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Depuis les années 1980, les sciences sociales se sont intéressées à la réception de la télévision et aux changements encourus localement et globalement aux points de vue culturel et social. Dans le cadre de cet ouvrage, Ratiba Hadj-Moussa se penche plus particulièrement sur la télévision par satellite dans la région maghrébine. Elle s’interroge sur les changements engendrés par ce nouveau médium en Algérie, au Maroc et en Tunisie, ainsi que sur ses modalités et raisons de visionnement. Sa recherche qualitative est exhaustive, reposant sur des entrevues effectuées auprès de publics tant masculins que féminins. Comme Hadj-Moussa le souligne, la télévision par satellite a conduit à des changements importants, tant socioculturels que politiques ou économiques. Par exemple, elle a fait apparaître une dualité entre la télévision nationale et la télévision satellite (chaînes françaises telles que TFI, TV5 et LCI, et chaînes panarabes telles que El Jazira, El-Hurra, El-Arabia, MBC, ou encore américaines, comme CNN, etc.) présentant du contenu télévisuel international comme Star Academy et les Telenovelas brésiliennes et mexicaines.

L’ouvrage s’intéresse à l’usage de la TV satellite et « aux relations qui se tissent entre des lieux tels que la maison, le quartier, le café, le travail, etc., et au type de sphère publique qui en émane » (p. 13). La question de la sphère publique mise en dialogue permanent avec la dimension privée de la vie sociale constitue la trame de fond de l’ouvrage, puisque la télévision par satellite produit des effets tant dans la sphère publique (production d’un nouveau savoir, démocratisation du contenu et redéfinition des espaces communs), que dans la sphère privée (changements structuraux dans la famille et dans les rapports de genre, redéfinition de l’intime, etc.). En somme, les changements s’opérant dans la sphère publique trouvent écho dans la sphère privée.

Dans ce livre de plus 300 pages, Ratiba Hadj-Moussa s’appuie sur un cadre théorique issu de l’étude de la réception télévisuelle et des cultural studies, incluant notamment les concepts d’identité (de genre, arabité, islamité, appartenance nationale) et de changement identitaire et social. Dans le but de faire ressortir les spécificités des trois lieux où portent sa recherche (Algérie, Maroc et Tunisie), elle met en place, dans sa méthodologie, une comparaison des données selon le lieu et l’identité de genre. Cette comparaison est aussi mise en oeuvre dans les dialogues entre la télévision nationale et la télévision satellite, entre le public et le privé, et enfin entre le global et le local.

Le chapitre 1 porte sur la contextualisation et la mise en place de la recherche, avant que l’ouvrage ne se déploie en quatre autres chapitres. Dans le chapitre 2, l’auteure fait un aparté afin de discuter des concepts de sphère publique (Habermas) et de société civile (Quéré), très utiles dans sa discussion postérieure. Ainsi, les chapitres trois, quatre et cinq discutent de la dichotomie dans la notion de privé/public (houma désignant un lieu public, majoritairement masculin), en faisant notamment intervenir Daniel Dayan (1992, 2000), spécialiste bien connu des médias et de leurs publics. Puis, Hadj-Moussa énonce les différentes identités (sociales, de genre, etc.) nouvellement formées ou mises en circulation grâce à ce nouveau médium. En ce qui a trait à l’identité, elle réfère aux ouvrages célèbres de Lila Abu-Lughod (1997, 2005) et Purnima Mankekar (1999), deux anthropologues discutant du rapport des femmes et de la télévision, sans oublier Pierre Bourdieu. Finalement dans le chapitre cinq, elle s’intéresse aux différentes critiques sur la télévision satellite agissant sur la manière d’être, de penser et d’agir des Maghrébins. Ces critiques provenant de plusieurs lieux se manifestent et circulent dans les gestes du quotidien.

Si cet ouvrage s’inscrit dans la ligne des recherches antérieures menées par Ratiba Hadj-Moussa sur la sociologie des médias, il poursuit aussi les recherches anthropologiques effectuées sur la télévision, qui examinent la manière dont les nouvelles technologies de communication affectent les sociétés : changements de discours, d’idéologie, de rapport de genre, etc. Cet ouvrage cible un public universitaire oeuvrant dans les sciences humaines et sociales, en communication, en études littéraires, en études régionales (Maghreb, monde arabe, Méditerranée), et nourrira profitablement les chercheurs qui consacrent leurs études au dialogue entre sphère publique et sphère privée ou aux rapports de genre.