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L’ouvrage de Florian Delabie, Gestion et préservation de l’information. Comprendre, coordonner, agir, apporte une réflexion sur les pratiques documentaires dans les organisations. En se basant sur ses expériences professionnelles en archivistique, l’auteur propose un guide pratique qui présente les nouveaux enjeux de gestion de l’information, ainsi que des pistes d’actions pour y répondre. Dès l’introduction, il soutient que, dans le contexte de transformation numérique, l’information est devenue un actif important pour les organisations. Cependant, les pratiques professionnelles actuelles ne démontrent pas cette importance. En effet, elles demeurent orientées vers les aspects opérationnels de la gestion de l’information, alors que les professionnels de l’information, bien que présents dans les organisations, « ne jouent pratiquement jamais un rôle central leur permettant d’être impliqués dans les différentes initiatives liées aux documents et aux données » (p. 23). Sur la base de ces constats, Delabie propose un ouvrage qui vise à interroger et repenser les façons de faire en gestion et préservation de l’information.

L’ouvrage se divise en trois parties qui correspondent au sous-titre du livre, soit comprendre, coordonner et agir. Dans la première partie, Comprendre, l’auteur explique que l’émergence du numérique a soulevé différents enjeux dans le fonctionnement des organisations et, plus spécifiquement, dans les pratiques documentaires. Parmi les enjeux identifiés, mentionnons le volume grandissant de l’information numérique, la multiplication et la diversité des outils de gestion, ainsi que l’interopérabilité entre les systèmes. Dans ce contexte, l’auteur mentionne l’importance, pour les professionnels de l’information, de s’appuyer sur différents leviers, tels « les évènements organisationnels et les pressions externes » (p. 51) qui offrent des occasions de repenser les pratiques. La première partie se penche également sur les freins organisationnels. Delabie identifie trois grands éléments qui peuvent entraver la mise en place de projets de gestion de l’information. D’abord, l’absence de soutien aux activités de gestion de l’information qui sont, souvent, méconnues des décideurs. Ainsi, il importe que ces activités soient alignées « sur la vision de l’organisation et contribue[nt] à la stratégie qui la sous-tend » (p. 54). Les professionnels de l’information doivent démontrer leur contribution à la stratégie organisationnelle afin de générer des retombées concrètes et de pouvoir disposer des ressources nécessaires. En outre, les ressources sont une préoccupation importante et elles représentent le second frein identifié par l’auteur puisque les activités de gestion de l’information ne sont, habituellement, pas positionnées de façon stratégique dans les organisations, les ressources (humaines, financières, etc.) étant souvent insuffisantes. Quant au troisième frein, il résulte d’une vision trop axée sur les technologies de la gestion de l’information au détriment du facteur humain ou de la maîtrise des processus. L’auteur explique que les technologies sont importantes, mais elles requièrent la mise en place d’un cadre de bonnes pratiques afin d’assurer la conformité de l’organisation aux exigences d’affaires. Le professionnel de l’information semble être tout désigné pour définir ces bonnes pratiques.

Par ailleurs, l’auteur mentionne que le professionnel de l’information doit, de plus en plus, s’intéresser à la perception qu’ont les autres acteurs organisationnels de son rôle et de ses responsabilités. Il explique que la compréhension des enjeux de gestion et de préservation de l’information requiert de poser un regard tant sur la profession que sur le professionnel. D’une part, les acteurs doivent avoir une compréhension commune des enjeux informationnels et la terminologie utilisée doit être adaptée de façon à être comprise de tous. D’autre part, il faut « dépoussiérer la profession et tenter d’en changer l’image » (p. 58) afin de revoir le positionnement du professionnel de l’information dans son organisation qui est, le plus souvent, cantonné aux tâches opérationnelles et non pas impliqué dans les prises de décision. Selon l’auteur, ces questionnements sont importants pour faciliter la collaboration avec les parties prenantes de l’organisation lors de la mise en place d’activités de gestion de l’information. Quant à l’information elle-même, il est nécessaire de bien la positionner comme étant un actif et de clairement démontrer la valeur ajoutée d’une saine gestion au moyen d’une analyse des risques ou encore, d’une analyse de la « valeur des actifs informationnels par la gestion des coûts dans une organisation » (p. 71).

