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La montée en puissance des organisations humanitaires et l’écho que leur action a connu auprès des populations occidentales constituent sans aucun doute une des données marquantes de ces trente dernières années. Dans leur sillage s’est créée toute une constellation d’ONG exerçant leurs compétences dans des domaines très divers.

Ce n’est sans doute pas un hasard si l’on englobe spontanément ce type d’acteurs sociopolitiques dans une catégorie globale aux contours assez flous : l’« humanitaire ». La multiplication des occurrences de cet adjectif est significative : on parle d’engagement humanitaire, d’urgence humanitaire, voire même de philosophie humanitaire. Cette séparation assumée entre l’humanitaire et le politique a pour effet d’ouvrir aux ONG un espace d’action et de communication sans commune mesure avec celui qu’elles avaient occupé jusqu’alors.

Pour donner un exemple parmi d’autres de ce processus, on prendra le cas des campagnes menées par l’organisation Oxfam. L’Oxford Committee for Famine Relief a été créé en 1942 par deux universitaires et un homme d’affaires britanniques pour fournir des vivres à la Grèce alors occupée par les nazis et sous le coup du blocus allié. Depuis lors, Oxfam est devenue l’une des ONG les plus en vue dans le domaine de l’humanitaire. Sur son site web, elle résume ainsi ses principes d’action : « nous travaillons avec des personnes vivant dans la pauvreté », « [n]ous faisons pression sur les décideurs », « [c]eux qui sont marginalisés, parce que ce sont des femmes, des handicapés, ou des membres d’une minorité ethnique ou religieuse, sont plus souvent pauvres. Nous luttons contre ces discriminations »[1]. Cette ONG conjugue trois activités essentielles : d’un côté le développement et l’aide humanitaire ; de l’autre les campagnes et le lobbying pour influer sur les politiques et les pratiques internationales ; enfin, la mobilisation du grand public sur ces questions.

Avec un budget annuel de 1,3 milliard de dollars, Oxfam a les moyens de ses ambitions multiples. Elle constitue aujourd’hui une confédération qui regroupe douze organisations, dans plusieurs pays d’Europe, au Canada, aux États-Unis, en Australie, à Hong Kong, en Afrique, ainsi qu’un réseau d’associations actives dans plus de cent pays. Oxfam compte 200 000 membres et emploie 3 500 permanents ; outre ses différentes organisations, elle a ouvert des bureaux à Londres, Bruxelles, Genève et New York, où siègent respectivement le Parlement britannique, la Commission européenne, l’OMC et l’ONU.

Le travail d’Oxfam en matière de développement et d’aide humanitaire s’inscrit dans une stratégie plus vaste qui part du principe que « la pauvreté est un état d’impuissance dans lequel les personnes ne sont pas en mesure d’exercer leurs droits ». Ces droits sont au nombre de cinq : le droit à des moyens de subsistance durables, le droit aux services sociaux de base, le droit à la vie et à la sécurité, le droit d’être entendu et le droit à une identité. La défense des droits économiques et sociaux constitue la base des plans stratégiques pluriannuels que met en oeuvre l’organisation. Dès les années 1960, Oxfam s’est lancée dans ce qui allait devenir la grande aventure du commerce équitable, en créant des liens avec les producteurs des pays en développement et en trouvant des débouchés à leurs produits, et en pratiquant inlassablement la récupération de vêtements et autres marchandises de seconde main qu’elle revend à bas prix.

« Vers l’équité mondiale » ; ainsi s’intitulait le Plan stratégique 2001-2006, qui visait notamment à l’amélioration de l’accès au marché des pays du Sud[2]. Dans cette idée, OXFAM s’est investie dans la préparation du nouveau cycle de négociations de l’OMC que devait inaugurer la réunion de Cancun (septembre 2003). Elle prônait le redéploiement des subventions agricoles vers des objectifs sociaux et environnementaux et la défense des droits des pays pauvres à protéger leurs marchés agricoles. Comme on le voit, ce type d’ONG n’intervient pas seulement sur le terrain en multipliant les initiatives dans le domaine du développement et du commerce équitable. Elle met en oeuvre une stratégie globale basée sur une vision générale de l’économie qui s’inscrit en faux contre les excès du néolibéralisme. Ce que conteste Oxfam, ce n’est pas la libéralisation des échanges en soi, mais plutôt la façon dont l’ouverture s’opère sans tenir compte des situations spécifiques des pays les plus pauvres et en favorisant le maintien des subventions à certains types de productions tant en Europe qu’aux États-Unis, avec pour effet un véritable dumping agricole.

