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Créée en 1967, l’Association des archivistes du Québec (AAQ) regroupe plus de 650 gestionnaires de documents et d’archivistes professionnels, majoritairement du Québec, qui oeuvrent au sein d’organismes publics et privés. Ses membres assurent une saine gestion des documents et des archives ainsi que l’intégrité, l’intelligibilité, l’authenticité et la pérennité des informations qu’ils détiennent, participant ainsi au maintien et au développement de la démocratie, à la transparence des organismes et au respect des droits des personnes tout en garantissant la constitution d’une mémoire nationale.

L’AAQ travaille en étroite collaboration avec Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) et participe activement aux activités du Conseil canadien des archives (CCA) et du Conseil international des archives (ICA). Elle s’insère donc dans l’infrastructure archivistique nationale et internationale, et participe aux actions que celle-ci met en oeuvre.

L’AAQ compte à son crédit plusieurs interventions publiques. Ses membres se sont toujours sentis concernés par les mesures prises par le législateur en matière de gestion des archives, d’accès à l’information, de protection des renseignements personnels ainsi que de préservation et d’accessibilité de notre patrimoine culturel, y compris celui de nature numérique. Ainsi, l’AAQ a présenté plusieurs mémoires depuis sa fondation. Ses interventions auprès des gouvernements sur des dossiers majeurs démontrent son dynamisme et son expertise en archivistique. Et c’est toujours dans un but de collaboration que nous présentons le présent mémoire.

1. SOMMAIRE

L’AAQ accueille favorablement les démarches entreprises par le ministère de la Culture et des Communications en vue du renouvellement de la politique culturelle datant de 1992. Il nous semble très important de moderniser l’État, ses lois, ses règlements et ses politiques, en tenant compte des réalités actuelles.

Nous croyons que les huit grands principes qui orientent la production de la prochaine politique culturelle du Québec sont tout à fait pertinents dans leur ensemble et peuvent servir d’assises à cette dernière. Ils évoquent nos racines francophones, notre identité et nos relations avec les autres peuples d’ici et d’ailleurs. Ils rappellent l’importance de la culture dans notre société et évoquent la participation de tous les citoyens, cette contribution étant par ailleurs primordiale, dans l’affirmation de nos caractères politique et artistique.

L’AAQ est particulièrement interpellée par les principes énoncés par le ministre qui soulignent le caractère essentiel de la culture ainsi que la participation, la contribution et l’accès de tous à celle-ci par le Web, évidemment, mais aussi par une présence régionale et locale. Pour assurer la longévité de ces principes, l’engagement de l’État doit être non seulement soutenu, mais également augmenté.

Nos recommandations en bref :

  1. Assurer une place prépondérante aux archives dans la nouvelle politique culturelle, en tant que vecteur essentiel de nos connaissances culturelles, artistiques, historiques et patrimoniales.

  2. Assurer aux archivistes une place significative en tant qu’acteur dans la préservation du patrimoine culturel québécois.

  3. Effectuer une refonte complète de la Loi sur les archives (RLRQ, chapitre A-21.1) pour assurer la constitution, la préservation et la mise en valeur du patrimoine documentaire québécois.

  4. Revoir la Loi sur les archives (RLRQ, chapitre A-21.1) pour s’adapter aux pratiques actuelles et favoriser la transition numérique des documents à valeur pérenne tout en en garantissant l’authenticité, l’intégrité et la fiabilité.

  5. Insérer dans la Loi sur les archives (RLRQ, chapitre A-21.1) une référence directe à la présence régionale et aux activités de diffusion de BAnQ.

  6. Revoir le titre de la loi pour qu’il soit changé par « Loi sur la gestion des archives », titre plus dynamique et correspondant mieux aux pratiques.

  7. S’engager à offrir un financement public favorisant la pérennité et le rayonnement des services d’archives locaux en améliorant leur capacité de préserver, de rendre accessible et de promouvoir le patrimoine documentaire.

2. CARACTÈRE ESSENTIEL DE LA CULTURE

Les enjeux culturels du Québec d’aujourd’hui sont fragiles à l’heure de la mondialisation des contenus culturels et des échanges virtuels, qui ne nécessitent plus les endroits d’échanges traditionnels. La culture n’est plus le vase clos des théâtres, des musées, des salles de concert ou de spectacles, des bibliothèques ou des centres d’archives.

