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Dieu a créé les hommes, mais les hommes se choisissent entre eux.

Nicolas Machiavel (1469-1527)

Nous craignons et admirons la société civile comme si c’était quelque étoile lumineuse.

Egidijus, journaliste lituanien 2005

Rimas habite avec sa mère, veuve, un immeuble décrépit de l’ère brejnevienne situé dans les faubourgs de Vilnius. Pendant que nous nous asseyons sur le sofa défraîchi qui constitue l’un des rares meubles du salon, sa mère, Valeria, entre dans la pièce et pose sur la table une théière fumante, à côté d’un exemplaire élimé de la Bible. C’est ma première entrevue avec Rimas, membre de longue date du mouvement Parole de foi (Tikejimo žodis), l’une des congrégations chrétiennes évangéliques charismatiques les plus actives de la Lituanie postsocialiste.

J’ai rencontré Rimas auparavant, lors des assemblées de prières de la congrégation, et je l’ai entendu jouer de la basse avec son groupe de rock mélodique chrétien durant le service liturgique. Quelques-uns de ses confrères croyants ont insisté pour que je le rencontre, afin que nous puissions bavarder et, peut-être, nous lier d’amitié. Rimas est une personne extraordinaire, m’ont-ils répété, et il a des choses à dire. Il est l’un de ceux que le Saint-Esprit a « sauvés ».

Rimas fixe la Bible pendant un moment, secoue la tête et dit :

Notre nation est sur la pente de l’effondrement moral […] C’est parce que nous avons perdu le bendravimas – ce sens du collectif […] cette façon de vivre avec et pour d’autres personnes, de faire des choses ensemble. Notre nation (tauta) l’a tout simplement perdu […]. Où trouver ce bendravimas de nos jours? Où? Le Saint-Esprit m’a montré la voie […].

Valeria acquiesce d’un signe de tête et remplit à nouveau nos tasses.

Ce concept de bendravimas – une façon moralement informée d’interagir, de communier, de socialiser, de créer des liens, de « faire des choses ensemble » – constitue l’un des fils conducteurs du présent article. Je cherche en particulier à comprendre comment les adeptes du mouvement Parole de foi font appel au bendravimas pour créer une société civile religieuse. J’entends montrer que cette société civile leur permet de revendiquer un statut éthique qui les distingue de la nation lituanienne postsocialiste, qu’ils estiment être en plein désarroi moral. J’avance également que si, dans cette confrérie, la doctrine chrétienne constitue une source de connaissance et de réflexion morales (« le Saint-Esprit montre la voie »), ses membres font figure de modèles moraux et civiques au sein de réseaux basés sur la confiance, l’échange et le soutien mutuel, dont la pratique du bendravimas constitue la clé. J’entends notamment remettre en question la conception courante de la société civile en montrant qu’une telle société n’est pas nécessairement laïque et qu’elle peut se fonder sur d’autres principes que ceux de l’individualisme libéral. Je soutiens également que les recherches ethnologiques sur la société civile de la période postsocialiste peuvent nous aider à mieux comprendre et à analyser les changements systémiques qui secouent aujourd’hui l’Europe de l’Est.

Ce texte débute par une brève présentation du concept de société civile (societas civilis). J’examinerai comment le travail ethnologique qui vise à enraciner les réalités empiriques de la société civile dans des contextes culturels spécifiques offre un contrepoint nécessaire aux perspectives conceptuellement limitées de l’individualisme libéral et de la laïcité, perspectives qui aujourd’hui dominent pour une bonne part le débat entourant le concept de societas civilis. Ces fondements théoriques seront suivis d’une étude de la société civile et de ses diverses manifestations dans la Lituanie postsoviétique. Dans un deuxième temps, j’aborderai plus spécifiquement le mouvement religieux Parole de foi. Le récit que font Rimas et sa mère de leur rencontre avec le Saint-Esprit et le bendravimas me servira de point d’appui pour approfondir mon analyse de la société civile non laïque que constitue ce mouvement charismatique évangélique[1].

