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Bon gré mal gré, l’Europe de l’Ouest s’affirme actuellement comme l’une des principales terres d’accueil et d’immigration. En 2015, à elle seule, l’Allemagne a connu l’arrivée de plus d’un million de réfugiés en provenance du Moyen-Orient et du continent africain, soit près de 1,5 % de sa population nationale. Si la diversification des références culturelles et religieuses qui accompagne cette évolution engendre parfois des craintes diffuses et un raffermissement des discours identitaires, les dynamiques sociales à l’oeuvre font également l’objet d’un nombre croissant de recherches anthropologiques[1]. Le droit et le phénomène juridique constituent un terrain particulièrement intéressant à cet égard. À partir d’observations effectuées au cours des dix dernières années parmi un groupe de migrants installés à Berlin, le présent texte entend apporter une contribution aux recherches émergentes en illustrant, parmi ce groupe, la spécificité du rapport au droit du pays d’accueil, ainsi que l’originalité avec laquelle sont conjuguées différentes références juridiques et, parfois, reformulées des règles tenues pour obligatoires.

Ce ne sont ni les migrants issus des pays d’origine les plus importants, ni les migrations les plus anciennes qui font l’objet de ce texte, mais à l’inverse un groupe plutôt restreint et relativement nouveau : celui des Bassa camerounais vivant à Berlin. Les observations ne représentent donc qu’un petit échantillon de la très grande diversité des situations migratoires en Europe, des multiples origines et manières de penser le Droit parmi des migrants, ainsi que des diverses stratégies d’insertion et de compromis avec les dispositifs juridiques dominants. La complexité que révèlera l’expérience relatée quant aux dynamiques du droit permet cependant d’illustrer, de manière plus générale, l’intérêt du regard de l’anthropologie juridique sur les migrations internationales.

Les données sur lesquelles se base ce texte ont été recueillies lors d’enquêtes de terrain et à travers des contacts prolongés avec des jeunes Camerounais vivant à Berlin, à Douala, la capitale économique du Cameroun, et dans différentes villes européennes. Des premiers entretiens ont été effectués entre avril et juillet 2004 à Berlin puis entre novembre 2004 et janvier 2005 à Douala. C’est essentiellement par des contacts établis en « boule de neige » qu’il a ensuite été possible de suivre la trajectoire de près d’une centaine de personnes au cours de visites répétées et grâce à des conversations téléphoniques régulières. Jusqu’en 2010, près de 200 entretiens ont été réalisés et retranscrits. Un journal de bord avec des observations personnelles a permis de compléter ces données. Certaines observations relatées ont également fait l’objet d’une publication préalable discutée avec les personnes concernées (Kohlhagen 2013).

Avant de revenir plus en détail sur les spécificités du groupe cible, il importe de donner un aperçu des recherches dans le domaine du pluralisme juridique en contexte migratoire. Par la suite, il sera possible de dégager certaines particularités observées parmi les Bassa de Berlin en soulignant l’originalité de leur rapport au droit et la créativité avec laquelle ils conjuguent différents répertoires juridiques. De manière souvent imprévisible se redéfinissent au sein du groupe des obligations socialement sanctionnées comme obligatoires, des rapports hiérarchiques ou des attributions statutaires. Le présent article ne pourra donner qu’un bref aperçu de ces dynamiques, mais les quelques exemples utilisés permettront de comprendre l’importance d’aller au-delà de ce qui est communément appelé « droit » pour véritablement comprendre ce qui constitue le phénomène juridique.

L’anthropologie juridique en contexte migratoire

En anthropologie juridique, les travaux sur le droit en situation migratoire ne se sont véritablement développés qu’au cours des vingt-cinq dernières années. De manière plus ou moins explicite, ces recherches sont encore fortement empreintes de la sociologie des migrations du vingtième siècle, comprenant la migration comme un mouvement de transition d’un espace culturel vers un autre.

