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Introduction

Depuis leur création en 1920 et sous diverses appellations et administrations, les Archives nationales (AN[1]) du Québec ont traversé leur premier siècle d’existence en poursuivant la même mission : conserver et mettre en valeur les archives historiques du gouvernement et les archives privées qui leur sont confiées. Au fil des décennies, les AN ont dû constamment s’ajuster aux changements liés à la présence de plus en plus grande des technologies de l’information dans la gestion des documents. Si l’adoption de la Loi sur les archives en 1983 est accueillie avec enthousiasme par la communauté archivistique québécoise, son application représente un défi colossal pour les AN et toute l’administration gouvernementale. À ce défi s’ajoutent ceux découlant, d’une part, d’un contexte informationnel en pleine mutation obligeant les spécialistes de l’information à se réinventer, et d’autre part, d’un nouveau contexte organisationnel alors que les AN fusionnent en 2006 avec la Bibliothèque nationale du Québec pour former Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ). La mission des AN demeure la même, mais l’expertise de son personnel est sollicitée de plus en plus par les dimensions suivantes : la gestion de l’information dans la gouvernance des organismes publics, les compétences numériques, l’environnement légal en gestion de l’information, la diffusion et la mise en valeur des documents historiques ainsi que l’évolution des technologies de l’information et de leur structure.

1. LA LOI SUR LES ARCHIVES (1983)

En 1983, l’adoption de la Loi sur les archives (RLRQ, chapitre A-21.1) établit au Québec un cadre légal qui fixe notamment des balises en gestion documentaire depuis la création des documents jusqu’à leur disposition finale. Selon cette nouvelle Loi, tous les organismes publics centralisés et décentralisés sont concernés et une section de la loi prévoit aussi des orientations pour les archives privées. Les politiques et les règlements qui y sont prévus définissent les rôles et responsabilités des AN, ainsi que des organismes assujettis à cette Loi.

Dorénavant, chaque organisme public doit établir son propre calendrier de conservation, le faire approuver par les AN et veiller à son application dans son organisation. Les AN créent un formulaire afin d’uniformiser la présentation des calendriers de conservation et leur contenu pour faciliter le travail des uns et des autres.

Un des impacts de la Loi a été le renforcement du rôle-conseil des AN auprès des ministères et organismes publics et du milieu archivistique québécois en général. Des groupes de travail sont formés dans les différents réseaux d’organismes publics. Outre les archivistes des AN, ceux-ci rassemblent des représentants de divers domaines (ressources humaines, matérielles, financières, affaires juridiques, gestion documentaire) et ont pour objectif de produire dix-sept recueils de délais de conservation au bénéfice de quelque trois mille organismes, ministères et organismes publics, membres de l’un ou l’autre de ces réseaux.

Une fois leurs calendriers approuvés, les ministères et les organismes publics ainsi que les tribunaux ont l’obligation de verser annuellement leurs archives historiques aux AN[2]. La systématisation et la régularité des versements provoquent une entrée accrue en volume des archives gouvernementales et judiciaires. En ce qui concerne les tribunaux, un groupe de travail est mis sur pied pour coordonner l’application des calendriers ; il propose un étalement des versements des archives dans le but d’aider les différentes cours de justice à répondre aux exigences de la Loi sur les archives (RLRQ, chapitre A-21.1) et de donner aux AN le temps de trouver des espaces adéquats pour la conservation et la diffusion des archives judiciaires.

2. LA BASE DE DONNÉES PISTARD (1986-1994)

Les AN ont du mal à répondre adéquatement à leurs nouvelles obligations découlant de la Loi sur les archives (RLRQ, chapitre A-21.1), les outils n’ayant pas évolué au rythme des besoins opérationnels. Il faut rappeler que les AN demeurent une direction générale du ministère des Affaires culturelles et que la Direction de l’informatique de cette dernière n’est pas en mesure de répondre rapidement à leurs besoins spécifiques. Cependant une recommandation du Vérificateur général du Québec permet aux AN d’enclencher le processus de création d’un schéma directeur informatique sectoriel, avec l’approbation du Secrétariat du Conseil du trésor (SCT) qui accorde des crédits supplémentaires au ministère.