« Mettre le commerce au service du développement durable… et pas l’inverse », était l’un des mots d’ordre de la campagne extrêmement efficace qu’a menée Oxfam en marge de la conférence interministérielle de Cancun en 2003. Au départ, les négociations étaient plutôt bien engagées, l’accord sur l’accès des pays pauvres aux médicaments de première nécessité avait été adopté, mais la tension est montée lorsque quatre pays, le Bénin, le Burkina Faso, le Tchad et le Mali ont fait état de l’importance que revêt pour leur économie la production et le commerce du coton. Eu égard au déséquilibre qu’entraînent les subventions accordées dans ce secteur aux producteurs des pays riches, ils ont demandé la suppression de ces subventions. L’initiative sectorielle sur le coton a eu pour effet de cristalliser l’opposition entre les pays pauvres, menés par l’Inde, le Brésil, le Kenya et la Chine, face aux États-Unis et à l’Europe. Dans cette partie de bras de fer, les ONG présentes, Oxfam en tête, prirent fait et cause pour les pays en développement. Dès avant le début de la conférence, Oxfam avait lancé une pétition, Le grand vacarme, dénonçant l’injustice des règles du commerce international, qui recueillit trois millions de signatures dans le monde entier. La pétition fut remise en grande pompe au directeur général de l’OMC par Chris Martin, chanteur du groupe britannique Coldplay, et Adrian Lovett, directeur des campagnes et de la communication d’Oxfam. Le groupe, accompagné d’une multitude de journalistes, revenait d’une visite auprès de producteurs mexicains de maïs au cours de laquelle ils avaient pu prendre la mesure des difficiles conditions de vie et de travail de ces agriculteurs. Parallèlement à cela, des événements médiatiques (concerts, CD du Grand vacarme), conjugués à une semaine d’action auprès du Parlement européen, auxquels faisaient écho les communiqués et les analyses diffusés sur le site de l’organisation, contribuaient à faire monter la pression.

Durant les quelques jours de la réunion de Cancun les porte-parole d’Oxfam ne se contentèrent pas d’animer des manifestations ; ils jouèrent aussi un rôle de conseil auprès des pays pauvres et firent en sorte de populariser leur position auprès des médias en multipliant les conférences de presse. L’ONG avait ainsi transformé la conférence en un « morality play », comme le constatait, non sans amertume, un membre de la délégation de l’UE. Il est intéressant de noter qu’entre le Commissaire européen en charge du Commerce extérieur et les ONG s’était instauré un dialogue dans le cadre d’un groupe de contact où celles-ci étaient informées et consultées. La compétence d’une organisation comme Oxfam sur les sujets agro-alimentaires est en effet reconnue : elle fait travailler ses propres experts, des économistes de haut niveau, et la Commission européenne l’a consultée sur des domaines délicats comme celui du sucre où la pression des lobbies est particulièrement forte. À Cancun, la délégation de l’UE comprenait des représentants des ONG, mais ces derniers, forts de leur indépendance et de leurs convictions en matière de commerce équitable, ont défendu des positions diamétralement opposées.

En relatant les événements, certains ont accusé Oxfam de jouer un « double jeu », d’un côté celui du sérieux et de l’expertise, de l’autre celui de la contestation systématique, quitte à pourrir la négociation. En tous les cas l’échec final de la conférence a mis en lumière l’impact de ce type d’organisation en tant qu’elle se veut porteuse d’un projet qu’elle impose face au jeu de la diplomatie des États-nations. Ce n’est pas qu’elles entrent directement dans ce jeu : à Cancun les ONG n’étaient évidemment pas présentes dans la salle où se tenait la conférence interministérielle. Leur force tient avant tout dans la manière dont celles-ci transforment ce qui n’est qu’une péripétie des relations interétatiques en un véritable événement, et dans leur capacité à produire par le biais de ce dernier le spectacle de l’affrontement immémorial des bons et des méchants. L’un des documents diffusés par le site d’Oxfam sur l’échec de la réunion s’intitule significativement Le bon, la brute et l’incertain[3] (traduire : les pays pauvres, les États-Unis et l’Europe). Chez les négociateurs officiels, on s’est parfois gaussé du nombre élevé de porte-parole d’Oxfam, alors que certains pays n’ont pas même les moyens de payer les frais de déplacement de leurs représentants.

À sa manière, cette organisation mondialisée, qui dispose d’une logistique remarquable, constitue bien une puissance avec laquelle il faut désormais compter. Si l’on tente d’analyser la nature de cette puissance, on peut y voir la combinaison de plusieurs éléments : l’assise économique, le professionnalisme, l’initiative entrepreneuriale, l’impact médiatique, et enfin, et c’est tout aussi important, la prévalence à la fois dans l’action et le discours de la thématique de la survivance. Ces traits ne sont pas spécifiques à Oxfam, on les retrouve dans les autres grandes ONG. Outre les cotisations et les dons, les grands organismes humanitaires reçoivent le soutien des grandes institutions nationales et internationales. Aux subventions internationales et aux financements publics nationaux s’ajoute la manne privée qui représente la plus grosse part des subsides recueillis. L’organisation du World Wild Fund (WWF) a développé des collaborations avec des entreprises allant des produits de licence au partenariat de conservation. De même, Max Havelaar, l’ONG pionnière en matière de commerce équitable, délivre-t-elle son label à des firmes de thé et de café affirmant le respect de certains principes éthiques. Son label concerne près d’un quart des 20 millions de travailleurs du secteur du café dans le monde. L’ONG perçoit des torréfacteurs ainsi labellisés 18 centimes d’euros par kilo de café certifié[4].