L’étude généralement considérée comme pionnière dans le domaine de la sociologie des migrations est Le paysan polonais en Europe et en Amérique (Thomas et Znaniecki 1918). L’ouvrage retrace le parcours d’immigrés polonais aux États-Unis en montrant comment leurs rapports sociaux et leurs références comportementales se restructurent. Les auteurs mettent un accent particulier sur le processus d’« assimilation » face aux normes et valeurs dominantes dans la société d’accueil. Tout en prenant des distances vis-à-vis de certaines traditions polonaises, les immigrés adoptent des pratiques qui constituent un métissage entre les modes d’organisation en Pologne et aux États-Unis. Leur insertion dans la société américaine s’opère de manière sélective. Robert Park reprend ce travail en identifiant quatre étapes qui, selon lui, structurent l’assimilation progressive d’immigrés aux États-Unis. L’immigré est décrit comme un « homme marginal » qui devient un hybride culturel, partageant deux cultures distinctes, mais pleinement accepté dans aucune des deux. Avec le temps et le renouvellement des générations cependant, les différences avec la société dominante s’estompent (Park 1950). La compréhension des migrations comme un processus d’acculturation et d’assimilation à la société et au droit du pays d’arrivée a fortement marqué la sociologie des migrations du vingtième siècle.

En Europe, les recherches sur les pratiques sociales de migrants ne se sont véritablement développées que près d’un demi-siècle après l’école de Chicago. Jusque dans les années 1970, l’image qui y prévalait était celle du travailleur-migrant temporaire figé dans ses référents culturels et ses inscriptions identitaires originels[2]. C’est assez tardivement qu’émerge une véritable réflexion sur la spécificité des pratiques sociales de migrants. Les travaux s’intéressant de manière plus spécifique au droit se développent à partir des années 1980, notamment au Royaume-Uni (Pearl 1986 ; Pearl et Menski 1998) et aux Pays-Bas (Strijbosch 1993). Leur objet porte généralement sur la socialisation d’origine des migrants et sa transformation au contact du droit et des institutions du pays de résidence.

En 1988, c’est sur l’initiative de chercheurs néerlandais et anglo-saxons que se tient un symposium sur le « pluralisme juridique dans les sociétés industrialisées » (Greenhouse et Strijbosch 1993) qui permet de donner une visibilité à ce domaine de recherche alors encore négligé dans les autres pays européens. Au cours des années suivantes, les publications se développent également dans des pays comme la France (Le Roy 1990 ; Rude-Antoine 1992 ; Quiquerez-Finkel 1995), la Belgique (Foblets 1994) et l’Italie (Mancini 1998 ; Facchi 1999). En Allemagne, des recherches comparables ont principalement été menées par Günter Bierbrauer, professeur en psychologie sociale travaillant sur les modes de règlement des conflits des immigrés d’origine turque (Bierbrauer 1990), et Mathias Rohe, professeur en droit et juge à Nuremberg travaillant sur le droit musulman en Allemagne et sur les problèmes d’adéquation du droit national (Rohe 2001). Depuis la création, en 2012, d’un département Law and Anthropology, l’Institut Max Planck d’Anthropologie sociale intensifie par ailleurs les recherches dans le domaine.

Ce que mettent en avant la plupart des travaux cités est le caractère composite des pratiques juridiques observées parmi les migrants. Disposant généralement d’une très bonne connaissance des cultures des pays d’origine, les auteurs analysent comment certaines pratiques sont perpétuées, mais aussi réadaptées, voire ranimées dans le nouveau pays de résidence. David Pearl et Werner Menski parlent à ce sujet d’un « processus silencieux de restructuration juridique » (Pearl et Menski 1998 : 80). Travaillant sur des immigrés des Moluques, Fons Strijbosch (1993) décrit la revitalisation de certains rapports d’échange et de solidarité communautaire aux Pays-Bas qui, dans la société d’origine, sont en voie de disparition.

