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Alexandrine Boudreault-Fournier – Ce numéro spécial d’Anthropologie et Sociétés sur le son s’intitule « Champs sonores ». En me préparant pour cet entretien,[1] j’ai réalisé que nous aurions aussi pu l’appeler « Relations sonores » pour mettre de l’avant le thème de l’ontologie relationnelle associé au monde sonore. Pourriez-vous développer davantage cette idée en utilisant des exemples tirés de vos recherches et nous expliquer comment vous êtes passé de l’anthropologie du son à l’anthropologie par le son,[2] en incluant peut-être la phase du tournant acoustique ? Comment votre travail vous a-t-il amené à penser à l’anthropologie par le son ? Comment ce changement est-il apparu dans votre propre travail ?

Steven Feld – Premièrement, merci d’avoir organisé ce numéro spécial et de m’avoir invité à y participer. C’est un grand plaisir d’avoir l’occasion de discuter avec vous et d’établir des liens avec les recherches présentées dans cette revue, que je suis régulièrement d’ailleurs. Hier même, je lisais le numéro spécial « Liaisons animales », car je suis justement en train d’écrire sur ce sujet.

Au plan historique, « l’anthropologie du son » est une expression que j’ai formulée en 1972 alors que j’étais étudiant de troisième cycle à l’Université d’Indiana. Je devais écrire un compte rendu du livre The Anthropology of Music, dont l’auteur, Alan Merriam (1964), était mon professeur. Il nous avait demandé d’en faire une lecture approfondie et d’apporter une réponse critique à son livre afin que nous puissions comprendre que la musique devait être positionnée théoriquement en anthropologie, au même titre que la politique, l’économie, la religion, les relations de parenté ou tout autre domaine. J’ai donc lu l’ouvrage avec beaucoup d’attention et j’ai débuté ma réponse critique par cette provocation : « Qu’en est-il d’une anthropologie du son ? ».

En fait, cette réponse m’est venue de deux sources d’inspiration. La première est que j’avais reçu une formation en musique électroacoustique et en musique concrète. J’étais impliqué dans la composition de trames sonores et je jouais aussi de la musique improvisée d’avant-garde. Et déjà à ce moment-là, dans les années 1970, cela me paraissait très clair : le point central de la musique était le son. Les premiers synthétiseurs commençaient à apparaître, la musique populaire était en pleine expansion. La technologie du son était au centre de tout ça. Il n’y avait pas besoin d’être physicien, acousticien ou futuriste pour se rendre compte que tout allait bouger en direction du son dans tous les champs de la production, de la performance, de la composition, de la circulation et de l’analyse de la musique. Cela a été une de mes sources d’inspiration. Et l’autre a vraiment été l’ethnographie. Au baccalauréat, j’ai étudié avec Colin Turnbull. J’ai écouté les enregistrements 33 tours (Turnbull 1957, 1958, 1961a) qu’il avait faits dans la forêt tropicale, en Afrique centrale, et j’ai lu ses livres avec beaucoup d’attention (Turnbull 1961b, 1965). J’étais vraiment fasciné par l’idée qu’une partie de l’histoire profonde de l’humanité était liée à l’évolution, à l’adaptation sonore et à l’adaptation humaine, en particulier à l’évolution de l’acuité auditive et à l’aspect culturel de la perception du son dans les forêts tropicales.

En plus de la musique électroacoustique et de l’anthropologie en forêt tropicale, d’autres facteurs entraient en ligne de compte au début des années 1970. Du côté anthropologique, on assistait à l’émergence de l’ethnographie et de la théorie qui ont conduit à l’anthropologie des sens, à l’anthropologie de l’environnement, à l’anthropologie du corps et des genres et à l’anthropologie des lieux, qui sont tous devenus des champs théoriques importants pendant les années 1980. Côté musique, les technologies d’enregistrement et de reproduction devenaient de plus en plus portatives et changeaient la façon dont la musique était conçue et diffusée. Je n’ai donc rien fait de terriblement original. Je n’ai fait que saisir ce moment particulier de l’histoire intellectuelle et technologique pour poser la question « Qu’en est-il de l’anthropologie du son ? » et pour suggérer qu’au-delà de l’étude de la musique, cette avenue devait aussi inclure l’étude des poétiques, de la voix, des espèces non humaines et des technologies.

Quand je me suis rendu en Papouasie-Nouvelle-Guinée, en 1976, pour ma première recherche sur le terrain dans une communauté vivant en forêt tropicale, j’ai suivi ces instincts de près. Mon questionnement se concentrait sur la façon dont le langage, la musique et le monde acoustique de la forêt tropicale étaient des forces façonnant la constitution humaine, son devenir et sa nature. Bosavi était un environnement très riche pour étudier ce genre de choses. Les gens dans les sociétés mélanésiennes croient que les êtres humains ne sont complets que grâce aux relations. Le fait d’être ne préexiste pas à la relation. Le rapport humain domine complètement la façon dont on imagine le social et, surtout, l’identification interrelationnelle inclut toujours des esprits et des espèces non humaines sur un plan parallèle aux humains. Ce que j’ai réussi à faire a été d’inclure le son dans ce genre de perspective relationnelle et d’orienter cette perspective relationnelle vers le son.