Elle devient plutôt la réalité d’une quantité de nouveaux modèles de création, individuels ou collectifs et d’oeuvres numériques qui sont souvent diffusées à l’échelle mondiale. Ajoutons à cela la transmission des savoirs et des connaissances en temps réel par le biais du Web. Le monde vit depuis quelque temps une véritable et rapide révolution qui élimine toutes les frontières du temps et de l’espace. Le Québec doit nécessairement être proactif et présent s’il veut être entendu, écouté, lu, visionné, consulté partout dans la francophonie ou dans le monde.

L’AAQ estime cependant que les domaines des archives et du patrimoine documentaire sont les grands oubliés du cahier de consultation présenté par le Ministère. Il s’agit pour nous d’un recul important sur la reconnaissance des archives comme patrimoine culturel du Québec.

Les archives sont la source de toutes publications scientifiques et d’oeuvres artistiques à saveur historique qui s’appuient sur des documents authentiques. Pensons au Moulin à images de Robert Lepage et à plusieurs autres oeuvres théâtrales qui s’appuient sur les documents d’archives, notamment Sauvageau, Sauvageau, la pièce du Théâtre Blanc qui repose essentiellement sur les manuscrits du créateur ; aux expositions virtuelles ou dans les musées ; ainsi qu’à plusieurs émissions de télévision grand public comme Les enfants de la télé diffusée à Radio-Canada depuis plusieurs années.

La culture doit être considérée comme un élément fondamental du développement des sociétés, au même titre que les dimensions sociale, économique et environnementale. Cela suppose que les archives, comme élément du patrimoine, soient prises en compte dans toutes les stratégies de développement.

Les archives éclairent la culture en préservant les documents sous toutes ses formes : photographies, manuscrits, enregistrements sonores ou vidéos, cartes et plans et, dès à présent, documents numériques. Tous doivent avoir accès à la vie culturelle et pour ce faire, un accès large et démocratique doit s’appliquer aux archives qui constituent une partie essentielle de notre patrimoine.

Mentionnons que le registre Mémoire du monde de l’UNESCO a classé les archives du Séminaire de Québec comme trésor mondial. D’autres fonds d’archives au Canada ont eu la même reconnaissance internationale. Les archives ont le pouvoir de préciser, valider, développer et améliorer nos connaissances sur des livres, des artéfacts, des tableaux, des films et des créateurs. Elles sont elles-mêmes des documents de culture.

Comme professionnel, l’archiviste joue un rôle incontournable dans la société pour assurer l’organisation, la protection, la conservation et la mise en valeur du patrimoine documentaire québécois. Ces professionnels jouent un rôle-conseil important auprès de leur organisation, spécialement dans le développement de solutions et d’outils, dans l’application des lois et règlements et dans le développement et la mise en place de politiques, directives et procédures.

Ils sont également des médiateurs culturels et voient à la mise en place de moyens d’accompagnement, de création et d’intervention destinés aux citoyens et aux publics du milieu artistique et culturel. Les archivistes sont un point de contact direct et personnalisé entre publics, artistes et intervenants pour la création, la production et la diffusion de la culture, sous toutes ses formes.

Recommandation 1 :

Conformément au principe A selon lequel « la culture est porteuse de sens, d’identité et de valeurs » (Ministère de la Culture et des Communications, 2016, p. 8) il nous paraît clair que les archives sont un moteur de développement culturel inestimable et qu’elles sont présentes dans toutes nos régions. Ainsi, la politique culturelle doit assurer une place prépondérante aux archives en tant que vecteur essentiel de nos connaissances culturelles, artistiques, historiques et patrimoniales.

Recommandation 2 :

Attendu que la conservation de ces archives est de plus en plus confiée à des professionnels, la politique culturelle doit assurer une place significative aux archivistes en tant qu’acteurs dans la préservation du patrimoine culturel québécois dont font partie intégrante les archives. Il en va du respect du principe A qui veut que « la culture participe également au développement […] de la vie en société » (Ministère de la Culture et des Communications, 2016, p. 8).

3. ACCÈS, PARTICIPATION ET CONTRIBUTION

L’accès, la participation et la contribution de tous à la culture sont des principes de base qui peuvent être menacés dans un monde où le numérique a pris une place prépondérante. Chaque citoyen peut maintenant s’improviser créateur et diffuser sa création en temps réel, avec des coûts de production minimes, partout et pour tous. Il en va de même pour les organisations.

En tant qu’archivistes, nous voyons cette situation comme précaire ; la société québécoise doit s’assurer que la culture reste pérenne et accessible au bénéfice des générations actuelles et futures. La meilleure façon d’assurer que les documents de toute nature qui ont une valeur pérenne seront préservés et arriveront dans les dépôts d’archives est de réformer et rendre plus forte la Loi sur les archives (RLRQ, chapitre A-21.1).