Le projet de développement informatique qui mènera, à terme, à la création de la base de données Pistard est lancé en 1987 et suit une méthodologie gouvernementale bien établie. Un appel d’offres public suscite l’intérêt de quelques grandes firmes informatiques du Québec. La firme choisie enclenche les travaux, qui sont supervisés par un comité directeur du projet informatique appuyé par un groupe de pilotage des AN. Le comité directeur est composé de gestionnaires des AN et du ministère qui s’assurent du bon déroulement des travaux à l’intérieur de l’enveloppe budgétaire accordée. Le comité de pilotage regroupe deux représentants de chaque secteur d’activité concerné par les travaux du schéma et veille à ce que le contenu du futur système réponde aux besoins réels du personnel et de la clientèle des AN. Le plan directeur bureautique et informatique doit établir le cadre général d’intervention des travaux en se basant sur le bilan de la situation en 1987-1988. Les résultats de cette démarche amènent les AN à définir leur plan stratégique en matière de développement bureautique et informatique. Une fois terminé, le schéma directeur sectoriel reçoit l’approbation du ministère des Affaires culturelles et du Secrétariat du Conseil du trésor, qui autorisent la poursuite et le financement des travaux, ce qui permet de publier un second appel d’offres public.

À partir du plan stratégique conçu par les AN et approuvé par le ministère et le Secrétariat, les travaux reprennent pour réaliser une analyse plus poussée de la situation informatique des AN en 1989. La firme retenue étudie les besoins réels, les contraintes et les objectifs du système existant. Jusque-là, le programme SAPHIR (Systèmes, Archives, Publication, Histoire, Inventaire, Recherche) créé pour les archives historiques fournit en différé des microfiches dont l’information est surtout orientée sur la gestion des contenants. La mise à jour de ce système est faite de façon irrégulière et exige beaucoup d’énergie de la part de toutes les équipes de travail réparties dans les centres d’archives des AN. Donc, de l’analyse préliminaire découlent la définition du nouveau système informatique, la détermination de ses coûts, des bénéfices qu’on en attend ainsi que des effets qu’il devrait avoir pour les AN. De plus, une esquisse de l’architecture des données et des traitements est proposée.

Après les mêmes démarches d’approbation qu’a connues le schéma directeur, le projet peut se poursuivre avec l’accord du Secrétariat du Conseil du trésor et du ministère des Affaires culturelles. En se basant sur le principe qu’il faut systématiser avant d’informatiser, la firme retenue pour cette partie a comme mandat de réviser l’architecture des données et des traitements et de procéder à l’analyse fonctionnelle. Le nouveau système des AN est divisé en sous-systèmes.

  1. D’abord, la gestion des calendriers de conservation et des listes des documents inactifs englobe les approbations et leurs mises à jour. Les rappels auprès des organismes sont aussi inclus et la production d’information de gestion opérationnelle complète ce sous-système ;

  2. Le deuxième sous-système permet la gestion des documents semi-actifs qui appartiennent aux ministères et organismes publics et dont la garde est confiée aux AN durant toute leur vie semi-active. L’application informatique doit gérer les contenants dans un entrepôt assez vaste tout en rattachant les documents à un organisme précis. Ce sous-système doit permettre d’enregistrer les arrivées des documents, de gérer les sorties à la suite de demandes de consultation et de réintégrer les documents à leur retour dans l’entrepôt. À des fins de sécurité, un fichier du système permet de contrôler qui sont les personnes habilitées à autoriser ces mouvements de documents dans chaque ministère et organisme ;

  3. Le plus complexe des sous-systèmes est celui consacré à la conservation, à la description et à la diffusion des archives historiques. Un défi de taille se présente : la systématisation des panoramas de saisie des données en tenant compte des récentes Règles pour la description des documents d’archives (RDDA). Sous l’égide du Bureau canadien des archivistes, le Comité de planification sur les normes de description a produit les RDDA en 1990, en partie grâce à l’expertise des archivistes des AN qui ont participé à ce comité pancanadien. De plus, ce sous-système permet de gérer chaque année les bordereaux de versement ainsi que les versements, la description et la diffusion des archives historiques acquises par les AN. Il faut ajouter aux archives publiques annuelles reçues les archives acquises de différents donateurs du secteur privé.