Les ONG sont sans cesse à la recherche de budgets qui leur permettent de développer leur action. Cette situation les contraint à privilégier, dans le domaine de l’humanitaire, les techniques de marketing. À la manière des entreprises privées, les ONG entrent en concurrence entre elles, ce qui les incite à chercher les bons « positionnements » (et pourquoi pas les « bonnes » victimes) pour susciter les faveurs des donateurs. Elles consacrent de plus en plus d’argent à la communication et à la levée de fonds, et elles n’hésitent pas à mettre en oeuvre une gestion qui se montre soucieuse de répondre aux exigences de rentabilité sociale de leurs bailleurs de fonds. Dans certains secteurs, la forte croissance des financements institutionnels a des effets pervers car elle aboutit à favoriser les zones où les situations d’urgence sont les plus médiatisées au détriment d’autres programmes qui concernent des terrains moins médiatiques.

Les ONG s’inscrivent dans une logique qui n’est pas celle des organismes publics, mais les rapproche plutôt du monde de l’entreprise. À Oxfam, les responsables que j’ai rencontrés venaient du privé, où ils avaient occupé des fonctions de cadres. Par exemple, la représentante de l’organisation à Genève a débuté dans une banque de développement aux États-Unis ; à Oxford, l’un des cadres était auparavant dirigeant chez British Petroleum en Zambie. On y trouve aussi d’anciens fonctionnaires de l’Union Européenne. Le fait que ces personnels d’ONG proviennent des élites d’entreprises ou de grandes organisations internationales explique que le militantisme des origines ait fait place au réalisme des méthodes de gestion

La professionnalisation, notamment pour la recherche de fonds, impose un style de communication qui contamine le discours des ONG et l’assimile au mode d’expression qui prévaut dans le monde marchand. Il est bien évident que, pour dépasser le stade de la dénonciation et ne pas s’enfermer dans une mission de thérapie urgentiste, les ONG sont confrontées à la nécessité de s’institutionnaliser dans leur rapport au financement public. Elles s’en trouvent métamorphosées, ce qui pèse sur leur autonomie et peut modifier leur culture associative. Les ONG sont porteuses d’une rationalité inédite qui prend sa place à côté de la logique des profits et de la bureaucratie ; on voit ainsi émerger une nouvelle logique de la territorialisation et de la mutualisation qui vient complexifier les relations traditionnelles entre pouvoir politique et pouvoir économique, entre syndicats et entreprises.

On pourrait ajouter que l’une des fonctions objectives des ONG consiste à opérer la jonction entre le centre et les périphéries, et surtout à renforcer la pression des périphéries sur le centre. Elles agissent sur les pouvoirs internationaux en mettant au premier plan la problématique des désordres créés par la mondialisation, qu’il s’agisse des abus sociaux et humains, des dérèglements écologiques et de l’approfondissement du fossé entre Nord et Sud. L’un des résultats dont peuvent se targuer les ONG, c’est d’avoir imposé sur la scène internationale la prise en compte du principe de responsabilité en faisant prévaloir l’obligation morale pour les États de faire ou de réparer. Leurs multiples campagnes ont abouti à une prise de conscience chez les acteurs gouvernementaux que la survie d’humanité passe par interdépendance des unités qui la composent et qu’il existe une solidarité forte entre générations. Faut-il s’étonner que la mutation qualitative qu’ont connue les ONG ait suscité en leur sein même tout un ensemble d’interrogations? Les tensions qui se font jour concernent, en premier lieu, les modes de gestion de la société civile : faut-il faire évoluer le fonctionnement des ONG dans le sens d’une rationalisation conforme au modèle des entreprises privées les plus performantes? Doivent-elles avant tout incarner un idéal de militantisme et de solidarité dans la lignée du mouvement associatif où elles puisent leurs racines?

Ces questions ne font que refléter l’orientation constitutive des ONG. Celles-ci s’inscrivent dans une tradition très différente de celle qui a caractérisé le triomphe de l’État-providence dans un pays comme la France. Dans le monde anglo-saxon l’importance du bénévolat et de l’initiative privée de type caritatif est liée au rôle que jouent les acteurs de la société civile dans la prestation de services qui sont ailleurs considérés comme du ressort exclusif de l’État. Les Nord-Américains ont inventé l’expression de « non-profit sector » pour distinguer ce domaine de ce qui est du ressort des affaires et du gouvernement. Ils le désignent aussi comme le « third sector ». La mise en place du tiers secteur avec son tissu d’associations subventionnées par les fondations et sa montée en puissance se sont traduites par la création d’un modèle original où l’initiative privée joue un rôle essentiel ; le tiers secteur se veut indépendant. La multiplicité des financements, via les dons, les fondations ou les aides gouvernementales est censée permettre de préserver cette autonomie. De même, le pluralisme et l’absence de centralisation sont considérés comme des conditions indispensables pour assurer efficacement le développement de ces domaines. Cette démarche est très différente de nos conceptions de la solidarité sociale : elle vise en effet à mettre des investissements privés au service de l’intérêt collectif.

