Abstracts
Résumé
Les croyances des enseignants sur l’enseignement et l’apprentissage de la grammaire sont intimement liées aux pratiques enseignantes en salle de classe (Phipps et Borg, 2009; Sanchez et Borg, 2014). En effet, leurs expériences antérieures d’apprenant semblent plus déterminantes dans la construction de leurs croyances que la formation universitaire (Borg, 2015 ; Simard et Jean, 2011). Les objectifs de cette étude transversale consistaient à identifier les croyances de futurs enseignants d’anglais et de français langue additionnelle (LA) d’une université francophone québécoise sur l’enseignement de la grammaire et à déterminer si les croyances différaient selon l’année de leur formation préparatoire. Cent cinquante-trois futurs enseignants d’anglais ou de français LA ont complété un questionnaire reposant sur quatre continuums : une approche axée sur le sens contre la forme, un enseignement de la forme (FonF) contre des formes (FonFs), un enseignement implicite contre explicite, et un enseignement inductif contre déductif (Graus et Coppen, 2016). Les résultats démontrent que ces futurs enseignants croient en une approche axée sur la forme ainsi qu’un enseignement inductif, et semblent exprimer une indifférence envers un enseignement implicite et explicite, et un enseignement FonF et FonFs. Les résultats indiquent peu de changements dans les croyances selon l’année de formation, sauf pour une évolution d’un enseignement FonFs à FonF. Toutefois, une tendance se dessine en faveur d’un enseignement traditionnel de la grammaire. Plus d’études s’avèrent nécessaires pour mieux comprendre comment les futurs enseignants mobilisent les croyances et les connaissances apprises durant la formation universitaire dans leurs pratiques enseignantes.
Mots-clés :
- Croyances des enseignants en formation,
- enseignement de la grammaire,
- anglais et français langue additionnelle,
- formation préparatoire en enseignement
Abstract
Teacher cognitions, including beliefs, concerning the teaching and learning of grammar are closely linked to teaching in the classroom (Phipps et Borg, 2009; Sanchez et Borg, 2014). Previous research has demonstrated that teachers’ previous learning experiences seem to affect their beliefs more strongly than their university teacher training (Borg, 2015; Simard et Jean, 2011). The objectives of this cross-sectional study conducted with future teachers of French and English as additional languages in a francophone university in Quebec were twofold. Firstly, it was to identify their beliefs in terms of the teaching and learning of grammar. Secondly, it was to understand how these beliefs differed based on their progression within the four-year, teacher-training programmes. One hundred and fifty-five future teachers of French or English as an additional language completed a questionnaire that explored four dichotomies with regards to teaching grammar – 1.) form-focused or meaning-focused approaches; 2.) FonFs or FonF teaching; 3.) implicit or explicit teaching; 4.) deductive or inductive teaching (Graus et Coppen, 2016). The results showed that future teachers believe that approaches should be form-focused and that grammar teaching should occur inductively. They did not have a preference for the other two dichotomies. In terms of changes based on their year of study, the only difference seemed to be a shift towards a preference for FonF rather than FonFs. However, despite this change, overall, their beliefs demonstrate a preference for traditional grammar instruction. More research is needed to understand how future teachers use their beliefs and the knowledge created during their teacher training when they are in their language classrooms.
Keywords:
- Pre-service teachers’ cognitions,
- LA grammar teaching,
- French and English as additional languages,
- pre-service teacher training
Article body
1. Introduction
La façon d’enseigner la grammaire en classe de langue additionnelle (LA) pour maximiser l’apprentissage a toujours fait couler beaucoup d’encre. En dépit des différentes approches préconisées (Germain, 1993; Larsen-Freeman et Anderson, 2013), une tendance assez claire se dessine depuis environ quatre décennies : l’enseignement de la LA doit être centré sur le sens, plus spécifiquement sur l’utilisation de la langue pour transmettre des messages oraux et écrits dans des situations de communication qui s’apparentent à celles rencontrées en dehors de la salle de classe. Lors de ce type d’enseignement, les apprenants maîtrisent graduellement la langue en devenant des utilisateurs de plus en plus à l’aise à l’oral et à l’écrit, en compréhension et en production, avec une langue de plus en plus complexe et précise (Loewen, 2020; Long, 2014). Dans ce type d’environnement, l’apprenant bâtit graduellement des connaissances grammaticales lui permettant de comprendre et de produire la langue spontanément en utilisant des notions grammaticales variées. Toutefois, même si ce développement grammatical se passe très bien pour beaucoup de notions, certaines d’entre elles doivent faire l’objet d’un enseignement intentionnel (explicite ou implicite) pour différentes raisons (voir DeKeyser, 2005 et Loewen, 2020). En effet, les recherches sur l’enseignement de la grammaire (form-focused instruction) démontrent que l’enseignement ciblé contribue au développement grammatical des apprenants (Loewen, 2020; Norris et Ortega, 2000; Goo et coll., 2015) et qu’il existe différentes façons d’enseigner la grammaire dans des classes de langue dans lesquelles le sens prime.