Enfin, les conclusions de l’analyse fonctionnelle proposent des orientations technologiques susceptibles de répondre aux besoins exprimés. Le système de gestion de base de données (SGBD) doit être suffisamment puissant et stable pour faire fonctionner les différents sous-systèmes étudiés. Les AN retiennent Oracle, un SGBD de type relationnel reconnu dans le monde informatique pour gérer efficacement un ensemble organisé de données reliées entre elles et accessibles par plusieurs systèmes et par plusieurs utilisateurs en même temps et pour des besoins différents. Ce SGBD fournit une infrastructure logicielle et technologique ouverte et capable de s’ajuster à l’évolution constante et aux besoins nouveaux des AN dans les centres d’archives répartis sur l’ensemble du territoire québécois. Toutefois, comme la recherche en vocabulaire libre en est à ses balbutiements, les archivistes doivent mettre en place un thésaurus pour effectuer la recherche croisée des informations dans ce SGBD. Le thésaurus de l’Université Laval est la base retenue après des essais de recherche dans des fonds d’archives gouvernementaux et privés. Cette base est par la suite augmentée par les mots-clés validés par les archivistes et insérés dans le thésaurus.

Les fonctions individuelles et bureautiques pour les employés sont prises en compte et les AN optent pour le mode client-serveur et les réseaux locaux afin d’assurer à chaque centre régional la plus grande autonomie possible. Ainsi, l’archiviste peut accéder à des données provenant de l’État général des fonds/collections, les traiter et ensuite passer à la rédaction d’un instrument de recherche ou d’un document dans des outils bureautiques, et ce, sans changer de poste de travail. Cette approche permet d’avoir un poste de travail pour chaque employé qui en a besoin.

En 1992, en raison de restrictions budgétaires gouvernementales, le Secrétariat du Conseil du trésor bloque tous les projets informatiques gouvernementaux. Les coûts du projet sont revus et soumis à nouveau pour approbation au Secrétariat. Les travaux se poursuivent et l’équipe de pilotage est très sollicitée durant cette phase finale. Au fur et à mesure de l’approbation des fonctionnalités, l’équipe prépare les manuels de formation pour le personnel rattaché aux différents sous-systèmes.

L’implantation du nouveau système des AN dans leur réseau est complétée en 1994. La difficulté majeure de cette implantation n’est pas nécessairement reliée aux équipements informatiques, mais plutôt à la mise en place des Règles pour la description des documents d’archives (RDDA) dans le travail quotidien du personnel des AN. De plus, les documents non textuels n’ont pas encore leur place dans le système, car ce n’est qu’à partir de 1996 que les normes de description pour ces types de support seront bonifiées dans les RDDA. Le personnel utilise des bases de données maison pour décrire les cartes et plans ainsi que les documents iconographiques. À terme, ces notices descriptives seront converties et versées dans le système Pistard.

Parallèlement à ce développement informatique majeur pour les AN, une autre équipe d’archivistes travaille à la mise à jour et à l’augmentation du Cahier des normes et procédures archivistiques des AN (Archives nationales du Québec, 1987) à la suite de la publication des RDDA et en lien avec les nouvelles préoccupations législatives. Cet ouvrage est connu de certains services d’archives à l’étranger et fait l’objet de demandes d’utilisation libre, voire de traduction. Son contenu rend hommage en quelque sorte à toute l’expertise des archivistes des AN à travers le temps.

Au milieu de la décennie 1990, le réseau Internet se développe à l’échelle mondiale et bouleverse les approches de communication et de diffusion. Le gouvernement du Québec souhaite marquer sa présence dans ce nouvel environnement et demande au ministère de la Culture et des Communications un plan d’intervention gouvernemental afin de favoriser le développement de sites Web au Québec. Un programme de financement encourage les organisations publiques et privées à accroître leur présence sur le Web. Les AN profitent de ce programme pour mettre en ligne leur premier site Web en 1996.