Société civile, religion et ethnologie

La théorie sociale contemporaine, héritée de la pensée de l’Europe de l’Ouest de l’époque des Lumières, considère habituellement la société civile comme dépositaire de l’individualisme et de la liberté. Distincte de la société dans son ensemble, la société civile serait un lieu de participation et d’association librement consenties au sein duquel des individus autonomes vivraient indépendamment de l’État, voire, souvent, en contrepoint avec ce dernier (Keane 1988). Selon la théorie classique, une societas civilis robuste serait garante d’un régime démocratique stable, d’une juste gouvernance, du respect des droits individuels et de la liberté. Aucun ordre social ne saurait être civilisé ni moral sans une société civile bien établie[2]. De plus, seul un ordre séculier serait véritablement « civil ». En d’autres termes, société civile et religiosité seraient incompatibles. La première célébrerait la liberté individuelle, tandis que la seconde se rangerait du côté du « primordialisme » et d’un « communalisme étouffant » (Gellner 1994 : 12). La première serait affaire de choix et de libre association, alors que la seconde appellerait une autorité coercitive. Fidèles à cette conception traditionnelle de la societas civilis, beaucoup de chercheurs hésitent encore aujourd’hui à penser cette dernière en termes religieux : « assumptions about the insignificance of religion in modern social […] processes are often present in theories of civil society » (Herbert 2003 : 70 ; Knox 2004). Il est temps de remettre en question une telle conception et d’affirmer haut et fort l’importance de la religion dans la vie civile et associative. Religiosité et esprit civique peuvent en effet avoir partie liée, comme l’ont montré plusieurs études récentes sur l’islam et la chrétienté (Mardin 1995 ; Dunn 1996 ; White 1996 ; Hanafi 2002 ; voir Chambers et Kymlicka 2002). Certes, la foi religieuse peut donner une assise aux convictions ou aux conceptions du monde individuelles, mais elle incite également les gens à s’engager dans différentes formes de solidarité et de camaraderie fondées éthiquement (bendravimas) tout comme elle les incite à prendre part à différentes activités d’ordre communautaire[3].

Pour étudier la société civile, nous devons non seulement prendre sérieusement en compte la religion, mais aussi nous dégager des paradigmes classiques éculés de l’idéologie libérale, paradigmes qui placent l’engagement (ou le contrat) formel et impersonnel au fondement de l’association d’acteurs sociaux autonomes et libres de leurs actions. Une société civile peut-elle se constituer en vertu d’autres principes? Comment, par exemple, la confiance mutuelle, la coopération ou l’échange personnalisé informel – qui s’opposeraient à un contrat social formel – peuvent-ils contribuer à la formation d’une société civile?

Depuis environ une vingtaine d’années, l’étude de la société civile a quitté les marges des sciences politiques et de la philosophie pour faire l’objet de recherches intensives dans divers domaines du savoir. L’anthropologie participe de cet engouement : diverses études ont permis d’éclairer les conceptions autochtones de la société civile ou les formes qu’a prises cette dernière dans différentes parties du monde[4]. Les chercheurs de cette discipline soutiennent que, pour mieux comprendre ce qu’est une société civile et la façon dont elle fonctionne, il faut d’abord caractériser cette dernière par un travail rigoureux sur le terrain (Hann 1996). Pour ce faire, il faut observer attentivement différentes institutions, diverses pratiques et, bien sûr, porter attention aux personnes qui constituent la chair et le sang de cette société. Il faut également, selon moi, pluraliser ces études, c’est-à-dire penser la société civile comme un ensemble. En effet, la société civile en tant qu’entité unique n’existe pas : elle ne peut être envisagée que dans sa pluralité. Un tel point de vue permet d’ouvrir sur des études comparatives soucieuses de prendre en compte la diversité, objectif central de la recherche anthropologique (voir Howell 1997). Enfin, il nous faut observer les changements historiques d’ensemble que suscite la propagation croissante des programmes néolibéraux dans le monde, et nous interroger sur la manière dont ces changements donnent naissance à différentes formes de sociétés civiles dans des contextes locaux, nationaux et transnationaux spécifiques.

La société civile au lendemain du socialisme

L’Europe de l’Est postsocialiste offre un contexte particulièrement productif pour le chercheur souhaitant aborder les questions théoriques et méthodologiques soulevées jusqu’ici – en ce qu’elle comprend des sociétés civiles particulières et diverses d’un point de vue ethnologique. Les profondes transformations systémiques qui s’y produisent en font un champ de recherche vaste et riche, voire complexe, où se déploient diverses configurations continuellement mouvantes.

Lorsque le bloc soviétique a commencé à s’effriter à la fin des années 1980, nombreux sont ceux et celles qui, en l’Europe de l’Est, ont cru que la société civile serait l’antidote magique qui remédierait aux maux hérités du socialisme marxiste-léniniste. Soucieux d’instaurer une modernité de style occidental, associée à la démocratie libérale, au libre marché et à l’émancipation morale, ces gens voyaient en la société civile un référent idéologique puissant. Celle-ci a peu à peu été associée aux idéaux d’égalité, de justice, de transparence du système politique et de bien-être matériel et social global. Devenue une « étoile lumineuse », selon les termes du journaliste lituanien cité en exergue – un objet de fantasme et de fétichisation collectifs pour des millions de personnes après des décennies de « mal » socialiste[5] –, la société civile faisait miroiter la promesse d’une vie meilleure (Kligman 1990 ; Verdery 1996 ; Gal et Kligman 2000 ; Kalb 2000 ; Junghans 2001).