1.1. L’enseignement de la grammaire
Les recherches sur l’enseignement de la grammaire ont exploré différentes questions, mais selon Graus et Coppen (2016), on peut dégager quatre thèmes majeurs qui s’appuient sur différentes théories dans le domaine de l’acquisition des langues secondes : l’approche axée sur la forme et l’approche axée sur le sens, l’enseignement de la forme (FonF) et des formes (FonFs), l’enseignement explicite et implicite, et l’enseignement déductif et inductif.
La première paire présente deux approches d’enseignement, axées sur le sens ou la forme. L’approche axée sur le sens repose sur l'idée que l'apprentissage d'une langue se fait par la communication. Ce type d’approche peut inclure un enseignement de la grammaire, mais cet enseignement est fait à l’intérieur d’une approche centralisant l’utilisation de la langue comme moyen de communication. Par contre, l’approche axée sur la forme centralise la langue comme objet d’étude. L’objectif d’une leçon serait d’attirer l’attention des apprenants sur une structure grammaticale (Graus et Coppen, 2016). La deuxième paire porte sur les croyances en ce qui concerne une approche centrée sur la forme (FonF) ou centrée sur les formes (FonFs). L'approche FonFs se caractérise par une orientation traditionnelle de l'enseignement de la grammaire - la grammaire est enseignée par l’entremise d’exercices isolés sans qu'il soit nécessaire de montrer comment elle est utilisée dans la communication (Graus et Coppen, 2016). L'enseignement FonF est décrit comme une approche de l'enseignement de la grammaire qui demande aux enseignants d'attirer l'attention des apprenants sur les structures grammaticales lorsqu'elles apparaissent naturellement au cours d'une leçon avec l’utilisation de la langue comme objectif (Long, 1991). La troisième paire est constituée de l'enseignement implicite et de l'enseignement explicite. L'enseignement explicite implique que les apprenants soient conscients qu'on leur enseigne une règle ou une structure grammaticale. L'enseignement implicite encourage les apprenants à interagir avec la grammaire sans se rendre compte qu'ils sont potentiellement en train d'apprendre la grammaire. L'apprentissage implicite est donc encouragé, ce qui signifie qu'il a lieu sans « intention ou conscience » (Ellis, 2008, p. 965). La dernière paire correspond à l'enseignement inductif par opposition à l'enseignement déductif. On dit d'un professeur de langue qu'il utilise une approche déductive de l'enseignement de la grammaire lorsqu'il présente d'abord une règle/structure grammaticale et qu'il demande ensuite aux apprenants de la pratiquer. L'enseignement inductif demande aux apprenants de faire des généralisations ou de générer une règle à partir d'exemples.