En soulignant la créativité avec laquelle des migrants conjuguent et réadaptent les référents normatifs, les travaux cités mettent en évidence la complexité des situations migratoires observées. Les pratiques juridiques des migrants ne se présentent pas comme une simple perpétuation des modes de comportement précédant la migration : elles traduisent aussi une redéfinition progressive des appartenances identitaires. Face au droit proclamé dans le pays de résidence, ces pratiques conservent néanmoins des spécificités propres. Ce constat d’un pluralisme juridique jusqu’alors encore peu étudié dans les pays industrialisés fournit des éléments de réflexion essentiels permettant de s’interroger sur l’adéquation des dispositifs juridiques mis en place par les États d’accueil.

Mettant principalement l’accent sur la rencontre entre cultures différentes ainsi que sur la modification des références et modèles culturels initiaux, la plupart des études mentionnées partagent la problématique de recherche posée par l’école de Chicago. La migration est avant tout comprise comme un déplacement entre des sphères géographiques aux référents culturels différents. En quittant peu à peu ses appartenances originelles, le migrant redéfinit ses repères initiaux dans un lieu nouveau. Son parcours social, bien que complexe, est implicitement lié à son parcours géographique. En particulier dans la littérature française, c’est avec des termes évoquant le mouvement vers le droit du pays d’accueil que sont qualifiées les pratiques observées : « acculturation (juridique) » (Rude-Antoine 1992), « insertion (sélective) » (Quiquerez-Finkel 1995 : 35) ou « adaptation progressive » (Le Roy et al. 1999 : 10).

Le fort accent mis sur la rencontre entre deux cultures ne permet souvent d’aborder que partiellement les dynamiques qui se manifestent hors de ce dualisme. Or, dans bien des cas, la migration constitue un moment d’émancipation et de redéfinition collective de comportements sanctionnés comme obligatoires. La multiplication des moyens de communication, la diversification des pays d’origine et de destination ainsi que la complexification des trajectoires migratoires conduisent par ailleurs à un nombre croissant de situations dans lesquelles les migrants développent des modes d’action qui vont au-delà d’un simple « entre-deux ». Même s’il ne sera pas possible de s’intéresser ici pleinement à l’articulation de telles constellations, les ajustements et créations juridiques chez les Bassa de Berlin relèvent bien de ces situations encore peu explorées en anthropologie juridique[3].

La migration comme moment de redéfinition statutaire

Ayant triplé leur nombre en quinze ans selon les statistiques officielles, les Camerounais de Berlin constituent un groupe particulièrement dynamique. Jeunes, d’origine urbaine et prêts à adopter un mode de vie nouveau, les migrants rencontrés dérogent à bien des égards de l’image stéréotypée du travailleur immigré vivant en communauté et attaché à des coutumes ancestrales immuables. Malgré une volonté d’adaptation affichée, la plupart de ces migrants effectuent leur entrée sur le territoire européen en violation des règles de droit dominantes dans le pays d’accueil. Les tensions et contradictions inévitables naissant de cette situation contribuent à façonner un rapport très spécifique aux dispositifs juridiques de l’État.

Vis-à-vis de la famille et de l’environnement social au Cameroun, les projets migratoires sont souvent non moins ambigus. Les migrants se projettent régulièrement sur un retour ultérieur au Cameroun, mais lient ce retour à l’idée de remise en question de règles et de hiérarchies sociales établies. Pour de nombreuses personnes, le passage par l’étranger ne vise pas simplement à améliorer la situation matérielle personnelle ou familiale. Il s’agit aussi de redéfinir sa place au sein de la société, d’« être plus », de disposer de certains « pouvoirs » ou de jouir de nouvelles formes de reconnaissance. Cette idée se révèle centrale dans les parcours migratoires. Implicite et variable en fonction des biographies individuelles, l’idée de passage à un statut social supérieur apparaît systématiquement dans les discours.

J’avoue que cette affaire de partir, pour moi, c’est aussi une sorte de revanche sur le sort. […] J’ai arrêté l’école à dix ans pour m’occuper de mon père qui était malade. […] Aujourd’hui, le Cameroun ne propose rien pour les jeunes comme moi. Certains, au moins, ont pu avoir un commerce, ils ont leur mot à dire. Quand je serai parti, je deviendrai aussi quelqu’un.