La Loi sur les archives (RLRQ, chapitre A-21.1) et ses règlements – qui doivent également être revus dans cette perspective – devra faire une juste place à la gestion des documents actifs et semi-actifs en reconnaissant que la majorité des actions découlant de la loi sont réalisées dans ce domaine par les ministères et organismes assujettis (plus de 150 ministères et organismes du secteur public centralisé et 2 570 organismes du secteur public décentralisé). Il s’agit donc de l’adoption d’une approche systémique de la gestion des documents en s’appuyant sur les critères d’authenticité, de fiabilité, d’intégrité et d’exploitabilité. Bref, les décisions principales en archivistique contemporaine se doivent d’être prises en amont du cycle de vie des archives.

Les archives sont essentielles pour que la mémoire des organisations soit documentée et rendue accessible aux générations actuelles et futures. L’accès à l’information, et donc au patrimoine, se révèle parfois difficile pour les citoyens qui souhaitent consulter les documents publics. La Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (RLRQ, chapitre A-2.1) est devenue, au fil de la jurisprudence, une loi contre l’accès. Sans une bonne gestion documentaire et sans une loi sur les archives revue dans un esprit de bonne gouvernance et d’imputabilité, l’accès aux documents n’est absolument pas garanti.

Recommandation 3 :

Attendu que les organisations publiques sont assujetties à la Loi sur les archives (RLRQ, chapitre A-21.1) et que celle-ci devrait donner aux gestionnaires de documents et archivistes des organismes assujettis les outils et leviers nécessaires qui leur permettront de constituer le patrimoine de demain, nous préconisons une refonte complète de cette Loi sur les archives, qui a été adoptée en 1983.

Recommandation 4 :

Attendu que les archives de demain seront presque essentiellement numériques, la Loi sur les archives (RLRQ, chapitre A-21.1) doit être revue pour s’adapter aux pratiques actuelles et favoriser la transition numérique des documents à valeur pérenne tout en en garantissant l’authenticité, l’intégrité et la fiabilité.

Recommandation 5 :

Attendu que BAnQ a pour mission d’offrir un accès démocratique au patrimoine documentaire, à la culture et au savoir, contribuant ainsi à l’épanouissement des citoyens, la Loi sur les archives (RLRQ, chapitre A-21.1) devrait faire une référence directe à la présence régionale et aux activités de diffusion de BAnQ.

Recommandation 6 :

En ce sens nous recommandons également que le titre de la Loi soit changé pour « Loi sur la gestion des archives », titre plus dynamique et correspondant mieux aux pratiques.

4. ENGAGEMENT DE L’ÉTAT ET AFFIRMATION DU CARACTÈRE FRANCOPHONE DU QUÉBEC

L’engagement de l’État dans la culture demeure un atout majeur dans la survie de notre identité francophone en Amérique, dans la promotion de nos acquis et dans la diffusion de nos oeuvres. Il faut que cette identité soit assurée grâce à une culture forte et diffusée partout sur le territoire, dans la francophonie et même ailleurs.

L’état doit également amplifier son rôle de gardien du patrimoine religieux en particulier en ce qui a trait à leurs documents d’archives. Les communautés religieuses possèdent des fonds d’archives dont la richesse n’est plus à démontrer, mais il leur faut de l’aide pour les mettre en valeur, les identifier, les décrire, les numériser, etc. Les missions du Ministère et de BAnQ sont toujours pertinentes, mais leurs moyens doivent être augmentés, tant sur le plan du financement que sur celui du législatif.

Recommandation 7 :

L’État doit s’engager à offrir un financement favorisant la pérennité et le rayonnement des services d’archives locaux en améliorant leur capacité de préserver, de rendre accessible et de promouvoir le patrimoine documentaire. Ces contributions donneront aux communautés locales des occasions d’évoluer, de demeurer viables et d’agir de façon stratégique. Elles accroîtront la capacité des institutions locales de préserver le patrimoine documentaire du Québec de façon plus durable. Un tel programme de financement pourrait couvrir la formation des professionnels, la mise en place de projets de diffusion ou encore de numérisation de notre patrimoine documentaire.

CONCLUSION

En guise de conclusion à ce mémoire, l’Association des archivistes du Québec ne saurait trop insister sur l’urgence et le caractère essentiel d’une révision en profondeur de la Loi sur les archives (RLRQ, chapitre A-21.1) qui est un des piliers fondamentaux de la nouvelle politique culturelle dont veut se doter le Québec. Car ne l’oublions pas, les archives sont à la culture ce que la fondation est à l’édifice. Aussi solide soit la fondation, aussi pérenne sera l’édifice.