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Introduction

Le but de cet article est de faire un bref portrait des structuralismes les plus influents dans l’analyse des mythes, puis d’en suggérer des élargissements[1]. Comme d’autres approches qui cherchent à dévoiler une réalité sous-jacente aux apparences humaines, le structuralisme a subi vingt ans de critiques. Dans le domaine des mythes, pourtant, il n’a pas été remplacé par une autre approche : là où le mythe subsiste comme centre d’intérêt chez les anthropologues, les méthodes structurales continuent à être en vigueur. Je pense que si l’on se sert des méthodes structurales, il n’y a pas de bonne raison d’exclure du champ de l’analyse, comme le font la plupart des structuralistes, la mise en scène rituelle du mythe, sa présentation poétique ou son côté affectif. Ces propos seront illustrés dans une esquisse d’analyse d’un mythe provenant d’une population de l’Himalaya central.

Je considère qu’un mythe est un récit qui a de l’importance pour une communauté au point d’être préservé à travers le temps. Pour les auteurs que j’évoque ici, une définition aussi large semble nécessaire. Et elle reflète un usage standard : un manuel récent (Segal 2004 : 5) définit le mythe comme « a story about something significant ».

Le structuralisme réoriente des méthodes linguistiques vers d’autres domaines humains. Cette réorientation s’est opérée au moins deux fois dans le domaine des mythes : avec Georges Dumézil dès les années 1920, puis, dans la version qui a donné naissance à ce qu’on appelle communément le structuralisme, avec Claude Lévi-Strauss dès les années 1940.

Les définitions globales du structuralisme (voir par exemple Joseph 1995 : 225) proposent les traits suivants : 1) la présomption d’une systématicité dans les différents domaines de l’humain et le projet de la définir dans des cas particuliers ; 2) la volonté de comprendre les phénomènes observés comme éléments d’un tel système ; 3) la prééminence de la totalité sur ses éléments, qui prennent leur sens par rapport à elle ; 4) un respect pour les données dans leur spécificité ; 5) le fait de soumettre ces données à un traitement analytique qui, en les remettant dans le système dont elles font partie, devra en révéler des sens non immédiatement observables.

Ces principes sont potentiellement compatibles avec une vaste gamme de méthodes analytiques. Mais les méthodes le plus souvent choisies dans une part importante des travaux structuralistes ont des points communs. Elles demandent : 1) la définition d’unités minimales porteuses ou bien discriminatoires du sens ; 2) la considération du phénomène étudié comme le déploiement de ces unités sur une chaîne syntagmatique ; 3) l’identification du système avec un axe paradigmatique de potentialités. Dans les cas de l’analyse du langage poétique lancée par Roman Jakobson et de l’analyse des mythes lancée par Claude Lévi-Strauss, la quintessence de la méthode se résume aux suivantes : 4) identifier des parallélismes ou des répétitions sur l’axe syntagmatique révélateurs de thèmes paradigmatiques ; 5) identifier l’efficacité de la modalité du discours au jeu entre les deux axes (syntagmatique et paradigmatique). Dernier point de méthode : 6) là où les données s’y prêtent, considération de toutes les variantes du phénomène sous étude.

Plusieurs de ces principes seront contestés aujourd’hui, surtout celui d’une cohérence sous-jacente aux affaires humaines. Mais ici le modèle linguistique est parlant : une langue doit être cohérente pour être comprise et parlée ; on peut donc cartographier ses structures de façon rigoureuse. Ainsi, la question est : jusqu’à quel point peut-on postuler une cohérence de type linguistique pour d’autres aspects de la vie humaine. Cette question reste ouverte : la vie quotidienne, ce qu’on appelle la culture, n’a pas forcément besoin d’être aussi structurée que la langue. Mais « ce qui s’est effondré n’a pas nécessairement été dépassé » (Trabant 1986 : 206), et il n’est pas plus évident que la vie quotidienne soit purement une constante négociation entre individus, comme proposeraient des approches aujourd’hui plus largement acceptées.

Le contexte intellectuel

Dumézil et Lévi-Strauss se sont trouvés chacun dans un champ intellectuel dominé par d’autres façons d’appréhender les mythes. Il s’agissait de deux grandes tendances :

— une tendance qu’on peut appeler descriptive, qui cherche à utiliser les mythes comme matière supplémentaire dans des études ethnographiques ou historiques, parfois en les définissant comme chartes d’institutions (Malinowski), parfois en voulant retracer les sources d’éléments mythiques (Boas et ses élèves, les diffusionnistes) ou bien les catégoriser et les cataloguer (les folkloristes) ;

— d’autre part des tendances plus ambitieuses, qui consistent soit à lire les mythes comme réminiscences obscures de pratiques rituelles compréhensibles (Myth and Ritual School, à la suite de Frazer), ou comme des expressions de thèmes refoulés par la conscience collective d’une société (approches psychanalytiques) ; soit à ouvrir la symbologie des mythes à l’intérieur de leur tradition religieuse (les herméneutiques), soit enfin à les ramener à des archétypes universaux (Jung et son école).

D’autres approches plus holistes existaient, dont la sociologie de Durkheim et Mauss, des indications de Radcliffe-Brown sur le traitement du rite, la psychanalyse et l’analyse « morphologique » des contes du folkloriste russe V. J. Propp (voir Vernant 1973). Mais l’influence directe et explicite sur les grands essais d’analyse structurale des mythes était la linguistique, diachronique d’une part, synchronique de l’autre.

Structuralismes diachroniques des mythes

Au cours du XIXe siècle, la linguistique passe de la notion de famille linguistique à celle d’une proto-langue reconstituable ; plus le siècle avance, plus les linguistes considèrent leur pratique comme une science positive dotée de lois générales. Tirant la leçon de la systématicité, le jeune Ferdinand de Saussure (1857-1913) pratique une linguistique historique qui manifeste déjà des principes structuralistes. Cette tendance continue avec l’oeuvre de son élève Antoine Meillet : une linguistique comparée épurée, qui mène vers des reconstructions de champs de relations.

Georges Dumézil (1898-1986), élève de Meillet, se donne la tâche d’étendre les méthodes de la linguistique comparée au-delà de la linguistique, aux mythes et aux institutions. De telles tentatives étaient communes au milieu du XIXe siècle, mais en présumant qu’il s’agissait de religions de la nature « simples et innocentes », où tous les mythes expriment la vie du soleil (Max Müller) ou de l’orage (Adalbert Kuhn). Les excès de cette mythologie comparée avaient mené à un discrédit général. Le projet de Dumézil est de remettre en valeur la méthode comparative dans ce domaine, en identifiant des structures solidaires et spécifiques plutôt que de faire des spéculations sur les noms. Dumézil pense avoir trouvé une clé en 1938 en notant que plusieurs panthéons des peuples de langue indo-européenne ont une structure commune et très particulière, organisée autour de ce qu’il appelle les trois fonctions, de souveraineté, de guerre et de prospérité. Il consacre le reste de sa carrière en grande partie à l’élaboration et à la défense de cette structure. À la différence de la plupart de ses contemporains mythologues, Dumézil maintient que les locuteurs du proto-indo-européen, ainsi que leurs descendants linguistiques dans chaque aire, avaient bel et bien des religions et des idéologies à la fois spécifiques et hautement structurées.

