion de tâche en didactique des langues : définitions, exemples et critères

En ce qui concerne la notion de tâche, elle se trouve au coeur de plus d’une approche en didactique des langues, notamment de l’approche actionnelle préconisée par le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECR) (Conseil de l’Europe, 2001) et de l’enseignement basé sur les tâches développé plutôt du côté anglo-saxon (Ellis, 2017, 2018; Van den Branden, 2016; Willis et Willis, 2007). Puisque nous avons trouvé dans l’enseignement des langues basé sur les tâches du côté anglo-saxon des critères relativement plus précis pour établir ce qu’est une tâche en classe de langue, c’est principalement à partir de cette dernière approche que nous orienterons nos questionnements sur les liens entre jumelages et tâches.

Dans l’enseignement des langues basé sur les tâches, différentes définitions de ce qu’est une tâche en classe de langue ont été proposées ces dernières décennies, comme le montrent Ellis (2017) et Van den Branden (2016). Ce dernier souligne que plusieurs de ces définitions partagent un noyau commun : une tâche est une activité orientée vers un but et impliquant l’usage de la langue à des fins de communication (Van den Branden, 2016). Cette définition générale, relativement consensuelle selon cet auteur, nous servira de point de départ pour examiner dans quelle mesure les jumelages peuvent être considérés comme des tâches. Nous prendrons aussi comme éléments de référence quelques critères proposés par Ellis (2017) et d’autres par Willis et Willis (2007).

Ellis (2017) propose en effet quatre critères pour déterminer dans quelle mesure une activité d’enseignement-apprentissage peut être plus ou moins considérée comme une tâche, ou à l’autre opposé du continuum, plutôt comme un exercice langagier. Selon lui, une activité se rapproche d’autant plus d’une tâche qu’elle remplit les critères présentés au tableau 1 ci-dessous.

Willis et Willis (2007) considèrent, en plus, qu’une tâche en classe de langue doit être liée à des activités du monde réel et susciter l’intérêt et l’engagement des apprenants.

Tableau 1

Des critères permettant de considérer une activité comme une tâche (Ellis, 2017)

Des critères permettant de considérer une activité comme une tâche (Ellis, 2017)

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Différentes articulations entre jumelages interculturels et tâches

Ces définitions et ces critères fournissent des éléments pour examiner différentes manières dont ont été arrimés jumelages interculturels et tâches dans les dispositifs pédagogiques présentés dans les publications consultées. D’abord, dans quelle mesure les jumelages interculturels seraient-ils des activités orientées vers un but et amenant l’usage de la langue française à des fins de communication?

Les jumelages interculturels selon les critèrespermettant d’établir une tâche

Pour répondre à cette question, revenons d’abord sur les critères ci-dessous, en commençant par les derniers : ceux de Willis et Willis (2007). Même si les rencontres lors des jumelages restent provoquées à l’intérieur d’un cadre institutionnel d’apprentissage, elles s’apparentent beaucoup à des rencontres sociales du monde réel. « Les interactions […] durant les jumelages s’inspirent des rencontres qui ont lieu dans la vie courante », souligne Carignan (2019 : 96), même si de telles rencontres entre francophones et apprenants de FLS demeurent trop peu courantes. Par ailleurs, précisément pour cette raison, et à côté de l’inconfort initial à l’idée de rencontrer une personne étrangère (Guillot et Carignan, 2015), les jumelages adéquatement préparés, encouragés et encadrés ont un potentiel élevé pour susciter l’intérêt et l’engagement, voire l’enthousiasme, des apprenants de FLS. Cela se dégage des questionnaires et observations réalisés par les enseignants et les chercheurs à la suite des jumelages (Bertrand et Berteau, 2015; Blanchet et Bourhis, 2015; Guillot et Carignan, 2015). Sur ces deux aspects, en somme, les jumelages pourraient donc être de très « bonnes » tâches, sous réserve que les autres critères soient aussi remplis.

