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Résumé de l’ouvrage

Dans leur introduction, Couture et Lajeunesse rappellent que si les archives sont très anciennes, l’archivistique, elle, est assez récente. Ils présentent leur ouvrage comme une mise à jour des publications précédentes de Couture et al. (Rousseau et Couture 1994) (Couture 1999), fondées sur les recherches en archivistique de la période 1990 à 2000, pour tenir compte de l’impact de l’informatique.

Premier chapitre

Le premier chapitre s’attache aux changements dans les législations archivistiques et les politiques subséquentes, suivant en cela le canevas des recherches antérieures. Dans leurs propos préliminaires, ils constatent que si, dans les décennies précédentes, la nécessité d’une législation archivistique robuste faisait consensus dans la littérature spécialisée, les lacunes dans de nombreux pays étaient néanmoins flagrantes. L’analyse de la situation actuelle semble montrer une évolution plutôt favorable dans ce domaine, grâce aux nombreux efforts de l’UNESCO et du Conseil international des Archives pour promouvoir des législations modèles.

Si l’existence d’une loi semble fondamentale, elle n’est rien sans des politiques subséquentes pour les mettre en application. Les auteurs détaillent huit éléments dont il faut tenir compte pour constituer de telles politiques :

  • les particularismes nationaux ;

  • la volonté des décideurs à l’égard de l’organisation des archives ;

  • l’insertion de la loi dans une planification stratégique ;

  • le degré d’application de la loi (en dehors des services d’archives) ;

  • les coûts qu’engendre l’application de la loi ;

  • l’harmonisation de l’ensemble des mesures législatives qui influencent la gestion des archives ;

  • l’échéancier de la mise en oeuvre réglementaire ;

  • la nature plus ou moins contraignante de la législation archivistique.

Ils entrent ensuite dans le détail des différentes dispositions souhaitables. Deux points méritent qu’on s’y attarde.

Premièrement, en ce qui concerne les ressources humaines, il apparaît commun que cela ne soit pas réglé au niveau législatif, mais plutôt au niveau règlementaire, par décret ou par assimilation au statut général des fonctionnaires. Si les considérations sur le niveau de formation nécessaire sont présentes, le niveau de précision est loin d’être uniforme et les différentes dispositions citées par les auteurs montrent une grande variété sur les points d’intérêt à ces questions selon les pays. Si l’inscription de la valeur des archives dans la loi est indubitablement en progression, l’intérêt aux compétences et au statut des archivistes et de leurs auxiliaires semble encore souvent embryonnaire.

Deuxièmement, les supports spéciaux sont un autre sujet d’interrogation. Les auteurs soulignent un manque flagrant de dispositions législatives tenant compte de l’évolution technologique récente. Pour ce qui concerne les supports particuliers non numériques, la législation est en général suffisamment générique (quel que soit le support) pour que ces questions soient réglées.

Dans la conclusion de ce chapitre, les auteurs insistent sur le fait que la législation n’est pas complète si elle ne s’appuie pas sur des politiques et une volonté politique à la mesure des défis actuels. « Pour qu’une volonté d’application existe, il est primordial que la définition des documents visés soit la plus large possible de manière à couvrir tous les supports d’information et l’ensemble du cycle de vie des archives. » (Couture et Lajeunesse 2015, 94)

Deuxième chapitre

Le deuxième chapitre s’attache à décrire l’évolution des principes et des fonctions archivistiques et tente de répondre à la question « comment les fonctions traditionnelles […] ont-elles évolué et comment se sont-elles adaptées à l’explosion numérique ? » (Couture et Lajeunesse 2015, 105)

Reprenant le canevas des ouvrages Les fondements de la discipline archivistique (Rousseau et Couture 1994) et Les fonctions de l’archivistique contemporaine (Couture et al. 1999), les auteurs examinent point par point quels sont les éléments qui sont restés inchangés et ceux qui ont connu une mutation importante au cours des vingt dernières années, selon ces deux grandes thématiques.

D’abord, pour les principes archivistiques, les auteurs concluent que si ceux-ci ont été discutés dans le cadre de la nouvelle donne informatique, ils en sont sortis en général renforcés. Cette position est corroborée par une communication récente de Daniel Ducharme, à la suite d’une enquête menée auprès des archivistes québécois en 2014. (Ducharme 2015, 221-247)

Puis, chacune des grandes fonctions archivistiques est examinée à la lumière des récents changements.

