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Archives en acte. Arts plastiques, danse, performance (2018) s’ouvre sur la question : « La relation passionnée de l’art contemporain à/aux (l’)archive(s) procéderait-elle des idées reçues du moment ? » (Glicenstein, Rinuy, Potin et Roullier, 2018, p. 5). Le concept d’archive(s) est en effet un thème que l’on peut retracer dans l’art contemporain et son étude depuis les années 1960, mais qui est devenu récurrent à partir de la fin des années 1990. Pourtant, il n’est pas toujours aisé de trouver des ouvrages qui se penchent sur cette thématique d’un point de vue multidisciplinaire, partant tant des archives, que des expériences les mettant en jeu dans d’autres milieux que l’archivistique. Dans ce cadre, Archives en acte se présente sous une forme hybride « entre l’essai analytique et le chantier créatif, entre l’étude savante et le témoignage artistique » (Glicenstein, Rinuy, Potin et Roullier, 2018, p. 23), en regroupant des articles issus de différents acteurs : historiens de l’art, archivistes, artistes, performers, poètes, sociologues, historiens, danseurs, conservateurs du patrimoine. Il s’agit de la synthèse d’un projet de recherche mené de 2015 à 2017 par cinq institutions (les Archives nationales, le Centre national des arts plastiques, le Centre national de danse contemporaine-Angers, l’Université Paris 8 et l’École nationale supérieure d’arts Paris-Cergy, sous la supervision de Labex Arts-H2H), sous la forme d’une sélection de contributions issues de quatre évènements (journées-ateliers, journée d’étude, séminaire, colloque). L’objectif qui sous-tend cette entreprise était de comprendre les mécanismes de sélection qui travaillent le patrimoine :

Il s’est alors agi de penser non seulement la restitution des oeuvres perdues, en convoquant les archives ayant présidé à leur création ou les ayant accompagnées dans leur devenir, mais encore la recréation ou la réappropriation par des artistes d’oeuvres disparues ou intrinsèquement labiles, en s’intéressant aux modalités les plus contemporaines de la création, saisie par une archive fever.

Glicenstein, Rinuy, Potin et Roullier, 2018, p. 17

L’ouvrage s’inscrit dans la collection « Esthétiques hors cadre » des Presses universitaires de Vincennes, dirigée par Aline Caillet et Cécile Sorin, dans laquelle a été publié Archives au présent, déjà consacré aux pratiques contemporaines de l’archive (Nardin, Perret, Phay et Seiderer, 2017). Là où cet ouvrage se penchait sur les pratiques esthétiques et historiques de l’archive de manière plus large, Archives en acte se concentre plus particulièrement sur l’art chorégraphique et la performance en proposant « […] d’envisager une typologie provisoire de la « représence » de l’art par les archives, comme de la reprise des archives dans l’art » (Glicenstein, Rinuy, Potin et Roullier, 2018, p. 23).

Pour ce faire, Archives en acte est divisé en quatre parties et un volet « perspectives », comme autant de modalités possibles de replay des actes artistiques, identifiés par les variétés des traces et des archives qu’ils ont suscitées. Chaque partie est séparée en contributions théoriques et une section « chantiers » qui offre la possibilité de prolonger les réflexions engagées dans les articles à travers différents projets, en cours ou complétés. À travers ces cinq dimensions, Potin, Rinuy et Roullier offrent une sélection d’articles qui alimentent la question bien actuelle du rapport entre l’art et les archives : les aspects théoriques se mêlent à des études de cas, des exemples pratiques et des retours d’expérience. Ce faisant, ils développent des champs d’études souvent peu considérés en archivistique, renvoyant à de nouvelles formes de rapports aux documents d’archives, qui appartiennent à des registres « plus affectifs ou émotionnels, qui touchent à l’estime de soi, la construction des individus, les processus de subjectivation ou les mécanismes de production d’un roman familial » (Marcilloux, 2018, p. 55).