En ce qui concerne les critères d’Ellis (2017) présentés dans le tableau 1, la plupart des activités de jumelage recensées amènent des francophones et des apprenants de français à converser et à échanger sur différents sujets proposés, dans une situation qui crée un besoin de communiquer réellement, d’échanger des informations nombreuses et variées, en utilisant toutes les ressources linguistiques et non linguistiques dont chacun dispose. Ainsi, à moins de situations difficiles, les trois premiers critères proposés par Ellis (2017) sont presque toujours remplis (Deraîche et Lamoureux, 2015). Quant au quatrième critère qui fait d’une activité d’apprentissage une tâche, la présence d’un résultat tangible et clairement défini, son interprétation apparait moins univoque. Ce critère nous a incitées à examiner l’activité de jumelage interculturel selon différentes perspectives, qui d’après nous peuvent être concomitantes et complémentaires.

La rencontre interculturelle (le jumelage) comme une tâche en soi

Dans une première perspective, la rencontre interculturelle en elle-même peut être considérée comme étant la tâche à réaliser. On le retrouve parfois clairement énoncé : « les étudiants avaient une tâche à réaliser (l’entrevue) » (Deraîche, 2014 : 100). Quel serait alors le résultat tangible? Ce résultat n’est pas toujours facile à distinguer des buts parfois énoncés dans les articles sur les jumelages. Par exemple, les professeurs « organisent des rencontres pour que les participants se connaissent, échangent, discutent de thèmes choisis, liés aux besoins de la réalité d’intégration linguistique et culturelle des apprenants » (nous soulignons) (Bhanji-Pitman et Amireault, 2015 : 33). Les étudiants jumelés préparent alors des questions; et selon Steinbach (2016), leur but serait alors de partager leurs expériences et de répondre aux questions des partenaires. À l’intérieur de tels buts communs généraux, des objectifs personnels, plus ou moins explicites, des participants peuvent s’insérer dans les échanges : leurs préoccupations, leurs intérêts, leurs questions particulières auront leur place. Cette possibilité peut stimuler leur intérêt et leur engagement et générer des interactions langagières riches, une condition que vise précisément à créer l’enseignement basé sur les tâches (Ellis, 2017; Van den Branden, 2016; Willis et Willis, 2007).

Nous interrogeant sur le résultat tangible auquel donne lieu la poursuite de ces buts, selon notre interprétation des critères d’Ellis (tableau 1), nous considérons que les « résultats » immédiats sont une conversation en français en contexte interculturel dans laquelle se réalise ce partage et la connaissance d’une nouvelle personne (voir tableau 2 ci-contre).

Remarquons qu’il peut être difficile de déterminer quels sont les résultats. Dans la perspective du jumelage interculturel comme une tâche, ces résultats peuvent paraitre moins tangibles, moins clairement définis, pour reprendre les termes d’Ellis (2017), que dans des scénarios pédagogiques où le jumelage interculturel donne lieu à la réalisation d’autres tâches. C’est ce qui est abordé dans la section qui suit.

Le jumelage interculturel comme un contexte dans lequel sont réalisées différentes tâches

Plusieurs scénarios pédagogiques articulent un jumelage interculturel et une ou plusieurs autres tâches qui s’insèrent plus directement dans le cours de FLS. La rencontre interculturelle est alors conçue comme un contexte social dans lequel sont réalisées une ou des tâches qui, autrement, se dérouleraient dans la classe de langue. Cette perspective n’exclut pas nécessairement la précédente. Elle peut avantageusement s’y insérer.

Dans le scénario présenté par Guillot et Carignan (2015) et résumé au tableau 3 ci-contre, quatre rencontres de jumelage ont lieu entre des étudiants d’un cours de rédaction en FLS et des étudiants d’éducation. Outre les discussions sur différents thèmes liés au parcours migratoire et aux cultures des participants, chaque rencontre donne lieu à la réalisation d’une tâche spécifique, préparée avant la rencontre. À la rencontre 1, il s’agit de discuter d’un texte lu portant sur un sujet social lié à l’interculturel; aux rencontres 2, 3, 4, il faut lire et corriger ensemble différentes parties du texte argumentatif rédigé par étapes par l’étudiant de FLS. L’apprenant arrive ainsi à un résultat tangible – un texte argumentatif complet – qui ne sera pas évalué de façon sommative, mais simplement annexé au compte-rendu du jumelage, seul produit final évalué.

