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Dans cet ouvrage collectif codirigé par Jeremy Wallach, Harris M. Berger et Paul D. Green, 16 universitaires – dont Deena Weinstein (Heavy Metal : A Cultural Sociology, 2000) et Keith Kahn-Harris (Extreme Metal : Music and Culture on the Edge, 2007) – analysent les scènes metal d’une dizaine de pays, en prenant en compte leurs dimensions sociologiques, anthropologiques et musicologiques. Divisé en 14 chapitres, il comporte également six grandes sections, soit « The Global Conquest of an Outcast Genre », « Metal, Gender, Modernity », « Metal and the Nation », « Metal and Extremist Ideologies », « Metal and the Music Industry », « Small Nation/Small Scene Case Studies ». L’ouvrage se conclut avec un épilogue de Robert Walser.

Né en Grande-Bretagne dans les années 1970, le heavy metal s’est d’abord propagé en Europe, en Amérique, puis au Japon (entre 1970 et 1980), pour ensuite gagner l’Asie et l’Afrique subsaharienne (à partir de 1990). Aujourd’hui présent dans plus de 129 pays, ce genre est considéré comme une musique sérieuse, qui, dans un univers désenchanté, offre une promesse de communauté construite autour d’émotions puissantes et de sons amplifiés. Selon Weinstein, cet enthousiasme mondial pour le heavy metal peut être compris comme le rejet du nouvel ordre capitaliste. Cette musique devient donc une alternative pour les jeunes se sentant frustrés par la mondialisation qui n’a pas su apporter les avantages attendus.

En Asie, la mondialisation des deux dernières décennies favorise une plus grande ouverture de certains pays pour la culture occidentale et sa musique. Ainsi, à la suite de la Révolution prolétarienne en Chine (1966-1976), l’intérêt des jeunes Chinois pour l’expressivité artistique individuelle s’accroît. Dès 1988, Tang Dynasty devient le premier groupe chinois à intégrer des éléments de la philosophie et de la poésie chinoise à sa musique heavy metal. En outre, l’industrialisation rapide des pays de l’Asie du Sud (Malaisie, Indonésie, Singapour) depuis 25 ans a mené au développement de scènes heavy metal dynamiques. Ainsi, les grandes disparités économiques engendrées par l’industrialisation touchent particulièrement les jeunes hommes sous-éduqués, qui demeurent incapables d’avoir accès au mode de vie hédoniste célébré dans les médias. Ces jeunes se tournent alors vers le heavy metal, ce qui leur permet de canaliser leur colère et de tisser des liens avec les scènes voisines.

Dans d’autres pays, le heavy metal est employé pour redéfinir l’identité nationale. Ainsi, pour les jeunes cols blancs népalais de la classe moyenne, ce genre devient une véritable échappatoire, puisqu’il leur permet d’exprimer leurs frustrations individuelles et d’entrer symboliquement en rébellion contre leur religion, leur famille ou leur culture. Dans le cas du Brésil, le heavy metal, qui se développe dans la seconde moitié des années 1980 consécutivement aux échecs politiques et économiques du pays, est d’abord stigmatisé par la société brésilienne. Toutefois, le groupe Sepultura redéfinit sa relation avec ses origines nationales en intégrant des sonorités brésiliennes (instruments de musique traditionnelle et idiome brésilien) au son heavy metal qui le caractérise.

Dans plusieurs régions du monde, le heavy metal peut aussi être associé à des idéologies extrémistes. En Amérique du Nord, la scène « hatecore » emploie ce genre afin d’altérer son discours politique et raciste d’extrême droite et recruter de nouveaux membres. Par ailleurs, en Norvège, l’emploi de rhétoriques antichrétiennes jointes à une esthétique musicale innovatrice a permis aux groupes de black metal norvégiens de se tailler une place sur la scène internationale. Enfin, au cours de la dernière décennie, la scène émergente israélienne a subi plusieurs attaques racistes de la part de différentes scènes européennes. Toutefois, selon Kahn-Harris, ces propos haineux sont principalement utilisés de manière transgressive : ils ont pour fonction de mettre au défi cette nouvelle scène qui n’a pas encore suffisamment amassé de capital sous-culturel[1] pour affirmer son existence à part entière.

Dans les années 1970, l’industrie du heavy metal s’est développée grâce aux premières tournées internationales d’envergure, permettant de mieux cibler les goûts des amateurs selon les régions du monde. Les amateurs japonais demeurent toujours très attachés au heavy metal traditionnel (par exemple : Iron Maiden, Van Halen) et sont réfractaires aux nouveaux styles. Ainsi, le heavy metal est jugé grâce à des critères de pureté stylistique et artistique japonais, et le discours de la révolte prévalant dans plusieurs régions du monde y est complètement ignoré. Enfin, le heavy metal n’est pas nécessairement appréhendé de la même manière lorsqu’il se développe dans des lieux reculés. Celui en provenance de l’île de Malte est le reflet du métissage linguistique et ethnique entre les peuples arabes et anglais. Or, sur l’île de Pâques (qui compte environ 5 000 résidents permanents), ce genre est davantage considéré comme une forme d’américanisation de la culture, plutôt qu’un moyen d’exprimer sa différence.

En somme, Metal Rules the Globe… permet de suivre comment le heavy metal s’est récemment développé dans un contexte de mondialisation et s’adresse à un lectorat universitaire (qu’il soit connaisseur du genre ou non). Les analyses sont menées en profondeur et permettent de mieux comprendre à la fois comment le heavy metal est appréhendé dans différentes régions du monde en fonction de leur propre culture, et à quel point ce phénomène a pris de l’ampleur. Peu importe le champ d’étude (sociologie, anthropologie, musicologie, littérature), l’ouvrage collectif Metal Rules the Globe… deviendra sans doute un incontournable en se classant sur un pied d’égalité avec Running with the Devil… de Robert Walser ou Heavy Metal : A Cultural Sociology de Deena Weinstein.