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1. Introduction
Cette conversation, enregistrée et transcrite, a eu lieu dans le cadre d'un séminaire portant sur l'Enseignement des langues basé sur les tâches (ELBT) offert par la professeure Payant à l'été 2021 à l’Université du Québec à Montréal. Philippa Bell, une experte dans le domaine de la didactique de la grammaire, a partagé avec les étudiants du séminaire thématique des idées pour enseigner la grammaire dans une langue seconde (L2) et additionnelle (LA) en s’appuyant sur des tâches pédagogiques. Mais d'abord, nous définissons brièvement ce qu’est une tâche dans le domaine de l’ELBT.
2. L’enseignement des langues basé sur les tâches
Le domaine de l'enseignement des langues basé sur les tâches (ELBT) a suscité un intérêt considérable de la part des chercheurs et enseignants de langues secondes/additionnelles (Ellis, 2017; Ellis et coll., 2019; Kim, 2017; Van den Branden, 2016). De ce fait, plusieurs chercheurs ont opérationnalisé les tâches (voir Van den Branden, 2016, pour une discussion exhaustive).
Long (2015) a proposé une définition large de la tâche : « les tâches sont des activités du monde réel auxquelles les gens pensent lorsqu'ils planifient, mènent ou se souviennent de leur journée » (p. 6) (notre traduction). Cela peut inclure des activités telles que faire des emplettes, acheter une voiture, etc. Cependant, lorsque nous considérons les tâches dans le contexte d'une salle de classe, nous parlons plutôt de tâches pédagogiques qui se déroulent dans le contexte d'un cours, mais simulent des situations du monde réel. Ellis (2003, 2018) spécifie quatre critères liés aux tâches : (a) la tâche doit être centrée sur le sens; (b) la tâche doit demander aux apprenants d'échanger des informations ou des opinions afin de combler une lacune dans les connaissances liées au sujet de conversation; (c) l'apprenant doit réaliser la tâche en utilisant ses ressources linguistiques et non linguistiques, et (d) la réalisation de la tâche doit avoir un résultat communicatif identifiable. En suivant ces critères, nous pouvons développer des tâches qui sont « authentiques » et qui mettent en valeur l'importance de créer un environnement propice à l'échange d'informations et d'idées entre les apprenants.
Il existe plusieurs types de tâches pédagogiques, à savoir la tâche de type échange d’informations/d’opinions (information/opinion gap), jeu de rôle, historiette (story completion) et reconstruction de texte (Beaulieu et coll., 2020; Payant, 2019; Payant et Michaud, 2020). Dans la discussion qui suit, nous nous sommes concentrées sur un type de tâche qui demande aux étudiants de reconstruire ensemble à l’écrit un texte entendu, le dictogloss.
Philippa : |
Je suis ici aujourd'hui pour vous parler de mon sujet préféré, qui est l’enseignement et l’apprentissage de la grammaire en classe de langue seconde, et ceux-ci selon l’ELBT. Les deux principaux sujets que je vais aborder aujourd’hui sont comprendre comment la grammaire se développe naturellement et par naturellement, je veux dire indépendamment de ce que fait l'enseignant. Et puis deuxièmement, en termes d'enseignement de la grammaire, répondre à la question comment pouvons-nous aider nos apprenants à devenir plus précis et fluides avec des notions grammaticales qui causent des problèmes d’apprentissage à long-terme ? |
Caroline : |
Vous avez mentionné que vous êtes très intéressée par la grammaire, c'est votre sujet préféré. Quand je pense à la grammaire et à mes expériences en tant qu'élève aux primaire et secondaire, je pense aux règles de grammaire, aux exercices répétitifs, etc. Il serait peut-être utile de comprendre un peu comment vous concevez la grammaire et les types de connaissances, par exemple, une connaissance implicite de la grammaire et une connaissance explicite de la grammaire. |
Philippa : |