Tableau 2

Exemple d’une rencontre interculturelle comme une tâche en soi en classe de FLS

Exemple d’une rencontre interculturelle comme une tâche en soi en classe de FLS

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Dans ce scénario, les tâches réalisées durant les rencontres sont plus près de ce qu’Ellis (2017) appelle des tâches pédagogiques et l’attention des apprenants porte assez souvent et explicitement sur la forme linguistique. Elles sont enrichies du fait qu’elles se déroulent dans le cadre d’un jumelage interculturel. Chaque jumeau aide son partenaire à réaliser sa propre tâche pédagogique, chaque partenaire a donc son propre but (les étudiants en éducation réalisent aussi un travail final pour leur cours). Un but commun peut aussi être présent implicitement ou explicitement (connaitre une personne d’une autre culture par exemple). La première perspective, le jumelage comme une tâche en soi, se superpose alors à la deuxième, le jumelage comme contexte social pour réaliser des tâches plus typiques de la classe de langue avec une aide qui sera réciproque.

Tableau 3

Exemples de tâches réalisées à l’intérieur d’un jumelage interculturel

Exemples de tâches réalisées à l’intérieur d’un jumelage interculturel

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Voyons un deuxième exemple, également résumé au tableau 3 : les partenaires jumelés par Blanchet et Bourhis (2015) collaborent à une tâche qui prépare elle-même à une tâche finale dans un cours de communication orale et de phonétique. Les étudiants de FLS préparent pendant plusieurs semaines un acte tiré d’une pièce de théâtre qu’ils présenteront à leur classe et qui sera évalué à la fin du trimestre. Une seule rencontre de jumelage a lieu un peu avant la fin du cours. Elle prend la forme d’un échange : pendant la première heure, les étudiants francophones vont pratiquer la pièce avec les étudiants de FLS; dans la deuxième heure, à leur tour, les étudiants francophones mèneront l’entrevue pour réaliser leur travail dans leur cours de psychologie. Chaque participant contribue ainsi à la réalisation de la tâche de l’autre.

Le jumelage interculturel comme un contexte dans lequel est réalisée une tâche commune

Enfin, certains auteurs font remarquer que le jumelage interculturel pourrait donner lieu à la réalisation de tâches communes entre les jumelés. Bien que cela soit réalisable dans l’enseignement basé sur les tâches auquel nous avons principalement fait référence jusqu’ici, ces auteurs mettent de l’avant la cohérence entre ce genre d’activité et l’approche actionnelle. Cette dernière, selon Rosen (2009), accorde beaucoup d’importance à l’agir commun et encourage les réalisations collectives dans le cadre d’objectifs d’éducation pluriculturelle.

Ainsi, concernant la dernière activité décrite par Blanchet et Bourhis (2015), les auteurs rapportent qu’un participant aurait souhaité pouvoir faire les représentations théâtrales finales avec les jumelés francophones. Blanchet et Bourhis (2015 : 83) remarquent que « la visée de la perspective actionnelle se reflète dans les propos de l’apprenant : l’étudiant voudrait pousser l’activité dans sa conclusion logique, celle de concrétiser un projet commun ». Pour Blanchet et Martiny (2015 : 108), la participation à un projet commun mettant en contact des apprenants de FLS et des francophones de la société d’accueil, collaborant jusqu’à un résultat final commun, serait « l’activité pédagogique par excellence ». La tâche donnerait alors lieu à un résultat clairement défini et tout à fait tangible.