Il n’est donc pas sans intérêt de se référer au débat qui agite le milieu de la philanthropie aux États-Unis et qui oppose les tenants du bénévolat traditionnel aux thuriféraires de la philanthropie risque (Abélès 2002 ; Guilhot 2004) pour comprendre les discussions concernant la vocation entrepreneuriale des ONG. Dans cette perspective les ONG devraient s’avérer plus professionnelles, et se plier aux principes qui ont prévalu dans l’univers marchand. D’où la nécessité de prendre en compte le « retour sur investissement » et de se doter d’un personnel recruté sur des critères de compétence et d’efficacité plutôt qu’en référence à un engagement moral. Le danger que dénoncent les adversaires de cette évolution réside dans la prise du pouvoir par une élite de lobbyistes et de communicants, de plus en plus coupée des problèmes sociaux et humains qui sont à la racine de l’action des ONG.

Pour autant, on peut se demander si la spécificité de ces dernières ne tient pas précisément à un double ancrage : politique en tant qu’acteurs de la cité globale, économique en tant qu’entreprises axées sur la survie. Du point de vue politique les ONG peuvent se targuer de faire advenir dans l’espace public « la voix des sans-voix », de donner à entendre la souffrance, cette « misère du monde » présente dans les coins les plus reculés de la planète. Ces organisations seraient des vecteurs de politique, dans la mesure où par leur action et par la mise en spectacle qu’elles font continuellement de la misère du monde confrontée aux formes multiples d’exploitation et d’inégalités, elles mettent en évidence ce qui est occulté dans le processus de globalisation néolibérale et font entendre une note discordante face aux discours bien rodés des forces dominantes. Pour reprendre la définition proposée par Rancière, on a bien affaire ici à de la politique, c’est-à-dire un mode de manifestation qui subvertit le partage du sensible, la configuration qui définit les partages et les parts, en introduisant une présupposition hétérogène à cet ordre, « celle d’une part des sans-part, laquelle manifeste, en dernière instance, la pure contingence de l’ordre, l’égalité de n’importe qui avec n’importe qui » (Rancière 2002 : 53). L’échec de Cancun est, en ce sens, exemplaire. Un peu comme les plébéiens qui se retirent sur l’Aventin et dont tout à coup les patriciens romains réalisent qu’ils sont des humains comme eux, et même mieux, des égaux, les pays du G 21, en refusant de signer l’accord que les patriciens de la mondialisation introduisent au coeur de la négociation, jouent par leur attitude cette part des sans-part que le jeu réglé de la diplomatie tend à rendre invisible.

Quand on considère l’action des ONG, il est indéniable qu’elles contribuent à créer des points de rupture qui permettent l’instauration d’un espace politique où la voix des sans-voix se fait entendre. En ce sens, même si l’on peut légitimement récuser leurs prétentions à incarner la « société civile », ce qui est sûr, c’est qu’elles induisent du désordre, de la discordance dans le concert de l’interétatique. Est-ce à dire que ces organisations sont par elles-mêmes subversives, de nature différente des autres institutions internationales? En observant le professionnalisme des ONG, l’appartenance de leurs cadres aux élites mondialisées, on comprend vite que ces dirigeants n’ont rien de commun avec l’idéal du révolutionnaire professionnel qui orientait le militantisme cosmopolite d’antan. En réalité, ce qui incite le personnel de gestionnaires en charge des grandes ONG à préférer s’impliquer dans ce cadre plutôt que de faire carrière dans le privé ou dans les grandes institutions internationales, c’est le plus souvent un engagement de type éthique. Cela ne signifie nullement la mise en cause du système capitaliste et l’instauration d’un nouvel ordre social.

Il ne faut cependant pas oublier que les grandes organisations de l’humanitaire et du développement, dont on a souligné qu’elles sont des acteurs privés, entretiennent, de par leur statut et leur mode de fonctionnement, une connivence forte avec l’univers de l’entreprise. Comme ces dernières, les ONG ressortissent avant tout de l’économique. Lorsqu’on fait état de leur dimension politique en raison des effets qu’elles produisent au sein de l’espace public, il importe d’ajouter que leur impact est lié au caractère primordialement économique de leur action. Nous nous plaçons ici dans le domaine de l’économie de la survie qui constitue le champ d’intervention propre à ces organisations. On associe spontanément à l’économie l’échange des biens et la prévalence du marché. Ouverture, circulation de plus en plus intense des marchandises, telle se présente la réalité de l’échange mondialisé. Dans ce contexte, l’économie de la survie semble en tout point contredire les principes qui régissent l’économie de marché. Là où cette dernière exalte la liberté des échanges, la première souligne la nécessité d’une intervention des hommes. En outre, l’objet de l’économie de la survie, c’est-à-dire avant tout la vie nue, l’exclu, le nécessiteux, l’urgence humanitaire, relève d’actions antithétiques aux principes économiques (Cuillerai 2003).