Dans la forêt tropicale, j’ai initialement été fasciné par les relations entre les humains et le monde aviaire. À Bosavi, ces relations sont intimement liées à l’histoire naturelle et cosmologique. D’un côté, les oiseaux agissent comme des horloges dans l’espace-temps du quotidien, donnant l’heure du jour, indiquant les saisons et signalant les couches de hauteur et de profondeur dans la forêt. D’un autre côté, les oiseaux sont des esprits, ce que les humains finissent eux-mêmes par devenir lorsqu’ils meurent. Les écouter, à la fois dans leurs présences et dans leurs absences, fait partie de l’expérience quotidienne et de la conscience des Bosaviens. C’est donc de cette façon que l’anthropologie du son a commencé à prendre une forme ethnographique et théorique plus profonde pour moi : en me concentrant sur l’importance d’être à l’écoute du monde et d’entendre la socialité et la matérialité des sons aviaires et d’observer leurs nombreux rapports avec la manière dont les humains parlent, chantent, pleurent et ainsi de suite.

Que le son puisse constituer autant un matériau de recherche de base qu’une zone de relationnalité, au même titre que la religion ou les relations de parenté, a été pour moi une façon de contribuer au travail des théoriciens de la relationnalité que j’admirais le plus dans les études mélanésianistes, des gens de la génération précédente tels que Nancy Munn (1986), Marilyn Strathern (1988) et Roy Wagner (1972, 1975). Mais cela a aussi été pour moi l’occasion de créer un lien puissant et profond avec Gregory Bateson et avec le travail qu’il a accompli en Papouasie-Nouvelle-Guinée durant les années 1930 sur le rôle de la relationnalité dans son analyse rituelle de la cérémonie du naven (Bateson 1958 [1936]). Il était clair que la notion de la relationnalité allait devenir importante plus tard pour Bateson (1972) dans ses incursions intellectuelles en épistémologie cybernétique et dans l’écologie de l’esprit.

Bref, la technologie de l’enregistrement a joué un rôle central dans ma découverte et ma compréhension du monde des Bosaviens. J’étais complètement absorbé par l’enregistrement sonore, non seulement l’enregistrement du son des gens qui parlent ou qui chantent, mais aussi du son de leur environnement quotidien, celui dans lequel ils vivent et travaillent. Et bien entendu, lorsque je m’assoyais pour transcrire leurs chansons ou leurs discours, je pouvais toujours entendre les oiseaux, les insectes et l’eau qui coule. Les Bosaviens écoutaient ces enregistrements avec moi et me guidaient dans mes transcriptions et mes traductions tout en formulant leurs observations sur toutes ces expériences sonores. Cela a vraiment fait ressortir à quel point le son est toujours relationnel, toujours social, toujours en mouvement entre les expériences passées et à venir. Tout cela était renforcé par la façon dont les textes des chansons reflétaient les éléments sensoriels des sons de la forêt. J’ai alors pris conscience que l’anthropologie du son était beaucoup plus qu’un supplément à l’anthropologie de la musique. À vrai dire, c’était quelque chose dont on devait tenir compte dans son intégralité et qui était au coeur même de la nature de la relationnalité en Mélanésie.

A.B.F. – Et c’est comme ça qu’a émergé l’anthropologie par le son ?

S.F. – Exactement. Au fil du temps, c’est devenu une anthropologie par le son parce que je me suis rendu compte que je ne pouvais pas parler adéquatement du sujet de la relationnalité acoustique en utilisant uniquement des mots dans des textes. Quand j’étais étudiant, j’ai dû établir le sérieux de ce que j’étais en train de faire. Pour accomplir cela en anthropologie, il faut d’abord commencer par écrire une thèse et, ensuite, des articles et des livres. La recherche se définit encore principalement par la publication. J’ai donc écrit pour des auditoires en anthropologie linguistique, en ethnomusicologie et aussi en communication, puisque mon premier emploi était dans ce domaine, ce qui illustre encore une fois l’influence que Bateson a eue sur mon travail.