Cette « nouvelle mythologie comparée » (Littleton 1982) reste essentiellement une pratique d’indo-européanistes, chez qui elle vit actuellement une période de grande vigueur (voir Allen, ce numéro).

Structuralisme typologique : le modèle linguistique

Vers la fin de sa vie, Saussure donnait des cours de linguistique générale dans lesquels il posait la distinction entre la linguistique diachronique et une linguistique synchronique qui prendrait comme objet chaque langue comme système. Le Cours de linguistique générale (1916), publié après sa mort, donne des éléments de linguistique diachronique, mais son effet révolutionnaire est dû à sa constitution d’une linguistique synchronique et systémique. Cette nouvelle orientation fonde les linguistiques les plus importantes du XXe siècle. Elle sera reprise pendant les années 1920 et 1930 par l’École linguistique de Prague, pour qui la langue remplit plusieurs fonctions (à part celle de communiquer de l’information), dont la fonction poétique. Une de ses figures centrales, le Russe Roman Jakobson (1896-1982), a élaboré la théorie des axes syntagmatique et paradigmatique, particulièrement dans le langage poétique (voir Jakobson 1963 [1960]). Pour lui, la fonction poétique suppose une orientation vers le message lui-même à tous les niveaux linguistiques là où, par exemple, la fonction référentielle s’oriente vers l’information véhiculée. Bien que la fonction poétique soit présente dans n’importe quel énoncé, certains font preuve de procédés qui semblent servir à éveiller l’attention pour la forme. Ces procédés, qui se trouvent partout au monde, se résument à la répétition : répétitions de sons, de mesures, de mots, des parallélismes sémantiques et syntaxiques. De telles répétitions sont des événements échelonnés le long de la chaîne syntagmatique et qui se font écho, rendant ainsi présent l’axe paradigmatique, autrement occulté. L’efficacité poétique réside donc dans le fait de révéler, de faire vivre, d’actualiser, des potentialités paradigmatiques.

Exilé pendant la Deuxième Guerre, Jakobson s’établit à New York où il devient l’ami et collaborateur d’un autre réfugié, Claude Lévi-Strauss.

Structuralisme typologique du mythe

La forme classique du structuralisme, et à plus forte raison quand il s’agit du mythe, est celle de ce Lévi-Strauss (1908-)[2].

Voulant déjà analyser des phénomènes pour trouver leurs sens sous-jacents (1955), sa rencontre avec Jakobson fut décisive, lui offrant, dans la linguistique structurale, un modèle systémique et explicatif pouvant s’étendre à d’autres domaines de la vie sociale. Après avoir repensé la parenté comme système de communication parallèle au langage parlé, Lévi-Strauss se tourne vers les mythes.

Si l’on prend son oeuvre mythographique comme un tout, on voit que ce que propose Lévi-Strauss est un comparatisme typologique des mythes, là où Dumézil en propose un comparatisme génétique. Si on regarde de nouveau les généalogies intellectuelles tracées ci-dessus, on voit une lignée aînée sortant du jeune Saussure, le Saussure indo-européaniste, linguiste diachronique, qui donne naissance à Meillet et à travers lui à Dumézil ; et une lignée cadette, née du vieux Saussure, linguiste synchronique et systémique, qui mène à l’École de Prague, dont Jakobson, et à travers lui à Lévi-Strauss. Dumézil et Lévi-Strauss seraient donc des cousins intellectuels parallèles.

Lévi-Strauss annonce ses couleurs dans ses leçons de 1952-1953 :

On a convenu de traiter tout discours mythique comme une sorte de métalangage, dont les unités constitutives seraient des thèmes ou des séquences eux-mêmes privés de signification, à la façon des phonèmes de la langue, et ne prenant sens que par leur articulation en système.

Lévi-Strauss 1984 : 249

La mythographie de Lévi-Strauss était présentée au public dans le volume découlant d’un symposium américain de 1953 (Sebeok 1955), qui présentait le bilan des approches sur les mythes disponibles à l’époque. Ici le manifeste de Lévi-Strauss (1955) côtoie le descriptivisme culturaliste, la révélation psychanalytique, la classification folkloriste, et pas moins de deux chapitres portent sur la Myth and Ritual School. Dans cette compagnie, le texte de Lévi-Strauss détonne comme un vilain petit canard, voire un ornithorynque.

Suivant son intuition linguistique, Lévi-Strauss donne au mythe une place dans l’échelle des niveaux linguistiques, à un niveau élevé, au-dessus de la phrase[3]. Ses unités minimales seraient non des phonèmes ou des unités de sens, mais des événements, images, thèmes, des « grosses unités constitutives ou mythèmes », des relations ou propositions qui peuvent être représentées sous forme de phrases. À ce niveau, ce qui compte est le contenu référentiel, « l’histoire qui y est racontée » et non pas la façon dont elle est racontée. Cela le mène à proposer que le mythe peut se traduire pratiquement sans problème entre langues et entre modalités sémiotiques. Pour le langage poétique, par contre, tous les niveaux linguistiques sont pertinents, ainsi que sa musicalité spécifique (voir Friedrich, ce numéro), et il n’est plus le même dès lors qu’on le traduit – la poésie ne souffrirait pas la traduction et, dans ce sens, elle serait l’inverse du mythe.

Les trois Lévi-Strauss

Déjà dans ce texte, Lévi-Strauss propose plusieurs méthodes d’analyse complémentaires mais différentes. Il va continuer à les poursuivre à travers sa carrière.

1. Analyse « verticale ». La première méthode fait le va-et-vient entre les axes syntagmatique et paradigmatique. Les mythèmes se succèdent dans le temps narratif, car ils sont en rapport syntagmatique. Certains mythèmes, pourtant, en rappellent ou en répètent d’autres, comme des variations sur le même thème. En identifiant ces échos dans le déroulement du mythe, déroulement qu’on présente sur un axe « horizontal » de contiguïté, on finit par reconstruire des paquets de mythèmes-écho dont les rapports de similarité peuvent se représenter sur un axe « vertical », paradigmatique. On constitue ainsi des paquets de mythèmes qui se ressemblent et qui s’opposent à d’autres paquets. À partir d’une suite syntagmatique unidimensionnelle, on a maintenant produit une trame bidimensionnelle, à la fois syntagmatique et paradigmatique.

Bien que Lévi-Strauss ne le dise pas, il s’agit de la méthode développée par Jakobson pour l’analyse du langage poétique et pour expliquer son efficacité. Mais là où l’analyse des poèmes prend en compte tous les niveaux linguistiques et des facteurs paralinguistiques tels que le rythme et le compte de syllabes, on propose pour les mythes une poétique strictement limitée aux images, aux incidents.