La création d’organisations non gouvernementales (ONG) a été saluée comme le moyen le plus efficace pour « semer » les prémices de la société civile postsocialiste et en consolider les bases (Mandel 2002 ; Cohen et Arato 1992). Même en Occident, on parlait des ONG comme d’une panacée grâce à laquelle le socialisme despotique se métamorphoserait en une « civilisation » capitaliste démocratique. Une telle métamorphose se ferait sans heurts, en un processus unidirectionnel qui permettrait à l’Occident de transférer directement dans les pays de l’Est son modèle éprouvé de mieux-être social.

Durant les années 1990, en Lituanie, les ONG ont proliféré à un rythme étonnant. Femmes, personnes âgées, travailleurs agricoles indigents, ouvriers au chômage, groupes ethniques ou sexuels marginalisés et autres groupes sociaux périphériques se sont rappelé qu’ils avaient des droits et que ceux-ci devaient être respectés. L’engagement et la participation civiques, encouragés par les ONG, étaient censés consolider la démocratisation en marche garante, à son tour, d’une bonne gouvernance, d’une saine économie et d’un mieux-être social et moral global[6].

Néanmoins, il est apparu bientôt que beaucoup de ces organisations avaient failli à leur mission miraculeuse. Les idéaux de justice, d’équité, de transparence, de démocratie, d’amélioration sociale et morale sont pour une grande part sortis du décor, contrairement à ce que beaucoup d’observateurs de l’Ouest comme de l’Est avaient prédit. Paradoxalement, dans beaucoup de cas, l’apparition des ONG a suscité une fragmentation et une différenciation sociales accrues, voire engendré des comportements perçus comme « incivils » et moralement douteux, quand il ne s’agissait pas de corruption pure et simple. À bien des égards, ces ONG ont ainsi contribué à l’érosion du bendravimas.

En Lituanie, comme partout en Europe de l’Est, beaucoup d’organisations non gouvernementales se sont vues investies par une élite qui se renouvèle par cooptation (voir Fisher 1997 ; Abramson 1999 ; Mandel 2002 ; Donskis 2004 ; Hemment 2007). Les ONG étrangères et leurs fondateurs engagent généralement des professionnels locaux pour gérer leurs activités. Beaucoup de ces travailleurs sont des employés mal payés du secteur public (employés de bureau, enseignants ou médecins, notamment) qui se sont servis de ces organisations pour s’immiscer dans le monde prestigieux du « développement » et de la « modernisation ». Ces ONG subventionnées par l’Occident offrent en outre à leurs employés locaux des bureaux bien équipés, des avantages intéressants et des subventions pour d’innombrables « projets ». De fait, si les ONG sont l’épine dorsale de la société civile, les projets sont la moelle épinière des ONG ; impossible d’imaginer une telle société sans ce phénomène que Steven Sampson (1996) appelle « projectization », sorte de modus operandi usant d’un vocabulaire particulier, d’un raisonnement bureaucratique, d’une montagne de paperasserie et d’une logique mystifiante. Les projets créés jusqu’à plus soif permettent à la société civile de fonctionner.

Il n’est pas toujours facile de déterminer ce que fait telle ONG et pourquoi, ni de comprendre comment l’argent des projets est dépensé, par qui, et en vertu de quel objectif exactement. Marius, lituanien et professeur d’université dans la trentaine, recruté par une ONG occidentale importante, explique :

Je travaille à deux projets à long terme (projektai) […] sur l’intégration des minorités ethniques, comme les Gitans, vous savez […] Les subventions (grantai) sont utiles : elles paient mes factures, font vivre ma famille […] et je dois voyager beaucoup pour participer à des colloques. Mais il y a trop de réunions […] on y parle beaucoup, mais il n’y a pas grand-chose qui se fait.

Son salaire universitaire est tellement « risible », selon ses propres mots, qu’il ne vaut même pas la peine d’être mentionné.

Mon interlocuteur est un « consommateur de subvention » né, quelqu’un qui tire de la société civile une source de revenus et de subsistance[7]. Son témoignage laisse à penser que la société postsocialiste a produit une classe de gens spécialisés dans l’organisation de projets et le bavardage, sorte de « gauche-caviar ». D’innombrables chercheurs, observateurs, participants ou autres membres de cette nouvelle classe semblent se préoccuper davantage de leurs priorités personnelles que du bien public. Dans une langue infatuée d’elle-même, chaque projet promet de promouvoir la « conscience civique », « l’intégration des minorités » et le « bien-être universel », sans toutefois préciser par quelles réalisations concrètes il compte y parvenir[8].

Parallèlement à la société civile des ONG, il existe une autre société civile, qui prend corps dans divers mouvements populaires fonctionnant en marge des cadres institutionnels et bureaucratiques. Cette société civile est constituée de personnes handicapées, de parents dont les enfants sont aux prises avec des problèmes de consommation de drogues, d’étudiants pauvres, de travailleurs agricoles retraités indigents et de nombreux autres groupes similaires qui s’associent pour pratiquer le bendravimas, l’entraide, ou pour faire pression sur le gouvernement en vue d’obtenir une reconnaissance, une protection juridique ou une assistance matérielle concrète.