Et ensuite, je me suis rendu compte que j’avais encore beaucoup de travail à accomplir. Au même moment où j’ai publié Sound and Sentiment… (ma thèse que j’avais transformée en livre, Feld 1982a) et mes premiers articles, j’ai également produit deux disques vinyle (Feld 1982b, 1985). Un de ces disques avait pour but de lancer une série d’enregistrements effectués en Papouasie-Nouvelle-Guinée. L’autre faisait partie d’une série érudite allemande. Sur ces disques, je n’ai pas seulement mis la musique et le matériel que j’avais transcrits et analysés dans mes textes. J’ai aussi inclus le chant des oiseaux dans la forêt et des exemples des différentes façons dont les Bosaviens chantent avec et au sujet de l’eau, des oiseaux et des insectes. Je l’ai fait pour que la conjonction complexe de l’histoire naturelle et de l’éco-cosmologie soit matériellement disponible par l’entremise du son – disponible sensoriellement au niveau primaire pour que les gens puissent vivre l’expérience telle je l’avais vécue. Cependant, les anthropologues n’ont pas considéré la production de disques vinyle comme de la recherche académique et très peu les ont écoutés, y compris ceux qui prenaient mes recherches au sérieux.

Par contre, j’ai vécu une expérience vraiment incroyable en 1983. J’ai enregistré et édité 24 heures de sons de la forêt tropicale et j’ai réalisé une composition sonore de trente minutes qui a été diffusée auprès du grand public sur une chaîne d’une radio nationale aux États-Unis (Feld et Sinkler 1983 ; Feld 2001a). La réponse a été très positive.

A.B.F.Voices in the Forest, c’est bien ça ?

S.F. – Oui. J’étais frustré par ma tentative de faire de l’anthropologie par le son avec des disques vinyle alors j’ai pensé essayer la radio. Ce changement m’a été inspiré par la lecture de The Tuning of the World de R. Murray Schafer (1994 [1977]) et de son projet World Soundscape à l’Université Simon Fraser, où des chercheurs géniaux comme Barry Truax et Hildegard Westerkamp faisaient le pont entre le monde de la composition sonore et la recherche sur le terrain.[3] En lisant les travaux de R. Murray Schafer, je suis tombé sur une phrase que j’adore citer : « La recherche sur les paysages sonores devrait être présentée comme une composition musicale ». C’était la source d’inspiration dont j’avais besoin pour être plus tenace dans ma quête pour lier ma recherche sur l’anthropologie du son à l’anthropologie par le son. C’est pourquoi j’ai mis tant d’énergie sur des projets d’enregistrements sonores dans les années 1990, comme Voices of the Rainforest (Feld 1991), Rainforest Soundwalks (Feld 2001b) et Bosavi : Rainforest Music from Papua New Guinea (Feld 2001a). Ces enregistrements circulent en format CD, mais ils sont également diffusés sur les radios, dans les concerts d’arts sonores et dans les expositions de galeries et musées. Ces enregistrements ont touché plusieurs auditoires bien au-delà de mon réseau académique de lecteurs. Ils sont importants aussi à mes yeux pour des raisons politiques : ils rendent mon travail accessible directement au peuple de Papouasie-Nouvelle-Guinée et, tout comme les livres, ils génèrent des fonds de droits d’auteur qui sont versés à la communauté d’origine, avec des répercussions économiques à plusieurs niveaux, de l’éducation à la résistance aux compagnies d’extraction de ressources naturelles. Ainsi, faire de l’anthropologie par le son a des conséquences éthiques et politiques en termes de circulation et de rétroaction.

A.B.F. – Est-ce que cette idée d’anthropologie par le son pourrait être développée dans une approche du son en anthropologie qui ne dépende pas nécessairement de l’enregistrement sonore ? De la façon dont vous en parlez, cela nécessite l’enregistrement. Mais pourrions-nous développer cette idée et dire que c’est plus que de l’enregistrement, c’est de la sensibilité, c’est une approche vers le son qui doit être adoptée ?

S.F. – Oui, je crois que vous soulevez un excellent point. Le but derrière le fait de relier une anthropologie du son à une anthropologie par le son est de continuer à effectuer des recherches en étant constamment en mode écoute, une écoute sérieuse et approfondie, en continu. Étudier l’écoute comme habitus doit être relié à l’écoute renforcée comme moyen d’engagement pour étudier la matérialité du son. Je crois que cet argument a été soutenu dans les années 1980-1990 avec le développement de l’anthropologie des sens. J’ai publié un article plus tôt dans ma carrière, je crois qu’il est paru dans le premier collectif sur l’anthropologie des sens que David Howes (1991), de l’Université Concordia, a dirigé, The Varieties of Sensory Experience. Ceci m’avait permis de me mettre en contact avec de nombreux anthropologues autres que ceux du monde du langage et de la musique. J’ai également participé à quelques-unes des premières conférences que David a généreusement organisées à Concordia, ce qui, à mon avis, a contribué à clarifier le fait, pour les anthropologues, que le son n’est pas seulement un matériel exotique d’intérêt limité pour linguistes et musicologues, mais qu’il fait partie intégrante de l’histoire des relations sensorielles et perceptuelles de l’humanité.

