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Premier janvier 2019. Le Centre de recherche en civilisation canadienne-française (CRCCF) de l’Université d’Ottawa tourne la page sur une année significative. Les commémorations entourant ses soixante ans d’existence, célébrés le 2 octobre 2018, ont pris fin. Soixante ans d’acquisition et de traitement de documents d’archives portant sur le Canada français[1], et plus particulièrement sur l’Ontario français, du XVIIIe au XXIe siècle. Qu’en penseraient ses fondateurs, ces quatre professeurs de littérature de l’Université d’Ottawa qui, en 1958, désiraient mettre à l’avant-plan la littérature canadienne-française plutôt que celle venant d’outre-mer ? Ils n’imaginaient certainement pas que toute une communauté utiliserait le Centre pour y accumuler et y conserver une mémoire francophone. Au fil des ans, le CRCCF est devenu un véritable lieu de mémoire, tel que l’a conceptualisé l’historien Pierre Nora en 1984[2] ; un lieu qui a servi de repère mémoriel au lendemain des luttes linguistiques, juridiques, politiques et culturelles qui ont pris place en Ontario. Ce faisant, le CRCCF a répondu au devoir de mémoire des francophones du Canada, notamment au sein de la communauté franco-ontarienne, contribuant à façonner son identité collective :

Dans toutes les sociétés, grandes et petites, les lieux de mémoire jouent comme ciment identitaire. Pour la francophonie canadienne, ils se révèlent un passage d’autant plus obligé que son territoire reste à parfaire, et que son passé se prête à de multiples interprétations.

Gilbert, Bock et Thériault, 2010, p. 4

Premier centre d’archives à s’intéresser aux francophones hors Québec, le CRCCF est aujourd’hui l’un des plus importants dépôts documentaires francophones au Canada à l’extérieur de la Belle Province. Il a pavé la voie à plusieurs communautés qui désiraient rassembler en un seul endroit leur patrimoine documentaire, pour ainsi pérenniser leur mémoire et leur histoire. Après soixante ans à oeuvrer pour la conservation des archives francophones au Canada, il est temps de dresser un bilan des réalisations du CRCCF[3], de faire le point sur ce qui a été accompli au cours des dernières décennies et sur les défis et les enjeux qui s’annoncent dans les prochaines années.

1. L’évolution du CRCCF

L’histoire du Centre débute en 1958, lorsque quatre professeurs de littérature française de l’Université d’Ottawa déplorent le peu de place accordée à la littérature canadienne-française dans le cursus et la recherche universitaires. La littérature française, avec ses classiques bien connus, accapare professeurs et étudiants, au détriment des oeuvres et des auteurs canadiens. Paul Wyczynski, le père oblat Bernard Julien, Jean Ménard et Réjean Robidoux décident donc de fonder le Centre de recherche en littérature canadienne-française (CRLCF) de l’Université d’Ottawa, qui deviendra le Centre de recherche en civilisation canadienne-française en 1969. Il s’agit du plus ancien centre de recherche consacré à la littérature, à la culture et à l’histoire du Canada français. Dès les tout premiers débuts, les archives y occupent une place centrale ; les fondateurs, grâce à leurs réseaux professionnels et personnels et par le biais de leurs recherches universitaires, amassent des documents qui témoignent de l’évolution de la littérature canadienne-française et de ses principaux protagonistes. Comme le note l’archiviste Michel Lalonde dans l’ouvrage du cinquantième du CRCCF, « la collection du Centre, ce fut d’abord le corpus de ses chercheurs fondateurs […]. Dès la fondation donc, les ressources documentaires occupaient au Centre une place aussi importante que la recherche… » (Frenette, 2008, p. 51).