Homme, 17 ans, Douala, décembre 2004

« Devenir quelqu’un », quelqu’un d’autre, « avoir son mot à dire » : comme l’exprimait en 2004 ce jeune qui, depuis mai 2007, vit sous couvert d’une identité factice en Italie, le départ vers l’étranger constitue aussi un moment de contestation et de remise en question du rôle social précédant le départ. La migration engage les migrants dans un jeu subtil entre redevabilité et redéfinition identitaire, entre obligations dans le pays d’origine et remise en question des hiérarchies établies. Très généralement, le projet migratoire est compris comme un moyen de se définir comme une personne ayant « réussi » en dépit des déterminismes de la société, de l’absence de perspectives professionnelles ou du poids de la tradition.

Dans les faits, la « réussite » de laquelle peuvent véritablement se prévaloir les migrants est tout au plus d’ordre économique. Les mécanismes par lesquels elle doit, aux yeux des migrants, se transformer en réussite sociale impliquent des détours surprenants qui s’élaborent en grande partie dans les imaginaires.

Traditionnellement, en pays bassa, la migration vers l’étranger n’est pas liée à des représentations particulières. Essentiellement agraire, l’univers bassa ne connaît que peu de récits liés au voyage, hormis le mythe de sédentarisation de son ancêtre fondateur. Jusque très récemment, les échanges commerciaux avec l’étranger y ont été rares et à la différence d’autres sociétés d’Afrique centrale et occidentale, il n’y existe pas de coutumes valorisant les voyages initiatiques. Dans les traditions bassa, la réussite sociale se définit surtout en référence à l’enseignement initiatique du Mbok, un savoir spirituel et mystique qui résume les principes fondamentaux de l’équilibre cosmique. Aucun statut spécifique n’est reconnu aux absents ou aux migrants de retour. Face au phénomène migratoire, rien n’est préalablement défini, ni la « naissance à un nouveau statut », ni l’« apprentissage des obligations qui y sont statutairement attachées », tel que cela peut être le cas dans un contexte social comme le connaissent les Soninké de Kayes (Le Roy 2004 : 219). Statut, rôle, obligations : tout est à inventer – et tout s’invente.

Les changements sociaux que signalent les départs de jeunes Doualais sont multiples. Au niveau individuel, il y a, tout d’abord, une rupture avec les modes endogènes de régulation transmis à travers les épreuves initiatiques. Au niveau collectif, en attribuant une signification sociale à leurs départs (« avoir son mot à dire », « être plus »), les migrants annoncent même leur intention de redéfinir les attributions statutaires socialement reconnues, avec l’ensemble des droits et obligations qui y sont rattachés.

Tu vois déjà l’Europe, c’est comme si tu étais en train d’affronter une présidence. Tu es devant un seuil.

Jeune homme interrogé à Abidjan, cité par De Latour 2003 : 174

[C]’est comme ça que les gens pensent au Sénégal : t’es grand si t’es parti, mais si tu connais seulement beaucoup de gens qui sont partis, ça te fait grandir un peu aussi.

Jeune femme interrogée à Dakar, citée par Fouquet 2007 : 88

Comme l’illustrent ces citations de jeunes en Côte d’Ivoire ou au Sénégal en partance pour l’Europe, l’accès aux terres de l’étranger doit permettre de franchir « un seuil », de s’ériger en « président » ou de devenir « grand ». De telles idées, exprimées de manières variables, sont récurrentes parmi de nombreux candidats au départ en Afrique. Elles sont également très présentes dans de nombreuses productions musicales à succès en Afrique : dans les textes et dans les vidéo-clips accompagnant les morceaux, on y glorifie le passage par l’étranger et la réussite par la migration[4].