Il faut aussi noter que le Canada a joué un rôle très important dans ce scénario avec sa tradition de diffusion d’audio-documentaires et d’arts sonores sur les ondes de Radio-Canada. J’ai écouté Solitude Trilogy : The Idea of North (Gould 1967) ainsi que d’autres réalisations de Glenn Gould et plusieurs autres compositions d’arts sonores et environnementales telles que le projet québécois Musique de l’Odyssée sonore de Claude Shryer (1997) et, bien entendu, The Vancouver Soundscape (World Soundscape Project 1973) et, ensuite, les versions mises à jour du projet World Soundscape (World Soundscape Project 1996). Radio-Canada ainsi que d’autres plateformes internationales comme Listening Room, en Australie, ou Radio Atelje, en Finlande, ont contribué considérablement au développement de l’anthropologie des sens. Ils ont joué un rôle important dans la construction de la culture de l’écoute à un moment critique, rendant par conséquent possible d’imaginer les anthropologies du son devenir les anthropologies par le son et, comme vous le suggérez, de créer une plateforme de connaissances plus profondes du son en tant que moyen de production du savoir.

A.B.F. – Vous avez été inspiré par votre formation, vos expériences antérieures et aussi par le lieu où vous avez fait votre étude de terrain ethnographique au doctorat. Pourrions-nous concevoir une anthropologie par le son dans n’importe quel contexte, dans n’importe quelle niche écologique ou dans n’importe quel milieu ? Est-ce que cela pourrait se faire dans une ville ? Est-il possible d’adapter cette approche à différents lieux, où le son est souvent considéré comme n’étant pas aussi riche, même s’il pourrait l’être ?

S.F. – Oui, c’est un objectif très important qui fait certainement partie de mon cheminement. Durant mes vingt-cinq années de recherche en Papouasie-Nouvelle-Guinée, même les gens qui étaient extrêmement positifs face à mon travail disaient souvent des choses comme « OK, c’est super, mais tu peux seulement faire ce genre d’exercice dans cet environnement isolé, dans la forêt tropicale, avec deux mille personnes ». Je n’ai jamais cru à cela. Je faisais souvent référence à des compositions, à des oeuvres à la radio ou même à des travaux réalisés par divers anthropologues qui croyaient à cette idée d’anthropologie du son dans toutes sortes de sociétés et d’environnements.

Et voici où nous en étions dans les années 1980 : au sommet des débats et des conversations portant sur la mondialisation en anthropologie et sur l’industrie de la musique du monde. Alors initialement, j’ai répondu à cette question en étudiant ce qu’on a appelé « musique du monde » (world music) – l’histoire de la mondialisation de la musique. Le premier enregistrement majeur qui a donné naissance à ce nouveau phénomène fut Graceland de Paul Simon en 1986. J’ai écrit une critique à propos de cet enregistrement dans la première parution de Public Culture (Feld 1988). Quand le disque est sorti, je donnais pour la première fois un cours sur la musique populaire et les médias de masse. Je m’étais vite rendu compte que mes étudiants n’allaient pas avoir l’occasion de faire des recherches approfondies comme je l’avais fait dans des endroits isolés tels que la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Je voulais donc enseigner la musique populaire et les médias. À partir de ce moment, j’ai entrepris l’étude de ce que R. Murray Schafer avait appelé « schizophonie », c’est-à-dire la séparation des sons de leurs sources. J’ai ensuite développé une théorie de la mimésis schizophonique à travers une série de publications dans les années 1980-1990. Pour moi, cette théorie est devenue une façon importante de mener une anthropologie du son et par le son tout en tenant compte des contestations acoustiques sur l’indigénéité et ses appropriations et des enjeux touchant aux politiques de la représentation (Feld 1995, 1996, 2000 ; Feld et Kirkegaard 2010).

Une autre technique que j’ai explorée pour développer l’anthropologie du son et par le son a été par le biais de nouveaux enregistrements sur le terrain et de recherches en Europe. J’ai pensé : « S’il existe un endroit où je peux briser l’idée que cette approche vaut uniquement pour l’exotique ou les forêts tropicales isolées, ce sont les villes et les villages d’Europe ». J’ai commencé à faire des enregistrements en Grèce, en Italie, en France, en Norvège, au Danemark et en Finlande en me concentrant sur les cloches. Durant le processus, j’ai pris conscience que j’écoutais une dizaine de siècles d’histoire sonore. Écouter des cloches en Europe n’était donc pas différent d’écouter des oiseaux dans la forêt tropicale de la Nouvelle-Guinée. Ces deux histoires d’écoute et de sons avaient à voir avec la production d’une conscience de l’espace et du temps.

A.B.F. – Concernant l’ensemble de votre travail sur les cloches en Europe, avez-vous été influencé par le projet World Soundscape et par ce qu’il a réalisé en Europe avec les paysages sonores des villages ? Est-ce que ce projet vous a directement ou indirectement influencé ou pas du tout ?