Oui, ça me paraît bien. La grammaire peut être conçue de différentes manières. Le cadre dans lequel je travaille est très axé sur la grammaire en tant que système en développement; il est dynamique et variable. La langue n'est pas basée sur des règles, mais les règles peuvent être utilisées pour expliquer notre comportement linguistique, donc l'idée est que la langue et la grammaire s'apprennent par l'usage. Plutôt que de concevoir la grammaire comme un système de règles gérant la syntaxe et la morphologie, nous devons plutôt penser à la grammaire comme étant dirigée par le lexique que nous utilisons pour véhiculer le sens de notre message. Par exemple, nous pouvons considérer que la grammaire est apprise par le biais de constructions : « Je t'ai donné un biscuit » est un exemple de construction avec la structure Sujet + COI (t’) + verbe + COD. En s’appuyant sur cet exemple de la construction, avec le temps, les apprenants comprendront et produiront d’autres phrases avec cette construction, comme : « Elle m'a donné un biscuit » ou « Nous t'avons donné un chien ». Ainsi, grâce à cet exemple fréquent dans l’input (la langue à laquelle nous sommes exposés à l’oral et à l’écrit), nous sommes en mesure d'utiliser nos ressources attentionnelles, cognitives et linguistiques pour comprendre et générer des phrases de plus en plus complexes et créatives gérées par cette construction. Cette construction fait partie de notre interlangue et, à partir de cette construction, nous serions en mesure de mieux comprendre l’interlangue que l’apprenant s’est construite à propos des compléments d’objet directs et indirects. |
Caroline : |
Vous faites référence à des termes théoriques et métalinguistiques. Selon vous, est-ce que cela signifie que je peux utiliser ces termes lorsque j'enseigne la grammaire ? |
Philippa : |
Non, pas forcément. Ce sont des choses dont les enseignants doivent être conscients, mais ce ne sont pas vraiment des choses dont nous devons discuter avec nos étudiants. Mais en même temps, ce n’est pas une mauvaise idée d’aider les étudiants à comprendre que le sens est plus important que la forme. L’utilisation que l’on fait de la langue va façonner la grammaire que l’on apprend, donc au lieu de commencer en parlant de la distinction entre deux temps verbaux, disons le futur proche et le futur simple, nous devons mettre nos étudiants dans des situations de communication où ils vont naturellement avoir besoin de ces deux notions pour comprendre et produire des messages. Mais pour revenir à la question initiale, en termes de connaissances implicites et de connaissances explicites, la discussion jusqu’ici est vraiment liée au développement d'un système implicite. Ainsi, les étudiants ne sont pas conscients qu'ils prennent l’exemple « Je t'ai donné un biscuit » et qu’ils font une analyse statistique implicite avec comme finalité une représentation linguistique abstraite. Tout ce processus fait référence aux apprentissages implicites, avec comme finalité, une connaissance implicite. Très brièvement, une connaissance implicite est une connaissance que nous utilisons sans savoir pourquoi nous le faisons comme ça ou comment l’expliquer – je sais qu’il faut dire « je m’en fou ; nous nous en foutons », mais j’ai aucune idée pourquoi il y a « en » dans la construction. Et puis une connaissance explicite est une connaissance consciente que, normalement, je peux expliquer d’une certaine façon. Par exemple, en français, je sais que la différence entre un verbe conjugué à la 1e personne du singulier peut être utilisé avec l’ajout d’un –s pour la 2e personne du singulier (je parle – P-A-R-L-E, tu parles – L-E-S). Ceci est une connaissance explicite. En recherche, pour des raisons méthodologiques, nous concevons les connaissances selon une dichotomie implicite/explicite, mais en réalité, nous pouvons avoir une connaissance explicite et une connaissance implicite de la même grammaire. Normalement, nous nous appuierons sur notre connaissance implicite, mais au besoin, nous pourrions accéder à notre connaissance explicite. Par exemple, lors d’une conversation, je dis « je vais prendre le bus pour y aller, toi ? ». Cet énoncé démontre une richesse grammaticale énorme – conjugaison, genre grammatical, syntaxe, pronom, etc. Toutefois, je sais explicitement que le mot bus va avec le et non pas la. Notez ici que je n’ai pas utilisé de termes métalinguistiques, mais cette connaissance est quand même explicite. J’aurais pu dire que le mot bus est une abréviation du mot autobus et qu’il est de genre masculin. La connaissance explicite du genre grammatical d’un nom peut m’être utile pour faire des accords même si nos connaissances implicites suffisent pour la plupart des mots. Toutefois, des mots peu fréquents qui débutent par une voyelle, par exemple, sont utilisés parfois de manière erronée. Ces erreurs démontrent que nous n’avons pas bâti une connaissance implicite exacte du genre de ce mot, donc une connaissance explicite ici peut être très aidante. |
Caroline : |