Ce modèle est illustré par une analyse-échantillon du mythe grec d’Oedipe. Remplaçant d’abord le mythe dans le cycle dont il fait partie, celui de la famille royale de Thèbes, Lévi-Strauss découpe les histoires du cycle en mythèmes, puis identifie des rappels pour faire des paquets. Ces paquets, eux, portent sur différents aspects de la vie grecque, ce que Lévi-Strauss appellera plus tard des plans. Dans le cas d’Oedipe, il propose un plan de la parenté et un plan de l’origine de l’humanité, chacun faisant partie, on le présume, du bagage conceptuel des Grecs et alimentant leur production mythogénétique. Ici, le problème de l’origine de l’humanité s’avère insoluble et générateur de parallèles sur d’autres plans – dans ce cas, celui de la parenté – avec pour résultat de le « naturaliser », de le présenter comme une contradiction inhérente à la nature du monde.

Lévi-Strauss présente cette analyse comme un exercice didactique basé sur un mythe que tout le monde connaît ; elle n’a jamais été acceptée telle quelle par les hellénistes. Par contre, elle a le mérite indiscutable de proposer une interprétation inouïe, nouvelle, et propre à un possible univers mythique des Grecs anciens. Et elle propose une finalité du mythe : qu’il cherche à résoudre une contradiction dont les porteurs du mythe souffrent, mais à laquelle ils ne sont pas en mesure de faire face. Il s’agit d’une nouvelle fonction du mythe : celle de révéler-cacher des contradictions sociales et idéologiques.

Dans « La geste d’Asdiwal » (1973 [1958]), Lévi-Strauss traite de mythes recueillis chez les Tsimshian de la Côte Nord-Ouest de l’Amérique. À partir des mouvements du protagoniste, il dégage une série de plans pertinents pour la vie et la conceptualisation des Tsimshian : plan cosmologique (mouvement entre la terre, le ciel, le royaume sous-marin) ; plan géographique (mouvement entre montagne et mer, en aval et en amont des fleuves), plan techno-économique (mouvement entre chasse sur terre et chasse en mer, alternance entre périodes d’abondance et de famine), plan sociologique (une série de mariages ratés, tous uxorilocaux, ce qui n’est pas la norme tsimshian). Le mythe met en parallèle ces différents plans et leurs oppositions insurmontables pour en montrer l’équivalence. Sauf que, vu de l’extérieur, il n’y a pas équivalence entre ces oppositions : haut et bas, montagne et mer, sont des oppositions en quelque sorte inscrites dans le monde, tandis que des contradictions entre les types de mariage sont potentiellement sous le contrôle de la population qui en souffre. En effet, argumente Lévi-Strauss, les sociétés de type potlatch, groupe dont les Tsimshian font partie, ne résolvent pas le problème de la supériorité relative des donneurs ou des preneurs de femme, d’où un combat toujours renouvelé pour établir le statut relatif des entités échangeantes. Le mariage et la vie économique, c’est la guerre perpétuelle. Pour Lévi-Strauss, c’est ici qu’on croit « atteindre le roc » (1973 [1958] : 205) : le mythe se développe en spirale autour de ce problème insoluble de la vie tsimshian[4].

« Asdiwal » est le monument de cette analyse « verticale » qui reste dans une seule aire culturelle et essaie de relier le message du mythe et les contradictions spécifiques à une formation sociale. Le langage marxisant est délibéré : c’est ici qu’on voit le sens des déclarations de Lévi-Strauss qui travaille sur les superstructures. Et on comprend pourquoi malgré toutes leurs différences, on continue à voir quelque chose de commun entre cet aspect de la mythographie lévistraussienne et celle du Roland Barthes des années 1950, une série d’analyses de « mythes » du quotidien moderne qui essaient de montrer que le mythe a pour rôle de cacher des contradictions (Barthes 1957).

2. Pensée sauvage. Dans les dernières pages du texte de 1955, Lévi-Strauss conclut que le mythe est le résultat d’une pensée rigoureuse, mais appliquée à des objets concrets plutôt qu’abstraits. Cette idée va fournir l’impulsion pour une discussion globale dans La pensée sauvage (1962). Si les objets et entités mythiques prennent sens dans leur combinaison, cela implique toute une façon de penser : il ne s’agit pas d’inventer des entités abstraites, mais de révéler les aspects abstraits des objets concrets en présentant et en contrastant ces objets. La dimension paradigmatique peut être maintenant comprise dans le sens où chaque société ou groupe de sociétés comporterait un système avec de tels contrastes, manifestation particulière de la science du concret, qui servirait de matrice mythogénétique – système virtuel, pourtant, comme le système linguistique, ne trouvant son expression que dans les mythes eux-mêmes.

L’extension apparente de la méthodologie structurale à une philosophie générale de la pensée sonne l’alarme ; Ricoeur (1963), par exemple, limiterait la méthode structurale aux sociétés primitives considérées comme des exceptions antihistoriques, là où les traditions historiques demandent une interprétation de l’intérieur. Cette discussion est pertinente pour nos propos, car il détermine si la notion de « mythe moderne » aurait ou non du sens (Moisseeff, ce numéro). Sur la couverture du livre Mythology : Selected Readings (Maranda 1972), figure un personnage qui condense l’argument pour l’ubiquité des mythes : la tête, cliché noir et blanc d’une sculpture de dieu antique, est posée sur un corps de Superman, dans les couleurs de la bande dessinée.

3. Analyse « horizontale ». Dans l’article de 1955, après l’analyse d’Oedipe, Lévi-Strauss fait des sauts de peuple en peuple, surtout amérindiens, pour montrer comment les mythes se transforment entre eux et suggère que les mythes de civilisations différentes peuvent représenter une seule armature logique. À la fin de l’article, il laisse tomber que « tout mythe (considéré comme l’ensemble de ses variantes) est réductible à une relation canonique » qu’il représente au moyen d’un formule à allure algébrique, « formule énigmatique qui paraît tombée du ciel » (Scubla 1998 : 25). Ce qui y semble essentiel est ceci : le mythe présume des oppositions et joue avec elles dans des transformations qui s’effectuent au cours des événements racontés ; à un moment donné dans le déroulement de ce processus, arrive une crise qu’il appellera plus tard une double torsion ; un des termes est transformé en son contraire, et en même temps ce même terme cesse de jouer le rôle d’un terme et devient une fonction. On reviendra sur la formule, qui a connu une renaissance depuis dix ans.

Après « Asdiwal », cette dimension comparative va l’emporter et Lévi-Strauss se lance dans une étude des mythes sur l’origine du feu de cuisine à travers les deux Amériques, en présumant que les peuples des deux hémisphères étaient en rapport d’échange depuis quelques millénaires. Le résultat en sera les quatre volumes des Mythologiques, parus de 1964 à 1971. Lévi-Strauss y propose une nouvelle cartographie du paysage mythologique des Amériques basée sur ce dialogue entre les mythes. Les oeuvres majeures suivantes sont des études régionales de l’Amazonie (1985) et de la Côte Nord-Ouest (1975, 1991), ce qui permet un va-et-vient entre la spécificité d’un type social et la transformation entre les mythes.