Sept ans après la fondation du CRLCF, en 1965, l’Université d’Ottawa se laïcise et devient officiellement publique. Dans ce contexte, la recherche occupe une place de plus en plus importante. Cela n’échappe pas au doyen de la Faculté des arts, le père Joseph-Marie Quirion, qui entrevoit, dès 1967, d’élargir le mandat du CRLCF. Un volet concernant l’histoire est bientôt instauré. En 1968, le premier archiviste est d’ailleurs embauché pour traiter les fonds d’archives et les rendre accessibles aux chercheurs. Au printemps 1969, la Faculté des arts adopte finalement une résolution qui transforme le CRLCF en centre de recherche interdisciplinaire, le CRCCF (Frenette, 2008, p. 29). Dans le premier Bulletin du CRLCF, le directeur et fondateur Paul Wyczynski exprime bien la finalité du Centre :

À l’Université d’Ottawa, dans le domaine précis de la civilisation canadienne-française, le Centre veut servir de lieu de convergences. Ouvert aux idées nouvelles, à l’esprit créateur des chercheurs, il engage le dialogue avec les spécialistes d’ici et de l’extérieur […]. Notre objectif général est le travail en profondeur, centré sur les problèmes culturels précis, greffés sur la vie passée et présente du Canada français.

Wyczynski, 1970, p. 3

Lieu de mémoire, lieu de convergences, lieu de dialogues : le mandat initial du CRCCF se révèle ambitieux !

Rattaché à la Faculté des arts, le CRCCF, par le biais de ses différentes activités, s’inscrit en continuité avec le mandat confié en 1965 à l’Université d’Ottawa par l’Assemblée législative de l’Ontario, soit de « préserver et de développer la culture française en Ontario ». Selon ses statuts, modifiés et approuvés par le comité exécutif de la Faculté des arts de l’Université d’Ottawa en 2012, le CRCCF a pour mission de développer la recherche interdisciplinaire sur la société et la culture des communautés francophones de l’Amérique du Nord d’hier et d’aujourd’hui. Pour ce faire, il repose sur trois piliers bien distincts : les publications, la recherche et les archives. Le premier pilier consiste en quatre publications francophones. La revue Francophonies d’Amérique, fondée en 1991, publie des recherches axées sur les différentes aires socioculturelles francophones en Amérique. La revue Mens, lancée en 2000, se consacre à l’histoire des idées et de la culture en Amérique française. La collection Archives des lettres canadiennes, créée par le CRCCF en 1960, se spécialise pour sa part dans la production littéraire du Canada français. La collection Amérique française, également lancée par le CRCCF en 1993 et publiée aux Presses de l’Université d’Ottawa, regroupe quant à elle des ouvrages portant sur les sociétés et cultures francophones en Amérique. Le second pilier du CRCCF se concrétise par l’animation scientifique, la mise sur pied de projets de recherche, leur diffusion, l’organisation de tables rondes, de colloques et de conférences[4]. Enfin, le dernier pilier prend la forme d’un véritable centre d’archives, qui acquiert, conserve et met en valeur de riches fonds et collections d’archives, en plus d’offrir d’importantes ressources documentaires. Il révèle ainsi un abondant matériel de recherche : documents textuels, documents photographiques, documents sonores et audiovisuels, documents informatiques, journaux et périodiques, monographies et ouvrages de référence. Cette masse documentaire, qui est ouverte à la consultation publique, provient autant du Québec, de l’Ontario, de l’Acadie, des provinces de l’Ouest que de certaines parties des États-Unis. Un catalogue numérique et des expositions virtuelles permettent de naviguer parmi les nombreuses thématiques abordées par ces archives[5].