Peut-on cependant parler d’une complémentarité entre cette dernière et l’économie de la survie? L’économie de la survie peut-elle apparaître comme une alternative possible au marché, et à la déshumanisation croissante des relations marchandes? Si Mauss (1950) inspire aussi largement les partisans les plus radicaux de l’alteréconomie ou de l’économie solidaire, c’est moins parce que ceux-ci se réfèrent au paradigme du don et de la réciprocité que parce qu’ils voient dans la gratuité, notamment dans la revendication d’une allocation universelle de citoyenneté, l’horizon d’une utopie prometteuse. En s’appuyant sur l’expérience des institutions intermédiaires qui structurent les expériences d’économie solidaire, ils cherchent à promouvoir des formes d’action qui combinent les initiatives institutionnelles internes au monde économique, comme les fonds d’investissements éthiques, les labels « commerce équitable », ou les projets d’entreprises citoyenne. Ainsi, puisant chez Mauss et Polanyi (Caillé 2005), l’économie solidaire se réclame-t-elle d’autres modèles que celui de l’autorégulation. Elle veut instituer une véritable hybridation du lien monétaire et du lien social. On voit se profiler l’ambition d’une « économie plurielle » où coexisteraient, enchâssées les unes dans les autres, l’économie des biens publics, l’économie de la réciprocité, solidaire et associative, et l’économie monétaire.

Ce qui donne sa coloration si particulière au phénomène ONG, c’est que l’activité de ces organisations est centrée sur l’économie de la survie. En conséquence, leur discours, qui porte la marque de l’urgence, s’inscrit aussi dans l’horizon d’un avenir rendu incertain par les menaces induites par la marchandisation de l’univers. L’économie de la survie porte en elle la question de la durabilité (sustainability). On le voit clairement dans le domaine environnemental où les catastrophes donnent régulièrement l’occasion de rappeler la responsabilité d’un modèle de développement productiviste et axé sur le profit. Les réactions des populations des pays développés vis-à-vis des grands désastres naturels récents sont tout à fait symptomatiques de l’écho que suscitent les situations de crise.

Bien que ces pratiques se situent dans une autre finalité que celle de l’économie de marché, dans une logique du bénévolat non orientée vers le profit, il est clair qu’il peut exister des formes de complémentarité entre l’économie de la survie et le capitalisme globalisé. Non seulement la première peut fonctionner comme soupape de sécurité du second, mais, comme on le voit, elle en vient à s’inspirer des modes de gestion qu’il a développés. On pourrait donc soutenir que, loin d’incarner un projet alternatif, les travailleurs de l’humanitaire, les chantres du commerce équitable ne font que conforter le système mondial. Il existe en tout cas un net clivage entre des positions radicales qui s’en prennent frontalement à ce système et le discours de grandes ONG, comme Oxfam ou WWF, engagées dans la lutte contre les inégalités, mais qui ne remettent nullement en cause l’économie de marché.

Les projets à vocation éthique qui visent à rééquilibrer les relations commerciales entre producteurs et salariés du Sud et consommateurs du Nord souhaitent faire prévaloir certains principes fondamentaux : la définition d’un juste prix permettant au producteur et à sa famille de vivre dignement ; des conditions de travail correspondant au moins aux normes du Bureau international du travail ; des critères dits de « progrès ». Ils s’en prennent au caractère réducteur des conceptions qui exaltent l’homo oeconomicus et qui font de l’argent et du marché une fin plutôt qu’un moyen. Pour eux il faut redonner à l’individu sujet de l’économie le sens des valeurs et des relations qui, dans leur complexité, donnent un sens à la vie et expriment la dignité de sa condition humaine. Cette exaltation de l’individu est patente dans les conceptions que développent les idéologues du commerce équitable, à commencer par le fondateur de la Grameen Bank au Bengladesh, Muhammmad Yunus, quand il insiste sur le rôle irremplaçable du travail indépendant.