Cependant, ce type de réalisation commune demeure plutôt rare dans les jumelages des publications recensées. C’est dans le cadre d’un jumelage interculturel entre deux cégeps que nous en avons trouvé un exemple : étudiants de FLS et étudiants d’anglais langue seconde travaillent ensemble à la réalisation d’un magazine radio bilingue en ligne (Moffatt, 2019). Le projet final, une émission de radio enregistrée, peut être évalué, mais également partagé à l’extérieur de la classe.

Faire réaliser des tâches à l’intérieur des jumelages interculturels : avantages et limites

Les deux dernières perspectives – faire réaliser des tâches avec de l’aide qui sera réciproque ou encore des projets communs à l’intérieur de rencontres de jumelages – comportent des avantages et des limites. Pour l’enseignant de FLS, demander aux apprenants de réaliser des tâches plutôt pédagogiques durant ces rencontres peut faciliter l’insertion du jumelage dans le cadre d’un curriculum chargé ou aux objectifs précis. Du côté des étudiants, focaliser l’attention sur la réalisation d’une tâche pédagogique peut atténuer les résistances et l’anxiété initiales liées à la rencontre d’une personne inconnue. De plus, la pertinence de tâches aux objectifs clairement liés à ceux du cours de FLS peut être plus facilement perçue par les apprenants et susciter une motivation supplémentaire chez eux pour s’engager dans l’activité.

D’un autre côté, faire réaliser des tâches pédagogiques à l’intérieur de jumelages interculturels comporte des limites. Premièrement, à la planification logistique de tout jumelage s’ajoute la nécessité d’une planification pédagogique rigoureuse. Néanmoins, il faudra pouvoir s’accommoder des imprévus qui ne manqueront pas de survenir. Deuxièmement, une centration sur la tâche pédagogique pourrait se réaliser au détriment de la rencontre et de l’ouverture à l’Autre. Or, ces aspects humains et interculturels demeurent premiers dans l’approche interculturelle qui sous-tend ce type de jumelages. Pour diminuer le risque d’occulter ces dimensions, la préparation interculturelle ne devrait pas être négligée (Froelich et Pinard-Prévost, 2014), et ce, qu’il y ait ou non une tâche plus pédagogique à réaliser à l’intérieur des rencontres. Dans le même but, plusieurs intervenants choisissent d’associer au jumelage une évaluation moins liée au travail réalisé durant les rencontres qu’à l’engagement ou à l’assiduité des participants durant celles-ci, ou d’évaluer seulement un travail réalisé après. Ce travail final, écrit ou oral, peut consister en un réinvestissement des acquis langagiers ou en une réflexion sur les aspects interculturels du jumelage (Bertrand et Berteau, 2015; Froelich et Pinard-Prévost, 2014; Guillot et Carignan, 2015).

Conclusion

En résumé, en classe de FLS, les jumelages interculturels et les tâches sont deux outils qui gagnent à être combinés pour faciliter le développement des compétences communicatives des apprenants immigrants. Un enseignant de FLS dispose de plus d’une possibilité pour créer une activité de jumelage interculturel adaptée aux besoins de ses apprenants et aux particularités de son contexte d’enseignement. Il peut : 1) faire de la rencontre interculturelle une tâche en soi; 2) donner aux apprenants des tâches à réaliser à l’intérieur des rencontres. Une tâche à réaliser dans les rencontres peut même devenir 3) un projet réalisé conjointement par les étudiants jumelés.

À notre avis, chacune de ces manières d’articuler jumelage et tâche peut donner d’excellents résultats en ce qui concerne le développement des compétences communicatives et langagières des apprenants. Néanmoins, il serait avantageux de combiner au moins les deux premières pour atteindre à la fois les objectifs interculturels et les objectifs communicatifs et langagiers du cours. Dans ce cas, il demeure important de créer les conditions qui permettront d’éviter que les tâches pédagogiques n’occultent les objectifs interculturels et qu’ainsi il s’agisse bien de jumelages interculturels. Et, quelle que soit l’approche choisie, les enseignants de FLS sont invités à « se lancer » sans attendre, puisque les jumelages répondent au besoin urgent qu’ont les adultes immigrants d’échanger avec des francophones de leur société d’accueil.