Émergeant spontanément de la population, ces collectivités se définissent la plupart du temps par opposition à l’inefficacité de l’État lituanien, en marge de la société dans son ensemble ou de ce que mes interlocuteurs appellent la « nation ». Très différentes de la société civile des ONG et de leur élite, elles cherchent justement à s’en démarquer – elles ne proposent pas de projets, n’ont pas recours à une rhétorique grandiloquente ni ne s’appuient sur l’aide financière de riches donateurs. Ainsi, un enseignant à la retraite, coresponsable, avec plusieurs autres personnes, d’une petite cuisine du genre « soupe populaire » qui bénéficie de dons d’aliments provenant d’épiceries de Vilnius, remarque : « C’est nous la véritable (tikra) société civile, pas eux ». L’aspect « véritable » d’une telle mobilisation réside dans les changements concrets qu’elle imprime à la vie quotidienne en offrant à ceux et celles qui sont dans le besoin un soutien tangible. En termes simples, ces regroupements agissent et font bouger les choses.

Au premier plan de ces « productions pratiques de la vie civile », pour reprendre l’expression de John et Jean Comaroff (1999 : 30), figurent diverses congrégations religieuses lituaniennes. Pragmatique, insistant fortement sur l’action concrète, le mouvement évangélique Parole de foi que j’ai présenté en début d’article est particulièrement connu pour son vaste réseau d’assistance concrète et pour le bendravimas qu’il met en pratique : « Ce n’est pas une Église, c’est un service social », observe l’un de mes informateurs lituaniens. Je me tournerai maintenant vers cette confrérie chrétienne pour approfondir mon étude.

Sainteté et modernité d’un évangélisme importé

Parole de foi a vu le jour dans la capitale de Vilnius en octobre 1988, sous l’impulsion de croyants évangélistes nord-américains et scandinaves. Au début des années 1990, cette congrégation se posait comme l’une des Églises les plus importantes, les plus actives et les plus visibles en attirant des adeptes de toutes les couches sociales et de tous les âges. Elle est devenue un joueur de premier plan sur l’échiquier religieux du pays, où de nombreuses autres Églises transnationales nouvelles – moonistes, mormons, témoins de Jéhovah, pour n’en nommer que quelques-uns – rivalisent pour attirer à elles de nouveaux convertis.

Après des dizaines d’années d’isolement sous un régime socialiste athée, l’Église catholique nationale, de concert avec des politiciens et des intellectuels de centre-droite, ont exprimé une opposition vigoureuse et une hostilité ouverte envers ce mouvement. Des perceptions profondément négatives ont également été véhiculées par les médias, qui décrivent Parole de foi comme une secte étrangère destructrice et pernicieuse dont l’unique but serait d’exploiter ses membres spirituellement et financièrement. Bien qu’aujourd’hui ce mouvement charismatique ait perdu un peu de sa visibilité et de son pouvoir d’attraction, il demeure l’une des confréries non traditionnelles (netradicine) les plus populaires avec trente-trois chapitres répartis dans de nombreuses villes de Lituanie[9].

Qualifiée de « non traditionnelle » par l’État lituanien, Parole de foi est une Église essentiellement moderne qui prône « une croyance vivante et active » (Kuznecoviene 2003 ; Glodenis 2002 : 6 ; voir Coleman 2000). Sa modernité est notamment associée à une théologie relativement libérale qui gravite autour de l’idée qu’un accès aisé au Saint-Esprit favorise un salut rapide. Ses rituels, comme la prière collective ou la cérémonie du mariage, sont peu structurés, largement participatifs et laissent beaucoup de place à l’improvisation.

Contrairement à l’Église catholique, cette confrérie est décentralisée et n’est dotée d’aucun centre de coordination national ou supranational. Comme d’autres congrégations évangéliques, elle n’a « ni pape, ni Rome, ni bureaucratie hiérarchique et coûteuse » (Harding 2000 : 273, traduction libre ; voir Robbins 2004). Bien qu’elle se rapproche théologiquement d’autres groupes évangéliques similaires oeuvrant en ex-URSS, aux États-Unis, en Angleterre et en Suède, Parole de foi fonctionne aujourd’hui largement indépendamment des autres groupes religieux charismatiques non confessionnels.

Élus par vote démocratique, ses pasteurs, dont certains sont des femmes, acquièrent leur autorité et leur statut en faisant la preuve tant de leur connaissance approfondie de l’Écriture que de leur habileté rhétorique, de leur intégrité morale et de compétences sociales certaines. Ils s’habillent généralement sobrement, n’ont recours à aucun attirail rituel durant le culte et demeurent ouverts et disponibles aux fidèles ordinaires. Les catégories comme la classe sociale, l’appartenance sexuelle ou l’âge, bien qu’elles gardent un certain poids, pèsent moins dans la balance que l’étiquette unificatrice de « chrétien » ou de « croyant » (krikščionis, tikintis). Lors de mon enquête sur le terrain, je n’ai relevé que très peu de remarques sur l’appartenance ethnique ou nationale. Comme l’affirme une croyante dans la trentaine : « notre patrie est là où est Dieu ».