L’un des principaux objectifs du CRCCF est de promouvoir la recherche sur tous les aspects de la culture et de l’histoire canadienne-française. Si sa mission initiale reposait sur la littérature, les orientations et les activités du CRCCF ont rapidement englobé l’ensemble des sciences sociales et humaines : histoire, sociologie, économie, traduction, politique, études des femmes, communication, musique, éducation, linguistique, arts visuels, etc. Par ses objectifs et ses réalisations, le CRCCF a acquis d’emblée une réputation internationale. De nombreux chercheurs, provenant des quatre coins du monde, contactent le CRCCF pour obtenir des informations ou pour mettre en place un projet de recherche collaboratif. Le CRCCF maintient d’ailleurs une collaboration fructueuse avec d’autres groupes de recherches et d’autres associations culturelles qui partagent les mêmes objectifs, notamment en Acadie et au Manitoba. Dans le but d’encourager la recherche sur la culture canadienne-française, le CRCCF gère plusieurs projets de recherche menés par le corps professoral de l’Université d’Ottawa, souvent financés par des sources extérieures, et héberge des chaires de recherche axées sur la francophonie. Le CRCCF accueille également des chercheurs étrangers qui ont besoin de consulter des documents d’archives conservés dans ses locaux. Il leur offre ainsi un appui administratif, en mettant à leur disposition des espaces de bureau, des services de référence et de documentation ainsi que de l’aide à la recherche.

Après soixante ans d’existence, le CRCCF est devenu un lieu incontournable pour quiconque pose son regard sur le Canada français ; il accueille et répond annuellement à plus d’un millier de chercheurs. L’équipe professionnelle du CRCCF les assiste dans la recherche et la consultation de documents, que ce soit pour l’écriture d’une thèse, d’une histoire de famille, d’un reportage à la radio ou à la télévision. Les seules restrictions imposées sont celles émises par les donateurs des fonds d’archives ou par le cadre législatif. En plus de lancer des expositions virtuelles et d’approvisionner régulièrement son catalogue numérique en nouveaux documents, le CRCCF s’est récemment doté d’un espace d’exposition muséal pour mieux diffuser et faire connaître ses fonds d’archives[6]. Les archives forgent et façonnent la mémoire collective d’une société. Cet adage est au coeur des activités du CRCCF. Les individus et les organismes qui font don de leurs archives au CRCCF contribuent ainsi à la conservation pérenne et au développement d’un héritage collectif commun.

2. Une mémoire franco-canadienne bien vivante

Dans les années 1960, devant l’intérêt grandissant du corps professoral du département de littérature de l’Université d’Ottawa envers les auteurs et les oeuvres du Canada français, le CRLCF en a profité pour acquérir des documents provenant de l’École littéraire de Montréal. Fondée en 1895, cette école regroupe des écrivains et des poètes de la « génération nouvelle », dont l’objectif est de « travailler avec tout le soin et toute la diligence possibles à la conservation de la langue française et au développement de notre littérature nationale[7] » (Statuts de l’École littéraire de Montréal, s.d.). Le fonds École littéraire de Montréal, créé en 1958, représente d’ailleurs le premier fonds d’archives d’organismes du CRLCF. L’acquisition de ce fonds ouvre alors une période très riche pour le secteur des archives du Centre. À partir de ce moment, le CRLCF reçoit maints fonds d’archives de membres de l’École, passionnés de littérature canadienne-française, qui lui laissent leurs recherches, leurs oeuvres et leur correspondance. C’est le cas notamment de l’écrivain et traducteur Jean Charbonneau (1875-1960) (fonds P2), de l’auteur et journaliste Albert Laberge (1871-1960) (fonds P6), du libraire, journaliste et poète Louis-Joseph Béliveau (1874-1960) (fonds P254), ou encore de Séraphin Marion (1896-1983), fonctionnaire aux Archives publiques du Canada de 1925 à 1955 et professeur de littérature canadienne à l’Université d’Ottawa de 1926 à 1954 (fonds P106). Dès sa fondation, le CRLCF conserve donc les archives de « Louvigny de Montigny, des documents littéraires et iconographiques concernant Gaston de Montigny et Charles Gill et plusieurs lettres de Joseph Melançon, de Louis Dantin, de Gonzalve Desaulniers, d’Émile Nelligan, de Gérin-Lajoie… » (Julien, Wyczynski, Robidoux et Ménard, 1958, p. 1). Il s’agit aussi du seul centre d’archives qui « possède en microfilm tous les procès-verbaux de l’École littéraire de Montréal » (Julien, Wyczynski, Robidoux et Ménard, 1958, p. 1).