C’est aussi dans le cadre de ce programme d’inforoute qu’est lancé aux Archives nationales en 1995 un projet avec le câblodistributeur Cogeco. Celui-ci vise à mettre en valeur différents documents d’archives de la région de Trois-Rivières en plus de faire connaître les AN et leurs services dans cette région et à la grandeur du Québec.

Ce projet nécessite la numérisation de documents afin d’être en mesure de les diffuser sur son site Web. Comme la plupart des institutions vouées à la préservation et à la diffusion du patrimoine archivistique, les AN s’initient à ce nouveau champ d’activité. Des expériences sont menées à partir de divers supports de documents comme des films, des photographies, des cartes et plans et même des registres de l’État. Ces travaux amènent les AN à développer une expertise dans le domaine ainsi que des indicateurs de mesure sur le temps de préparation des documents, leur numérisation, leur entreposage et leur diffusion avec des outils Web.

3. LE DÉFI DE LA GESTION DES ARCHIVES issues DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION

Le xxie siècle s’ouvre sur des questions qui n’ont pas été résolues entièrement au cours de la décennie précédente. Pour les AN, conserver les archives technologiques des ministères et organismes reste un grand défi archivistique bien qu’en 1996, une étude a été mise de l’avant avec pour objectif de vérifier la faisabilité technique de conserver le patrimoine documentaire technologique des Québécois. Plus précisément, à ce moment-là, les AN cherchent à déterminer les moyens de convertir les banques de données structurées et produites par les systèmes informatiques à des fins de conservation pérenne et de diffusion aux chercheurs et au grand public.

Des essais sont effectués dans le cadre de cette étude, mais les ressources manquent avant d’en arriver à des solutions concrètes. Cependant, les participants à cette étude provenant de grands ministères et organismes établissent un processus de conversion des données et un schéma logique du format de conversion. Un peu plus tard, un autre comité interministériel poursuit ces travaux en collaboration avec le monde universitaire et produit un Cadre de référence gouvernemental en gestion intégrée des documents (CRGGID).

Publié en 2004, le CRGGID propose aux ministères et organismes des pistes de solutions pour faire face aux changements provoqués par le développement des technologies de l’information. Il s’assure notamment de répondre aux préoccupation des citoyens qui s’interrogent sur la sécurité de leurs échanges avec le gouvernement.

L’État favorise de plus en plus l’approche transactionnelle dans ses relations avec les utilisateurs de ses services. À titre d’exemple, les AN ont implanté deux nouveaux systèmes d’information au cours des dernières années. Le système GALA (2014) rend transactionnel le processus d’approbation des calendriers de conservation. Le système Advitam (2020) gère les demandes de versements des ministères et organismes adressées annuellement aux AN. De son côté, en rassemblant en un lieu virtuel les multiples ressources numériques, BAnQ numérique homogénéise l’offre de contenu de BAnQ en tenant compte des préoccupations des utilisateurs.

Nous vivons à une époque de profondes transformations dans la façon dont l’information est créée, utilisée et diffusée. Au-delà de l’aspect purement technique lié au développement des outils technologiques, ce changement de paradigme se répercute profondément au sein de nos professions et nous oblige à nous questionner sur nos rapports avec l’information, sur nos usagers, sur nos employeurs et sur les autres professions. Le rôle des institutions documentaires ne doit plus se limiter à offrir l’accès à la connaissance ; elles doivent encourager et soutenir la participation active des citoyens au développement d’un savoir de plus en plus universel et à la prospérité de la société.

4. LA GOUVERNANCE des informations et la transformation numérique 

Dans un contexte où le volume de données explose d’année en année et où les flux d’information se complexifient constamment, le caractère stratégique de l’information pertinente, de qualité et accessible prend d’autant plus de valeur. Pour que cette information puisse réaliser tout son potentiel, elle doit être gérée de manière appropriée. Il est donc essentiel, pour les organisations, d’assurer une gouvernance leur permettant d’encadrer de manière efficace et éthique l’information qu’elles acquièrent, conservent, transforment et partagent. Les AN conseillent l’appareil gouvernemental sur le plan stratégique, en ce qui concerne les grandes orientations et les politiques à adopter pour atteindre ces objectifs. Leur expertise est aussi interpellée dans la conception et l’application des outils de gestion de l’information. En effet, les AN collaborent activement depuis 2018 avec le Secrétariat du Conseil du trésor à la réalisation du cadre conceptuel de l’architecture gouvernementale et aux travaux visant la transition vers des bureaux sans papier dans les organismes publics.