La création

D’entrée de jeu, les auteurs, en citant le chapitre de Louise Gagnon-Arguin dans Les fonctions de l’archivistique contemporaine (Couture et al. 1999, 81), signalent les changements induits par le numérique « soit :

  1. le développement et l’utilisation grandissante de l’informatique à des fins de création de l’information ;

  2. l’existence de liens étroits entre la création des documents électroniques et leur classification, évaluation et conservation ;

  3. et l’évolution du rôle de l’archiviste. »

Faisant le point sur ce constat en 2013, ils confirment que :

Les tendances observées en 1999 se sont confirmées depuis, et les phénomènes observés ont pris de l’ampleur : le numérique occupe maintenant tout le terrain de la création ; cette fonction est fortement normalisée ; et le cheminement du document tout au long de son cycle de vie est de plus en plus prévu dès l’instant de sa création, avec pour corollaire la nécessité pour l’archiviste d’intervenir au moment de la création, et même avant.

Couture et Lajeunesse 2015, 126

Je ne serais cependant pas aussi optimiste qu’eux sur la normalisation de la fonction de création, qui selon mon constat est loin d’être aussi maîtrisée.

L’évaluation

Après un sous-chapitre sur l’évolution des pratiques d’évaluation dans un certain nombre de pays, puis un autre sur la mise en pratique de ces évolutions et sur les (rares) tentatives d’évaluer la qualité de l’évaluation, les auteurs consacrent tout un sous-chapitre à l’évaluation des documents numériques (2.2.3).

Ce sujet a suscité de nombreuses contributions pour la période concernée, à la mesure de l’accroissement des fonds électroniques versés dans les différentes institutions d’archives. Les auteurs identifient quatre groupes de questionnement où le numérique interroge les pratiques d’évaluation, soit : le moment de l’évaluation ; les compétences de l’archiviste ; les critères d’évaluation ; a-t-on encore besoin d’évaluer quand on peut tout conserver ?

L’acquisition (l’accroissement)

Le constat des auteurs en ce qui concerne les archives conventionnelles est la continuation des tendances exprimées dans les années 90 : importance du calendrier de conservation et manque de ressources pour accueillir tous les versements. En ce qui concerne les archives numériques, le calendrier reste l’instrument principal de leur gestion. Cependant, à part l’archivage du Web (voir ci-dessous) les auteurs développent peu la question de la prise en charge « effective » des documents/données numériques, qui concrétisent toutes les problématiques évoquées plus haut. Il est vrai que peu de services d’archives ont une pratique quotidienne des versements électroniques à ce jour, mais on peut s’étonner du peu de publications de qualité à ce sujet alors même que tous proclament que les versements électroniques seront la norme ces prochaines décennies.

Les auteurs consacrent un long développement à l’archivage du Web qui pose des questions de conservation très spécifiques : doit-on les considérer comme des publications ? comment gérer leur aspect composite ? Dans ce domaine, l’existence d’un forum international sur la question (IIPC : Consortium international pour la préservation d’Internet) permet d’espérer des réponses concertées et cohérentes aux niveaux international et national.

La classification

Les auteurs affirment, citations à l’appui, que les principes de la gestion des fonds ne sont pas remis en cause par l’existence de documents numériques, si tant est que l’on utilise un cadre de classement basé sur les fonctions et les activités, en suivant la norme ISO-15489.

Cependant, citant les travaux de Sabine Mas, des pistes de recherche intéressantes semblent se dessiner du côté des classifications à facettes, plus à même de répondre au côté protéiforme de la documentation numérique. (Mas, Maurel et Alberts 2012)

Enfin, ils exposent la position « iconoclaste » de Greg Bak arguant que les chercheurs actuels sont à la recherche d’information au niveau de la pièce et que les classifications actuelles ne répondent pas à cette demande, qui pourrait être satisfaite par la recherche sur des métadonnées et des mots-clés associés à la pièce.

La description

Dans le domaine de la description, les auteurs constatent l’accentuation de deux tendances déjà décrites en 1999. Premièrement, les efforts de normalisation internationale et, de manière concomitante, la question de l’adéquation des normes avec les demandes du public des archives. À ces deux questions s’ajoutent aujourd’hui les possibilités de diffusion des archives par le partage des métadonnées ouvertes, et le passage de l’indexation au partage des métadonnées voire à la recherche plein texte, toutes ces possibilités étant permises par la nature numérique des documents.