Axé d’abord et avant tout sur le monde littéraire québécois, le CRLCF des années 1960 va cependant rapidement élargir ses horizons, notamment grâce aux associations franco-ontariennes qui manifestent leur désir de pérenniser leurs archives historiques. L’initiateur de ce mouvement est l’Association canadienne-française de l’Ontario qui se réunit en 1969 pour redéfinir son mandat (« [l]a promotion constante des intérêts des Ontariens de langue française et leur épanouissement dans tous les domaines » [Association canadienne-française de l’Ontario, s.d.]) et qui en profite pour entériner la décision de céder ses archives au CRCCF (fonds C2). Cette date marque un tournant important dans l’avenir du CRCCF et dans le développement de sa collection. Dès lors, le centre devient véritablement le lieu de mémoire documentaire de la communauté franco-ontarienne. De nombreuses organisations et associations vont suivre l’exemple de l’ACFO. En 1970, l’Ordre de Jacques Cartier, célèbre société nationale secrète fondée à Vanier (Ottawa) en 1926, cède ainsi ses archives au CRCCF (fonds C3). Deux ans plus tard, c’est l’Association de la jeunesse franco-ontarienne, fondée en 1949, et l’Association des écoles secondaires privées franco-ontariennes, créée en 1965, qui se tournent vers le CRCCF (fonds C9 et C10). Et, en 1975, c’est au tour de la Fédération des sociétés Saint-Jean-Baptiste de l’Ontario, instaurée en 1853, de faire de même (fonds C19), bientôt suivie par l’Union du Canada, une société de secours mutuel et d’assurances créée en 1863 sous le nom d’Union Saint-Joseph d’Ottawa (fonds C20), et de l’Association française des conseils scolaires de l’Ontario, fondée en 1944 (fonds C11).

Au cours des dernières décennies, le CRCCF s’est également enrichi de bon nombre de fonds d’archives et de collections d’artistes franco-ontariens. Des auteurs, des artistes visuels, des metteurs en scène, des photographes, des réalisateurs et des éditeurs ont confié leurs archives au CRCCF, au grand bonheur des chercheurs d’ici et d’ailleurs qui peuvent maintenant explorer de nouvelles thématiques de recherche. Pensons ainsi aux fonds Éditions L’Interligne (fonds C86), Théâtre Action (C64), Festival franco-ontarien (C90), Daniel Poliquin (P211), Michèle Matteau (P374), Joël Beddows (P382), Suzanne Joubert (P349), Jean Marc Larivière (P386), etc. Si la scène artistique et culturelle franco-ontarienne offre un éventail de disciplines, le CRCCF tente du mieux qu’il peut de la représenter dans ses collections. À l’heure actuelle, en 2019, le CRCCF conserve 599 fonds d’archives, soit 417 provenant d’individus et 182 provenant d’organismes. La grande majorité d’entre eux sont postérieurs aux années 1850 ; les archives concernant l’Ontario et couvrant la période antérieure étant conservées aux Archives publiques de l’Ontario. Ces 599 fonds représentent plus de trois kilomètres linéaires de documents, dont plus de 1,5 million de documents photographiques et plus de 15 000 heures d’enregistrements audiovisuels.

3. Des acquisitions réfléchies

Afin de remplir sa mission, le CRCCF dispose d’une politique d’acquisition qui détermine les axes de développement de sa collection. Pour être acquis, un fonds doit témoigner de la culture du Canada français, de la francophonie d’Ottawa et de la région de la capitale nationale, des francophonies de l’Ontario et de leur réseau associatif ou, plus largement, du réseau communautaire franco-canadien. Les fonds d’archives peuvent également être acquis s’ils répondent aux projets de recherche du CRCCF, qui reposent sur la francophonie et l’identité de la région d’Ottawa, sur l’éducation en langue française en Ontario, sur la littérature et le théâtre en Ontario français, sur les institutions et les associations de langue française en Ontario et au Canada, ou sur le français écrit et parlé en Ontario.