Nous savons qu’une saine gestion de l’information doit permettre l’intégration des délais prévus au calendrier de conservation dès la création de celle-ci. Cela s’applique à tous les documents, y compris les banques de données assimilées à des documents. L’évaluation devrait donc se faire avant même que l’information ne soit créée. Or, les processus de création de l’information étant transversaux et impliquant souvent de multiples organismes, celle-ci est vouée à changer de contexte, de sens, d’entité responsable et de cadre légal. Ainsi, si effectivement le résultat de l’évaluation doit être une métadonnée associée à une information ou une donnée avant sa création, qu’en est-il des multiples usages qui seront faits par la suite de ces informations et de ces données ? Comment et quand évaluer la valeur d’une information appelée à changer de sens une fois reprise par des partenaires ou des citoyens ? Qui en est alors le propriétaire ? Qui en détient les droits d’auteur ? Cette situation entre en contradiction avec la conception actuelle des calendriers de conservation où chaque organisme doit créer et tenir à jour son propre calendrier. Il y a là matière à réflexion pour optimiser cet outil de gestion de l’information.

Par ailleurs, la classification/catégorisation des informations détenues par l’organisme demeure un outil essentiel pour établir le niveau de gestion de risque approprié en matière de sécurité de l’information. L’expertise des AN en classification peut ainsi être mise à profit pour accompagner les organismes dans la création, mais aussi dans la mise à jour de cette catégorisation de l’information. L’évolution qu’a connue la classification/catégorisation de l’information remet en question l’utilisation traditionnelle de l’indexation. Théoriquement, la classification et l’indexation n’émanent pas de la même volonté. Dans le premier cas, cela reflète le contexte de création de l’information tandis que dans le second, c’est le contenu de l’unité informationnelle qui en est la source. Il est intéressant de s’interroger sur les gains respectifs issus de ces différences théoriques du contexte de création des mots-clés/filtres pour les utilisateurs. La question des objectifs de la classification et de l’indexation se pose, ne serait-ce que pour mieux saisir leur avantage respectif et l’utilisation optimale qui peut être faite de ces différents outils, notamment du point de vue des utilisateurs lors de leurs recherches.

Cela est un exemple parmi tant d’autres de l’importance de bien comprendre les besoins des utilisateurs dans la création des outils. Les pratiques informationnelles sont marquées par une volonté de placer l’utilisateur au centre des approches, des méthodes et des outils utilisés dans la gouvernance de l’information numérique, et ce, qu’il soit interne à une organisation ou un citoyen souhaitant utiliser ses services. En ce sens, les archivistes devront aussi s’allier des spécialistes en communication pour s’assurer de répondre aux réalités mouvantes des citoyens et utilisateurs.

Les outils de gestion de l’information, dans leur conception actuelle, s’appliquent difficilement aux données. Pourtant, celles-ci se multiplient de façon exponentielle et prennent des formes diverses (mégadonnées, données de recherche, données ouvertes, données liées, etc.) ayant chacune des spécificités menant à une gestion distinctive. Le simple fait que des données soient disponibles en quantité phénoménale n’assure en rien leur qualité ni les possibilités d’utilisation ou de réutilisation future. Si des données sont de mauvaise qualité ou sont traitées de manière non éthique, cela mine de manière importante la confiance que peuvent avoir les utilisateurs envers elles, de même qu’envers les organismes qui les produisent et les diffusent. Comment renouveler les outils de gestion de l’information pour arrimer les données au reste des objets informationnels détenus par les organismes et ainsi assurer une réelle gestion intégrée de l’information ? Ces préoccupations vaudront aussi pour l’intelligence artificielle, qui crée de nouveaux objets d’information devant être compris, classifiés, sécurisés et conservés adéquatement. Les défis sont réels tant pour les organisations que pour la constitution de la mémoire du Québec. Les AN amorceront des réflexions sur la gestion des données : les archivistes ont le réflexe d’intégrer dès le départ les préoccupations liées à la description, à la conservation et à l’évaluation de la valeur pérenne des informations, ainsi qu’à la façon d’en garantir l’accès. Ces préoccupations se transposeront naturellement pour les données.