Certes, les organisations qui ont pour objet l’économie de la survie représentent aujourd’hui un puissant contrepouvoir. Il est indéniable que la résistance qu’exercent les ONG et les mouvements sociaux n’a jamais été aussi puissante. Les ONG ont fait échouer l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI), proposé par l’OCDE et avant tout favorable aux entrepreneurs. Elles ont fait reculer de puissantes entreprises de génie génétique en Europe. Elles ont joué, on l’a vu, un rôle de premier plan dans l’échec des négociations de l’Organisation mondiale du commerce à Cancun où les producteurs de coton des pays en développement ont rejeté un accord que voulaient imposer les États-Unis. Progressivement les pouvoirs politiques et économiques ont compris qu’il leur faut compter avec ce qu’on désigne sous l’appellation controversée de « société civile ». Du côté des ONG, la question est maintenant de savoir s’il s’agit de mettre en avant une stratégie de contestation systématique en privilégiant la fonction tribunicienne, ou bien de contribuer à la gouvernance mondiale en faisant prévaloir leurs vues, ce qui implique d’user tout à la fois de pression et de négociation. Une organisation comme Oxfam, qui a joué un rôle important dans l’échec de la conférence de Cancun n’en affirme pas moins soutenir l’existence de l’OMC, dans la mesure où celle-ci implique la mise en place d’une régulation au niveau mondial. Le but de ces ONG n’est pas de rejeter le système marchand, mais bien plutôt d’établir une connexion entre les problèmes des gens sur le terrain et le point de vue global de la gouvernance et faire apparaître les effets de celle-ci dans ses propres enceintes. C’est le moyen d’obtenir des résultats concrets en permettant aux pays du Sud d’avoir accès au commerce mondial, en leur donnant une chance d’améliorer leur situation économique. Ce qui est nouveau par rapport à la vocation caritative des ONG, c’est non seulement leur aptitude à articuler la problématique humanitaire à celle du développement, mais aussi la manière dont elles ont su lier la problématique du développement à celle de la gouvernance mondiale à partir d’interpellations issues de la pauvreté et qui concernent la répartition des richesses. Il ne s’agit pas d’accepter comme une donnée intangible les règles du jeu imposées par l’Organisation mondiale du commerce, mais de publiciser dans ce cadre l’interpellation essentielle qu’on pourrait ainsi résumer : pourquoi la régulation du commerce international tend-elle à privilégier des systèmes préférentiels qui avantagent les pays riches?

Il n’en reste pas moins qu’on discerne un clivage entre les mouvements qui comme ATTAC (Association pour la taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens)[5] récusent l’Organisation mondiale du commerce en tant que porteuse de l’hégémonie néolibérale, d’une part, et les ONG qui veulent participer au processus de régulation, d’autre part. Le point de vue « connexionniste » a fait l’objet d’une violente critique de la part de Walden Bello, de l’organisation Focus on the Global South, qui y voit l’indice d’une acceptation du néo-libéralisme (Bello 2002). Il conteste la position qui consiste à vouloir favoriser l’accès des pays en développement au marché, car, selon lui, c’est la toute-puissance du marché qui doit être radicalement mise en cause. Il y a là un point de clivage qui sépare les ONG qui se réclament du réformisme et du pragmatisme, des mouvements qui s’en prennent au système dans sa globalité.

Il n’en reste pas moins que même les grandes ONG qui participent pleinement au système des relations internationales mènent parallèlement des campagnes violemment contestataires. On a pu les accuser de jouer double jeu en cultivant simultanément la contestation et la négociation. Mais une telle dualité n’est-elle pas consubstantielle à ce type d’organisation? Et surtout ne voit-on pas se dessiner un mode de gouvernance mondiale qui tend à intégrer les opposants dans une dynamique plus large? C’est la thèse d’Ulrich Beck selon lequel « l’ère cosmopolitique » où nous sommes entrés se caractérise par « un régime d’ennemis sans ennemis » (Beck 2003 : 524) qui intègre les gouvernants et les contestataires : on les voit ainsi finalement se rejoindre sur des thèmes où tout semblait les opposer, comme l’annulation de la dette des pays les plus pauvres ; de même, beaucoup de dirigeants reconnaissent l’intérêt de la taxe Tobin. De cette fraternisation paradoxale, l’exemple le plus flagrant est celui d’un personnage comme Georges Soros, tout à la fois spéculateur sans scrupule et critique radical des excès du marché, un entrepreneur avisé et un philanthrope remarquable. Les ONG ne seraient-elles alors rien d’autre que « la conscience supérieure des gouvernements » (Beck 2003 : 523)? En tout cas, les liens qui se tissent entre les firmes transnationales et les organisations non gouvernementales sont là pour témoigner de la nouvelle donne.