Donc, en tant que locuteurs natifs d’une langue, nous commençons avec un système de connaissances implicites, et éventuellement, en tant que professeurs de langues, nous allons certainement développer certaines connaissances explicites. Cependant, en tant que locuteurs natifs sans expertise en linguistique appliquée, il est possible que nous ayons des connaissances principalement implicites de notre système linguistique. C’est pour cela que les gens peinent lorsqu’ils doivent expliquer un aspect de leur langue! Maintenant, en tant qu'apprenant d'une langue seconde ou additionnelle, êtes-vous d’accord avec l’idée que c’est l’enseignant qui doit soutenir le développement des connaissances explicites et des connaissances implicites de la grammaire ? |
Philippa : |
Oui, comme tu le sais, les théories qui soutiennent l’ELBT sont, avant tout, intéressées par la promotion de l'utilisation spontanée de la langue, en termes de précision, d’aisance et de complexité. Donc cela reviendrait à essayer d'aider nos apprenants à construire un système implicite. Il y a des opinions différentes sur la façon dont ce système implicite est créé et la meilleure façon d’aider nos étudiants à le développer. Aujourd'hui, en termes de l’ELBT, il y a également une place pour l’enseignement explicite et l’apprentissage explicite pour des formes grammaticales qui posent problème à long terme ou pour d’autres formes grammaticales si l’enseignement se fait d’une façon aidante pour l’apprentissage en général. La création d’une connaissance explicite par le biais d’un enseignement explicite doit d’une certaine manière aider dans la construction de nos connaissances implicites. Par exemple, si la connaissance explicite me permet de générer une nouvelle phrase avec cette grammaire, cette nouvelle phrase devient, à son tour, une bonne source d’ input pour mon système langagier. Donc en contexte d’un apprentissage formel d’une langue additionnelle (LA) en salle de classe, il y a un rôle important pour le développement des connaissances explicites. L’ELBT vise la création d’un système implicite par l’utilisation des tâches, mais pour certaines notions grammaticales, nous devrions créer des tâches pour faire un enseignement explicite. |
Caroline : |
Je voudrais changer de sujet deux petites minutes avant de nous lancer dans la présentation de votre tâche ciblant la grammaire, le dictogloss. Si nous pensons à nos expériences en tant qu'apprenants de langues, les approches plus traditionnelles ont principalement mis l'accent sur un enseignement explicite de la grammaire. Et quand nous pensons à nos capacités (cognitives, attentionnelles) dans une LA, il nous arrive de manquer d’aisance ou de confiance en soi à l'oral parce que nous sommes, disons, limités à nos connaissances explicites. Faute de pratique, nous n'avons pas développé cette automaticité dans notre LA. Nous n'avons pas été placés dans un environnement où nous devons utiliser la langue pour des objectifs communicatifs sans avoir le temps requis pour activer nos connaissances explicites. Comme nous le savons, l’ELBT nous oblige à mettre en pratique nos connaissances explicites et implicites afin de communiquer dans des situations de communication authentique. |
Philippa : |
Oui, et je pense qu'il est important de mentionner ici que nous avons traditionnellement commencé avec un enseignement explicite pour que les étudiants bâtissent des connaissances explicites et, au fur et à mesure que les étudiants s'améliorent sur un point de grammaire spécifique, ils sont peut-être capables de créer un certain type de système de connaissances implicites, sans nécessairement que l'enseignant intervienne trop. Toutefois, pour beaucoup de notions linguistiques, nous n’avons peut-être pas besoin de cet enseignement explicite. Nous pourrions plutôt viser un enseignement implicite, qui n’est pas la même chose qu’aucun enseignement de la grammaire. Avec un enseignement implicite, l'enseignant choisit de cibler une structure (dans la tâche), sans que les étudiants se rendent compte qu'un élément de la grammaire a été abordé. Prenons le passé composé, par exemple. Vous avez remarqué que vos étudiants commencent à utiliser cette structure lors de communications spontanées et, selon une perspective développementale (de l’interlangue), vous décidez que les étudiants bénéficieraient d’un petit coup de pouce ici. Je pourrais créer une tâche contenant des exemples semblables dans l’input et des occasions d’en produire. Toutefois, pour que cette tâche reste implicite, il faut que les apprenants puissent la compléter sans avoir recours à une connaissance explicite. La tâche, donc, doit être une bonne tâche langagière qui centralise le sens avec des occasions d’interagir et avec une finalité non langagière. |