Ces questions convergent vers la problématique des instruments de recherches, constitués par les archivistes, mais également « pour » les archivistes, au détriment d’un usage aisé par les lecteurs des archives, dont les demandes sont concrétisées ainsi par Françoise Banat-Berger :

Les nouveaux outils de recherche et de consultation devront impérativement évoluer permettant ainsi à l’internaute de naviguer de lien en lien d’une manière très souple entre producteurs bien sûr, mais également entre fonctions, suivant des coupes transverses entre grands secteurs d’activité et/ou diachroniques.

Banat-Berger 2012, 55

Cette option, poussée à son terme, mène aux expériences d’indexation avec la collaboration des usagers d’une part et à la production de métadonnées ouvertes liées par les archivistes d’autre part, et est illustrée par quelques exemples cités par les auteurs.

La diffusion

Si le Web avait fait son apparition en 1999, il n’était considéré alors que comme une voie de diffusion parmi d’autres. À la fin de la première décennie 2000, il en va tout autrement et aucun service d’archives ne peut se passer d’un site Web : « Ce n’est plus UN moyen parmi d’autres, mais LE mode privilégié pour rejoindre, attirer et informer le public. » (Couture et Lajeunesse 2015, 161) Cependant, la typologie des sites Web de services d’archives est évolutive et tous ne sont pas à leur pleine maturité. Par ailleurs, l’enthousiasme des débuts se heurte à la réalité du fait que la construction et le maintien d’un site de services d’archives performant sont coûteux en « temps archiviste » pour des effets qui ne sont pas toujours au rendez-vous. Le fait que les services d’archives n’aient pas forcément la main sur la gestion technique de leur Internet/intranet ajoute à la difficulté, voire rend les projets irréalisables. Si les auteurs citent quelques réussites, force est de constater que les archivistes doivent encore développer un consensus à propos des bonnes pratiques en la matière.

L’autre aspect de l’impact d’Internet sur les archives est l’utilisation des réseaux sociaux (Facebook, Twitter, etc.). Là aussi, si ce sont aujourd’hui des moyens d’information incontournables, ils nécessitent que l’on y consacre du temps, et à cette aune, Twitter semble plus avantageux que Facebook. D’autres utilisations sont citées, comme la collaboration entre Flikr et la Bibliothèque du Congrès.

Un dernier volet est la pression sur la numérisation des fonds existants pour les rendre disponibles via Internet. Les archives qui semblent les plus avancées et qui sont présentées en exemple par les auteurs sont les Archives nationales du Royaume-Uni. La plupart des services d’archives leur emboîtent le pas, mais à des rythmes différents en fonction des moyens à leur disposition. Ceci n’est pas sans incidence sur la fréquentation des salles de lecture et oblige à reconsidérer la mesure des activités des services d’archives.

La préservation

En 1999, si la numérisation se présentait comme une alternative avec un fort potentiel, la micrographie restait le mode de substitution et de sécurisation le plus prisé et préconisé. Dix ans après, la déferlante numérique en a fait la préoccupation numéro un des archivistes du point de vue de la conservation à long terme. Les auteurs déclinent cette problématique en trois thèmes.

La normalisation au niveau international

Cette activité s’est principalement organisée en deux axes. De nombreuses réunions de l’Unesco entre 2003 et 2012 ont mené à une sensibilisation des milieux concernés, aboutissant à la Déclaration de Vancouver sur le patrimoine numérique. D’autres travaux ont mené à la reconnaissance par l’ISO de la norme OAIS, universellement reconnue comme modèle de la conservation numérique, ainsi que la norme pdf/a comme norme de format archivable.

La recherche universitaire

Dans ce domaine, les projets InterPARES successifs (1999-2012) occupent le devant de la scène. Les organisations d’archives, sur la base des travaux cités ci-dessus, se sont investies pour les mettre en oeuvre en explorant les sujets suivants :

  • l’établissement de dépôt numérique fiable en suivant la norme OAIS, puis celui des normes de détail qui en découlent ;

  • la mise en oeuvre de dépôt en cloud computing (infonuagique) qui peut être une solution viable en terme archivistique si tant est que les organes de tutelles autorisent des investissements dans le cadre d’un cloud privé pour obvier aux problèmes de protection des données personnelles.