La première partie, Rejouer, reprendre, « s’intéresse aux manières dont l’archivistique, en tant que science de l’information et technique de transmission et de préservation des contextes de production des traces peut répondre au défi du rejeu et de la reprise » (Glicenstein, Rinuy, Potin et Roullier, 2018, p. 23-24). Ensuite, Démonter, remonter pose la question de la destruction des oeuvres, mais également de leur capacité à être remontées ou à se remonter, à partir de différents types de traces (espace, monument, geste, image en mouvement, texte). Dans cette partie, le lien entre archives et construction de la mémoire est particulièrement mis en lumière. La troisième partie, intitulée Combler, restituer, regroupe des réflexions autour du comblement, de la reconstitution, de la recréation ou encore de la résurrection de ce qui est manquant, disparu. Puis, Exposer, recréer vient amener la figure inaugurale de l’exposition dans les questions autour de l’archive. Dans ce cadre, deux expositions sont présentées. Enfin, une partie « perspectives » complète les quatre dimensions du rejeu, sous la forme d’un retour d’expérience concernant la constitution d’un corpus d’archives prenant place aux débuts du projet et qui avait pour but de « recenser les métadonnées, réactivables par des artistes, chercheurs, enseignants-chercheurs, historiens de l’art et chorégraphes […] proposant des ramifications discursives et interprétatives d’un nouveau type » (Páez-Barbat, 2018, p. 266).

La force d’Archives en acte réside dans la pluralité des témoignages et des recherches proposés. Les articles représentent autant de clés de lecture pour aborder les questions contemporaines de(s) l’archive(s) au-dedans et au-delà de la discipline : les archives et l’art, l’histoire, les questions esthétiques et matérielles. Résumer en quelques phrases toutes les interventions (vingt et une au total) qui constituent l’ouvrage ne leur rendrait pas justice, car elles témoignent d’une grande diversité en matière de recherche et d’expériences. Toutefois, un discours filtre à travers les nombreux articles, celui des archives comme point de départ, comme l’explique l’artiste Deimantas Narkeviˇcius :

Je vois les archives comme un point de départ pour certaines actions ou pour des voyages historiques fantaisistes. Pas nécessairement pour retourner dans le passé, mais comme un point de départ pour voyager, pour stimuler mon imagination depuis des perspectives contemporaines.

2018, p. 122

En effet, qu’elles soient explorées dans leur matérialité, leur absence, leur manque, leur structure, leur esthétique ou encore leur imaginaire, les archives constituent non seulement un angle à partir duquel observer différents objets de recherche, mais également un point commun entre différentes disciplines et pratiques. Ainsi, Archives en acte répond à sa proposition initiale « d’examiner les tensions fécondes qui animent deux univers professionnels et cultures antinomiques en apparence » en associant de multiples voix : « La dénivelée entre le monde des artistes contemporains et celui des historiens, de l’art contemporain ou des archives, est ainsi autant une donnée première de cette recherche que le fondement même de son existence et de sa vitalité » (Glicenstein, Rinuy, Potin et Roullier, 2018, p. 6).

L’ouvrage trouve sa place dans l’étude des relations complexes et diverses entre art et archive(s). Il s’agit d’un vaste terrain, peu étudié en archivistique, qu’il est nécessaire de continuer d’explorer dans une perspective interdisciplinaire. Il est en effet rare d’associer dans un même ouvrage les écrits d’universitaires et d’artistes issus de différentes disciplines. Archives en acte participe donc au comblement d’un manque dans le domaine. Il complète différents travaux dans le monde francophone qui oeuvrent dans ce sens, à savoir les recherches d’Anne Klein et d’Yvon Lemay, notamment les Cahiers de recherches Archives et création : nouvelles perspectives sur l’archivistique (Lemay et Klein, 2014, 2015, 2016) et l’ouvrage Archives au présent (Nardin, Perret, Phay et Seiderer, 2017)[1]. Comme le souligne Marcilloux « […] toutes les pratiques artistiques s’intéressant aux archives méritent l’attention des archivistes, de l’archivistique et des études sur les archives » (Marcilloux, 2018, p. 65).