5. COMPÉTENCES ET FORMATION

Les AN deviennent des acteurs de changement dans le développement des compétences numériques des professionnels de l’information, tant pour les employés actuels des organisations que dans les programmes d’enseignement. Une mise à jour des connaissances et des compétences pour les professionnels de l’information est nécessaire, y compris aux AN. C’est un changement de culture dans l’organisation du travail : les organismes misent sur la créativité, le travail collaboratif et l’innovation. Le travail en réseau, le partage et la réutilisation doivent devenir des réflexes pour les employés. Dans les projets de transformation numérique, la dimension humaine des changements et son appropriation par les créateurs d’information sont au centre des préoccupations. Les AN doivent s’allier à des spécialistes en ressources humaines pour accompagner la gestion du changement qu’impliquent les réalités actuelles du numérique.

Les frontières entre les expertises de chacun s’atténuent ; les besoins de collaboration entre les acteurs s’accentuent et nécessitent une plus grande polyvalence. Apprendre le langage de nos partenaires est essentiel pour mieux se connaître, se comprendre et donc collaborer. Nous pensons spontanément à celui de nos collègues des technologies de l’information, précieux pour leur maîtrise des projets de développement des systèmes informatiques, de l’implantation de technologies émergentes ou de la cybersécurité notamment. Il en va de même pour les juristes, les avocats, les législateurs, les éthiciens et les autres spécialistes des questions de droits. Ils sont nos partenaires en matière de sécurité de l’information ainsi que d’équilibre entre la protection des droits et la diffusion de l’information. Ils sont aussi nos alliés pour la mise à jour du cadre légal et règlementaire entourant la gestion de l’information. Il est essentiel de comprendre leurs préoccupations et de faire connaître les nôtres : nous devons participer avec eux au redressement de multiples lois afin de leur donner une cohérence en termes de définitions, d’objectifs et d’exigences en ce qui concerne la gestion de l’information numérique. Le dialogue avec les spécialistes en communication, notamment pour bien comprendre les besoins des utilisateurs, tant dans la création d’outils répondant à leurs besoins qu’en matière de formations, s’avère aussi un incontournable, et la liste de ces collaborations pourrait facilement s’allonger.

Ainsi, la gestion du numérique remet en question les compétences nécessaires aux professionnels de l’information pour bien jouer leur rôle dans les organisations et la société et, par conséquence, la pertinence des formations offertes aux futurs et actuels gestionnaires de l’information. Les AN contribuent à ces réflexions notamment par leur participation au groupe de travail sur la main-d’oeuvre en archivistique du Comité sur les archives canadiennes et à un autre groupe de travail mis sur pied par la Fédération des milieux documentaires. Ce dernier travaille à l’élaboration de nouveaux profils de compétences pour les professionnels de l’information (bibliothécaires, archivistes, techniciens en documentation, etc.)[3]. Les AN se font aussi acteurs du changement en s’alliant à l’Académie de transformation numérique pour la mise en oeuvre de formations adaptées à la réalité actuelle de la profession de gestionnaire de l’information. Dans le même esprit, les AN oeuvrent à la constitution du Bureau d’expertise en gestion de l’information, un acteur dont la mission est de devenir un partenaire fort du SCT dans les projets de transformation numérique de l’État et une référence auprès des ministères et organismes.