1.2. L’enseignement de la grammaire : réalité dans la salle de classe
Les pratiques enseignantes de la grammaire ne semblent pas concorder avec les recommandations de la littérature scientifique, sauf l’approche générale de l’enseignement axée sur le sens. En effet, l’enseignement de la grammaire dans les classes semble essentiellement traditionnel, c’est-à-dire, en utilisant les termes introduits – déductif, explicite et FonFs (Ellis et Shintani, 2013; Sato et Loewen, 2022; Simard et Jean, 2011). Ce constat est évident dans les différentes ressources disponibles sur Internet mises à la disposition des enseignants telles que les cahiers d’exercices ou les manuels scolaires (p. ex., Cargo, Point.com; Yes, We Can!, Express Yourself!). En outre, dans une étude portant sur l’enseignement de la grammaire par des enseignants de français et d’anglais LA au Québec, Simard et Jean (2011) ont filmé huit enseignants. Les chercheures ont invité les enseignants à intégrer l’enseignement de la grammaire lors des observations. Les analyses ont démontré que plus du tiers du temps d’enseignement était consacré à un enseignement grammatical. Les chercheures ont enregistré soixante heures d’enseignement en classe et ont comptabilisé un total de 763 interventions identifiées comme étant de l’enseignement de la grammaire. Ces interventions étaient axées principalement sur la rétroaction corrective (44%) et l’explication grammaticale (33%). De plus, trois éléments en lien avec les composantes langagières (p. ex., la prononciation, le lexique, la grammaire) sur lesquels les participants ont focalisé le plus leur attention correspondaient au vocabulaire (38 %), les structures syntaxiques (26 %) et la morphologie flexionnelle (20 %). Ces résultats vont à l’encontre de différents programmes d’enseignement de LA du ministère de l’Éducation (MEQ) que les enseignants dans le système scolaire québécois doivent suivre. Les programmes sont basés sur le développement des compétences (approche par compétences) et privilégient l’utilisation de la langue et non pas son étude. L’enseignement de la grammaire doit se passer majoritairement par la rétroaction corrective offerte aux apprenants lors de leur utilisation de la langue.
1.3. Les croyances et pratiques déclarées des enseignants sur l’enseignement de la grammaire : deux éléments en inadéquation?
L’incohérence remarquée entre la recherche, les programmes ministériels et les pratiques observées et déclarées des enseignants (Simard et Jean, 2011; Payant et Bell, 2022) peut être expliquée en partie par les croyances des enseignants. Les croyances se définissent comme des propositions que les individus considèrent comme étant vraies dans le temps. Elles se manifestent souvent de manière tacite et comportent une dimension affective (Borg, 2015 Graus et Coppen, 2016). En effet, mieux comprendre le rôle des croyances des enseignants en formation initiale à l’égard de l’enseignement de la grammaire s'avère hautement important, car nous savons qu’elles jouent un rôle majeur sur les choix pédagogiques et didactiques de l’enseignant, et que la relation entre ces croyances et la formation des enseignants est complexe (Graus et Coppen, 2016; Borg, 2015; Yuan et Lee, 2014). Certaines études démontrent l’effet positif de la formation sur certaines croyances, mais d’autres ont trouvé que les croyances résisteraient à la formation initiale en enseignement (Graus et Coppen, 2016; Paquet et Woll, 2021).
Pour combler une lacune dans la littérature quant à l’évolution des croyances en lien avec l’enseignement de la grammaire dans des formations universitaires en éducation, Graus et Coppen (2016) ont exploré les croyances de 709 futurs enseignants sur l’enseignement de la grammaire sous un angle transversal. Les résultats mettent en évidence des changements dans les croyances des étudiants au fur et à mesure que ceux-ci progressent dans leur formation universitaire. Les étudiants en début de programme préfèrent un enseignement axé sur la forme, explicite, avec un enseignement des formes (FonFs), alors que ceux qui sont plus avancés dans leur cheminement tendent plutôt à favoriser un enseignement axé sur le sens, implicite, inductif, avec un enseignement de la forme. Toutefois, l’évolution des croyances des enseignants durant leur formation préparatoire en enseignement demeure peu étudiée à ce jour. De plus, comme l’enseignement scolaire est souvent régi par des programmes ministériels propres à chaque région, l’étude des croyances dans des contextes précis s’avère d’autant plus pertinente. La présente étude a pour objectif de combler cet écart dans la littérature scientifique, en plus d’explorer la façon dont les croyances changent tout au long des quatre années de la formation initiale. Pour ce faire, deux questions de recherche ont été formulées :
Quelles sont les croyances déclarées d’enseignants en formation du français et de l’anglais langue additionnelle à l’égard de l’enseignement de la forme grammaticale ?
Les croyances déclarées des futurs enseignants évoluent-elles pendant la formation ?
2. Méthodologie
Le type de recherche retenu pour répondre aux questions de recherche est de nature transversale, plus spécifiquement quasi longitudinale. Les participants d’années différentes dans leur parcours universitaire sont sondés une fois, mais leurs réponses sont analysées d’une façon ressemblant à une étude longitudinale vu leur parcours semblable (Mackey et Gass, 2021).