L’Écriture sainte constitue l’autorité suprême de la congrégation Parole de foi. Connaître Jésus‑Christ en constitue la principale « vision » (vizija). Faire connaître l’Évangile en pratiquant la compassion et la charité à l’égard de ceux et celles qui sont dans le besoin sont les principaux objectifs de sa « mission » (misija). Parole de foi prône ce qu’on appelle la « spiritualité de la charité » (karitatyvinis dvasingumas), centrée sur une relation continue avec le Saint-Esprit. Cette relation, comme les croyants de Parole de foi me l’ont expliqué, est à la source de la conscience qu’ils ont des besoins humains (voir Wanner 2007). Aller vers les plus démunis et faire connaître leurs besoins à l’ensemble de la congrégation lors de rencontres de prière ou d’autres assemblées constitue le principal élément de cette spiritualité. Autant les pasteurs, lors des prêches, que les simples adeptes signalent à la congrégation ceux ou celles qui nécessiteraient un soutien « spirituel » concret et une aide matérielle tangible. Beaucoup de lieux de culte de Parole de foi sont également équipés de panneaux d’affichage où les fidèles peuvent signaler les ennuis qui leur arrivent ou qui affectent un membre de leur famille, une connaissance ou même un inconnu. Dans certains chapitres de cette congrégation, les adeptes qui ont besoin d’aide sont encouragés par le pasteur à verbaliser leurs préoccupations durant le culte. L’aide aux personnes en difficulté est vue comme une occasion de servir le monde « de manière chrétienne ».

Bonté charismatique et nation « en proie au mal »

Autant Parole de foi s’efforce d’être moderne, autant ce mouvement cherche également à apparaître comme une communauté éminemment morale, image qui se juxtapose à la société majoritaire, ou « nation » (tauta), plutôt vue comme moralement pervertie. Cette vaste catégorie de la « nation », comme la conçoivent mes informateurs évangélistes, comprend l’État lituanien, ses nombreuses institutions et ses bureaucrates, communément perçus comme incompétents, inefficaces et « inutiles » en tant qu’entités responsables de la protection et du bien-être des citoyens. L’Église catholique et d’autres acteurs religieux « traditionnels », tout comme les citoyens ordinaires qui échouent à trouver la foi et sont qualifiés de « non croyants », (netikintys) sont eux aussi englobés dans cette tauta perçue comme moralement malade. Parlant de tauta, mes interlocuteurs mentionnent la corruption flagrante des politiciens lituaniens ne servant que leur propre intérêt, le manque d’éthique et l’égotisme des nouveaux hommes d’affaires, les pots-de-vin et le favoritisme qui prévaut dans le domaine de l’éducation et de la santé ; souvent, ils déplorent le manque de respect, de confiance et de politesse élémentaires des interactions quotidiennes entre les citoyens ordinaires. Lorsque j’ai demandé à Vincas, assistant pasteur de la congrégation Parole de foi de Vilnius, ce qu’il pensait des ONG omniprésentes, il a eu un geste las et a répondu : « Toute une élite (elitai) y est entrée […]. Ce sont eux qui les dirigent [les ONG] comme si c’était leur entreprise […]. C’est l’oeuvre de Satan ».

La supposée érosion éthique et la disparition rapide du bendravimas sont généralement invoquées lors de discussions plus générales concernant l’économie postsocialiste en difficulté, le chômage, l’émigration soutenue ou l’écart qui se creuse entre les classes sociales, les générations et les sexes. « L’argent, l’argent, les euros, les dollars […] c’est la seule chose qui compte, ces temps-ci », remarque un adepte non sans cynisme (voir Ries 2002)[10].

Des membres de Parole de foi évoquent souvent la facette morale inhérente à leur Église, qu’ils voient à la fois comme une ressource communautaire, un outil de responsabilisation et un marqueur identitaire. « Nous sommes des gens bons », explique simplement l’un des leurs. Mes interlocuteurs s’identifient moralement à leur confrérie charismatique en se dissociant de la « nation » (tauta) postsocialiste en perdition. De même, l’adhésion à cette congrégation représente pour ses adeptes la possibilité de « se choisir entre eux », pour reprendre les paroles de Machiavel citées en exergue, et de s’investir dans des activités d’entraide en pratiquant le bendravimas.