Une première politique d’acquisition a été adoptée le 29 avril 1981 devant le rapide accroissement des fonds d’archives :

Par suite de la grande quantité de documents parvenus au Centre au cours de l’année dernière, le besoin s’est fait sentir d’élaborer une politique d’acquisition des archives afin d’éviter que le dépôt du Centre ne s’engage dans des voies qui outrepasseraient son développement méthodique. Le Centre acquiert des collections concernant le Canada français. Par « Canada français » on entend d’abord l’Ontario français et le Québec.

CRCCF, 1981

À partir de 1981, l’acquisition se fait dorénavant uniquement par don ; aucun budget d’acquisition n’est accordé au CRCCF. Cette politique d’acquisition ne sera revue par le responsable des archives et entérinée par le Comité des archives du CRCCF que le 18 novembre 2014. Après un peu plus de 33 ans, une mise à jour de la politique était devenue nécessaire pour répondre aux nouveaux besoins de recherche des chercheurs ainsi que des étudiants et pour que le patrimoine documentaire demeure représentatif de l’ensemble de la société franco-ontarienne. À partir de l’automne 2014, la Politique d’acquisition des archives privées du CRCCF devient un outil privilégié, qui lui permet :

… d’acquérir le patrimoine archivistique de langue française nécessaire à la compréhension de la société, de la culture et de l’identité collective des communautés francophones de l’Amérique du Nord d’hier et d’aujourd’hui, en particulier du Canada français (Ontario et Québec surtout) avant le tournant des années 1960-70, et l’Ontario depuis le tournant des années 1960-70.

CRCCF, 2014

Elle permet également de mieux « encadrer la gestion de l’acquisition d’archives privées au CRCCF » et de « répondre aux besoins des chercheurs et aux courants de recherche prévisibles, en s’appuyant notamment sur l’expertise des membres du Comité des archives du CRCCF ».

Plusieurs principes sont à la base de la politique d’acquisition et orientent les priorités, les champs et les mécanismes d’acquisition. D’abord :

… l’acquisition d’archives se fait dans le respect des principes et des méthodes de la discipline archivistique et des pratiques archivistiques reconnues. Les acquisitions sont faites selon le principe de respect des fonds (provenance), afin d’assurer l’intégrité, de préserver la valeur de témoignage et d’éviter la dispersion des fonds d’archives.

CRCCF, 2014

Si le CRCCF privilégie l’acquisition de fonds d’archives, il peut exceptionnellement procéder à l’acquisition de collections ou de pièces isolées. Ensuite, le CRCCF applique dans ses acquisitions :

… le principe de communauté (territorialité adaptée) selon lequel le patrimoine documentaire créé par les personnes et organismes d’une collectivité régionale doit être conservé et mis en valeur d’abord et avant tout, pour le bénéfice de cette collectivité, qui y trouvera une part importante de sa mémoire et de son identité. L’acquisition d’archives se fait dans le respect des politiques d’acquisition des autres services d’archives et en tenant compte de la liberté des donateurs. En cas d’incapacité par les services d’archives partenaires de réaliser une acquisition résultant normalement de l’application de leur politique d’acquisition, le CRCCF peut, exceptionnellement et après concertation, jouer un rôle de suppléance.

L’acquisition d’archives se fait en tenant compte de la capacité du CRCCF de les rendre accessibles – cette capacité dépendant, entre autres, de l’état de conservation et de classement des archives, de la masse documentaire concernée, des conditions d’acquisition, des conditions d’accessibilité et des ressources financières, humaines et matérielles disponibles pour effectuer les opérations de traitement, de conservation et de diffusion. Une approche collaborative en amont avec les donateurs d’archives est ainsi privilégiée pour faciliter l’ensemble des processus du traitement archivistique.