2.1. Participants
Un total de 153 participants adultes ont pris part à cette étude, tous provenant d’une université du Québec. Ils suivaient une formation initiale de quatre ans en enseignement de premier cycle. Au terme de cette formation, les futurs enseignants obtiennent un baccalauréat en enseignement de l’anglais (n = 54) ou du français langue seconde (n = 99) et un brevet d’enseignement délivré par le gouvernement du Québec. Dans le cadre de cette étude, les participants recrutés étaient à différentes années dans leur programme universitaire respectif. Le recrutement a été fait par courriel et dans les salles de classe de différents professeurs et chargés de cours à l’université.
2.2. Instrument de mesure – questionnaire
Un questionnaire permet l’accès aux croyances des participants (Fortin et Gagnon, 2016). Il permet également d’accéder à un nombre de participants plus important que les recherches qualitatives (Borg, 2019). Graus et Coppen (2016) ont élaboré et validé un questionnaire explorant les croyances sur l’enseignement de la grammaire, qui a été utilisé dans cette étude. Nous avons donc employé ce questionnaire avec de légères adaptations pour notre contexte (certaines questions sociodémographiques). Nous avons aussi procédé à une traduction en français du questionnaire pour les futurs enseignants du français langue seconde.
Les 24 questions sur les croyances étaient présentées en forme d’affirmations. Les participants devaient indiquer dans quelle mesure ils étaient d'accord ou non avec les énoncés à l'aide d'une échelle de Likert en cinq points (de « tout à fait d'accord » à « pas du tout d'accord »). Les affirmations ont été divisées en quatre sections représentant les quatre thèmes (voir pages 2-3) importants dans la recherche en didactique de la grammaire en LA (tableau 2).
2.3. Recrutement et collecte de données
La collecte impliquait que les participants remplissent le questionnaire en ligne (LimeSurvey Gmbh). Pour recruter des étudiants, un courriel a été envoyé à tous les étudiants dans les deux baccalauréats. Il contenait des informations sur les objectifs de l’étude, la durée du questionnaire ainsi que le consentement informé et l’anonymat. Toutefois, cette méthode de recrutement n’a résulté qu’en dix réponses. Nous avons donc procédé aux visites dans des salles de classe pour partager les informations sur l'étude. Par la suite, les étudiants ont complété le sondage s’ils voulaient participer.
2.4. Préparation des données
Les données ont été transférées dans le logiciel SPSS 26 en provenance de LimeSurvey. Avant d’entreprendre l’analyse, la chercheure a vérifié le statut de chaque participant pour exclure ceux qui ne répondaient pas aux besoins en lien avec l’objectif de recherche. Ainsi, 22 participants ont été exclus. Plus spécifiquement, sept d'entre eux suivaient les cours, mais ne faisaient pas partie des programmes menant à un brevet, quatre avaient répondu au questionnaire sans donner leur consentement et onze autres n’avaient pas complété la section principale du questionnaire dans lequel les affirmations sur la grammaire étaient présentées.
Avant de procéder aux analyses statistiques, les données ont été anonymisées. La chercheure principale a effacé les noms de tous les participants et leur a attribué un code selon leur programme d’études respectif qui ne permettait pas leur identification.
3. Résultats
Pour répondre à la première question de recherche sur les croyances déclarées des enseignants de langue additionnelle en formation à l’égard de l’enseignement de la forme grammaticale, des statistiques descriptives sont présentées dans le tableau 3 pour les quatre dichotomies.
Il est à noter qu’une moyenne basse indique que les enseignants en formation initiale préfèrent un enseignement axé sur le sens, FonF, implicite et inductif. Une moyenne élevée correspond à une préférence pour un enseignement axé sur la forme, FonFs, explicite et déductif. Le score maximal sur l'échelle de Likert était de 5 et le score minimal de 1.
Les données du tableau 3 montrent qu'en général, les enseignants en formation initiale estiment que l'enseignement axé sur la forme est plus efficace que l'enseignement axé sur le sens (X̄ = 3,52). Elles révèlent également une préférence générale pour l'enseignement inductif (X̄ = 2,55). Les moyennes pour les deuxième et troisième paires suggèrent une absence de préférence (X̄ = 3,08; X̄ = 3,11).