L’idée d’ascension sociale par le passage à l’étranger rencontre aujourd’hui une approbation certaine dans les imaginaires collectifs au Cameroun. En rupture avec la stratification sociale traditionnelle, cette idée n’est cependant pas simple à traduire dans l’ordre social établi. Les migrants bassas rencontrés à Berlin, conscients de cette difficulté, y répondent de manière plutôt originale. Pour légitimer et asseoir le statut social revendiqué, ils réinventent – du moins en partie – le droit.

À titre d’illustration, la section suivante s’intéressera aux créations normatives au sein de groupes de migrants bassa à Berlin. On comprendra l’habileté avec laquelle y sont conjugués différents cadres référentiels au service d’un enjeu extérieur à ces cadres – celui de la réussite sociale par la migration. Bien que précaire, l’ordre inventé par les migrants permet de tirer des enseignements précieux sur les dynamiques auxquelles est soumis le phénomène juridique.

La migration comme moment de réinvention du Droit

Pour un observateur non averti, les interactions directes entre migrants bassa semblent souvent constituer une reproduction fidèle de modes de fonctionnement connus du Cameroun. Tout particulièrement lors de rencontres associatives, les premières observations conduisent spontanément à cette conclusion. Au cours de telles rencontres, une majeure partie du temps est en général consacrée au règlement de conflits : disputes liées à des différents d’ordre financier, problèmes de famille ou d’adultère, accusations diverses. Lors du débat, la tradition bassa est invoquée par références, allusions, proverbes. Après une longue discussion impliquant l’ensemble des personnes présentes, c’est régulièrement l’« aîné », le patriarche, qui tente de dégager la solution convenable. Communément acceptée, cette solution permet alors de considérer le problème comme réglé.

Il existe de nombreux groupes qui se présentent explicitement comme des communautés fonctionnant sur un modèle « africain ». Constitués au sein de foyers de demandeurs d’asile ou d’étudiants, dans le cadre d’une tontine, parmi les clients d’un commerce ou d’un bar-restaurant, c’est ici que sont débattus problèmes et disputes entre « Africains ». Les groupes de migrants se maintiennent rarement pendant plus longtemps que quelques années. Ils ne s’inscrivent pas dans de véritables communautés de partage qui permettraient d’assurer leur maintien dans la longue durée. Les liens de dépendance entre les membres sont généralement établis de manière temporaire, autour d’un projet partagé comme la survie en situation de « clandestinité » ou une simple épargne solidaire. Ce qui est considéré comme « africain » au sein de ces groupes est, à y regarder de plus près, une africanité réinventée qui ne permet pas de se substituer à des liens communautaires durables.

Élément central dans les montages de l’africanité berlinoise, l’« aînesse » parmi les migrants ne se fonde pas en réalité sur des considérations d’âge, de sagesse ou de bonne connaissance d’une quelconque coutume, mais sur le nombre d’années de présence en Allemagne et sur la maîtrise d’un savoir utile relevant de la migration et des lois migratoires. Transposée dans un univers aux apparences africaines, la réappropriation plutôt surprenante des hiérarchies implicites consacrées par le droit allemand n’est pas toujours perceptible de prime abord. Toute association africaine à Berlin et toute réunion entre Bassa connaît pourtant ses « aînés », ses « vieux » ou ses « tanties »[5]. Et très généralement, les « anciens » concernés s’identifient en exhibant un passeport allemand. À l’inverse – et peu importe leur âge – les « petits », les « novices » ou les « jeunes » sont souvent ceux qui ne disposent d’aucun document en langue allemande portant leur nom.

Les titres honorifiques « africains » que confèrent, pour ainsi dire, les statuts administratifs allemands ne correspondent pas seulement à des surnoms. L’importance toute particulière des hiérarchies établies pour la régulation sociale ne saurait être sous-estimée. En particulier parmi les Bassa, rares sont les rencontres dans lesquelles l’ordre de parole ne serait pas attribué en fonction des titres et des statuts. Même lorsqu’il se présente avec plusieurs heures de retard, aucune réunion ne commence avant qu’un « aîné » qui se serait annoncé n’arrive. Et aucune réunion ne saurait se clore avant le mot de la fin prononcé par le « doyen ».