6. ENVIRONNEMENT LÉGAL

Depuis les années 2000, la sensibilité des citoyens pour la protection des renseignements personnels s’est accrue considérablement, ce qui a engendré la recherche d’un équilibre entre la transparence de l’État et la volonté des organismes de protéger la confidentialité de leurs documents. Ces préoccupations se sont traduites aux AN par la nécessité de consacrer des ressources de plus en plus considérables à l’application des restrictions sur des documents déjà versés et lors du traitement des versements ainsi que sur les demandes d’accès à l’information. L’objet de ces restrictions s’est aussi grandement raffiné avec le temps : d’abord, ce fut au niveau de grandes séries documentaires, ensuite des dossiers, des pièces et maintenant de renseignements disséminés dans un document et des données. La mission et l’expertise des AN sont aussi interpellées par le cadre légal entourant la gestion de l’information numérique. Les défis à ce propos sont doubles.

D’abord, il y a le fait de stimuler la modernisation des lois et d’y participer, au premier chef la Loi sur les archives (RLRQ, chapitre A-21.1), mais aussi l’ensemble des lois nécessaires à la transformation numérique des organismes publics ainsi que les lois touchant l’équilibre entre la transparence et la protection de la vie privée. La volonté de réduire la fréquence du transfert d’une même information par les citoyens vers l’État en favorisant une plus grande circulation de l’information entre les organismes publics amène aussi la question de l’équilibre entre les objectifs d’efficience et de protection des renseignements personnels des citoyens dans l’espace numérique. Sur le thème de l’équilibre entre les droits, le Règlement général sur la protection des données, une nouvelle réglementation européenne entrée en vigueur en 2018, constitue un développement majeur à surveiller en ce qui concerne le droit au déréférencement et le droit à la portabilité des données ainsi que les obligations des entreprises et organismes.

Ensuite, les AN ont le défi constant de la polyvalence concernant la compréhension des divers contextes légaux s’appliquant aux organismes qu’elles conseillent et à la diversité des documents conservés par l’institution. À titre d’exemple, la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (RLRQ, chapitre A-2.1) s’applique bien sûr aux organismes gouvernementaux, mais pas aux tribunaux judiciaires. La publicité et la confidentialité des informations conservées par les tribunaux sont plutôt gérées par une multitude de lois et règlements provinciaux et fédéraux (Code civil, Code criminel, etc.). Il ne s’agit que de quelques exemples. De nombreuses autres lois affectent la gestion de l’information par les organismes publics que les AN conseillent (Loi sur la gouvernance et la gestion des ressources informationnelles des organismes publics et des entreprises du gouvernement (RLRQ, chapitre G-1.03), Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (RLRQ, chapitre C-1.1), etc.).

Le secteur des archives privées amène aussi son lot de défis. On le constate par exemple avec les préoccupations croissantes des donateurs d’archives photographiques au sujet du droit à l’image des personnes représentées sur les oeuvres offertes. Ces défis de compréhension et de polyvalence ne sont pas nouveaux pour les AN, mais le contexte actuel les complexifie.

7. DIFFUSION ET MISE EN VALEUR

Le numérique continue de transformer la diffusion et d’amener de nouveaux défis aux services d’archives et les AN n’y échappent pas. D’abord, il semble que la liste des plateformes de diffusion s’allonge constamment : sites Web, expositions virtuelles, instruments de recherche en ligne, ressources pédagogiques, blogues, espaces de socialisation, applications, etc.

Devant la panoplie d’options possibles, il est tentant de vouloir tout essayer, d’être à la fine pointe des derniers développements. Il est alors d’autant plus nécessaire pour les organisations d’encadrer leurs actions, de déterminer des objectifs en lien avec leur mission, leurs clientèles et leurs orientations stratégiques. Cette question des ressources nécessaires pour une diffusion proactive des archives se pose aussi pour la numérisation de la masse de documents analogiques. Leur mise en valeur demeure essentielle pour que des contenus tout aussi pertinents ne sombrent pas dans l’oubli, mais qui n’ont pas eu « la chance » de naître numériques. Les AN surmonteront ces défis en s’inspirant d’autres grandes institutions culturelles qui y sont aussi confrontées et en collaborant avec celles-ci.

