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Le présent dossier de la revue Autrepart rassemble les contributions de dix auteurs qui s’intéressent à des aires géographiques différentes telles que le Brésil, le Mali, le Pérou, le Laos, mais aussi la France, à travers les immigrés soninke. Elle s’ouvre par l’introduction de Marie-José Jolivet et Philippe Léna qui s’interrogent sur les causes de la recrudescence du phénomène identitaire en contexte de mondialisation.

Les deux chercheurs font une rapide mise au point de l’intérêt suscité par la question de l’identité dans les disciplines universitaires (les sciences politiques, la géographie, la so-ciologie, etc.) en soulignant la différence d’approche d’une discipline à l’autre. On peut retenir de leur présentation une idée intéressante, à savoir que le territoire constitue un support d’iden-tité privilégié.

Jolivet et Léna montrent que l’appartenance à un territoire — comme l’expression d’autres particularismes tels que l’ethnie — fonde souvent la volonté de posséder des droits sur ce territoire. Ces droits territoriaux peuvent être (et sont souvent) instrumentalisés par des individus — s’organisant comme sujet collectif — dans le but d’affirmer leur volonté d’être reconnus sur la « scène politique nationale ». Par cette reconnaissance politique, ceux-ci réussissent à accéder à des ressources économiques et à « un traitement spécifique au nom de [leur] différence ».

L’instrumentalisation de ce particularisme constitue, selon les deux chercheurs, une démarche souvent tentée par les minorités discriminées. Si l’attachement de celles-ci à leur territoire est aussi fort, c’est notamment parce qu’elles sont démunies des ressources et moyens prompts à leur assurer une intégration individuelle convenable dans un territoire anonyme et cosmopolite comme la ville.

La plupart des contributions qui suivent cette introduction permettent de se rendre compte de la place du territoire dans la construction identitaire. Ainsi, l’article de Michel Agier qui porte sur le phénomène des personnes déplacées, « les sans-terre », en Colombie. Le propos de cet auteur est de montrer dans quelle mesure il est possible d’identifier les effets durables du déplacement géographique sur « les structures sociales et les constructions iden-titaires », si la perte de territoire impose la reconstitution d’une identité sociale. Il ressort tout d’abord de ce texte que la violence est le facteur dominant du déplacement en Colombie. La majeure partie des 10 millions de déplacés colombiens à l’intérieur de leur pays l’ont été pour fuir la violence sévissant sur leur propre territoire, lorsqu’elle ne s’exerce pas directement sur eux-mêmes. Cette violence est autant le fait des hors-la-loi que des « hommes de loi » réglant des comptes entre eux ; et elle cache parfois une stratégie d’accumulation foncière : en effet, le climat d’insécurité profite à quelques hommes puissants qui achètent à bas prix leurs terres à des individus qui, parce que sans protection, se résignent à quitter leur territoire de vie.

L’abandon du territoire est souvent vecteur de troubles identitaires chez ces individus dont le sens de l’existence sociale était articulé à la présence sur cette terre. Une des raisons en est que les déplacés sont, par exemple, contraints à une reconversion socio-professionnelle, voire à la marginalité. Ainsi, après leur déplacement, des coupeurs de bois ou des agriculteurs se voient obligés d’exercer des métiers sans lien avec la terre, tels que celui d’ouvrier dans le bâtiment, lorsqu’ils ne survivent pas grâce à la mendicité.

Agier montre, par ailleurs, que si le déplacement est perte d’identité, précisément d’auto-identification, pour les individus concernées, il induit aussi l’apparition d’une identité assignée. Ainsi, ironie de l’histoire, les « desplazos » sont identifiés dans leurs villes d’accueil par les mêmes traits qui, pour certains, sont au fondement de leur démarche de déter-ritorialisation : des stigmates tels que la violence et l’illégalité les définissent aux yeux des primo-occupants de leurs zones d’accueil.

Outre l’introduction et l’article d’Agier, cette livraison d’Autrepart comprend 8 con-tributions. Yves Goudineau s’intéresse à la question de l’ethnicité au Laos. Odile Hoffman traite de la redéfinition de la notion de « noir » dans le Pacifique colombien après la décision gouvernementale d’attribuer des terres aux communautés noires riveraines du Pacifique, alors que Jean-Pierre Chaumeil analyse les réseaux identitaires transnationaux au Brésil, en Colombie et au Pérou. André Mary s’interroge sur le phénomène de la transnationalisation des églises africaines. Catherine Quiminal étudie la conception différente du territoire chez des hommes et des femmes originaires de la région du fleuve en France, alors que Claude Fay s’interroge sur les enjeux politiques et identitaires consécutifs à la politique de décentralisation au Mali. L’article de Jackie Bouju porte, quant à lui, sur le recours au clientélisme et à la corruption dans les relations entre politiques et chefs traditionnels à Mopti, au Mali. Ce numéro thématique d’Autrepart se termine par une note bibliographique de Marie-Josée Jolivet.