La notion d’un Lévi-Strauss typologiste des mythes ressort de ses proto-analyses des histoires du Saint-Graal. À la différence des chercheurs qui essaient de retracer les filiations historiques de ces récits, Lévi-Strauss note l’existence en Amérique d’une série de mythes historiquement indépendants, mais possédant quelques-uns des traits saillants de ceux du Graal. Il s’agit sur les deux continents d’une opposition entre excès et insuffisance de la communication : le héros est puceau et ne connaît pas la gent féminine ; il est ignorant et ne peut pas répondre aux questions les plus simples ; quand il se trouve face à un grand mystère, il ne pose pas la question évidente qu’il devrait poser ; le résultat en est une terrible famine. Pour Lévi-Strauss, tous ces éléments manifestent une insuffisance de la communication, soit sexuelle, soit linguistique, soit économique et écologique. Les parallèles entre l’Europe et l’Amérique ne peuvent être le résultat ni du hasard, ni de l’emprunt, ni, dans ce cas, d’un héritage commun : il faut donc qu’il s’agisse d’un type mythologique, comparable aux types linguistiques, qui traite de l’insuffisance de la communication, problème qui se pose sans doute à des sociétés de type très différent. Lévi-Strauss présente ces conclusions comme autant de données à l’appui de la mythicité des histoires du Saint-Graal, contre ceux qui les prennent pour des inventions de romanciers chrétiens (1984 : 129-140). L’inverse de ce mythe-type percevalien impliquerait un héros hypersexualisé et hyper-intelligent ; une réponse donnée à une question qui n’en a pas, c’est-à-dire la résolution d’une énigme ; finalement, l’inverse d’une disette, c’est-à-dire une surproduction maladive – une peste, par exemple. Il s’agit évidemment des éléments du mythe d’Oedipe, et ici encore on trouve des parallèles américains. On aurait donc identifié deux types mythiques, qui auraient tendance à prendre forme dans n’importe quelle situation où l’insuffisance ou l’excès de la communication est problématique (1973 [1960] : 31-35).

Retour de la formule canonique

Dans l’étude des mythes, les textes de Lévi-Strauss – minutieux, élégants et spécifiques – ont inspiré une série de publications utilisant des variations de la méthode structurale, non seulement en anthropologie, mais aussi chez les historiens, notamment les classicistes. De tels effets revivifiants étaient prévisibles, et l’histoire de la formule canonique réservait une surprise (Scubla 1998). La formule avait toujours eu ses exégètes, notamment Elli Köngäs et Pierre Maranda (par exemple 1971), qui en tiraient des implications sémiotiques plus larges et appliquaient leurs conclusions à une variété de matériaux de tradition orale. À part ces efforts, la formule fut quasiment oubliée, sauf par Lévi-Strauss lui-même, qui continuait à en proposer des variantes ici et là dans les Mythologiques avant de lui donner un rôle central dans des livres ultérieurs (1985, 1991).

Mais l’impulsion pour un renouveau d’intérêt vient d’une source inattendue. Le mathématicien Jean Petitot remarque (1988) que la double torsion représente un type de renversement quasiment inconnu aux mathématiciens et du plus grand intérêt. Dès lors commence un dialogue autour de la formule, qui réunit mathématiciens, historiens, philosophes et anthropologues (Désveaux et Pouillon 1995 ; Maranda 2001).

La double torsion se révèle un type de transformation qui se manifeste dans des domaines très différents. Mais s’agit-il, comme semble le suggérer l’article de 1955 (Maranda et Maranda 1971), de quelque chose qui se passe à un point donné du déroulement d’un mythe? ou bien dans le déroulement d’un rite (Lévi-Strauss 1984  : 236)? ou bien dans le passage entre différentes variantes d’un mythe, en passant d’une famille linguistique à une autre (Lévi-Strauss 1991)? ou bien entre variantes en passant d’un état historique à un autre (Maranda 2001)? Ou bien toutes ces réponses? Ce que semble indiquer la formule canonique, dans ces cas, est la présentation d’une situation complexe, mais relativement stable, qui subit une transformation inattendue, laquelle change une fois pour toutes les termes de la situation.

Un structuralisme des rites?

Dans ses leçons de 1952-1953, Lévi-Strauss proposait d’utiliser le rituel, « mythe agi », comme une sorte de contrôle pour l’analyse du mythe, « rite pensé ». Deux ans plus tard (Lévi-Strauss 1958 [1956]), il rejette cette homologie entre mythe et rite pour voir chacun comme un domaine potentiellement autonome qui entretient les rapports les plus variés avec l’autre : homologie possiblement, mais également inversion ou renversement, et on trouve des cas où les rites d’un peuple semblent répondre à des mythes de leurs voisins. Avec le temps, Lévi-Strauss identifie de plus en plus le mythe avec une liberté de parole qui lui permet de conférer aux mythes des formes intellectuelles complexes, cristallines, qui réfléchissent la complexité de l’esprit humain, là où les rites sont entravés par la nécessité d’être agis et par l’affectivité qui leur est inhérente (Lévi-Strauss 1971, « Finale »). Cela va rester la position généralement associée avec Lévi-Strauss, malgré le fait qu’il retourne à l’analyse des rites, et essaie des variantes de la formule canonique sur eux, dans ses leçons (Lévi-Strauss 1984 : 141-149 ; voir Scubla 1998 : 92-95). Dumézil, pour sa part, a proposé des analyses de rites (par exemple, 1954) en puisant dans la matière mythique associée.

La « Finale » de L’Homme nu est une réponse à l’oeuvre de l’anthropologue écossais Victor Turner (1920-1983), dont les analyses d’un système de rites pratiqué par les Ndembu, peuple de l’actuelle Zambie, sont toujours des incontournables pour une possible science des rites, comme le sont les travaux de Lévi-Strauss pour celle du mythe.

Les analyses de Turner, malgré son apparente allergie à l’étiquette de structuraliste, respectent les traits du structuralisme et pratiquent même le va-et-vient entre les axes syntagmatique et paradigmatique : suivant la piste syntagmatique d’actes rituels, à chaque étape on cherche à cartographier les relations paradigmatiques entre les actes et les objets présentés, pour ensuite marquer des répétitions qui soulignent certains thèmes et considérer la place de ces thèmes dans la vie ndembu (voir Turner 1967).

Le but de Turner n’est pas de reconstruire un code paradigmatique comme finalité, mais de suivre le déroulement dynamique d’un processus avec ses transformations irréversibles. Dans cette ligne, Terence Turner (1969), élève mais pas parent de Victor Turner, accuse Lévi-Strauss de supprimer le syntagmatique en faveur du paradigmatique, oubliant que le mythe se déroule dans le temps narratif et suppose une série de transformations.

En deuxième lieu, il y a des parallèles entre les fonctions proposées par Lévi-Strauss pour les mythes et par Turner pour les rites. Bien que les rites ndembu aient chacun sa propre finalité (aider dans un accouchement difficile ou transformer des garçons en hommes, des filles en femmes), il y aurait derrière eux une finalité plus large, qui est d’effectuer une médiation avec les contradictions sociales et idéologiques auxquelles les pratiquants des rites ne peuvent pas faire face directement (voir en particulier Turner 1968). Ces conclusions sont basées sur des analyses fines des facteurs de conflit implicites, et inévitables, dans la combinaison entre la filiation matrilinéaire et le contrôle des enfants par leurs pères, caractéristique de la société ndembu. Turner présente les rites, à l’instar de Lévi-Strauss pour les mythes, comme des mécanismes pour résoudre ces contradictions sans y faire face.