La collaboration entre les services d’archives

La complexité et les coûts d’investissement liés aux archives numériques ont fait prendre conscience aux différents services d’archives que le travail en solitaire était suicidaire dans ce domaine. Stimulé par les projets InterPARES, qui avaient une forte connotation internationale, il est devenu évident à la communauté archivistique mondiale que ces questions ne pourraient être résolues que par une collaboration intense entre tous les organismes impliqués tant en ce qui concerne les formats, la gestion et la veille technologique.

Chapitre trois

Le troisième chapitre s’intéresse à la formation et à la recherche en archivistique.

Formation

Les auteurs constatent une évolution rapide au cours des deux dernières décennies. L’étude de 1999 (Couture 1999) concluait à une « académisation » progressive de la formation, mais pour les années suivantes les auteurs constatent que si la reconnaissance de l’archivistique continue de progresser, les programmes de formation peinent à s’adapter à cette évolution rapide et à l’évolution de la répartition des tâches entre les différents acteurs du monde documentaire. Ils entrent ensuite dans le détail des différents éléments comme l’organisation, la pédagogie et les contenus.

Ils signalent aussi une augmentation du nombre de formations de niveau supérieur. Il faut cependant prendre ces chiffres avec précaution, car il s’agit de cycles de formation offerts, mais les auteurs ne citent aucun chiffre concernant le nombre d’étudiants qui suivent et achèvent ces formations.

Les auteurs passent ensuite à une revue de la littérature, plus abondante sur ce thème ces dernières années. Ils constatent une révision constante des modèles d’enseignement et une tendance à mettre en cause les structures de programmes centrés sur les cursus européens ainsi qu’une augmentation des études doctorales.

En ce qui concerne les contenus mêmes des formations, ils constatent également une évolution, décrite à travers de nombreux tableaux et annexes dont les principales tendances sont :

  • la part des sujets archivistiques a fortement augmenté au cours de la décennie 2000-2012 (de 50 % à 72 %) alors que tous les autres thèmes sont en diminution dans les cursus ;

  • on peut y voir que globalement, la part des cours dans les catégories « Cours généraux » et « Étude du document » a baissé, tandis qu’elle a augmenté dans les catégories « Fonctions archivistiques » et « Autres matières ».

Ceci dénote une forme de « professionnalisation » de la formation. Paradoxalement, les cours liés à l’informatique ont diminué entre 1999 et 2012 (de 7 % à 4 %).

La recherche en archivistique

Les auteurs discernent trois tendances qui ont marqué la recherche archivistique ces dernières décennies. Premièrement, le courant postmoderniste pose dès le départ des postulats considérant que tout est construit, non naturel, et que les archives, bien loin d’être les témoins neutres de notre passé, sont des instruments chargés de symbolique et de pouvoir (Cook 2001, 8-9). La deuxième tendance est l’« archival turn » qui a permis d’ouvrir l’archivistique à de nouveaux horizons, s’intéressant à des problématiques liées à la « création et au transfert de la mémoire sociale dans les organisations et les sociétés, et ce, dans un contexte multidisciplinaire » (Ketelaar 2010). Enfin, ils abordent la poussée irrésistible du numérique en archivistique. L’arrivée « bouleversante » de cette problématique, alors que l’archivistique peinait à se trouver un « noyau dur » d’un point de vue identitaire, peut expliquer en partie l’attention donnée au thème de l’archivistique comme profession et discipline.

Les auteurs identifient les thématiques de la recherche en onze catégories dont la plupart étaient déjà présentes en 1999, mais d’autres pas. Par contre, ils précisent que cette liste est incomplète, car elle ne reprend que les thèmes fréquemment observés dans la littérature archivistique la plus « en vue ». Or, elle passe souvent à côté des recherches plus locales ou récentes, qui ne peuvent encore, pour des raisons d’ampleur, recevoir une attention « internationale ».

Puis, ils reprennent dans le détail les différentes évolutions en les distinguant en fonction de leur producteur : le corps professoral et les doctorants. Enfin, ils consacrent une partie importante à l’impact de l’informatique sur la recherche archivistique et les différents programmes, en insistant sur les recherches du projet InterPARES qui a constitué le projet phare de cette période, tant par sa durée que par la démarche multidisciplinaire et internationale qu’il a suivie.

Ils concluent en discernant deux grandes tendances dans le domaine de la recherche archivistique des deux dernières décennies.

