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L’émeute est plus que jamais à l’ordre du jour au Maghreb, dans un contexte d’absence de régulation démocratique des conflits et donc de fermeture du champ politique vis-à-vis de l’expression de plusieurs courants, sensibilités et voix politiques. D’où l’importance de la publication d’un livre comme celui-ci qui porte sur les émeutes et les mouvements sociaux. Cet ouvrage collectif se divise en quatre parties : au fil des émeutes, les formes de l’émeute, le champ d’affrontement et les légitimations de la violence. Les trois dernières parties comportent, en plus d’une chronologie des émeutes en Kabylie, des témoignages construits par des acteurs liés directement ou indirectement aux émeutes au Maghreb. L’Algérie vole la vedette au Maroc et à la Tunisie à cause, sans doute, de la crise politique qui touche ce pays depuis 1992.

Par rapport à des définitions qui incluent les émeutes dans le cadre des « violences urbaines » ou l’assimilent soit à des « révoltes de pain » ou à des « affrontements » causés par la gestion policière de la cité, ce phénomène urbain est défini ici comme « une forme non conventionnelle d’action politique » et comme l’expression d’une critique des représentants de l’ordre social et politique dominant. Les dix-sept collaborations postulent un lien entre les émeutes et les mouvements sociaux et expliquent l’ensemble par des facteurs économiques, sociologiques, psychologiques et anthropologiques. À ce choix théorique s’est ajoutée la perspective comparative intégrant les cas de l’Iran, de la France, de la Grande-Bretagne et du Pays basque, ce que le titre de l’ouvrage n’annonce pas. Tout en enrichissant l’analyse du phénomène cyclique des émeutes au Maghreb, ce choix permet de faire l’économie des lec-tures essentialistes qui pourraient cantonner ce phénomène au seul espace arabo-musulman. Sans oublier la rupture avec les théories simplistes du complot. Au niveau historique, ces travaux portent essentiellement sur le Maghreb contemporain et accessoirement sur la période coloniale, ce qui permet de situer le phénomène dans la longue durée des sociétés maghré-bines.

À travers l’analyse des émeutes urbaines qui avaient frappé le Maroc en 1965, 1981, 1984 et 1990, l’Algérie en 1980 et 1988, et la Tunisie en 1978 et 1984, les auteurs présentent ces actions collectives violentes et soudaines comme un moyen d’expression entre les mains d’acteurs dominés économiquement et socialement, et écartés du champ de décision politique. Alors que le pouvoir en place exerce contre ces mouvements soi-disant « illégitimes » une violence dite « légitime », les habituels exclus de la scène publique trouvent là des circons-tances « privilégiées » pour y accéder. À cette occasion, l’interaction entre l’État et les composantes autorisées de la société civile permet le renforcement du pouvoir de celui-là, car il engage des efforts en vue de récupérer ces composantes et de « réduire » les « irréduc-tibles » opposants à son action. De l’autre côté, les mouvements sociaux subissent les retombées des émeutes ou profitent des brèches qui s’ouvrent parfois pour (re)négocier leur place sur l’échiquier politique.

Cet ouvrage très intéressant et documenté place parfois excessivement l’accent sur les États sans tenir compte des pressions internationales qu’ils subissent. On peut aussi lui repro-cher de laisser croire que les acteurs prenant part aux émeutes sont tous marginalisés socialement ou économiquement. L’exemple des émeutes de 1984 au Maroc nuance cette affirmation, puisqu’y ont participé activement des militants de l’extrême gauche et de l’islam politique issus des classes moyennes.