Les technologies simplifient les modalités de partage et de réutilisation des documents. En plus d’être proactif dans la diffusion des informations, il faut s’interroger sur les autorisations liées à la réutilisation des documents par les citoyens. Jusqu’où les services d’archives sont-ils prêts à faire circuler hors de leurs murs virtuels du matériel provenant de leurs collections ? Dans le même sens, le mouvement de diffusion de données liées provenant des milieux documentaires est déjà amorcé. La publication de ces données, en les interconnectant avec celles d’autres types de documents, par exemple les publications, et avec celles d’autres organismes et institutions culturelles, augmente la visibilité des archives et les valorise. Cependant, cette interconnexion amène des questions éthiques du fait de l’association d’informations qui, prises individuellement, sont anonymes, mais qui, considérées comme un tout, peuvent aller à l’encontre du droit au respect de la vie privée. Cela interpelle la dimension éthique du rôle de médiateur des professionnels de l’information et des AN en ce qui touche l’équilibre entre les objectifs de transparence et la défense des utilisations abusives.

8. INFRASTRUCTURE TECHNOLOGIQUE

Parmi les enjeux majeurs se trouvent aussi les infrastructures nécessaires pour la conservation pérenne numérique de la mémoire du Québec. Les AN multiplient les initiatives pour obtenir les ressources permettant la réalisation d’un dépôt numérique fiable capable de remplir pleinement leur mission de conservation des informations et données à valeur pérenne. Les AN sont appelées à mettre sur pied les mécanismes assurant que les informations et les données demeurent authentiques, fiables, accessibles, utilisables, protégées et préservées aussi longtemps qu’elles sont nécessaires. Il faut aussi garantir la mobilité des données et l’interopérabilité des échanges entre les organisations et les systèmes patrimoniaux des AN.

Nous savons qu’aucun format n’est pérenne et que la seule manière de s’assurer qu’un document numérique sera lisible et exploitable par les générations futures est de le créer dans un format dont nous suivrons les risques d’obsolescence et pour lequel des stratégies de migration vers un autre format seront planifiées. Il est plus simple de réaliser cette conservation à long terme pour certains formats que pour d’autres, en fonction de leurs caractéristiques. Par ailleurs, de par leur mission, les AN acquièrent, conservent et diffusent des documents d’origines très variées : ministères, tribunaux, mais aussi secteur privé. S’il est important dans le secteur public de travailler en amont, avant même la création des informations, pour les gérer en envisageant que certaines seront éventuellement vouées à la conservation pérenne, cela est plus difficile dans le cas des archives privées. Il faudra s’interroger sur la meilleure stratégie entre l’imposition ou la recommandation de certains formats spécifiques à l’étape de la prise en charge par les AN en vue d’une conservation pérenne. La publication en mars 2020 du Guide concernant les formats recommandés par BAnQ[4] constitue un pas vers l’uniformisation et donc une gestion plus simple des stratégies de migration, de suivi de l’évolution technologique.

CONCLUSION

Au cours des dernières décennies, le développement des AN a été marqué par plusieurs transformations. D’abord, l’entrée en vigueur de la Loi sur les archives (RLRQ, chapitre A-21.1), qui détermine les rôles et responsabilités à la fois des organismes publics et des AN. Ensuite, l’informatisation nécessaire pour soutenir le développement des activités des AN et la diffusion des archives dans un contexte organisationnel changeant. Ces transformations s’effectuent conjointement avec le rayonnement accru de l’expertise des AN dans le développement de la pratique archivistique sur les plans canadien et international. Aujourd’hui, les AN poursuivent activement leur mission dans le contexte stimulant des défis posés par les technologies de l’information et par les transformations affectant l’évaluation, la création, la conservation, la diffusion et la réutilisation des informations contemporaines et historiques. Dans cette optique, les AN multiplient présentement leurs efforts visant à réviser le cadre légal et règlementaire nécessaire à la poursuite de leur mission ainsi qu’à contribuer aux travaux liés à la transformation numérique de l’État et à la mise sur pied d’un dépôt numérique fiable. Par ces actions concertées, mettant à profit les compétences de toute la communauté archivistique québécoise, BAnQ sera en mesure d’assurer d’une part, la préservation de la mémoire collective, et d’autre part, la protection d’une information de qualité centrée sur le citoyen d’aujourd’hui et de demain de manière à garantir à tous le droit au savoir.