Les « petits », dépendants des informations et des soutiens que seuls les plus grands peuvent leur fournir, n’ont régulièrement d’autre choix que de se conformer aux règles établies. Les services susceptibles d’être rendus par les « anciens » sont d’ordres très divers : hébergement, apprentissage des obstacles-loi et de leurs moyens de contournement, prêt de pièces d’identité permettant de travailler ou d’avoir accès aux soins… Qui tente de s’ériger en « grand » avant que son statut ne le permette risque de perdre le bénéfice de ces indispensables services. C’est ce qu’exprime, dans la prochaine citation, une migrante commentant un conflit entre deux soeurs dont l’une, disposant d’un titre de séjour, reproche à l’autre, « clandestine », de ne pas suffisamment suivre ses conseils. « Il y a certaines personnes qui sont un peu dumm [bêtes] dans la tête comme on dit. Tu sais très bien que tu es en position de faiblesse et tu ne te soumets pas »[6].

Ce ne sont pas les connaissances ou l’expérience pratique de la « grande » soeur qui motivent le positionnement très ferme de la migrante citée, mais la « position de faiblesse » de la « petite ». Notons, la précision est importante, que la hiérarchie établie par les lois migratoires ne concorde pas avec l’ordre généalogique : la soeur « clandestine » est en réalité l’aînée biologique. À aucune réunion à laquelle j’ai assisté cela ne lui a cependant permis de se prévaloir d’une quelconque prérogative sur sa cadette. À plusieurs reprises, la confusion que cette situation a provoquée chez l’auteur de ce texte semble avoir été volontairement entretenue par les autres migrants.

L’inversion des rapports d’aînesse entre frères et soeurs a pu être observée dans plusieurs familles rencontrées. Pourtant déterminante dans la culture bassa, l’aînesse biologique est régulièrement réinterprétée parmi les migrants lorsqu’elle ne correspond pas aux hiérarchies de la loi. Des formules telles que « elle vient d’arriver », « il ne connaît encore rien à la vie d’ici » ou alors « elle a déjà fait 10 ans en Allemagne » et « elle a beaucoup aidé [d’autres à s’installer] » sont ainsi lourdes de signification. Ceux qui maîtrisent le jeu social et ont la capacité d’« aider » sont connus et reconnus. À travers cette subtile redéfinition des attributions sociales s’opère un réagencement qui n’affecte pas seulement les classes d’âge, mais aussi les rapports entre les sexes et les différences entre les origines sociales.

Pouvoir se dire « grand » et reconnu en défiant les déterminismes de la société d’origine : tel est bien l’un des défis principaux de la migration. Malgré les discours, ce n’est pas toujours tant par « solidarité africaine » que les personnes au statut administratif reconnu « aident » des membres de la famille ou d’autres compatriotes. Ce qui est fréquemment présenté en geste désintéressé, voire en réflexe naturel correspond bien souvent à un choix guidé par le calcul. En particulier lorsqu’est évoquée une « aide » à l’égard d’une personne en situation administrative précaire, la plupart des migrants ne manquent pas de rappeler les différences entre l’aidé et l’aidant. Les expressions employées pour exprimer l’idée de hiérarchie sont parfois remarquablement fortes. En particulier le terme de « soumission » a pu être relevé dans plusieurs des entretiens effectués.

Le récit suivant restitue les expériences d’une des « doyennes » des Bassa de Berlin. Bien qu’âgée de 38 ans, cette migrante se définit comme telle, se prévalant notamment des nombreuses « aides » qu’elle aurait fournies. Dans son discours transparaissent très clairement les limites de sa bonne volonté et les exigences qui constituent la contrepartie des aides qu’elle est susceptible de donner.