S.F. – Ce fut certainement une de mes références. Le livre Les cloches de la terre, par Alain Corbin (1994), un grand historien français des sens, a aussi été pour moi une source d’influence extraordinaire. Plus que quiconque, il m’a fait comprendre l’historique des cloches et comment elles ont été au coeur de l’histoire de la paix et de la guerre dans le passé. Elles ont ensuite été au coeur de l’histoire du combat entre l’Église et l’État pour le droit d’exercer le contrôle sur le temps et la main-d’oeuvre en se servant du son. Ce sont des thèmes historiques très importants. J’ai donc pensé que je pouvais convaincre les anthropologues d’écouter ce genre de choses. C’est alors que j’ai décidé d’expérimenter. Au bout du compte, l’expérience n’a pas été un grand succès. Cependant, je continue de croire que c’était une bonne idée. J’ai pensé que je pourrais visiter des endroits dont je ne connaissais pas la langue et où je ne faisais aucune recherche ethnographique approfondie. J’ai pensé que je pourrais travailler avec la population locale, des chercheurs, des amis et simplement leur demander « montrez-moi vos cloches ». Je me suis dit : « Pourquoi ne pas faire la même chose que j’ai faite en Papouasie-Nouvelle-Guinée ? Enregistrer des sons environnementaux, créer des compositions sonores et les faire écouter ensuite à la population locale et voir ce qu’ils en pensent ? Explorer à quel point ces enregistrements représentent une manifestation de leur histoire, de leur culture, de leur espace, de leur temps et de leur relationnalité ? ». Je l’ai donc fait et j’ai lancé tout cela sur des CD et à la radio, sans même écrire un mot.

A.B.F. – Même pas de notes de travail de terrain ou de livret explicatif ?

S.F. – Je n’ai rien écrit sauf de très courts textes sur les pochettes de disques. J’ai publié ces cinq CD, The Time of Bells (Feld 2004, 2005, 2006a), et j’ai collaboré sur d’autres CD en Grèce avec Charles et Angeliki Keil, avec le photographe Dick Blau et avec l’anthropologue du son Panayotis Panopoulos (Feld 2002 ; Blau et al. 2010). Et puis j’ai produit deux coffrets de CD en Italie avec le musicologue Nicola Scaldaferri (Scaldaferri et al. 2006 ; Scaldaferri et Feld 2012). Puis j’ai fait la même chose au Japon avec l’anthropologue Yoichi Yamada, un bon ami du début des années 1980 que j’avais rencontré en Papouasie-Nouvelle-Guinée (Feld 2006b). L’idée était d’effacer complètement le spectre de l’autorité ethnographique, ou de l’ethnographie approfondie, dans le but de changer tous les éléments de la donne de la Nouvelle-Guinée et de mettre l’accent sur les sons. Bref, l’expérience n’a pas fonctionné. Dans le processus, je me suis fait plusieurs amis dans le monde de l’art sonore, de la radio, des musées et des installations de galeries et, sur ce plan, le résultat de mon travail a été un succès esthétique. De plus, les gens d’où les enregistrements provenaient ont beaucoup apprécié. Mais je ne suis arrivé à faire évaluer mon travail par aucune revue anthropologique, ni à ce que mes recherches soient prises au sérieux par les anthropologues.

A.B.F. – Est-ce la même approche que vous avez adoptée au Ghana, dans vos travaux les plus récents à Accra ?

S.F. – Au début, je pensais que j’allais procéder de la même façon et enregistrer seulement quelques sons de cloches au Ghana, mais finalement cette histoire a pris une tout autre tournure. Même si tout a débuté par accident, mon projet au Ghana, qui a donné lieu à un livre, dix CD et cinq DVD, s’est de toute évidence développé en une ethnographie approfondie au cours des douze dernières années. Je m’y étais rendu pour environ deux semaines et c’est par hasard que j’y ai rencontré de superbes musiciens d’avant-garde. J’ai fini par jouer dans leur groupe, ce qui a été une façon très différente de développer une anthropologie du son et par le son dans un environnement urbain qui a une connexion profonde avec l’étude de la mondialisation à travers le jazz (Feld 2012a, 2012b, 2013, 2016).

A.B.F. – Vous dites que c’était différent là-bas. Pouvez-vous me donner plus de détails ? Comment l’expérience du Ghana s’inscrit-elle dans la continuité de votre travail ?

S.F. – Le Ghana était différent parce qu’étudier les sons de la ville, du jazz et des klaxons de voitures m’a transporté dans l’univers de l’histoire diasporique et, bien entendu, de la question de l’intimité diasporique. De plus, cela m’a amené à considérer de nouvelles approches, notamment les théories des races et le cosmopolitisme vernaculaire. Mais au bout du compte, il y a eu plusieurs continuités. Entre autres, le travail sonore que j’ai réalisé avec des crapauds de gouttière et de la musique de percussion, mon travail sur l’eau et sur l’esclavage tout au long de la côte du Ghana, mais encore plus particulièrement mon travail avec les klaxons de voitures, dont l’histoire écologique et cosmologique a fini par avoir beaucoup de similitudes avec l’histoire des oiseaux de la forêt tropicale et les cloches des villages ou des villes (Feld 2006a, 2006c ; Ryan et Feld 2007 ; Annan et Feld 2008 ; Feld 2009).

