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Cet ouvrage collectif qui questionne l’actualité de l’anthropologie, ses pratiques et ses méthodes, est issu du colloque international L’anthropologie face à ses objets : nouveaux contextes ethnographiques qui a eu lieu à Marseille en janvier 2007.

L’ouvrage se divise en quatre grande parties (Ruptures et continuités : un héritage disciplinaire à assumer ; Nouveaux domaines d’études et de réflexivité ; Immersion et implication de l’ethnologie : enjeux méthodologiques, politiques et éthiques ; l’interdisciplinarité en question) ; il comprend une vingtaine d’articles où les auteurs discutent, analysent, argumentent et questionnent, à partir de leurs propres terrains, ces diverses thématiques. L’ouvrage a comme objectif de s’interroger sur la condition actuelle de l’exercice ethnologique en dressant un état des lieux de la discipline, en donnant un accent particulièrement important à la notion de réflexivité qui traverse de nombreuses contributions.

Le premier article, particulièrement stimulant, de Jean Copans, sur la perception de l’anthropologie française par elle-même, s’interroge sur l’identité même de l’anthropologie actuelle dans ses applications notamment institutionnelles. Sur le côté plus pratique de l’ethnologie en actes, l’observation participante est remise en question par plusieurs auteurs ; certains lui préfèrent celle d’insider, de « participation observante », comme Jacky Bouju, relatant son expérience au Burkina Faso (p. 143). L’ambiguïté de la pratique ethnologique et de la restitution des données du terrain – (degré de l’immersion, observation ou participation, neutralité) conjointe au travail réflexif qui parcourt désormais les approches actuelles, rendent passionnantes certaines contributions. Même si les questions, néanmoins classiques, sur le degré de l’engagement du chercheur sur le terrain, sur son immersion dans un milieu donné, sur la subjectivité du chercheur, sur la restitution parfois délicate des données (comme pour l’ethnologie en terrain transsexuel par Laurence Hérault, p.103) et sur les diverses difficultés que rencontre l’ethnologue sur des terrains encore peu explorés ou au contraire très exposés (comme le pays Dogon et l’expérience d’Anne Doquet, p. 226), traversent plusieurs contributions, elles sont à chaque fois explorées à la lumière d’un terrain et d’une expérience singulières.

On trouve dans l’ouvrage des situations vécues par des ethnologues quelque peu « extrêmes » comme celle de N. Giafferi à Haïti, qui, partie étudier les relations materno-infantiles, finit par s’intéresser au phénomène de la personnalisation et à aborder la question de la couleur dans un climat politique et social tendu, voire hostile et dangereux (p. 184). Basée à Port-au-Prince, elle raconte comment son objet s’est imposée à elle et qu’elle ne l’a donc pas choisi.

La situation, ô combien délicate, complexe et singulière de J.-F. Werner mérite une attention particulière, car elle suscite de nombreuses réflexions sur les conditions de l’enquête ethnologique et sur la publication des travaux en découlant. Werner a travaillé au Sénégal sur la consommation de drogues illicites et a noué une relation de proximité avec une informatrice dont le récit de vie sera central dans son enquête. La parution de son ouvrage, Marges, sexe et drogues à Dakar paru en 1993, entraînera treize années plus tard l’ethnologue et l’IRD (Institut de Recherche pour le développement), auquel il est rattaché, a être déclarés responsables des dommages résultant des « atteintes à la vie privée et à l’image de Mme X », son informatrice, par le tribunal d’instance de Dakar (p. 223). La situation quelque peu désagréable dans laquelle il s’est retrouvé l’incite à questionner le droit de regard des ethnologisés sur les savoirs qui les concernent, droit qu’il juge légitime, à condition que soient respectées l’exigence de vérité et la liberté de penser et d’écrire (p. 239). Quelque peu désabusé par son aventure, il conclut : « Dans le cas contraire, mieux vaut aller cultiver son jardin que pratiquer une ethnographie en liberté surveillée » (p. 239).

Les dernières contributions de l’ouvrage tendent à saisir les fondements de l’interdisciplinarité et ses effets sur la discipline, en soulignant toujours le travail indispensable de réflexivité qui anime les ethnologues contemporains.

Comme tout savoir, celui de l’ethnologie peut être instrumentalisé de diverses manières, à commencer par les acteurs mêmes du terrain, mais aussi par des acteurs institutionnels. Il existe une inévitable « rétroaction du terrain sur l’oeuvre ethnologique » comme le dit Mondher Kilani dans la conclusion de l’ouvrage, souhaitant que la connaissance anthropologique ne se réduise pas, notamment au niveau de sa réception extérieure, « au rôle de simple pourvoyeuse d’études de cas » (p. 287). On ne peut que partager l’opinion de l’auteur pour la pérennité même de la discipline confrontée à diverses difficultés (institutionnelles, pratiques, méthodologiques et liées à la visibilité médiatique).