Lévi-Strauss lance son article de 1955 en louant certains devanciers pour avoir « compris que les problèmes d’ethnologie religieuse relèvent d’une psychologie intellectualiste » plutôt que d’une psychologie de la vie affective (1955 : 227-228). Turner, par contre, présume que les rites servent à provoquer et à manipuler des émotions, qu’il prend pour déjà structurées dans une société donnée et jusqu’à un certain point dans le corps-esprit humain en tant que tel. Là où, en dernière instance, Lévi-Strauss se tourne vers la structure intellectuelle de l’esprit humain, Turner se tourne vers des universaux psychanalytiques, affectifs et religieux.

Les parallèles apparents entre les méthodes et conclusions de Turner et de Lévi-Strauss suggèrent que rite et mythe ne sont pas nécessairement aussi indépendants l’un de l’autre que ne le suggère le structuralisme classique. Même pour quelques anthropologues inspirés par Lévi-Strauss – on peut nommer de Heusch, qui parle même du rite comme étant une « mythologie en acte » (1974 : 713) ; Jean-Claude Muller, qui aurait croisé « l’approche de Lévi-Strauss et celle de Victor Turner » (Crépeau 2004 : 390) ; et Scubla (1998) – le mythe et le rite gagnent à être considérés ensemble.

Le texte mythique : un structuralisme pratique?

Le remplacement des transcriptions et des traductions de mythes par des résumés se constate non seulement chez Lévi-Strauss et Dumézil, mais également chez d’autres qui se sont inspirés d’eux. De Heusch (1972 : 12) n’a pas le choix : les gestes et épopées africaines n’ont pas été recueillies comme elles doivent l’être. L’indianiste Madeleine Biardeau, pour sa part, choisit de présenter son livre sur l’immense épopée sanskrite le Mahabharata sous forme d’une suite de paraphrases et d’analyses – tout sauf une traduction, se fondant « sur le plus ou moins d’importance du contenu pour le sens. […] Le résultat devrait être un texte supportable à la lecture » (2002 : I, 25). Pour de Heusch, résultat malheureux de la pénurie de textes utilisables, pour Biardeau, choix explicite à cause de ce qu’on peut appeler un excès de texte, dans ces cas comme dans les autres, les mots des conteurs disparaissent en faveur d’une reprise de la signification référentielle de ces mots.

Cette évacuation des mots eux-mêmes est anathème pour ceux qui voient le mythe non comme l’inverse du langage poétique mais comme du langage poétique lui-même. Une telle réaction n’est pas surprenante chez ceux qui relèvent de la tendance « ethnopoétique ». Parmi les travaux de ce mouvement, notons les analyses mythopoétiques de Dell Hymes, qualifiées de « philologie anthropologique » (1981) ou de « structuralisme pratique », cette dernière par opposition au « structuralisme théorique » de Lévi-Strauss et Barthes (Hymes 1985 : 393), et qui prennent en compte soit le texte dans sa langue d’origine, soit une traduction proche. Pourtant, les analyses de Hymes montrent des parallèles remarquables avec celles de Lévi-Strauss. Dans des analyses de textes mythiques provenant des peuples de langue chinook (nord-ouest des États-Unis), Hymes essaie d’identifier des répétitions signifiantes de thème, mais aussi de structures syntaxiques, de mots, de phonèmes, et déclare avoir découvert un système d’organisation des textes propre aux peuples chinook (Hymes 1981). En plus, il maintient, et semble avoir montré dans quelques cas, que la spécificité de la forme semble orienter l’interprétation d’une façon qui ne pourrait pas être saisie en se basant sur des résumés.

Comme le dit Lévi-Strauss (1987 : 119), Hymes a aussi ses ultras. Dennis Tedlock a en effet critiqué Hymes pour s’être fié à des versions écrites plutôt qu’à des enregistrements de textes (1983) et pour avoir ainsi négligé le style oral du conteur. Hymes (1981) répond qu’il travaille sur la structuration du texte typique d’une tradition ; compter les secondes d’une pause n’est pas pertinent à ce niveau. Or, avec ce qui semble un malin et excusable plaisir, Lévi-Strauss répond à Hymes précisément dans ces termes : lui-même travaille à un niveau qui a sa propre autonomie. Et tout comme Hymes parle d’une tradition plus large que le style d’un conteur à un moment donné, Lévi-Strauss voudra remettre la tradition locale dans un contexte régional, souvent plurilinguistique, une sorte d’aire mythologique comparable aux aires linguistiques, et qui donnerait le sens aux histoires et à leurs éléments. Si je peux hasarder une formalisation du débat : Tedlock est à Hymes ce que Hymes est à Lévi-Strauss.

Tout le monde aurait donc raison, chacun à son niveau, les auteurs relativement à gauche dans cette formule ayant des données plus spécifiques, plus riches mais moins généralisables, que ceux de droite. Mais cela ne répond pas tout à fait à ce que nous pouvons appeler les critiques de ceux de la gauche. Est-ce que le débit d’un conteur est idiosyncrasique et changeant, ou bien fait-il partie aussi d’une tradition? Est-ce que la structuration d’un texte dans la langue où il est réalisé n’est qu’un phénomène local, ou bien aurait-on des styles régionaux d’organisation et de présentation des mythes? Et ces façons d’organiser, qui impliquent la mise en avant et la mise ensemble de certaines images et événements plutôt que d’autres – par la rime, l’allitération, des épithètes répétées, le groupement de lignes et de vers – n’auraient-elles pas d’incidence sur l’interprétation du mythe? Si, d’après Lévi-Strauss, le sens d’un élément mythique est positionnel, défini par le contraste avec d’autres éléments, l’un des contextes importants pour ces contrastes est sûrement dans le déroulement discursif du texte lui-même. En fait, Lévi-Strauss commence sa carrière de mythographe en profitant de la signification en grec des noms d’Oedipe, de son père et de son grand-père, ce qui semble contredire la doctrine de la traduisibilité des mythes et la pertinence secondaire de leurs textes (sur Hymes et Lévi-Strauss, voir Harkin 2004).

Dumézil, ainsi que la plupart des mythographes qu’il a inspirés, traite également le mythe comme une histoire racontée plutôt que comme un texte. Pourtant, dans le domaine indo-européen comme ailleurs, parmi les critères grâce auxquels on reconnaît un mythe, figurent précisément sa réalisation dans une forme linguistique marquée. En regardant les niveaux entre la linguistique au sens strict et la mythologie comparée, on trouve à mi-chemin des formules poétiques liées à des thèmes mythiques, dont certaines peuvent être reconstruites pour la période proto-indo-européenne. Certains indo-européanistes (voir Watkins 1995) offrent des analyses structurales comparées et diachroniques qui tiennent compte de tous les niveaux linguistiques.

La geste de Goriyâ

Pour illustrer ces propos, je voudrais esquisser des éléments d’analyse d’une histoire provenant de la région central-himalayenne de l’Inde du Nord (région du Kumaon, État d’Uttaranchal). Ce récit peut être appelé mythique selon plusieurs critères : il raconte l’origine d’une institution qui joue un rôle central dans la vie communautaire ; il évoque des thèmes et des problèmes qui sont au coeur des préoccupations sociales, au moins d’après mes observations et celles d’autres chercheurs ; il est normalement récité dans un contexte rituel ; sa forme de récitation est une prestation d’une poétique hautement élaborée ; il présente des événements et des entités d’un type qu’on ne connaît pas directement dans l’expérience quotidienne ; et il se passe dans un passé lointain ayant pourtant une actualité aujourd’hui.