Caroline : |
Il y a quelques mots-clés que nous voulons extraire de cette conversation. Avec l’enseignement implicite, nous pouvons parler d'approche réactive, mais planifiée à l’enseignement de la grammaire. Comme vous venez de le mentionner, nous constatons que nos étudiants commencent à utiliser certaines structures dans leurs communications spontanées, mais pas forcément avec précision. Ici nous pouvons dire qu’ils sont prêts à apprendre cette notion, donc elle pourrait faire l’objet d’un enseignement. Ce n'est pas le plan de cours (élaboré au préalable) qui prescrit ce que nous allons enseigner, c'est l'apprenant qui est finalement prêt à incorporer cette structure et donc, nous pouvons plus facilement cibler cette notion. Pour intégrer un enseignement implicite de la grammaire dans un cours, nous pouvons donc nous inspirer de l’ELBT et de tâches pédagogiques qui sont conçues pour cibler une structure, mais sans que l’apprenant ne le sache. Alors, parlons un peu d'un type de tâche que vous aimeriez partager avec nous, que vous avez utilisé ou créé avec vos apprenants, si vous êtes prête. |
Philippa : |
Oui, une tâche très intéressante pour plusieurs raisons est la tâche de dictogloss. Il s’agit d’une tâche métalinguistique, donc elle fait partie d’un enseignement explicite. Toutefois, si nous utilisons un dictogloss sans parler de la grammaire cible, il se peut que les étudiants ne se rendent pas compte de l’objet d’enseignement. Dans ce sens-ci, l’enseignement pourrait être implicite. |
Caroline : |
C'est d'ailleurs l'une de mes tâches préférées. |
Philippa : |
Oui, vous aimez utiliser les dictogloss avec les étudiants ? |
Caroline : |
Oui, pour des raisons spécifiques que je partagerai après, si nous avons le temps! |
Philippa : |
Un dictogloss peut être utilisé pour différentes raisons liées à l’apprentissage langagier, mais ici, je veux en parler avec comme but, un apprentissage grammatical. Je veux aller en classe demain et aider mes élèves à mieux comprendre la distinction du sens entre le passé composé et l’imparfait. Je sais qu’un tel enseignement sera intéressant pour mes étudiants, car ils commencent à utiliser ces deux formes dans leurs communications spontanées, mais ils ont tendance à utiliser l’imparfait au lieu du passé composé et vice-versa. J'ai donc créé ou trouvé un texte dans lequel il y a de nombreux exemples de ces formes qui illustrent leurs formes (p. ex. passé composé = avoir/être + participe passé) et leurs sens. Donc, pour la tâche de dictogloss, généralement, ce qui se passe, c'est que l'enseignant lit le texte une fois, souvent avec une question de compréhension, par exemple, de quoi parle le texte, et les étudiants ne sont pas autorisés à prendre des notes, ils écoutent simplement. Lors de la deuxième lecture, les étudiants sont autorisés à prendre des notes, mais doivent se limiter à écrire des idées principales et non pas des phrases complètes. Puis, souvent il y aura une troisième lecture au cours de laquelle les étudiants corrigeront leurs notes. Et puis les étudiants se réuniront en groupes, personnellement j'aime bien les groupes de trois, mais ça dépend du contexte, mais ils se réunissent, et ils doivent reconstruire le texte. Et je pense que le mot-clé ici est « reconstruire », donc le but est de prendre le texte qu'ils ont entendu, de prendre leurs notes, et de travailler ensemble (en collaborant) pour écrire un texte avec un sens similaire au texte qu'ils ont entendu. Les étudiants aiment la nature collaborative de cette activité et ça génère beaucoup d’interactions authentiques lors des discussions et parfois des débats assez houleux quand ils ne sont pas d’accord sur le contenu ! Cette pratique correspond aux informations contenues dans les programmes de langue seconde du Ministère à l’école secondaire : l'importance de la collaboration, par exemple. À travers le dictogloss, ils commencent vraiment à comprendre, oh ok je suis un peu l'élève qui parle tout le temps et ce n'est pas toujours bon si je suis la personne qui dit aux autres quoi écrire, et puis vous avez des élèves qui sont peut-être un peu plus timides à l’oral, mais grâce à la nature collaborative de l'exercice, par exemple, ils commencent à prendre confiance, car ils peuvent partager ce qu’ils savent à propos de la langue. Lorsque nous le faisons, nous nous assurons que les enseignants donnent une seule feuille de papier, s'ils sont en classe, de sorte que les élèves doivent partager l'écriture. Lorsque nous donnons des feuilles de papier séparées, nous constatons que les élèves ont tendance à avoir des conversations assez superficielles, puis à écrire individuellement leur phrase. Alors que lorsqu'ils écrivent ensemble, nous constatons que cela permet également d'augmenter la négociation de la forme et du sens, car lorsque j'écris, les deux autres personnes voient ce que j'écris et elles peuvent intervenir pour m'aider, ou je peux également demander : « Oh désolé, comment dois-je épeler ce mot ? Est-ce que c'est avec un i ou un e ? ». |