Ce qui se dessine, c’est un jeu plus complexe où les partenaires de la gouvernance mondiale ne sont plus les seuls États et organisations internationales issues des desiderata gouvernementaux, mais où les « autorités privées », morales et économiques, ONG et entreprises sont désormais entrées. Un jeu où l’arme de la mobilisation collective fortement médiatisée a une place éminente, mais où la pratique des partenariats et de la négociation est bien réelle. Il est significatif de constater la manière dont évolue le face à face que met en spectacle la tenue quasi simultanée des forums de Davos et de Porto Alegre : le premier réunit les élites dirigeantes de l’économie mondiale, alors que le second a été créé pour faire entendre la voix des exclus et des victimes de la globalisation. Désormais, Davos accueille aussi des personnalités représentatives des ONG et de la lutte pour le commerce équitable. Ainsi, Paola Ghilani, directrice de la fondation Max Havelaar, a-t-elle été invitée au forum de Davos en 2000, et sélectionnée parmi les cent « global leaders » de demain. Mieux encore, en 2005, c’est Luiz Inácio Lula da Silva, le président du Brésil, fondateur du Parti du Travail et l’une des figures emblématiques de l’altermondialisme, qui fait le déplacement à Davos après s’être exprimé à Porto Alegre. Il s’en explique ainsi : « [l]a discussion sur des champs communs possibles entre le Forum social mondial de Porto Alegre et le Forum économique mondial de Davos, qui ont lieu en même temps, est une tâche comprise dans cette approche. Il ne s’agit pas de demander aux gens de cesser d’être ce qu’ils sont, mais bien d’établir des liens entre des communautés unies par une destinée humaine indivisible »[6].

Dans ce contexte, il est intéressant de confronter les formulations de Beck (2003) et les analyses de Hardt et Negri (2000), car elles sont symptomatiques d’une approche qui remet radicalement en cause le concept d’État nation en prenant acte que se met en place une entité englobante que Beck identifie comme régime cosmopolitique, alors que Hardt et Negri la désignent sous le concept d’Empire. Pour contrebalancer le caractère virtuellement totalitaire de cette nouvelle forme politique, Hardt et Negri (2000), fidèles à la tradition marxiste, fondent leurs espoirs sur des mouvements en profondeur qui permettront à la multitude de s’affirmer, alors que Beck, dans la lignée d’Habermas, mise sur un projet assurant la fusion de la démocratie et des droits de l’homme. Curieusement les deux ouvrages concluent par une référence au religieux. Beck parle du cosmopolitisme comme d’une « religion terrestre », d’un « ordre divin sécularisé » (Beck 2003 : 557), quand les auteurs d’Empire évoquent l’image de Saint François d’Assise. Ils font de même référence au concept d’amour, propre au christianisme et au judaïsme, où « l’amour divin pour l’humanisme et l’amour humain pour Dieu sont exprimés et incarnés dans le projet politique commun de la multitude » et concluent à la nécessité de « retrouver cette signification matérielle et politique de l’amour comme force qui s’oppose à la mort » (Hardt et Negri 2004 : 397). Ces évocations du religieux dans des constructions théoriques qui se veulent avant tout rationnelles et analytiques me semblent symptomatiques. Peut-être faut-il les replacer dans un contexte marqué par la difficulté à appréhender la question du pouvoir. Tout se passe en quelque sorte comme si on assistait à une forme de dérobade au sein de la pensée critique, face à une évolution qui semble en permanence la projeter dans un avenir que ses propres catégories ne lui permettent d’éclairer qu’imparfaitement. Cette situation est particulièrement sensible chez les altermondialistes, héritiers d’une rhétorique dominée par les concepts de société et d’État, et qui avouent eux-mêmes la difficulté qu’ils éprouvent à redéfinir une stratégie d’ensemble.

Dans ce contexte, on ne s’étonnera pas que les organisations non gouvernementales tirent leur épingle d’un jeu structurellement double. Car elles sont aussi à l’aise dans le registre de la parole que dans le réalisme de l’action où elles ont instauré un partenariat constructif entre la finance et l’économie de la survie.

Il ne faudrait cependant pas expliquer la montée en puissance du phénomène ONG comme la résultante d’une combinaison réussie entre l’idéologie humanitaire et un pragmatisme toujours en alerte dans le bruit et la fureur du monde. De même, la place qu’occupent aujourd’hui des institutions transnationales comme l’OMC, l’ONU et le FMI ne tient pas seulement à leur fonctionnalité dans le système global. On assiste en fait à une reconfiguration du politique qui, pas plus qu’elle n’implique l’extinction de l’État nation, soit un monde sans souveraineté, ne s’accommode d’un aménagement de la gouvernance exclusivement centré sur la territorialité. C’est pourquoi les discours traditionnellement axés sur la dialectique entre pouvoir et société se polarisent sur le changement d’échelle (où se situe le pouvoir? quel est l’espace politique pertinent? etc.), à la recherche d’une impossible remise en ordre, d’une harmonie introuvable où le social recouvrerait la maîtrise de ce pouvoir de plus en plus lointain et mystérieux, ce qui permettrait de remédier aux déséquilibres et aux inégalités. Ces élaborations théoriques et politiques ont toutes pour point commun de se situer dans une logique de la convivance, alors que les pratiques auxquelles nous avons affaire se déploient dans l’horizon de la survivance (Abélès 2006). Pour reprendre une distinction de Michel Foucault (2001 : 963), ces pratiques relèvent de la dimension « pastorale » du pouvoir pastoral et s’adressent moins aux « sujets civils » qu’aux « individus vivants ».