Une fois, j’étais obligée de mentir, moi. […] Quand il y avait la fête assiko[7], j’ai rencontré une cousine qui venait de l’Afrique fraîchement. Elle s’est faite asiler [sic] – non non, elle habitait d’abord chez sa petite soeur à l’Ouest [de l’Allemagne]. Elle habitait d’abord là-bas pour quelque temps, elle a pris l’asile là-bas. Et comme le gouvernement allemand, quand tu demandes l’asile, on t’envoie plus loin, […] on l’a envoyée plutôt ici. […] Sa soeur lui a dit, là-bas tu peux trouver X. [nom de l’interlocutrice] le week-end. C’est pour me trouver qu’elle est venue à la fête. Elle me dit là-bas, dans l’asile, on nous maltraite, et nanani nanana. […] Donc elle voulait rester à la maison chez moi.

Mon mari et moi, on était déjà geschieden [divorcés], mais je lui ai dit [à la cousine] que je dois partir à Mallorca [l’île de Majorque] rejoindre mon mari et aussi que je dois parler avec mon mari pour qu’elle reste. […] Je lui ai dit de m’appeler après notre retour. [Quand je l’ai raccompagnée à la gare pour la congédier], je lui ai donné mon numéro de téléphone, mais j’ai changé le 4 en 1 à la fin. […] J’ai trop commis d’erreurs avant. Avant d’aider, il faut regarder comment la personne est. Elle doit te respecter, elle ne peut pas venir comme ça chez toi.

Femme, 38 ans, Berlin, mars 2008

Ceux qui frappent à la porte des migrants berlinois ne sont pas refoulés de manière systématique. Bien souvent, c’est précisément de la capacité à se « soumettre » que dépend la décision de les accueillir. « Aider » un proche qui se montre prêt à reconnaître les efforts engagés permet non seulement d’asseoir encore davantage son statut de « grand », mais aussi d’élargir le cercle de ses disciples vis-à-vis des autres « aînés » berlinois. Le statut d’aînesse à la berlinoise dépend bien aussi du nombre de personnes prêtes à reconnaître ce statut.

Celui qui est aujourd’hui unanimement reconnu comme étant « le Vieux » ou encore « le doyen des Bassa » – un homme de 75 ans qui avait fait ses études en Allemagne de l’Est avant de s’installer définitivement à Berlin-Ouest pour y épouser une Allemande – semble effectivement être l’une des personnes les plus âgées parmi les Bassa de Berlin. Au-delà de son âge, il est cependant surtout respecté pour avoir « aidé » presque tous les autres Bassa venus s’installer à Berlin, notamment en hébergeant temporairement un grand nombre d’entre eux. Un jour d’anniversaire, ses compatriotes camerounais lui auraient offert des cartes de visite portant son nom, son adresse personnelle et la mention « Hotel-Pension » (« hôtel-auberge ») qu’il n’aurait d’ailleurs pas hésité à distribuer par la suite. La solidarité exemplaire du doyen est aujourd’hui connue et reconnue de toutes les générations suivantes.

Mais pour les plus « petits », la « solidarité » a un prix. C’est ce qui ressort également du prochain extrait d’un entretien avec une migrante se prévalant aujourd’hui du statut d’« aînée ». Elle déplore le bizutage subi lors de sa propre arrivée à Berlin tout en recommandant, du haut de sa situation actuelle, de « ne pas avoir pitié » avec des nouveaux-venus insuffisamment « soumis » :

Par exemple, moi aussi, j’ai habité ici chez des gens en Europe. J’ai habité chez une copine équatorialguinéenne [sic] et j’étais vraiment soumise. Quand tu te fais aussi soumise comme ça, la personne te manque aussi de respect. Par exemple cette copine-là, comme je lui ai montré que je suis serviable, j’étais chez elle comme une boniche. Mais moi je savais ce que j’attendais et je savais que, bon, je ne suis pas là éternellement. Non, mais généralement, il faut quand même que d’autres personnes, quand tu habites chez elles, il faut donner le coup de main.

Le genre de personnes qui ne sont pas soumises, il ne faut pas avoir pitié. Même si tu as pitié, ils ne sont pas dankbar [reconnaissants]. Moi je dis que tu as vu comment je me suis gardée de tout ce monde-là, je ne veux plus de casse-tête.