Dans sa récente étude sur les évangélistes pentecôtistes en Ukraine postsoviétique, Catherine Wanner (2003) soutient que le phénomène des conversions et les discours qui les entourent s’inscrivent en faux contre l’immoralité héritée du socialisme. Cependant, peu de mes interlocuteurs évangélistes mentionnent le socialisme, implicitement ou explicitement, dans leurs commentaires. S’ils le font, c’est en termes étonnamment élogieux et nostalgiques. Ce que beaucoup déplorent – sur un ton clairement indigné –, ce n’est pas le passé socialiste récent, mais le déclin moral « satanique » qu’ils associent au présent postsocialiste. Plutôt que d’envisager la perte croissante des repères moraux dans leur nation en pleine modernisation comme une continuité de l’ère soviétique, ils y voient un phénomène nouveau et sans précédent. Plusieurs de mes interlocuteurs m’ont fait remarquer que le socialisme n’était, en fait, pas si déficient éthiquement que ce qu’on veut bien croire habituellement. Peut-être la catégorie du « postsocialisme » n’est-elle plus pertinente aujourd’hui pour analyser le sens moral et civique en Europe de l’Est. Dans les discours actuels sur les aspects moraux ou immoraux de la vie sociale, le principal référent temporel est le présent, communément considéré comme différent du socialisme.

Lors de mon enquête sur le terrain, j’ai fréquemment entendu que, dans ce climat lituanien de perdition morale, les catholiques non plus n’étaient pas exempts de tout reproche éthique. Si certains des adeptes de Parole de foi échangent des anecdotes sur l’avarice, la malhonnêteté et la débauche de certains prêtres catholiques, d’autres critiquent les solutions que prône l’Église catholique, jugées trop strictement théologiques ou irréalisables, commentent avec scepticisme la fuite en avant que représentent les considérations sur la vie dans l’au-delà et remettent globalement en question l’autorité de l’Église nationale en tant que législatrice et gardienne de l’éthique chrétienne. Insistant sur leur propre démarche fondée sur l’action immédiate, les évangélistes charismatiques perçoivent au contraire leur communauté comme plus efficace, en quelque sorte, pour aborder les problèmes moraux : « Nous ne faisons pas que répéter les dix commandements comme ils [les catholiques] le font… Ils se lamentent sur la piètre vie d’aujourd’hui et invoquent Dieu […]. Nous, nous faisons quelque chose, nous montrons aux gens ce qui est bien »[11], explique un pasteur plus âgé.

Au cours de mon enquête, j’ai entendu beaucoup de récits rapportant des rassemblements autour d’actions concrètes d’entraide. C’est généralement une crise dans la vie d’un adepte (maladie, décès d’un membre de la famille, perte d’emploi, etc.) qui pousse la communauté à agir. Par exemple, lorsqu’un jeune ménage avec un nouveau-né a perdu son appartement et s’est retrouvé à la rue, des membres de la congrégation ont hébergé gratuitement la petite famille et lui ont offert un soutien matériel et affectif. Lorsqu’une adepte âgée, Kristina, s’est vue dépouillée de ses maigres économies par des escrocs qui lui avaient fait croire qu’elle avait gagné une somme importante à la loterie et « n’avait qu’à payer quelques droits » pour toucher la somme en question, la communauté a organisé une collecte de fonds et de denrées alimentaires, a alerté la police et l’a aidée à recueillir les preuves nécessaires à l’enquête criminelle. Écoutons encore l’histoire de Rimas et de sa mère.

Merveilleux bendravimas

Après avoir servi dans les troupes soviétiques en Afghanistan au début des années 1980, Rimas est retourné à Vilnius où il a obtenu un diplôme d’ingénieur et s’est marié. Mais son mariage a rapidement échoué, et il s’est retrouvé mêlé à une entreprise d’importation illégale d’automobiles, affaire qui l’a mené en prison où il a fait une tentative de suicide. Après la mort soudaine de son père dans un accident d’automobile et une agression brutale à quelques pas de chez lui qui l’a laissé défiguré, Rimas s’est tourné vers l’alcool. Aucun programme de désintoxication ni traitement d’aucune sorte n’a pu venir à bout de sa dépendance.

En 1993, par un dimanche ensoleillé, juste avant Pâques, Rimas a été approché par des membres de Parole de foi pendant qu’il mendiait au centre-ville de Vilnius. Ceux-ci lui ont expliqué qu’ils étaient chrétiens et qu’ils portaient la parole de Dieu […] « Au début, je n’ai pas compris un mot de leur religion […] mais ils étaient tellement différents, humains. […] L’un d’entre eux – un étranger! – m’a même pris la main. Ils m’ont donné des fascicules à lire et m’ont demandé de venir à leur église », se rappelle mon interlocuteur. Quand Rimas a raconté à sa mère sa rencontre avec des charismatiques, elle était convaincue qu’il serait définitivement perdu s’il se joignait à cette « secte ». Très inquiète, elle a rétorqué que les Lituaniens étaient catholiques, comme elle l’était alors, et qu’ils devaient arrêter de courir après des religions qui « n’étaient ni ci ni ça ».

