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Si les objets ont une vie sociale[1], alors les produits du terroir sont très mondains. Ils ont un style et une signature ancrée dans le régional mais leur influence est mondiale. Ils sont le parfait exemple d’une glocalisation alimentaire : l’idée de terroir, d’abord une initiative de protection des spécificités locales, est maintenant adoptée par plusieurs pays. La reconnaissance officielle de produits du terroir est souvent utilisée en vue d’une reconnaissance économique spécifique dans des institutions mondiales telle que l’Organisation mondiale du commerce ou l’UNESCO.

Claire Delfosse, professeure de géographie à l’université Lyon II est une des chercheures les plus prolifiques en ce qui a trait aux dynamiques sociales et légales de construction et de reconnaissance des produits du terroir. Dans ce volume, elle regroupe les chercheurs les plus influents du milieu (géographes, anthropologues, agronomes, économistes, ingénieurs en agriculture, sociologues et j’en passe) autour d’une problématique : celle de la définition ainsi que de l’opérationnalisation du concept de terroir. Car, s’il a déjà été définit officiellement par plusieurs organismes (de manière différente, il faut le noter), le terme « terroir » est « hybride » (Delfosse et Lefort), souvent inadapté à certaines conditions d’utilisation (Bérard), conçu différemment selon les besoins rhétoriques (Hinnewinkel) et utilisé et perçu de manière multiple selon le lieu de son utilisation (comme le démontrent Amilien pour la Norvège, Thénenod-Mottet, Boisseaux et Barjolle pour la Suisse ou Chazoule, Jouve et Lambert pour le Québec, par exemple).

Le livre est divisé en trois parties. La première, « Dire le terroir », focalise sur l’évolution du terme « terroir », en France d’abord puis dans d’autres parties du monde, ainsi que sur l’utilisation historique des concepts qui lui sont systématiquement associés : « typicité » et « qualité ». Cet examen se base sur les analyses géographiques (Delfosse et Lefort), sociales (Bérard) et économiques (Pecqeure), pour terminer avec un exercice transdisciplinaire de définition globale opératoire (Allaire et Casabianca et al.). La seconde partie, « Construire le terroir », se penche sur les différentes actions d’édification d’une culture alimentaire de terroir. Hinnewinkel, notamment présente le cas des vini-viticulteurs en France où l’empreinte communautaire est importante dans le processus de reconnaissance de la typicité. Bessière-Hillaire, qui reconnaît le lien étroit entre développement de typicité alimentaire territoriale et processus de développement touristique, est un autre exemple. La troisième et dernière partie, « Terroir et indications géographiques », traite du processus de reconnaissance légale des produits telles que l’huile d’olive en Provence (Durbiano) ou le beurre en Bresse (Delfosse). On y découvre entre autre l’importance du rôle du secteur public dans le processus.

L’approche globale de ce livre est de type technocratique. Les auteurs abordent de manière utilitaire « l’objet terroir » pour voir jusqu’où il peut être employé ou non dans une mécanique politico-économico-légale. On évacue ici tous les aspects organoleptiques qui pourraient sembler attirants pour les lecteurs de littérature gastronomique. Le terroir est ici considéré comme objet de développement régional et mondial et les auteurs abordent très peu l’aspect phénoménologique (le vécu des acteurs, producteurs et consommateurs). Si le lecteur est à la recherche de stimuli sensoriels imaginatifs liés à des productions typiques, il devra plutôt se tourner vers Bérard et Marchenay (2004) ou encore l’approche atypique de Trubek (2008). Ici, les recherches ont une visée clairement stratégique, l’on s’adresse aux penseurs de politiques publiques et parapubliques qui utilisent les productions territoriales à des fins de marquage d’une économie ancrée dans une typicité régionale.

Dans un autre ordre d’idée, stylistiquement, il semble que le découpage du livre soit arbitraire puisque tous les chapitres abordent chacun des sous-thèmes. On regrettera par ailleurs la confusion créée par le titre qui qualifie les produits du terroir de « mode », signifiant par-là que c’est un mouvement éphémère, ce que les auteurs eux-mêmes démentissent pourtant en soulignant la plasticité et la permanence du terroir (p. 13).

Les professionnels du domaine attendaient cependant depuis longtemps un tel recueil, qui a pour avantage de clarifier le concept de terroir. On attend ardemment une suite qui aborderait, de manière comparative, son articulation dans différents pays et territoires.