Caroline : |
Donc, encore une fois, juste une petite clarification terminologique, ce dont nous venons de discuter, ce sont des épisodes relatifs au langage (ERL) (language-related episodes). Ce sont des négociations (discussions) entre les étudiants où ils vont discuter d'aspects linguistiques (forme ou sens) spécifiques. Ces discussions peuvent porter sur la forme, la conjugaison par exemple. Ou encore elles peuvent être liées au vocabulaire et aux idées. Ainsi, lors des interactions, les apprenants peuvent se mettre à discuter de la langue de façon spontanée, mais contextualisée. Ces discussions entre les apprenants sont des ERLs ou, encore, des opportunités d'apprentissage basées sur l'interaction. C'est à travers les interactions que ces discussions émergent et que les apprenants peuvent s'appuyer sur leurs connaissances explicites de la L1, d'une langue supplémentaire ou de la langue cible aussi pour co-construire leurs connaissances. Donc il est important de prêter attention à nos étudiants quand ils ont ces discussions pour voir comment ils donnent du sens à ces informations, et ensuite vous pouvez bâtir sur cela (p. ex., développer des tâches qui ciblent ces structures). Il s'agit donc d'une source d'information très riche pour l’enseignant, car vous pouvez écouter ces épisodes linguistiques produits par les élèves pendant ces moments de collaboration. |
Philippa : |
Nous avions eu un excellent exemple lorsque nous travaillions avec un étudiant d’anglais langue seconde dans un cours intensif en 6e année du primaire. Il s'agissait de la 3e personne -s, donc « she goes ». L'étudiant était convaincu qu'il fallait dire « they goes » au présent simple (simple present) et « she go », ce qui est faux, mais son raisonnement était brillant. Son raisonnement, auquel nous avions accès parce que nous pouvions écouter ses épisodes liés au langage, était que le -s marque le pluriel. Ainsi, la 3e personne du singulier est une forme singulière (she go, pas de -s), et la 3e personne du pluriel (they goes) est une forme plurielle. Cela montrait donc qu'il avait généralisé la règle pour les noms aux verbes. Mais cette information était très utile pour nous pour pouvoir aider l’étudiant à comprendre qu'il y a une différence entre la pluralité des noms et la pluralité des verbes. Sans cet accès, en tant qu’enseignantes, nous n’aurions pas compris qu’il utilisait une règle erronée. Nous aurions plutôt pensé qu’il avait fait des fautes en conjuguant, car il n’accédait pas à une connaissance explicite ou, car il n’était pas prêt pour cette forme. En réalité, il utilisait ses connaissances explicites, mais elles étaient erronées, donc l’enseignant pouvait intervenir pour l’aider à avoir une meilleure représentation explicite. |
Caroline : |
Nous parlons toujours de l'interlangue des élèves et du fait qu'elle peut comporter des éléments de différents systèmes. Nous disons aussi qu'elle est utilisée de manière systématique, mais elle évolue et change constamment. En fait, Philippa, au début de la discussion, vous avez implicitement fait référence à l'interlangue des apprenants, mais voici un excellent exemple où l'élève a développé une application très systématique d'une règle à un nouveau concept et a développé son propre système grammatical. Et il l'a probablement utilisé de manière cohérente, c'est pourquoi il a plaidé pour le « they goes ». Donc cette règle est systématique, mais elle va évoluer et changer avec des opportunités supplémentaires de négociation, de contribution, etc. C'est donc un bel exemple concret d'interlangue. Les interlangues sont vraiment importantes parce qu’elles démontrent que les apprenants traitent des informations, des règles et qu'ils les intègrent lentement dans leur système. C’est pour ça qu’une erreur comme je suis mangé peut être un indice intéressant du développement du passé composé chez un apprenant. Cette tentative d’utiliser le verbe être plus le participe passé pourrait être un exemple d’une évolution positive vers un système plus normé où le passé composé est utilisé avec le verbe avoir et être. Nous avons discuté de tant de choses Philippa, et pour nous, cela peut sembler être une conversation très naturelle, mais il y a beaucoup d'informations dans cette discussion, de terminologies! Nous avons exploré comment la grammaire peut être enseignée ou pratiquée si vous voulez, à travers la tâche dictgoloss. Y a-t-il autre chose que vous voudriez partager avec nous ? |