Si l’on peut parler d’une gouvernementalité globale à propos de cette constellation d’institutions et d’organisations transnationales, ce n’est pas dans le sens d’un réordonnancement inclusif d’un pouvoir qui se superposerait aux pouvoirs existants. Cette vision des choses relève d’une problématique de la convivance. Son accomplissement ultime est l’Empire, une construction qui relève du même paradigme que l’État des philosophes, forme destinée à organiser la vie ensemble les sujets citoyens. Or, dans des sociétés où la menace est une dimension intégrante du présent, les questions de vie et de survie apparaissent désormais autrement fondamentales ; de sorte que les idées d’équilibre et d’ordonnancement, de justice et de droit ne prennent leur sens que dans la perspective du risque et de la précaution.

Ce n’est pas un hasard si la thématique de la durabilité est désormais si profondément intriquée au discours portant sur les inégalités et sur les rapports entre pouvoir et société. Ainsi lorsque, faisant état de l’effrayant déséquilibre entre pays riches et pays pauvres, le président brésilien écrit :

La solidarité avec la vie doit toujours triompher des mécanismes de mort. Les dettes doivent être honorées, mais le paiement ne doit pas signifier l’euthanasie du débiteur. Ceux qui détiennent les surplus de la richesse financière doivent prendre en compte le déficit social qui afflige les trois quarts de l’humanité.

Lula da Silva, 2005

Ces termes, loin d’être anodins, méritent toute notre attention. Ils renvoient très précisément à la question de la survivance, au nom de laquelle lui-même estime qu’il n’est pas possible de s’en tenir aux clivages traditionnels, en s’excluant du forum de Davos parce qu’il est l’une des figures marquantes de Porto Alegre. Symboliquement, les termes du discours et la position qui en découle nous projettent dans une problématique multidimensionnelle – certains diront dans un dualisme problématique – puisque Lula admet explicitement que l’assomption de l’exigence de « solidarité avec la vie » implique une présence accrue dans les nouvelles enceintes de la politique transnationale.

Le découplage du vivant et du civil, mis en lumière par Foucault, a abouti dans le contexte historique qui est le nôtre à faire émerger la question de la survivance et à la déployer dans un espace politique qui, s’il recoupe le domaine traditionnel des Relations internationales, le déborde de tous côtés. Cet espace s’est densifié en internalisant en quelque sorte l’angoisse anthropologique face aux menaces en tout genre, du terrorisme à la vulnérabilité écologique de la planète, et alors que la forme État nation n’était pas en mesure de donner une réponse satisfaisante à la question des droits de l’homme

Ainsi, le global politique nous projette dans un régime d’anticipation et porte le signe de l’incomplétude. Il ne peut pas être circonscrit en termes de rapport de forces ni pensé comme une forme superétatique. Il se construit dans une certaine mesure, à côté de l’univers des partages territoriaux, sans s’imposer face aux États et aux dispositifs classiques de la souveraineté comme un pouvoir surplombant. Entre l’État nation et le global politique, il y a la même polarité qu’entre le régime de la convivance et le régime de la survivance. Aujourd’hui le global politique est dans une grande mesure dans la dépendance des stratégies étatiques nationales. Mais, comme le montre l’impact des initiatives qui ont trait à l’économie de la survie, il impose son régime propre et met sous pression des pouvoirs qui ne le maîtrisent qu’imparfaitement. Le global politique contamine la souveraineté ; ainsi peut-on interpréter la manière dont s’imposent des thématiques portées par les ONG.

C’est donc dans des registres très divers que l’on voit se concrétiser une puissance collective, faite de tensions, voire d’affrontements, mobilisant des protagonistes issus de strates hétéroclites. Ces mobilisations ont un contenu très variable puisqu’elles peuvent tout aussi bien exprimer la violence du dissensus que donner matière à une sorte d’unanimisme humanitaire.

À l’opposé du désenchantement du monde où certains ont voulu voir le synonyme de la modernité, n’est-ce pas plutôt le sacré qui fait retour et qui se manifeste dans les comportements charitables et la propension à donner? Auquel cas, il faudrait considérer l’ampleur de la réaction caritative non comme un épiphénomène, une réaction somme toute explicable par des éléments contextuels, mais prendre au sérieux la manière dont s’impose désormais comme enjeu de citoyenneté, aussi bien globalement que localement, la question de la survie. Que l’angoisse anthropologique focalisée sur la survie puisse durablement remodeler non seulement notre représentation du monde mais aussi les modalités de l’action politique, en modifiant les priorités, en suscitant de nouveaux débats et des types d’initiatives inédits, voilà qui peut donner à réfléchir à ceux qui aujourd’hui s’interrogent sur le devenir des rapports entre l’individu et le collectif, et, au-delà, sur le politique et le sacré.