3.1. L’évolution des croyances selon le cheminement dans la formation
La deuxième question de recherche avait pour objectif d’examiner la façon dont les croyances sur l’enseignement de la forme évoluaient pendant la formation initiale. Pour ce faire, nous avons vérifié s'il existe une relation entre les croyances de futurs enseignants de LA et l’année d’étude en cours. Afin de répondre à cette question, nous avons fait une analyse factorielle de la variance (ANOVA) à deux facteurs. Les participants ont été divisés en deux groupes respectifs, à savoir années 1-2 pour ceux qui sont au début du programme et années 3-4 pour ceux qui sont à la fin du programme. Ce choix méthodologique se justifie par le fait que l'échantillon de l'année 2 était considérablement plus petit que celui d’autres années. Les données respectaient la loi normale et répondaient aux hypothèses des ANOVA à deux facteurs présentés ci-dessous.
Les résultats pour la première paire, soit l’enseignement centré sur le sens versus l’enseignement centré sur la forme, ne révèlent pas de différences significatives (F1,149 = 1.103, p = .295, eta-carré partiel = .007). Les résultats mettent en évidence la tendance suivante : les enseignants en formation initiale sont plus favorables à l’enseignement centré sur la forme, et cette préférence se maintient tout au long de leur programme d'études[1].
En ce qui concerne la deuxième paire, FonF ou FonFs, les résultats de l'ANOVA à deux facteurs s’avèrent statistiquement significatifs pour la variable indépendante (F1,149 = 27.977, p = < .0005, eta-carré partiel = .158). Les analyses suggèrent qu'au fur et à mesure que les futurs enseignants de LA progressent dans leur formation préparatoire, leurs croyances sur l'enseignement de la grammaire tendent à évoluer d'une approche plus FonFs vers une approche plus FonF. Cette différence significative est accompagnée d’une grande taille d’effet, ce qui veut dire que la force de la relation statistique est importante.
Ensuite, les résultats de la troisième paire indiquent que la préférence des futurs enseignants entre l'enseignement implicite ou explicite semble changer très peu au fur et à mesure qu'ils progressent dans leur formation (X̄ = 3,05). L'ANOVA à deux facteurs a par ailleurs confirmé l'absence d'interaction avec la variable année (F1,149 = 1.701, p = .194, eta-carré partiel = .011). En d’autres mots, les résultats ne suggèrent aucune préférence de futurs enseignants de LA pour un enseignement implicite ou explicite, et que cette croyance évolue peu avec le temps.
Finalement, les analyses statistiques se rapportant à la variable dépendante enseignement inductif et enseignement déductif n'ont révélé aucune interaction avec la variable année (F1,149 = 2.305, p = .131, eta-carré partiel = .015), ce qui suggère que les croyances des enseignants en formation initiale concernant leur préférence pour un enseignement inductif n'évoluent pas de manière significative avec le temps. Par conséquent, la préférence des enseignants en formation pour l'enseignement inductif se maintient avec le temps, mais sa progression ne s'est pas avérée significative.
En somme, la réponse à la deuxième question révèle une interaction entre la variable année et la variable dépendante FonF et FonFs. Les enseignants en formation initiale ont tendance à s'orienter vers un enseignement plus axé sur la FonF avec le temps, et ce résultat s’est avéré significatif. Toutefois, les trois autres paires n’ont dévoilé aucun changement significatif dans les croyances au fur et à mesure que les enseignants en formation progressent dans leur programme d'études.
4. Discussion
Dans l'ensemble, les résultats de cette étude indiquent les tendances suivantes concernant l’enseignement de la grammaire : les enseignants en formation initiale ont tendance à privilégier une approche axée sur la forme par rapport à une approche axée sur le sens, un enseignement FonFs plutôt que FonF, un enseignement explicite par rapport à un enseignement implicite, et un enseignement inductif à un enseignement déductif. De plus, leurs croyances changent peu au fur et à mesure qu’ils progressent dans leurs programmes d’études. Toutefois, une évolution marquée d’un enseignement FonFs vers un enseignement FonF a été notée. Les résultats de cette étude, une réplication de Graus et Coppen (2016) dans une différente région et avec une autre langue, seront comparés avec ceux de Graus et Coppen (2016) ainsi que la littérature existante.
4.1. Croyances déclarées sur l’enseignement de la grammaire
Les participants interrogés dans Graus et Coppen (2016) ont exprimé les mêmes croyances que ceux de cette étude pour les quatre dichotomies. Toutefois, les croyances chez les étudiants néerlandais se sont montrées plus prononcées que celles des étudiants du Québec.