Philippa : |
Eh bien, je pense que si nous parlons de grammaire en termes d'enseignement implicite et explicite, en termes d'application réelle en classe, essayons simplement de nous amuser avec ça. Par exemple, nous venons de discuter d'un dictogloss et une grande partie de notre discussion n'était pas axée sur un point de grammaire spécifique que j'avais peut-être en tête en tant qu'enseignante. Je peux donc adapter certains éléments de la tâche. Je pourrais leur donner des informations explicites à propos de la grammaire ciblée avant, ou à la fin : je pourrais le revoir avec eux et nous pourrions discuter ensemble de bonnes et de mauvaises utilisations dans leurs textes. Ainsi, en classe, en tant qu'enseignants, nous voulons être conscients des choix pédagogiques que nous faisons pour promouvoir le développement des connaissances implicites et/ou explicites. Si nous sommes conscients de ce que nous faisons, toutes les tâches et activités grammaticales peuvent être utilisées afin d'aider au développement d'un système plus implicite ou plus explicite. Nous pouvons donc vraiment nous amuser avec elles, être créatifs, et ne pas nous inquiéter si notre tâche implicite devient très explicite ou si notre tâche explicite ne fonctionne pas du tout, et que les élèves ne prêtent aucune attention à notre cible grammaticale. Ce sont toutes des informations que nous pouvons ensuite utiliser pour créer d'autres tâches pour nos étudiants qui ciblent leur développement langagier, leurs intérêts, leurs besoins, etc. |
Caroline : |
Parfait, ce sont de bonnes remarques finales. Merci beaucoup d'avoir partagé avec nous Philippa, et pour ceux d'entre vous qui veulent plus d'informations sur les tâches que Philippa développe ou celles que nous développons ensemble, nous vous invitons à consulter ces ressources. Alors, merci. |
Philippa : |
Merci beaucoup de m'avoir reçue, merci. |
Appendices
Annexe
Lectures suggérées
Enseignement et apprentissage de la grammaire (explicite et implicite)
Bell, P. K. (2017). Explicit and implicit learning: Exploring their simultaneity and immediate effectiveness. Applied Linguistics, 38(3), 297–317. https://doi.org/10.1093/applin/amv028
Keck, C. et Kim, Y. (2014). Pedagogical grammar. John Benjamins.
Loewen, S. (2015). Introduction to instructed second language acquisition. Routledge.
Nassaji, H. et Fotos, S. (2011). Teaching grammar in second language classrooms: Integrating form-focused instruction in communicative context. Routledge.
Spada, N. (2008). Form-focused instruction: Isolated or integrated? TESOL Quarterly, 42(2), 181-207. https://doi.org/10.1002/j.1545-7249.2008.tb00115.x
Types de tâches
Beaulieu, S., Fortier, V., Damiens, J., Laberge, C. et Fillion, C. (2020). Développer des connaissances lexicales et grammaticales sans support écrit et sans production grâce à une approche par tâches basée sur la compréhension. La Revue de l’AQEFLS, 33, 12–19.
Bell, P. K. (en évaluation). The effects of the timing of the creation of an explicit representation during implicit form-focused instruction tasks on learner grammatical development.
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Payant, C. (2019). Étude de la perception des apprenants de français langue étrangère concernant l’enseignement des langues baśe sur les tâches. La Revue Canadienne de Linguistique Appliquée, 22(1), 1–25.
Payant, C., et Michaud, G. (2020). La conceptualisation de la tâche en didactique des langues secondes: l’enseignement des langues basé sur la tâche et l’approche actionnelle. La Revue de l’AQEFLS, 33, 4–11.
Épisodes relatifs au language (Language-related episodes)
Payant, C. et Kim, Y. (2019). Impact of task modality on collaborative dialogue among plurilingual learners: a classroom-based study. International Journal of Bilingual Education and Bilingualism, 22(5), 614–627. https://doi.org/10.1080/13670050.2017.1292999
Bibliographie
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