D’un côté, la poursuite des recherches sur des thèmes globalement traditionnels (fonctions archivistiques, histoire des archives, théories et fondements de l’archivistique) et novateurs (nouveaux supports électroniques, informatique appliquée aux archives) s’inscrit dans la continuité et démontre que le domaine s’est étendu, puisque ces recherches ont gagné en ampleur et en visibilité. De l’autre, la nouveauté des recherches interdisciplinaires en cherchant à dépasser les conceptions traditionnelles de l’archivistique qui est issue de l’extension du courant postmoderniste à l’archivistique.

Couture et Lajeunesse 2015, 247

Dans leur conclusion générale, les auteurs mettent d’abord en avant les continuités entre 1999 et 2012. Soit :

  • la poursuite de « l’académisation » de l’archivistique bien qu’elle demeure encore fragile ;

  • le dualisme institutionnel entre la bibliothéconomie/sciences de l’information et l’histoire, plus particulièrement dans le monde nord-américain ;

  • la résistance de l’histoire dans le monde européen ;

  • l’émergence de l’enseignement et de la recherche archivistique en Asie orientale.

En ce qui concerne les changements, ils notent l’impact du numérique, qui revient comme un leitmotiv tout au long de l’ouvrage, et toutes les conséquences pressenties par la communauté archivistique dès la fin du XXe siècle, car il influence maintenant tous les domaines de l’archivistique. Autre dimension, le point de vue postmoderniste qui a affecté les domaines de la recherche et fait envisager les compétences archivistiques d’une manière plus large dans la société. Enfin, l’augmentation des études doctorales, encore fragile, laisse augurer une continuité dans le développement théorique de l’archivistique.

Analyse critique et évaluation

Si l’on considère cette conclusion, je serais pour ma part plus prudent. Si au niveau des principes et des réflexions théoriques, le numérique est aujourd’hui inscrit dans la préoccupation quotidienne des archivistes, les réalisations pratiques sont encore loin d’être largement répandues et la conservation à long terme pose encore de nombreuses questions.

Malgré son titre, qui évoque un changement de paradigme lié au numérique, l’ouvrage s’inscrit très clairement comme un complément des livres précédents des auteurs. En choisissant un découpage de chapitre similaire, il permet de faire le lien entre les descriptions arrêtées en 2001 et les décennies qui suivent (2002-2014). C’est sa force (la continuité) et sa faiblesse (pas de nouvelle structuration du champ de l’archivistique). Il ne faut donc pas attendre de cet ouvrage qu’il fournisse une vue prospective sur l’archivistique à venir, alors même que l’on peut s’attendre à de nouvelles conséquences de la numérisation qui seront bien plus profondes que celles exposées par touches pointillistes par les auteurs de ce livre qu’ils auraient pu titrer plus justement « L’archivistique à l’aube du numérique ».

Il faut noter un effort pour livrer une bibliographie la plus récente possible (à date de parution) dans chacun des domaines évoqués, même si l’on peut critiquer certains choix en étant un spécialiste plus pointu dans certains domaines. Ces références restent cependant une bonne base pour comprendre les mutations récentes de l’archivistique, si ce n’est mondiales du moins internationales que les auteurs ont fait apparaître en identifiant les pays « archivistiquement émergents ».

Si l’ouvrage est une bonne compilation des tendances de ces deux dernières décennies, il suscite une intense frustration à propos de l’archivistique en devenir. Les auteurs font quelques allusions aux usages nouveaux de l’archivistique, mais ne mettent pas en perspective les changements plus radicaux que nous préparent la numérisation quasi intégrale de toute la société, et ses conséquences en ce qui concerne l’archivistique. Il semble en effet bien difficile aux archivistes, qui sont par essence des conservateurs du passé, de se projeter vers un avenir au contour flou voir « nuageux » (cloudy) (Duranti et Rogers 2012) où les révolutions n’effacent plus des structures centenaires, mais les structures de la veille.

Il reste donc à développer les conséquences du numérique sur les grands principes archivistiques comme le respect des fonds (Bailey 2013), la théorie des trois âges (Kern et al. 2015) et autres principes (Ducharme 2015, 221-247). Il apparaît, à travers les citations en notes, que ces principes semblent tout sauf universels et par ailleurs largement battu en brèche par la mutation numérique. Même des concepts plus récents, comme celui des métadonnées (Weinberger 2015 ; Edwards et al. 2011), évoluent à vue d’oeil. Un tableau prospectif et synthétique en reste encore à faire.