Il s’agit d’une communauté de petits fermiers et éleveurs. Ce sont des Hindous qui ont des castes et parlent des langues indo-aryennes. Un des facteurs qui différencient ces montagnards de leurs coréligionaires ailleurs est un culte de divinités locales qui coexiste avec celui des grands dieux hindous. Pour ces populations, il y a une multitude de dieux locaux qu’il ne faut pas offusquer sous peine de malheurs. Beaucoup de ces dieux se manifestent directement dans des rites de possession appelés jâgar (veillée) qui se passent la nuit sous l’égide d’un barde professionnel. À la différence des rites de l’hindouisme standard pratiqués par les mêmes gens, ceux-ci ne requièrent pas la supervision d’un prêtre brahmane. Lors du rite, le dieu, appelé par le barde, se manifeste dans le corps d’un médium pressenti pour l’occasion ; le barde déclame la légende du dieu en s’adressant directement lui – ce sont des récits à la deuxième personne. Pendant ce récit, le dieu danse dans le corps du médium, cette danse étant en grande partie iconique des événements racontés. Danser est censé procurer un grand plaisir au dieu et, on l’espère, le rendre calme et de bonne humeur. Après le récit accompagné de sa danse, le dieu bénit les personnes assemblées en imposant des cendres sacrées, puis leur parle (Gaborieau 1975 ; Leavitt 1997).

Voici l’histoire de Goriyâ (nom représenté parfois sous la forme Goril, Goll, ou Gollu), considéré comme dieu de la justice.

Le roi du Kumaon a sept épouses mais pas d’enfant. Il va à la chasse dans la forêt, où il rencontre une femme d’une force extraordinaire qui puise de l’eau à une source. Le serviteur du roi dit à la femme de se mettre à l’écart, pour qu’il puisse prendre de l’eau pour le roi. La femme révèle sa nature divine. Le roi, impressionné, la ramène pour en faire sa huitième épouse. C’est la déesse Kâli ou Kâlindra.

La nouvelle reine tombe enceinte et, au moment de la naissance, les sept co-épouses, jalouses, subtilisent le bébé et le remplacent avec une pierre. Kâlindra est exilée ; les marâtres essaient de tuer le garçon de plusieurs façons, mais chaque fois il s’en sort sain et sauf. Finalement, elles font appel à un forgeron venu de la plaine pour faire une boîte de fer dans laquelle elles enferment l’enfant et jettent le tout dans la rivière Kâli. Miracle : la boîte de fer flotte sur les vagues, à l’amont, vers les hautes vallées de l’Himalaya, se tournant pour monter la rivière Gori, la Blanche. La boîte est repêchée par un pêcheur des hautes vallées. Il la rapporte chez lui et sa femme et lui, qui n’ont pas d’enfants, découvrent le petit et le mettent sur les genoux de madame la Pêcheuse : le lait jaillit de ses seins. Ils adoptent le garçon, à qui ils donnent le nom de Goriyâ, celui de la rivière Gori. Les pêcheurs font venir un menuisier pour faire un cheval de bois pour leur enfant. Son jeu préféré sera de chevaucher ce cheval de bois, qui acquiert des pouvoirs magiques et vole dans l’air.

Un jour, Goriyâ chevauche son cheval qui traverse le ciel et atterrit près de la capitale, à côté d’une source où les sept reines sont en train de puiser de l’eau. « Ô reines, dit le petit, écartez-vous pour que mon cheval de bois puisse boire! » « Qui dans tout ce monde, demandent les reines, a jamais entendu parler d’un cheval de bois qui boit de l’eau? » « Ô reines aveugles, répond le garçon, qui dans tout ce monde a jamais entendu parler d’une femme qui donne naissance à une pierre? » Les reines reconnaissent que c’est l’enfant du roi et s’enfuient. Les nouvelles de cet échange parviennent au roi, qui demande que l’enfant comparaisse devant lui ; l’enfant demande que la reine Kâlindra soit invitée aussi. On met l’enfant sur les genoux de la reine et le lait jaillit de ses seins. Goriyâ est reconnu comme prince héritier du royaume, sa mère regagne sa place comme reine, et les marâtres sont punies.

Souvent l’histoire finit là. Dans certaines versions, par contre, le prince se trouve un guru – il s’agit de son oncle maternel Saim, créateur de ce monde et dieu renonçant – et devient renonçant. À la différence des vrais renonçants, par contre, il le fait tout en restant roi (variantes de l’histoire dans Atkinson 1884 : 821-825 ; Agrawal 1992 ; Leavitt 1997).

Malgré la profondeur historique de la tradition indienne, ces histoires de dieux himalayens ne sont connues que dans des versions modernes, dont la plus ancienne que je connais date de la fin du XIXe siècle. On est donc dans une situation qui rappelle celle de l’analyste de textes oraux amérindiens, et une méthode synchronique semble requise ici. Notons-en quelques pistes.

Que faire avec un résumé? La trame syntagmatique de l’histoire n’aurait rien pour surprendre Propp : on commence avec une situation de déséquilibre, un roi sans issue ; cette situation est réglée, mais un aspect de la situation précédente, la présence des co-épouses jalouses, détruit l’équilibre et crée un nouveau mouvement ; le retour du prince, sa réplique aux marâtres, son établissement semblent créer une situation stable à la fin. Si on regarde les répétitions qui, dans le contexte de ce que nous connaissons de la vie des conteurs et de leur public, sautent aux yeux dans la ligne syntagmatique, on a les suivantes : d’abord, les situations initiales et finales se répondent : à une source d’eau, une ou plusieurs femmes puisent de l’eau, un homme lui ou leur demande de se mettre à l’écart, il y a une réponse étonnante qui fait se transformer la situation. Les deux scènes se rappellent, mais aussi s’inversent : à la première, c’est la femme, jeune inconnue et mystérieuse, en fait déesse, qui donne la réponse, qui gagne le parti et devient reine ; à la deuxième, c’est l’homme, petit garçon inconnu et mystérieux, en fait demi-dieu, qui donne la réponse à la question, qui gagne le parti et est reconnu comme prince. Une autre répétition frappante est celle des créations d’objets par des artisans : dans les deux cas, des quasi-parents (marâtres ou parents adoptifs) font appel à un artisan pour produire un objet qui relève de sa spécialité mais qui n’est pas ce qu’il produit habituellement, objet qui va servir de véhicule pour Goriyâ. Ici aussi les deux situations s’inversent : dans la première, le forgeron crée un coffre de fer à l’intérieur duquel l’enfant sera porté dans l’eau, afin de le tuer, de le faire disparaître ; dans la deuxième, le menuisier crée un cheval de bois, un jouet, sur lequel (à l’extérieur) l’enfant sera porté dans l’air, ce qui lui rendra sa vraie identité, et le fera donc réapparaître. Ces deux couples de points de repère semblent scander en quelque sorte le mouvement du mythe, qui se dispose autour d’eux sur une série de plans – cosmologique, géographique, social, familial – chacun marqué par un mouvement entre états opposés.