CRCCF, 2014

Par ailleurs, le 9 mars 2005, le CRCCF a été désigné, par le ministre du Patrimoine canadien, établissement de catégorie « A », aux termes du paragraphe 32(2) de la Loi sur l’exportation et l’importation de biens culturels, pour les objets s’inscrivant dans le Groupe VII (pièces d’archives textuelles, pièces d’archives graphiques et enregistrements sonores) de la Nomenclature des biens culturels canadiens à exportation contrôlée. Cette désignation permet au CRCCF de présenter à la Commission canadienne d’examen des exportations de biens culturels des demandes d’attestation aux fins de l’impôt sur le revenu. Elle valorise grandement le don des organismes et des individus et leur confirme l’importance de leur héritage pour la mémoire collective canadienne. Elle est également un incitatif important dans le choix du CRCCF comme lieu de dépôt documentaire.

4. Défis et enjeux actuels

En soixante ans d’existence, le CRCCF a bien évidemment été confronté à plusieurs défis. Dans les années 1990, devant les compressions budgétaires qui ont touché les universités canadiennes, et devant les incertitudes qui ont plané sur la place du CRCCF au sein de l’Université d’Ottawa, un comité a été formé pour étudier de près la situation. Son rapport, déposé en 1997, s’est révélé brutal : il recommandait entre autres que le CRCCF soit rattaché à un nouvel Institut d’études canadiennes et que la gestion des archives passe aux mains de la bibliothèque universitaire. Les protestations ne se sont pas fait attendre, autant à l’intérieur qu’à l’extérieur du campus, poussant l’Université à revenir sur sa position. Le comité d’administration de l’Université a alors décidé de « maintenir le CRCCF qui, depuis bientôt quarante ans, est un instrument de promotion de la recherche sur le Canada français et le dépositaire des archives de la communauté franco-ontarienne[8] » (Frenette, 2008, p. 42). Aujourd’hui, si ses raisons d’être ne peuvent être mises en doute, d’autres enjeux touchent le CRCCF. Trois défis majeurs attendent d’ailleurs le secteur des archives au cours des prochaines années.

La question de l’espace d’entreposage pour un centre de recherche doté d’une politique d’acquisition de fonds d’archives privées, continuellement en expansion, a toujours été problématique pour les directeurs du CRCCF et pour l’administration de l’Université. Dès la fin des années 1960, l’espace d’entreposage du CRCCF au pavillon Simard de l’Université d’Ottawa était devenu exigu. En 1972, le CRCCF a donc emménagé dans l’édifice de la nouvelle bibliothèque universitaire, au pavillon Morisset, pour y demeurer jusqu’en 1983. À cette date, le personnel et les 300 fonds d’archives du CRCCF déménagent au pavillon Lamoureux, où ils resteront jusqu’en 2009. Un dernier déménagement rapatrie les 525 fonds d’archives à la promenade du pavillon Morisset, dans de nouveaux locaux disposant d’un magasin à la température et à l’humidité contrôlées. Pour répondre à l’ampleur de la masse documentaire conservée par le CRCCF, des entrepôts additionnels sont aménagés sur le campus secondaire de l’Université, sis avenue Lees à Ottawa, dont l’un offrant un caisson réfrigéré aux conditions ambiantes contrôlées. Même si, à l’époque, les différents intervenants ont planifié les besoins futurs du CRCCF, l’espace actuel tend malheureusement déjà à se raréfier, devant les nombreux ajouts aux fonds d’archives acquis antérieurement (notamment ceux des organismes encore actifs) et devant les nouvelles acquisitions qui se multiplient rapidement. L’espace d’entreposage des fonds d’archives et des collections du CRCCF deviendra donc, à courte échéance, un enjeu primordial auquel les autorités concernées devront porter attention. Pour l’instant, les partenariats avec la Bibliothèque de l’Université d’Ottawa et avec le service gérant la collection d’oeuvres d’art de l’Université se révèlent précieux : des espaces d’entreposage peuvent ainsi être partagés de manière temporaire en attendant de trouver une solution permanente. Des collaborations avec des organismes franco-ontariens, dont le Muséoparc Vanier, pourraient également permettre l’obtention de subventions pour aménager de nouveaux espaces d’entreposage communs.