La seconde partie, Coordonner, présente des cadres d’analyse et des outils pour optimiser la gestion et la préservation des actifs informationnels. L’auteur introduit, d’abord, la notion de gouvernance de l’information. En effet, une réponse aux enjeux, mentionnés dans la première partie de l’ouvrage, requiert l’élaboration et l’implantation d’un cadre de responsabilité organisationnel telle la gouvernance de l’information. Cette gouvernance doit s’inscrire dans une perspective stratégique qui tient compte des objectifs et qui place la gestion de l’information au coeur des préoccupations organisationnelles. Selon Delabie, l’argumentaire (le business case) est un outil important pour démontrer la valeur ajoutée des activités en gestion et préservation de l’information et pour convaincre les décideurs de leur pertinence. Il détaille les différentes composantes nécessaires à inclure dans l’argumentaire, soit la valeur ajoutée de l’activité, la description, la planification, les risques et les mesures d’atténuation ainsi que l’analyse des coûts et l’estimation du retour sur l’investissement. Les activités de gestion et de préservation de l’information doivent, en outre, tenir compte de la culture informationnelle de l’organisation. Il s’agit là d’un concept important de cette partie de l’ouvrage. L’auteur insiste d’ailleurs sur l’importance de la culture informationnelle et de l’implication des divers acteurs pour assurer une gestion efficace de l’information qui est ancrée dans la longue durée.

La troisième partie, Agir, propose des moyens pour mettre en place une gouvernance de l’information. En s’appuyant sur les modèles conceptuels existants, Delabie présente les différentes composantes de la gouvernance de l’information en mettant l’accent sur le côté humain de la gestion de l’information. Il démontre que pour implanter des mesures de gouvernance de l’information, des partenariats et des collaborations avec les parties prenantes doivent être établis afin de coordonner les actions à prendre. Pour ce faire, le professionnel de l’information doit posséder toutes les compétences, tant disciplinaires que transversales, pour mener de telles activités et ainsi se positionner comme un acteur incontournable de cette gouvernance. L’auteur présente ensuite l’approche de gestion de l’information en stoemelings qui se « concrétise par une vision pratique, centrée sur les résultats et l’implication des utilisateurs » (p. 159). Cette méthode consiste à faire une gestion de l’information qui est transparente pour les utilisateurs sans pour autant « expliciter ou imposer les objectifs en matière de gestion de l’information » afin de faciliter l’adhésion et la gestion du changement. Cette approche s’appuie sur un ensemble de principes. Parmi les principes identifiés par l’auteur, mentionnons le fait de posséder une connaissance holistique du fonctionnement de l’organisme et des plateformes utilisées ; d’« adopter une approche positiviste, centrée sur les opportunités plutôt que les contraintes » (p. 165) ; ainsi que de mettre en place une approche systémique qui considère l’ensemble des composantes de gestion de l’information et leur interaction. Delabie termine en rappelant « la nécessité de considérer l’information comme un actif des organisations et donc de l’inclure dans les discussions et décisions d’ordre stratégique » (p. 203).

Une vision holistique et stratégique de la gestion et de la préservation de l’information

Cet ouvrage présente une vision holistique et stratégique de la gestion et de la préservation de l’information. Delabie démontre bien que la profession d’archiviste a connu d’importantes transformations. À l’aide de plusieurs exemples, il montre que la mise en application des fonctions archivistiques (création, classification, description, etc.) requiert des adaptations aux nouvelles réalités organisationnelles et technologiques et qu’une collaboration étroite avec d’autres types de professionnels est maintenant nécessaire pour permettre la gestion et la préservation de l’information. Ainsi, l’auteur aide à prendre conscience des changements advenus au sein de la profession depuis quelques années. Cette réflexion permet de traduire en mots des situations vécues par les professionnels de l’information dans divers milieux.

Cet ouvrage présente différents leviers qui doivent être considérés dans la mise en place de dispositifs de gestion de l’information dans une organisation, notamment la gouvernance de l’information, l’analyse des parties prenantes, l’importance d’établir des collaborations et des partenariats, l’analyse de risques ou encore l’alignement de ses activités avec la stratégie organisationnelle. Il est clairement démontré que ces leviers peuvent contribuer à positionner stratégiquement la gestion de l’information ainsi que l’expertise du professionnel de l’information pour soutenir les activités en gestion de l’information. Ces concepts sont, depuis plusieurs années, bien présents et acceptés dans la littérature anglophone. Or, très peu de publications en français abordent la gestion et la préservation de l’information sous cet angle, d’où l’importance d’un tel ouvrage pour l’archivistique québécoise.

En somme, cet ouvrage, qui offre des pistes d’actions pratiques, présente un intérêt certain pour tout archiviste qui souhaite adopter une approche stratégique et jouer un rôle prépondérant parmi les acteurs impliqués dans la gestion de l’information de son organisme. Même si l’auteur appuie ses démonstrations sur la gestion de l’information numérique, cet ouvrage demeure pertinent pour les archivistes oeuvrant en gestion des archives historiques qui doivent aussi convaincre les décideurs de la pertinence de leurs actions et assurer l’optimisation des ressources nécessaires à leurs activités.