Plan cosmologique. Il y a une plusieurs rencontres entre le domaine des hommes et le domaine des dieux : au début, le roi errant rencontre la déesse, puis retourne avec elle à sa capitale ; à la fin, le prince va à la recherche de son guru, le dieu Saim, se fait initier par lui et retourne à sa capitale avec la puissance du renonçant.

Plan géographique. Le parcours du héros commence dans les collines, monte dans les hautes vallées et redescend dans les collines. Cela veut dire aussi qu’il quitte la capitale et la civilisation pour monter dans des régions périphériques du nord, habités par des populations de langue et de descendance tibétaines. Ce voyage central d’aller et de retour est encadré par deux autres : d’abord celui du roi, qui part dans la forêt et en revient avec une épouse divine ; à la fin, celui du prince qui part à la recherche d’un guru et qui revient avec sa bénédiction divine.

Plan social. Les mouvements encadrants mettent en place des rapports humains-divins ; le mouvement central est un va-et-vient entre la cour royale et une hutte de pêcheurs, une caste basse et marginalisée. Goriyâ, le prince héritier, devient « l’enfant du sein » d’une femme pêcheuse, il boit son lait, devenant en partie pêcheur, en partie de très basse caste. Goriyâ traverse, dans sa personne comme dans son mouvement, toute l’échelle sociale.

En regardant ces plans, une homologie apparaît : c’est que dans chacun, on a un mouvement de va-et-vient, de balancement et de redressement. En plus, l’histoire finit avec une sorte d’équilibre absolu, soit explicitement, soit dans ses silences. Goriyâ finit par aller chercher son guru et par se faire initier comme renonçant. Or, dans la vraie vie, les deux rôles de roi (chef de maisonnée) et de renonçant sont incompatibles : le rôle de maître de maisonnée est précisément ce à quoi on renonce en devenant renonçant. Dans une synthèse impossible, Goriyâ comble les deux rôles. Et même dans les versions qui finissent avec son rétablissement comme héritier ou son couronnement, il y a une sorte de balance figée. Si Goriyâ était devenu un roi ordinaire, l’histoire aurait continué. Mais à la différence des autres rois, il n’y a aucune histoire, à ma connaissance, de son mariage, de sa mort ou de ses enfants. En fait, tout en ayant une longue généalogie lui-même, c’est une généalogie purement mythique, qui ne figure pas dans les généalogies de rois du Kumaon. Aucune dynastie ne se réclame de Goriyâ ; c’est comme s’il vivait dans une dimension parallèle ; ou comme si toute sa vie était résumée dans la première partie du déroulement d’une vie masculine hindoue, de la conception jusqu’à l’initiation, sans jamais arriver au mariage ni à ce qui s’ensuit. C’est comme si tous ces silences renforçaient le rôle de dieu de la justice, du bon balancement. Goriyâ est celui qui va et qui revient, qui rétablit la balance.

Une étape prochaine, mais qui est hors de propos ici, serait de regarder autour de cette histoire, vers d’autres mythes qui semblent faire partie du même complexe, pour essayer de reconstruire un univers mythique central-himalayen. Disons simplement que plusieurs des thèmes provisoirement identifiés ici, notamment celui du balancement, se retrouvent ailleurs dans la tradition.

On peut, sur la base de ce résumé, poser la question du rapport entre les moments de transformation du mythe et la double torsion de la formule canonique. Le retour du prince et sa rencontre avec ses marâtres semblent être un tel moment. Je n’oserais pas essayer directement la formule, mais un rapport est établi entre d’une part les sept reines, sortes d’anti-mères – elles n’ont pas d’enfants et elles ont essayé de tuer cet enfant – qui sont au centre, dans une position royale à la capitale, et qui sont en train de faire leur travail normal, remplir leurs cruches d’eau ; et d’autre part le garçon pauvre, réellement prince mais apparemment fils de pêcheur, qui arrive de loin, qui n’a apparemment que le plus bas des rôles sociaux, et qui fait la demande apparemment ridicule de donner à boire à son cheval de bois. Il s’ensuit, avec la hargne des reines et la réponse du garçon, une révélation qui renverse tout, qui fait que ce sont les reines qui seront exilées ou tuées, la mère qui sera remise à sa place, ainsi que le prince lui-même : mais avec une seconde torsion, car il va devenir non pas juste un roi (homme adulte, maître de maisonnée), mais un roi-enfant et roi-renonçant.

Contextes. L’affirmation qu’un mythe garde son caractère à travers des traductions semble se réaliser ici. Des versions kumaonies tout simplement racontées ne sont pas rares ; plusieurs versions ont été publiées en vers en hindi comme en kumaoni ; et des éléments de l’histoire sont représentés en images, soit dans les temples, soit sur la page de couverture de livres.

Mais au milieu de ces variantes, il y a quand même une façon et un contexte de présentation qu’on pourrait appeler canonique : celui d’un récit chanté par un barde professionnel dans le cadre rituel du jâgar. Il s’agit donc d’une histoire qui fait partie d’un rite dont un aspect central est littéralement un « mythe agi ».

L’observation du contexte rituel renforce un aspect de notre analyse. Pendant la prestation du rite, au moment de la réplique de l’enfant, il y a souvent une réaction nette chez les gens assemblés : il rient ; ils trouvent ça drôle, même ceux qui l’entendent pour la énième fois. Ceci me semble un indicateur important de la position clé de cet échange dans l’économie du récit.

Finalement, c’est le contexte rituel qui définit cette histoire comme faisant partie d’une catégorie d’histoires de dieux possesseurs, qui offrent donc un premier groupe de comparaison. En particulier, bien que les rites qui font danser Goriyâ puissent se limiter à lui seul ou bien continuer avec n’importe lequel d’un petit panthéon de dieux, son camarade le plus commun, le dieu qui l’accompagne le plus souvent, s’appelle Ganganâth. Et l’histoire de Ganganâth, prince de Doti, le royaume juste à l’est du Kumaon (aujourd’hui au Népal), que je ne peux même pas résumer ici, offre une série d’inversions de celle de Goriyâ, inversions qui démontrent, il me semble, la pertinence de mes interprétations. L’histoire de Ganganâth met en valeur les mêmes plans que ceux que nous avons vus chez Goriyâ, mais en inversant le sens de l’action sur chacun. Là où Goriyâ s’en va et revient, Ganganâth s’en va et ne revient jamais : il renonce à la royauté et à son royaume, traverse la Kâli là où Goriyâ la remontait, passe de royaume en royaume, viole toutes les règles sociales pour devenir un être en-dehors de la société et finit soit comme renonçant errant, soit comme renonçant-fantôme errant. Là où Goriyâ ne se marie pas et ne meurt pas pour devenir dieu de la justice, Ganganâth commence comme prince tyrannique, abandonne sa royauté pour devenir renonçant, fait un anti-mariage avec une femme de caste brahmane déjà enceinte (il cumule les abominations), meurt de mort violente et devient un dieu capricieux, facile à offusquer. Point après point, ces dieux offrent des contrastes qui permettent de les définir mutuellement.