La popularité du CRCCF auprès des donateurs d’archives représente paradoxalement le second défi auquel doit faire face le CRCCF. Si celui-ci est fier de représenter la communauté franco-ontarienne et d’en conserver la mémoire, et qu’il allège en ce sens le mandat des Archives publiques de l’Ontario[9], le personnel du secteur des archives du CRCCF, qui consiste en quatre archivistes (responsable des archives, archiviste à la référence, archiviste en audiovisuel et photographies, archiviste en informatique documentaire), ne suffit pas à la tâche. Le traitement archivistique connaît ainsi un retard assez important. Le plan stratégique du secteur des archives, mis en place pour les trois prochaines années, vise à réduire ce retard, notamment par l’accueil de stagiaires en archivistique, en histoire, en sciences de l’information et en technique de la documentation. L’octroi de subventions gouvernementales permet aussi de mener à terme des projets de numérisation et de traitement. Certains organismes donateurs acceptent également de couvrir les coûts d’embauche d’archivistes contractuels pour traiter leur fonds d’archives. Enfin, la possibilité d’organiser des campagnes de financement et de recevoir des dons privés demeure une avenue à explorer. Le plan stratégique prévoit aussi une meilleure formation auprès des donateurs actifs, afin de diminuer le travail de tri et d’élagage à la réception des documents.

La révolution qu’a engendrée le monde numérique pèse également sur les opérations courantes du CRCCF. Si les documents des versements des dernières décennies étaient majoritairement sur support textuel, une grande partie des donateurs actuels et futurs remettent et remettront au CRCCF des documents en format électronique. Que l’on pense aux courriels, aux tapuscrits ou aux documents audiovisuels, le CRCCF acquiert dorénavant une masse documentaire numérique de plus en plus imposante. Si la question de l’entreposage est déjà réglée – l’Université, et le CRCCF, disposant de serveurs informatiques et d’espace de stockage adéquats et sécuritaires – le mode de versement des documents, leur traitement et les moyens de les mettre à la disposition des chercheurs posent encore problème. Les documents sont versés sur CD-ROM, sur clé USB ou sur disque dur externe, en des formats qui ne sont pas toujours lisibles ou pérennes, sans toujours être bien identifiés et proprement classés. La rédaction d’une procédure sur les versements électroniques, et sa diffusion auprès des donateurs, s’avère ainsi essentielle. À l’inverse, les documents audiovisuels sur des supports analogiques requièrent maintenant, de manière plus ou moins urgente, une migration sur des supports numériques, le CRCCF ne disposant pas toujours des appareils de lecture nécessaires à leur visionnement. Si, jusqu’à présent, les documents électroniques ne sont pas souvent demandés par les chercheurs, il va de soi que ce sera le cas dans les prochaines décennies. Le CRCCF doit donc déjà réfléchir à la façon dont il les traitera et les rendra accessibles.

5. Bon 60e anniversaire !

En 1989, le directeur général de l’ACFO, Fernand Gilbert, transmet à Réjean Robidoux, alors directeur du Centre, un fervent plaidoyer en sa faveur. Selon lui, écrit-il, « le rayonnement du CRCCF ne se limite [pas à] sa fonction proprement scientifique ; le Centre a un rôle premier à jouer au niveau de l’accès de l’ensemble de la population franco-ontarienne à un savoir sur elle-même[10] ». Monsieur Gilbert ne pouvait mieux dire. Ce rôle de lieu d’accès au savoir et à la mémoire, le CRCCF l’a joué au cours des soixante dernières années et le joue encore aujourd’hui. La nécessité d’offrir aux francophones du Canada l’opportunité de mieux se connaître à travers le riche patrimoine documentaire qu’il met à leur disposition fait partie prenante de sa mission. En 2019, la diffusion de la recherche et des archives est au coeur des politiques et des activités du CRCCF. Malgré les défis qui s’annoncent, il faut applaudir au travail réalisé par les archivistes du CRCCF d’hier et d’aujourd’hui. Sans eux et sans les sources archivistiques si longuement consultées, les chercheurs qui gravitent autour du Centre n’auraient pu éclairer les mille facettes de l’histoire du Canada français.