Les étudiants néerlandais de premier cycle en anglais langue étrangère (EFL) en début de formation préparatoire en enseignement ont indiqué une préférence pour une approche axée sur la forme, ce qui était le cas également pour les étudiants en fin de programme, mais dans une moindre mesure (Graus et Coppen, 2016). D’autres recherches menées au Québec ont également montré que les enseignants d'anglais et de français langue seconde en exercice intègrent une approche axée sur la forme dans leurs classes et estiment que d’amener les apprenants à être capables de s'exprimer avec précision est « importante » ou « très importante », et ce autant pour l'expression orale qu’écrite (Jean et Simard, 2011). Dans un contexte différent, au Japon, trois enseignants du secondaire considèrent que la connaissance explicite de la grammaire est essentielle à l'apprentissage de la L2 et qu’une approche axée sur la forme est donc un élément important de l'enseignement de l'anglais (Nishimuro et Borg, 2013). Ces enseignants croient qu'avant de maitriser une notion linguistique, les apprenants doivent développer des connaissances explicites de celle-ci.
4.2. L’évolution des croyances au fil de la formation préparatoire en enseignement
Les résultats des étudiants de premier cycle aux Pays-Bas ont montré un changement dans les croyances au fil du temps pour les quatre dichotomies (Graus et Coppen, 2016), ce qui reflète une tendance divergente par rapport à notre étude. Les étudiants de premier cycle en deuxième moitié de parcours (années 3 et 4) ont obtenu un score plus faible pour toutes les dichotomies, indiquant une évolution vers un enseignement axé sur le sens, combiné à un enseignement de la forme, implicite et inductif avec le temps. La différence entre les résultats de notre étude et ceux de Graus et Coppen (2016) est intéressante, car leur questionnaire a été repris et adapté à notre contexte. Cette différence est difficile à comprendre, car les programmes de formation des enseignants et les programmes gouvernementaux semblent partager la même idée de donner la priorité à un enseignement axé sur le sens et fondé sur les objectifs communicatifs. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour comprendre comment les croyances des enseignants évoluent avec le temps dans différents contextes.
Les résultats obtenus corroborent la théorie de l’apprentissage par observation. Les croyances des enseignants en début de formation sont formées principalement par leurs expériences d’apprentissage antérieures dans les salles de classe (Borg, 2015; Lortie, 1975). Ces expériences antérieures semblent refléter un enseignement plus traditionnel, ce qui correspond à un enseignement FonFs. En effet, le matériel pédagogique mis à la disposition des enseignants et des élèves contient un nombre important d’exercices décontextualisés, ce qui porte à croire que les apprenants de LA au Québec reçoivent essentiellement un enseignement traditionnel de la grammaire dans les salles de classe. De plus, les enseignants en formation initiale et en cours d'emploi déclarent se souvenir de leurs propres professeurs de langue en train d'enseigner la grammaire (Lortie, 1975; Moodie, 2016). L'exposition à de nombreuses heures d'enseignement explicite de la grammaire dans les classes de langues peut expliquer en partie l'accord commun des enseignants de langues sur l'importance donnée à l'enseignement de la grammaire dans leurs pratiques d'enseignement. En conséquence, les expériences antérieures de l’apprenant de LA semblent exercer une influence considérable sur les décisions que prennent les enseignants lorsqu’ils débutent leur formation universitaire. Ceux-ci entretiendraient une vision réductrice de l’enseignement de la langue, de sorte qu’ils peuvent être amenés à enseigner des structures grammaticales de manière isolée.
5. Conclusion
L’objectif de cette étude transversale était d’examiner les croyances des enseignants en formation d’anglais et de français LA sur l’enseignement de la grammaire. Cette recherche visait également à déterminer s’il existait une interaction entre les croyances des enseignants en formation initiale en fonction de leur progression dans le programme d’études de quatre ans. Pour répondre à ces objectifs, le questionnaire créé et validé par Graus et Coppen (2016) a été adapté et utilisé.
Dans l’ensemble, les résultats n’ont montré que peu de changements dans les croyances chez les deux groupes d’enseignants en formation initiale selon leur progression dans leur programme d’études. En d’autres mots, les futurs enseignants du groupe années 1 et 2 montraient des croyances assez similaires à ceux du groupe années 3 et 4.