Pour ce qui est de la continuité au cours des quarante dernières années, je répondrais aussi que oui, mais avec quelques différences à des périodes particulières. J’ai consacré les années 1970 à mon perfectionnement comme ethnographe et auditeur en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Cela s’est poursuivi au cours des vingt-cinq années suivantes jusqu’aux années 1980-1990. Cela m’a amené à prendre conscience que le concept d’anthropologie du son était beaucoup trop général. J’ai alors commencé à développer l’idée de l’acoustémologie (l’épistémologie acoustique), le son comme voie de la connaissance. Une des influences majeures dans tout cela a été le travail que j’ai réalisé, en 1990-1991, avec Mickey Hart du groupe The Grateful Dead et qui a mené à la production de Voices of the Rainforest (Feld 1991). Ce CD comprenait vingt-quatre heures de sons de la forêt tropicale condensées en seulement une heure. C’était évidemment un documentaire musical, mais aussi une composition radio qui utilisait des techniques associées à la musique électroacoustique. Bien que cela ait été mon projet le plus expérimental, il s’agit également de mon projet le plus abouti en acoustémologie parce qu’il suscite une forme d’écoute attentive et sensorielle et parce que cet enregistrement représente ma capacité à établir une connexion entre ce monde que j’ai tant écouté et le public, à qui je peux le faire entendre et comprendre.

Lorsque j’ai débuté ce travail dans les années 1990, le monde de l’anthropologie était devenu plus historique et politique, à travers le féminisme, la théorie postcoloniale, la théorie de la mondialisation, la théorie critique de la race, Foucault et les projets sur la gouvernance et ainsi de suite. Mon travail sur la mondialisation et la schizophonie de la « musique du monde » dans les années 1990 a été, pour moi, une occasion d’élargir l’anthropologie par le son et de participer plus activement à ces divers courants de l’anthropologie. Quand je me suis tourné vers l’Europe, au début des années 2000, et ensuite vers le Ghana, en 2004, l’anthropologie était plus urbaine, plus globale, profondément historique et politique. Je crois que j’ai évolué en diapason avec ce qui a marqué l’anthropologie au cours des quarante dernières années. Cependant, dans toutes mes recherches, une constance a été cet accent batesonien sur l’entrecroisement entre la socialité de la nature et la nature de la socialité.

Maintenant, j’ai recommencé à travailler sur mon matériel de Papouasie-Nouvelle-Guinée, avec un nouveau livre sur la voix et une réédition spéciale 25e anniversaire de Voices of the Rainforest en son ambiophonique (surround) 7.1. Avec les textes et le son, je m’efforce de montrer à quel point l’anthropologie éprouve de la difficulté à se défaire de son péché originel : la séparation des concepts de société et de culture des concepts de corps et de nature. En ce moment, les développements les plus positifs sont que nous nous dirigeons vers ce que Philippe Descola (2011) appelle, dans L’écologie des autres, une « recomposition ». J’aime bien la métaphore de la recomposition puisque pour moi, naturellement, c’est une expression du monde musical qui se rattache précisément à ce que j’essaie d’accomplir avec le son : c’est-à-dire de recomposer, à travers les divisions théoriques du passé, la nature, la culture, le corps et la société afin que leur intimité matérielle soit « auditivement enchevêtrée », pour utiliser l’expression de Jocelyne Guilbault (2007).

A.B.F. – C’est intéressant que vous disiez que c’est présentement en train de se produire, mais ne croyez-vous pas que votre travail illustrait déjà ce phénomène il y a trente-cinq ans, avec cette idée de coprésence des oiseaux et de leur connexion à la forêt tropicale et aux Bosaviens ? Vous faisiez déjà cela, non ?

S.F. – Oui, mais ça aussi c’est une longue histoire, qui remonte au moment où j’étudiais à Paris, en 1974, à l’occasion d’une longue période de réflexion pour essayer de réconcilier Bateson et Lévi-Strauss. Et je ne suis jamais arrivé à une réponse satisfaisante. Descola et moi sommes du même âge. Il est donc intéressant pour moi de réfléchir en termes d’entrecroisement historique, pas seulement parce que Par-delà nature et culture (Descola 2005) a été un ouvrage impressionnant et inspirant, mais aussi à cause de la façon dont les chercheurs de notre génération, en Amazonie et en Mélanésie, ont été confrontés à des défis comparables en ce qui a trait à cette histoire de nature et de culture. Pour nous, en Mélanésie, la référence était peut-être davantage Bateson que Lévi-Strauss. Cependant, Lévi-Strauss a sans aucun doute aussi eu une influence non négligeable en contexte mélanésien. À Bosavi, il existe des mythes très puissants à propos de la transformation des humains en oiseaux et inversement. Ce que j’ai tenté de faire a été de réunir la mythologie et la matérialité du son et de comprendre la matérialité dans l’incarnation sonore des sentiments à travers les pleurs, la poétique et la chanson.