Poétique. Notons quelques aspects de la présentation du texte qui pourraient influencer notre interprétation du mythe. Le plus évident, c’est que la définition de ce texte comme mythe ne repose pas exclusivement sur son contenu, ni sur le contexte rituel de sa réalisation, mais aussi sur le fait que dans cette société certains types de textes, dont les textes que nous appelons mythiques, sont normalement chantés par des bardes professionnels. Le style de récitation est donc un indice important pour la classification du texte.

Nous avons vu la centralité de la répétition pour l’analyse structurale ; comme dans d’autres traditions orales, ici tout est répétition, dans la phraséologie aussi bien que dans les thèmes. Comme chez Homère, les bardes central-himalayens utilisent un langage traditionnel composé en grande partie de formules toutes faites, dont, et massivement, des épithètes accolées aux personnages. Goriyâ est successivement Enfant Goriyâ, Roi Goriyâ, le neveu le mieux aimé de l’Oncle (son guru), le premier dans le cortège de la Déesse, celui de la Forteresse de Champawat. Difficile d’imaginer une interprétation de ce personnage qui ne prenne pas en compte ses épithètes.

À part les épithètes, on trouve dans les prestations de ces textes d’autres indices textuels qui signalent des directions d’interprétation. Il y a souvent une quasi-identité dans la caractérisation de la fontaine où le roi rencontre sa future épouse et celle où Goriyâ rencontre ses marâtres, deux scènes transformatrices, ce qui suggère qu’on les considère ensemble. De plus, la scène de la réplique, marquée non seulement dans la narration mais aussi dans la réaction contextuelle, l’est également dans les prestations que j’ai enregistrées : parfois, par exemple, les bardes la commentent (« une réponse, comme la médecine, est amère »), et régulièrement ils font une transition rapide à la scène suivante où l’enfant baigne joyeusement dans le lait de sa mère. Le résultat en est que Goriyâ restera près de sa mère et de son oncle maternel, à la fois roi et renonçant, juste et stable. Par contre, dans la présentation de l’histoire de Ganganâth, le barde détaille longuement une scène qui semble rappeler et renverser celle de la réunion de Goriyâ avec sa mère : celle de la séparation de Ganganâth et de la sienne. Là où Goriyâ fait couler des rivières de lait de sa mère, la mère de Ganganâth, dit le barde, laisse couler des rivières de larmes. Il s’agit, en fait, d’une scène qui a lieu vers le début de l’histoire ; tout le reste peut être lu comme le résultat de ce départ, cette transformation clé.

Les gens ne pleurent pas à ce moment-là dans le rite ; mais plus tard ils m’ont dit que c’était la partie qu’ils trouvaient la plus triste. Le rire, les larmes, sont des éléments affectifs, mais loin d’être aléatoires, purement individuels, dans ce cas des émotions stéréotypées, attendues en quelque sorte par les membres de la collectivité, semblent faire partie du déroulement normal de la mythopoèse. Comme dans la séparation du mythe de son contexte rituel, de sa réalisation poétique, celle des sentiments qu’il provoque et qu’il exploite semble limiter de façon arbitraire le champ de l’analyse structurale.

Conclusion : vers un structuralisme élargi?

Concluons avec quelques mots de plus sur les rapports entre mythe, rite et texte.

Lévi-Strauss et Turner insistent tous les deux sur l’autonomie du mythe et du rite ; souvent, pourtant, les deux sont un aspect verbal et agi d’une seule pratique. Et souvent, c’est sa présence dans un contexte rituel qui fait que nous considérons un récit comme un mythe.

Pour Lévi-Strauss, c’est la liberté de pensée des mythes, qui ne sont que des mots, qui leur permet d’épouser des structures intellectuelles collectives, de tomber dans des configurations parlantes. Le rite, par contre, alourdi par la nécessité d’un effet, dépend trop des circonstances ponctuelles de sa réalisation. Comme un collègue me l’a dit un jour (Gilles Bibeau, communication personnelle), « Lévi-Strauss n’aime pas les rites parce qu’ils bougent trop ».

Or il y a quelque vingt ans, j’ai eu l’occasion de demander à l’anthropologue anglaise Mary Douglas pourquoi, dans son oeuvre dédiée en grande partie aux rites, il y avait si peu de discussion des mythes. Elle a répondu (je résume) : « Dans cela, je suis comme la plupart des anthropologues britanniques. Nous n’avons pas confiance dans les mythes, qui ne sont que du langage. On peut raconter un mythe n’importe comment, et avec chaque conteur, même à chaque occasion, il peut changer de façon imprévisible. Un rite, par contre, étant un acte, demande une certaine fixité ». Peut-on dire que les anthropologues britanniques n’aiment pas les mythes parce qu’ils bougent trop?

Ce parallèle, dans la symétrie de son renversement mutuel, soulève des questions. En fait, tout bouge dans ce monde et il faut vivre avec cette réalité. Mythe et rite sont nos propres dénominations pour des aspects verbaux et kinésiques de ce qui est souvent une seule entreprise.

N’est-on pas en face d’un parallèle semblable dans le cas de la poéticité des textes mythiques? Les styles bougent aussi, mais il est également possible d’y trouver des structures collectives et de plus ou moins longue durée. C’est effectivement à la « surface » du texte que se trouvent normalement les répétitions révélatrices.

Rappelons l’admiration que voue Lévi-Strauss à l’oeuvre de Wagner, maître avant tout de la répétition bien tempérée. Les leitmotiv, utilisés surtout dans les opéras mythologiques, ne sont rien d’autre qu’une façon d’indiquer des récurrences sans les énoncer en mots. Wagner travaillait dans les formules de surface qui révèlent des profondeurs ; et une éducation wagnérienne est précisément une formation des sentiments, un apprivoisement des réactions « sauvages » du sujet, pour répondre comme il faut au bon moment. N’en dirait-on pas autant pour l’écouteur des mythes, le participant des rites, le sujet mythopoétique?

Dans les débats sur les niveaux d’analyse, tout le monde semble avoir raison. Si on prend au sérieux la notion de niveaux, il semble vrai à la fois que chaque niveau a sa spécificité, que plus on prend en compte, mieux c’est, et que parfois le traitement d’un niveau peut limiter ou suggérer des pistes à suivre sur un autre.

On pense à la scène dans « Asdiwal » où mère et fille se rencontrent sur la glace d’un fleuve gelé n’ayant rien à manger ; dans une version, elles n’ont qu’une baie pourrie « qu’elles partagent mélancoliquement », et dans une autre version, une poignée de baies et un bout de frai (Lévi-Strauss 1958 [1973] : 179, 212). Dans un exploit analytique justement célébré, Lévi-Strauss relie cette différence de détail à un affaiblissement général des oppositions dans la deuxième version : ce petit écart dans la misérable pitance des deux femmes est révélateur d’une vaste différence structurale, comme une ligne à peine perceptible entre deux strates du sol révèle, à l’oeil attentif, un écart géologique de milliers d’années (Lévi-Strauss 1955 : 61). Une leçon peut en être de ne pas exclure des données d’avance. Dans le mot d’ordre de Kenneth Burke (repris par Hymes 1992) : « Use all there is to use ». Traduction possible : se servir de ce qui peut servir.