Toutefois, il convient d’être prudent dans l'interprétation des résultats, car peu de données ont été collectées auprès des étudiants de deuxième année, ce qui ne nous a pas permis de comparer les données entre les quatre différentes années.
Cette recherche a contribué à faire avancer les connaissances sur les croyances des enseignants sur l'enseignement de la grammaire et sur la formation des enseignants. Des questions persistent cependant sur les raisons pour lesquelles les expériences antérieures d'apprentissage semblent être plus tenaces dans la formation de croyances que les cours suivis pendant les programmes de formation des enseignants, au cours desquels les étudiants apprennent les bases théoriques et empiriques de bonnes pratiques d'enseignement de la grammaire. Puisque l’enseignement de la grammaire d’une langue cible contribue au développement de la précision (Loewen, 2020), et que les enseignants déclarent incorporer l’enseignement de la grammaire dans leurs pratiques (Borg, 2015), plus de recherches avec différents devis, sont nécessaires pour mieux comprendre les motivations derrière les décisions qu’ils prennent concernant leurs choix didactiques.
Appendices
Annexe
Questionnaire (version en français)
Veuillez indiquer votre degré d’accord ou de désaccord pour les affirmations suivantes concernant l’enseignement de la grammaire.
Selon moi,…
1. = très en désaccord
2. = en désaccord
3. = ni en accord ni en désaccord
4. = en accord
5. = très en accord
La grammaire devrait faire partie intégrante d’une classe de français langue seconde.
La grammaire française devrait être enseignée à l’aide de cahiers d’exercices.
Les enseignants devraient porter attention à la grammaire dans la classe de français langue seconde.
Dans la classe de français, il n’est pas nécessaire de discuter de la grammaire. L’accent devrait être mis sur apprendre à communiquer.
Les leçons de français devraient se centrer uniquement sur la communication (sans enseignement de la grammaire).
La grammaire française ne devrait pas être traitée dans le matériel didactique.
La grammaire devrait occuper une place prépondérante dans la classe de français.
Le matériel didactique devrait systématiquement adresser les notions linguistiques.
Les enseignants devraient enseigner la grammaire séparément durant une leçon.
Les enseignants devraient porter attention à une structure grammaticale seulement si les élèves semblent rencontrer des difficultés avec cette dernière.
Si les élèves ne font pas de faute reliée à une structure grammaticale cible, les enseignants ne devraient pas donner d’explications de la règle sous-jacente.
L’enseignement d’une règle grammaticale est utile seulement si les élèves font des fautes en utilisant la structure régie par ladite règle.
Lorsque la grammaire est enseignée, l’enseignant devrait discuter des règles de grammaire.
Pour que l’apprenant puisse maitriser la grammaire de la langue seconde, l’enseignant devrait fournir des règles grammaticales clairement définies.
Des règles de grammaire explicites sont primordiales pour les élèves afin qu’ils apprennent la grammaire.
Le meilleur type d’enseignement de la grammaire consiste en la présentation de plusieurs exemples d’une structure grammaticale cible sans discuter de la règle sous-jacente avec les élèves.
La meilleure façon pour les élèves de maitriser la grammaire est en traitant des exemples de la grammaire en contexte sans présentation de règles.
Les élèves acquièrent la grammaire en traitant plusieurs exemples de la structure grammaticale cible (sans la règle).
L’enseignant(e) devrait présenter une règle de grammaire à la place que les élèves la découvrent par eux-mêmes.
Il est mieux que les enseignants expliquent une règle de grammaire plutôt que de laisser les élèves l’inférer à l’aide d’exemples.
Il est plus efficace de fournir une règle aux élèves que de leur demander de découvrir la règle à partir d’exemples.
Il est mieux de laisser les élèves inférer une règle à partir d’exemples que de leur fournir une règle au préalable.
Amener les élèves à découvrir une règle à partir d’exemples constitue une meilleure façon d’enseigner la grammaire que de présenter une règle.
Demander aux élèves de découvrir une règle est une meilleure façon d’enseigner la grammaire que lorsque les enseignants présentent la règle par eux-mêmes.
Note
-
[1]
Le devis quasi longitudinal nous permet de parler d’une certaine évolution. Les mêmes participants n’ont pas été sondés chaque année.