Un soir après plusieurs verres, Rimas a rassemblé un peu de courage et s’est rendu en titubant à une réunion de prière de la congrégation. Remarquant l’ivrogne qui descendait l’allée de l’auditorium d’un pas incertain, le pasteur a interrompu son sermon et, désignant Rimas, s’est exclamé : « Frères et soeurs, cet homme doit être sauvé ». « Alléluia! », a répondu l’auditoire. Une prière ardente a suivi.

Durant les mois qui ont suivi, Rimas a lu la Bible de fond en comble – deux fois – soulignant de nombreux passages avec un marqueur vert fluorescent, dont il m’a montré fièrement le résultat. Il s’est également mis à assister régulièrement aux cultes bihebdomadaires. Lorsque ses confrères ont appris qu’il avait une formation musicale, ils l’ont exhorté à se joindre au groupe de musiciens de la congrégation : « Je buvais encore à ce moment-là […] pas beaucoup, en cachette […] mais le Saint-Esprit était déjà avec moi pour de bon », ajoute Rimas.

Lorsque, durant une assemblée, le pasteur a annoncé que Rimas avait été hospitalisé pour une grave insuffisance du foie et que sa mère était clouée au lit à cause d’une entorse sérieuse, la congrégation est entrée en action. Presque quotidiennement, des membres de la communauté religieuse ont rendu visite à Rimas et à sa mère, leur apportant nourriture, médicaments, literie, fleurs, chocolats, lectures édifiantes et enregistrement de sermons de la collection « Parole de Dieu » produite par la congrégation.

La communauté est venue seconder Valeria dans l’exécution des travaux ménagers, de la cuisine, du lavage ; certains lui ont lu et interprété des passages de la Bible ; on a même organisé un petit spectacle au pied de son lit, qui comprenait une série de scènes bibliques jouées par neuf personnes, avec musiciens et effets lumineux. Pour elle, il ne faisait aucun doute qu’elle était témoin de Dieu, que le Saint-Esprit était à l’oeuvre. « Où pourrait-on voir ça aujourd’hui? Les gens sont comme des chiens enragés partout […] et ici – il y a une telle chaleur humaine […] un si merveilleux bendravimas! ». Mais le plus miraculeux, à ses yeux, c’est que Rimas a arrêté de boire complètement à partir de ce moment-là, ce qui constituait pour elle, hors de tout doute, la preuve que sa conversion était accomplie et qu’il était désormais « sauvé »[12].

Sa mère, Valeria, qui se disait elle-même catholique, s’est bientôt jointe elle aussi à Parole de foi. Elle m’a raconté qu’après l’expérience des « chrétiens » qui avaient « sauvé » son fils et lui avaient montré le Saint-Esprit en action, le catholicisme était « sorti brusquement d’elle ». Bien qu’elle n’approuve pas tout à fait les pratiques cultuelles de la congrégation, qu’elle juge « trop libres et trop modernes », elle est vite devenue membre à part entière. Elle souligne qu’elle se sent profondément redevable de la congrégation et qu’elle souhaite rendre la pareille dans la mesure de ses moyens.

Discussion

Le cas de Rimas et de sa mère est révélateur à bien des égards. Leur récit met en lumière une pratique d’évangélisation appelée témoignage, qui constitue le principal moyen de conversion des chrétiens charismatiques. On peut définir globalement le témoignage comme une tentative visant à encourager une personne à substituer à son « cadre » de signification personnel le cadre évangélique (Bramadat 2000 : 126). Cette pratique est communément structurée comme un vaste dialogue entre les témoins « sauvés » et les interlocuteurs à convertir. Si répandre oralement la parole de Dieu et l’Évangile est d’une importance capitale dans le processus d’évangélisation, l’interaction et la communication interpersonnelle avec les convertis potentiels compte également pour beaucoup.

Dans un récent ouvrage sur la Communauté chrétienne inter-facultés (Inter-Varsity Christian Fellowship) de la McMaster University, au Canada, Paul Bramadat (2000 : 127) indique que les membres de cette congrégation se sont vu confier des directives de missionnariat très précises : « using the casual touch, having a good joke ready […] expressing love, following up, discussing sin experientially, being […] polite, confident, positive, […] being led by the spirit », etc.[13]. Connues sous l’appellation d’« évangélisme amical » ou de « théologie du dialogue », de telles techniques de conversion personnalisées visent d’abord à favoriser le contact avec Dieu et à susciter une impression de communion, de sociabilité, condition du bendravimas. Parole de foi, comme d’autres Églises évangéliques charismatiques semblables dans l’ex-bloc socialiste, a su reconnaître ce besoin de bendravimas et a réussi à y répondre dans un milieu où les gens (tauta ou « la nation ») sont « comme des chiens enragés ». Lorsqu’on lui demande d’expliquer le succès de son Église pencôtiste, un pasteur âgé du Kirghizstan répond : « Les apostats écrivent que pour réussir, l’obshchenie [le mot russe pour bendravimas], la prière et la compréhension sont nécessaires. Nous exerçons constamment l’obshchenie et nous prions sans cesse. C’est très simple » (cité dans Pelkmans 2006 : 38, traduction libre).