A.B.F. – Dans votre conversation avec Don Brenneis (Feld et Brenneis 2004 : 461), vous dites que « l’ethnographie par le son veut dire écouter, enregistrer, éditer et représenter ». Voyez-vous cette dynamique comme étant un processus linéaire ou plutôt dialogique ? Comment imaginez-vous cela ?

S.F. – J’imagine cela de manière multidimensionnelle et tout à fait dialogique. Lorsque j’ai commencé à penser que je pourrais présenter l’ethnographie par le son comme je pouvais la présenter par les textes, j’ai ressenti le besoin de penser cette démarche comme étant une responsabilité ethnographique holistique, une responsabilité éthique pour le peuple bosavien, mais aussi comme une responsabilité intellectuelle pour le champ de l’anthropologie. Soyons honnêtes, peu importe ce que l’anthropologie des sens a pu accomplir, ce n’était certainement pas pour rendre le domaine moins centré sur les textes. Souvenez-vous, en 1986, la parution de Anthropology as Cultural Critique (Marcus et Fischer 1986) et de Writing Culture (Clifford et Marcus 1986). Tout d’un coup, on a soulevé une multitude d’inquiétudes par rapport à la représentation, l’ethnographie comme genre littéraire et la littérarité. Mais peu importe ce que cela a donné de bien en termes de formes de représentation et de critiques, ce contexte a aussi amené la discipline vers une sorte de fétichisme textuel encore plus profond.

La question de la représentation, la question du dialogue est davantage une question de méthode de travail, peu importe le moyen de communication. Le son nous offre un point de départ très particulier ici, car il offre un tremplin dialogique instantané : on enregistre le son, puis on le réécoute et ensuite, qu’est-ce qui se produit ? Quand j’ai lancé Voices of the Rainforest, qui a été composé à partir de douzaines d’enregistrements, je pouvais rejouer les bandes à Bosavi et en faire la vérification et l’édition dialogiques. Cette idée de rétroaction et de dialogue était très importante dans le travail filmique de Jean Rouch. Quand j’ai étudié avec lui à Paris en 1974, il insistait toujours sur le fait que l’aspect le plus important du film en anthropologie est son potentiel de rétroaction et la façon dont il permet de mettre les représentants et les représentés littéralement face à face. Inspiré par Rouch, j’ai développé l’idée de l’édition et de l’audition dialogiques, rétroaction d’oreille à oreille comme pour écouter l’historique de l’écoute. Pour moi, c’est devenu une méthode centrale de l’anthropologie du son et par le son (Feld 1987 ; Rouch 2003).

A.B.F. – Avez-vous déjà utilisé le film ou du matériel visuel dans cette approche dialogique ou avez-vous toujours pratiqué le dialogue verbal et sonique ?

S.F. – Bien entendu, les iPad, les ordinateurs portables et ce genre de technologies n’existaient pas dans les années 1970, 1980 et 1990 en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Nous n’avions pas non plus de caméras numériques. Ce qui se rapprochait le plus d’une rétroaction instantanée avec images était le Polaroid. Avec le son, bien sûr, j’avais une rétroaction instantanée. C’est devenu un média privilégié en ce sens-là. Aussi puisqu’on pouvait laisser les cassettes et les enregistreuses derrière. Je devais quitter la Papouasie pour aller développer mes photos et retourner sur les lieux pour interagir avec eux. C’était une époque vraiment différente en termes de possibilités instantanées de partage d’images et de sons et de possibilité d’initier un dialogue. Aujourd’hui, je peux envoyer une photo à partir de mon téléphone cellulaire à n’importe qui dans la forêt tropicale de Papouasie-Nouvelle-Guinée. En 1976, c’était totalement inimaginable.

Mais oui, bien entendu, ce qui s’est produit dans les années 1990 et 2000 c’est que nous avons vécu quelque chose de très important dans l’histoire de l’anthropologie visuelle : l’émergence de l’acoustique. Nous avons enfin eu une génération d’anthropologues visuels qui ont dit « Écoutez, le son n’est pas seulement quelque chose qui est enregistré simultanément avec une image. Le son est un média que l’on peut éditer et avec lequel on peut créer au même titre que le visuel ». Un bon exemple est ce qui se fait au Granada Centre for Visual Anthropology avec le travail de Rupert Cox ainsi que plusieurs jeunes chercheurs, comme Beyond Text ?, une conférence et un livre qu’il a dirigés avec Andrew Irving et Chris Wright (Cox et al. 2016). Cet ouvrage montre de nouvelles façons de rapprocher le visuel et le sonique dans des échanges élaborés.

A.B.F. – Pensez-vous que la connexion qui existe entre l’anthropologie visuelle et l’anthropologie du son et par le son vient de la possibilité commune de pouvoir enregistrer, éditer et de produire des montages grâce aux appareils d’enregistrement ?