Bibliographie
- Borg, S. (2015). Teacher cognition and language education: Research and practice. Bloomsbury Publishing.
- Borg, S. (2019). Language teacher cognition: Perspectives and debates. Dans Gao, X. (dir.), Second handbook of English language teaching (p.1149-1170). Springer International Handbooks of Education.
- DeKeyser, R. (2005). What makes learning second‐language grammar difficult? A review of issues. Language Learning, 55(S1), 1-25.
- Ellis, R. (2008). The study of second language acquisition (2e éd.). Oxford University Press.
- Ellis, R. et Shintani, N. (2013). Exploring language pedagogy through second language acquisition research. Routledge.
- Fortin, M. F. et Gagnon, J. (2016). Fondements et étapes du processus de recherche : méthodes quantitatives et qualitatives. Chenelière éducation.
- Germain, C. (1993). Évolution de l’enseignement des langues : 5000 ans d’histoire. CLE international et HMH.
- Goo, J., Granena, G. Yilmaz, Y. et Novella, M. (2015). Implicit and explicit instruction in L2 learning: Norris and Ortega (2000) revisited and updated. Dans P. Rebuschat (dir.), Implicit and explicit learning of languages (p. 443-482). John Benjamins.
- Graus, J. et Coppen, P. A. (2016). Student teacher beliefs on grammar instruction. Language Teaching Research, 20(5), 571-599.
- Jean, G. et Simard, D. (2011). Grammar teaching and learning in L2: Necessary, but boring? Foreign Language Annals, 44(3), 467-494.
- Larsen-Freeman, D. et Anderson, M. (2013). Techniques and principles in language teaching 3rd edition-Oxford handbooks for language teachers. Oxford university press.
- Limesurvey GmbH. / LimeSurvey: An Open Source survey tool /LimeSurvey GmbH, Hamburg, Germany. URL http://www.limesurvey.org
- Loewen, S. (2020). Introduction to instructed second language acquisition (2e éd.). Routledge.
- Long, M. H. (1991). Focus on form: A design feature in language teaching methodology. Foreign Language Research in Cross-Cultural Perspective, 2(1), 39-52.
- Long, M. H. (2014). Second Language Acquisition and Task-Based Language Teaching. Wiley Blackwell.
- Lortie, D. (1975). Schoolteacher: A sociological study. University of Chicago Press.
- Mackey, A. et Gass, S. M. (2021). Second language research: Methodology and design. Routledge.
- Moodie, I. (2016). The anti-apprenticeship of observation: How negative prior language learning experience influences English language teachers’ beliefs and practices. System, 60, 29-41.
- Nishimuro, M. et Borg, S. (2013). Teacher cognition and grammar teaching in a Japanese high school. JALT journal, 35(1), 29-50.
- Norris, J. M. et Ortega, L. (2000). Does type of instruction make a difference? Substantive findings from a meta‐analytic review. Language Learning, 51(S1), 157-213.
- Paquet, P. L. et Woll, N. (2021). Debunking student teachers’ beliefs regarding the target-language-only rule. Dans J. Pinto et N. Alexandre (dir.), Multilingualism and third language acquisition: Learning and teaching trends (p. 95-116). Language Science Press.
- Payant, C. et Bell, P. (2022). “Very easy, it’s an English class, therefore they should not rely on a French text” English language teachers’ beliefs regarding L1 use for literacy instruction. Language Teaching for Young Learners, 4(1), 143-170.
- Phipps, S. et Borg, S. (2009). Exploring tensions between teachers’ grammar teaching beliefs and practices. System, 37(3), 380-390.
- Sanchez, H. S. et Borg, S. (2014). Insights into L2 teachers’ pedagogical content knowledge: A cognitive perspective on their grammar explanations. System, 44, 45-53.
- Sato, M. et Loewen, S. (2022). The Research-Practice Dialogue in Second Language Learning and Teaching: Past, Present, and Future. Modern Language Journal, 106(3), 509-527.
- Simard, D. et Jean, G. (2011). An exploration of L2 teachers’ use of pedagogical interventions devised to draw L2 learners’ attention to form. Language Learning, 61(3), 759-785.
- Yuan, R. et Lee, I. (2014). Pre-service teachers’ changing beliefs in the teaching practicum: Three cases in an EFL context. System, 44, 1-12.