L’aspect moral et civique du bendravimas est central pour Parole de foi. Parallèlement, cette Église procure à ses membres une assistance matérielle tangible, ce que l’État lituanien postsocialiste et les projets des ONG sont souvent incapables de faire, voire ne veulent pas faire. Compte tenu de l’inefficacité de l’État et de l’élitisme hautain de beaucoup d’ONG appartenant à la société civile institutionnelle « officielle », Parole de foi apparaît comme une solution séduisante. Cette confrérie mise sur sa distinction éthique et son approche plus libérale ou « moderne » de la théologie chrétienne, qu’elle combine avec le pragmatisme de l’entraide communautaire qui consiste à « faire quelque chose » pour son prochain. Autrement dit, cette congrégation charismatique offre à ses adeptes à la fois un système de valeurs et un système qui a de la valeur (Caldwell 2005 : 24).

Parole de foi agit comme une société civile moralement et matériellement autonome cherchant à contrer l’effondrement moral de la société dans son ensemble au moyen de « tactiques éthiques » concrètes (Zigon 2007 ; voir Robbins 2004). Elle permet à ses membres de se dissocier de la « nation » (tauta) lituanienne postsocialiste et de ses nombreux acteurs, considérés comme ayant perdu tout sens moral. Cela ne signifie pas pour autant que ces chrétiens vivent en dehors de la tauta. Ils en font partie, bien sûr, mais ne s’y reconnaissent pas. Une telle distinction ne cadre pas avec la définition classique de la société civile, qui juxtapose celle-ci à l’État en un dualisme commode. Le cas de Parole de foi suggère que la société civile elle-même peut se définir selon des référents multiples[14].

J’ai tenté de montrer que Parole de foi, loin d’être basée sur l’individualisme libéral et sur l’engagement contractuel comme le voudrait la définition classique d’une societas civilis, est constituée de réseaux d’associations et d’échanges. Cette communauté chrétienne est motivée par une façon différente d’être et de vivre dans le monde ou par une rationalité distincte qualifiée de « civile » (Edwards 2004 : viii). Cette « rationalité » et le civisme qui y est associé se fondent sur des principes de confiance et d’obligations mutuelles qui sont reconduits par des échanges informels personnalisés plutôt que par un contrat formel entre des individus ne cherchant que leur propre intérêt (rappelons la remarque de Valeria sur le fait qu’elle se sent redevable à la congrégation). L’important dans un tel échange n’est pas tant ce qu’accomplit une personne en tant qu’acteur individuel, mais plutôt la façon dont la collectivité se comporte. En d’autres termes, on y privilégie l’action collective ou relationnelle plutôt que l’action individuelle. L’expression « faire quelque chose » (selon les termes du pasteur cité plus haut) indique l’importance de ce principe d’engagement communautaire pour les membres de la congrégation Parole de foi. C’est par un tel engagement et par les tactiques éthiques qui l’accompagnent que ces chrétiens charismatiques font de la morale de leur Église « non traditionnelle » – une morale davantage pratique que pieuse, davantage concrète que divine. La doctrine chrétienne peut contribuer à définir ce qui est « bon » et le Saint-Esprit peut « montrer la voie », mais ce sont les gens qui en permettent l’application morale (et civique) par une association et une interaction volontaires – en mettant en oeuvre les principes humanitaires du bendravimas.

J’ai abordé Parole de foi sous l’angle de son sens moral, mais aussi en termes de modernité. Néanmoins cette modernité est paradoxale : elle se développe et est entretenue dans le contexte de ce que l’on conçoit habituellement comme son antithèse, à savoir celui de la croyance religieuse. En effet, les notions de modernité et de civisme sont généralement perçues comme opposées, ou du moins étrangères, au cadre religieux (Asad 1999). Révélant une relation étroite entre modernité, civisme et foi religieuse, cette congrégation « non traditionnelle », met en évidence l’étroitesse de tels paradigmes. Elle indique que modernité et civisme ne se situent pas forcément du côté du séculier et qu’ils sont compatibles avec le christianisme (voir Dunn 1996 ; van der Zweerde 1999).

J’ai également voulu montrer que, dans la Lituanie d’aujourd’hui, comme ailleurs en Europe de l’Est, la société civile en tant que concept occidental alléchant ne conduit pas nécessairement automatiquement au progrès social et à l’émancipation morale. La société civile existe sous de multiples formes, englobe un large éventail d’acteurs sociaux et émerge dans des environnements inattendus. C’est pourquoi on doit l’étudier ou, plus précisément, étudier ses différentes manifestations d’un point de vue ethnologique, afin de mieux comprendre les transformations du monde postsocialiste et leurs conséquences imprévues et paradoxales.

Article inédit en anglais, traduit par Catherine Broué.