S.F. – Oui, je le crois, et ce n’est pas une nouveauté. Je pense entre autres à Dziga Vertov qui possédait un laboratoire de son dans les années 1920. Toutes les expérimentations qu’il avait faites dans le monde du visuel et du montage et qui figurent dans Man with a Movie Camera (Vertov 1929), il les avait déjà tentées avec le son. Même si Rouch a ramassé tout cela et a parlé de la combinaison ciné-yeux-oreilles, il n’a pas poussé son travail très loin hormis quelques expérimentations radicales sur des trames sonores dans les années 1950 et au début des années 1960 (Rouch 2003).

Mon propre cheminement débute aussi avec le cinéma. Je me suis impliqué en musique concrète et en musique électroacoustique car je voulais composer des trames sonores de films. La plupart de mes réflexions ont émergé, avant de devenir anthropologue, dans une chambre noire en regardant des images, qu’elles soient silencieuses ou accompagnées de sons sur l’écran, tout en réfléchissant aux différentes façons de créer des trames sonores en mélangeant de la musique de scène avec de l’art oratoire, des textes, des sons édités et du montage sonore. Auparavant, tout ce dont on avait besoin était de ruban adhésif, d’une paire de ciseaux ou d’une lame de rasoir et d’un bloc d’édition. La pellicule cinématographique est un outil très tangible qui incite à l’édition. C’est seulement avec l’ère de la vidéo instantanée que le son est devenu enregistrable en synchronisation avec l’image. Les gens ont alors commencé à prendre pour acquis que l’image et le son ne font qu’un, fusionnés et forgés, et que l’édition de l’un est l’édition de l’autre. Dans la réalisation de films ethnographiques, le concept de « témoin », dans toute sa transparence, a donné lieu à une insistance excessive sur le contenu verbal. L’acousmatique, ou les sons dont la source d’émission est invisible à l’écran, consistait en une musique largement ajoutée pour créer un effet sonore ou pour servir comme moyen de transition. Aucun accent n’était mis sur le son et aucune expérimentation ou édition substantielle du son n’était effectuée. Cependant, tous les environnements visuels sont des environnements soniques qui demandent une co-construction, ce qui rend le film aussi puissant pour l’anthropologie du son/par le son que l’image. Je pense que les dix ou quinze dernières années ont été particulièrement formidables, avec votre génération et la génération actuelle d’étudiants qui êtes en train de changer l’anthropologie visuelle en la rendant beaucoup plus sonique et sensorielle.

A.B.F. – Dans la troisième édition de Sound and Sentiment, vous écrivez « Et j’espère que vous pourrez m’accompagner pour souhaiter à l’ethnographie un futur plus créatif dans ses relations entre les mots, les sons et les images » (Feld 2012c : xxxi). Comment voyez-vous le développement d’une anthropologie plus créative ? Est-elle en train d’émerger ? Sous quelle(s) forme(s) ? Comment se manifestera-t-elle ?

S.F. – Il existe plusieurs façons de répondre à votre question, mais les défis les plus importants se situent peut-être au niveau de la relation entre l’anthropologie et l’art, où il est non seulement important d’aller au-delà des textes, mais aussi de prendre au sérieux, en tant qu’anthropologues, les responsabilités intellectuelles et éthiques associées à l’expérimentation avec les auditoires, les formats et les modalités et à l’utilisation de tous les médias de représentation possibles. Imaginer un futur créatif pour l’anthropologie veut dire imaginer un futur où chaque anthropologue possèdera des compétences égales en écriture, cinématographie, création de sons, photographie et production multimédia sur le Web. Pourquoi pas ? Nous vivons dans cette ère de technologie omniprésente où il y a surabondance de la représentation. Certaines personnes croient que le futur intellectuel du public se trouve dans les TedTalks, le journalisme, les blogues et les avis d’experts. J’espère que non. J’espère que le futur verra des alliances et des collaborations plus profondes entre l’anthropologie et la pratique de l’art et particulièrement une compréhension plus inventive et créative des multiples représentations médiatiques. Notre discipline, nos revues académiques et nos conférences sont encore extrêmement conservatrices. Je comprends que c’est compliqué ; j’ai été enseignant durant trente-cinq ans. J’aurais été enchanté de pouvoir dire à mes étudiants qu’ils devaient faire plus que ce que je faisais avec les médias, de manière plus agressive et en prenant plus de risques. Cependant, cela aurait été irresponsable éthiquement parlant. Ces étudiants devaient avant tout devenir de bons chercheurs et de bons rédacteurs afin d’être pris au sérieux en anthropologie et de pouvoir trouver du travail. Maintenant, je crois qu’il devient possible d’encourager nos étudiants à prendre plus de risques et à expérimenter davantage, tout en portant une attention sérieuse aux questions qui ont façonné la discipline et qui lui permettent de continuer à se transformer.