Femme, 36 ans, Berlin, novembre 2005

Le positionnement quelque peu contradictoire exprimé ici montre à quel point l’usage de catégories comme le devoir de reconnaissance, la conditionnalité de l’entraide ou les obligations de respect d’autrui répondent à des considérations opportunistes.

Le statut de séjour et la bonne connaissance du droit des étrangers semblent conférer une forme de sécurisation suffisante pour se défaire de contraintes et de mécanismes de pression connus depuis le Cameroun. La loi allemande qui, dans un premier temps, est surtout vécue comme un obstacle à la réussite du projet migratoire prend donc une signification sensiblement différente avec le temps. Mobilisée comme ressource au sein d’un système de régulation distinct, la maîtrise de la loi allemande devient un véritable capital au sens bourdieusien[8]. Ni proprement « allemandes », ni proprement « bassa », les différentes implications d’ordre juridique – obligations de respect, voire de reconnaissance sous des formes diverses – correspondent à une construction hybride qui se révèle, à bien des égards, précaire.

Réinvention passagère ou système de régulation durable ?

À première vue, l’ordre inventé par les « aînés » et les « doyens » se révèle remarquablement viable. Assis sur les rapports de force établis par le droit allemand, il repose en partie sur les moyens de coercition – particulièrement importants – du droit étatique. À y regarder de plus près, ce n’est cependant pas le droit de l’État qui sanctionne le caractère obligatoire des règles d’aînesse et de parole entre migrants, mais plutôt la signification que les migrants assignent à ce droit.

Jamais les mécanismes de contrainte du droit allemand ne sont mobilisés directement. À l’égard d’un « petit » sans titre de séjour, aucun cas de délation devant les autorités allemandes n’a par exemple été rencontré au cours des enquêtes. C’est plutôt leur peur de se voir abandonnés à leur sort et de devoir affronter seuls les obstacles-loi qui expliquent l’obéissance des « petits ». Tels les commandants à bord d’un avion, ce sont avant tout leurs connaissances et leur capacité à maîtriser l’hostilité de l’environnement ambiant qui confèrent aux « anciens » le pouvoir de déterminer les règles du jeu.

Les limites d’un tel système de régulation sont en réalité nombreuses. Après l’atterrissage, un commandant de bord redevient bien un simple citoyen : dès le moment où des « petits » parviennent à maîtriser les obstacles de l’environnement ambiant, l’autorité des « grands » est sérieusement remise en question. Que ce soit à Berlin ou à Douala, ce n’est qu’à travers des réajustements répétés que les « anciens » proclamés parviennent à défendre les avantages que leur confère « leur » droit d’aînesse.

Alors que, jusque dans les années 1990, le nombre de migrants originaires d’Afrique francophone était suffisamment insignifiant pour permettre à une minorité d’« anciens » de perpétuer leurs prérogatives, la situation semble avoir quelque peu changé depuis l’arrivée en plus grand nombre de « petits ». Aujourd’hui, à intervalles réguliers, des nouveaux-venus, après s’être affranchis de leur précarité administrative, remettent en cause la perpétuation des hiérarchies établies. Les schismes au sein des groupes de migrants sont nombreux. Même si de nouvelles microsociétés se réinventent toujours selon le même modèle, leur durée de vie dépasse rarement quatre ou cinq ans – le temps que les « petits » s’émancipent et construisent leur propre univers dans lequel leur place d’« ancien » ne pourra être contestée par personne.

Une autre limite importante que rencontrent les systèmes de régulation inventés par les migrants est l’absence de transmission directe aux générations futures. Aucune des personnes enquêtées à Berlin ne se fait célébrer comme « grand » par ses propres enfants. La plupart de ces enfants sont d’ailleurs nés d’un parent allemand et sont donc eux-mêmes, pour ainsi dire, déjà « grands » de par leur nationalité de naissance. Socialisés dans un univers où les hiérarchies entre migrants sont dépourvues d’aucun enjeu, les enfants rencontrés peinent habituellement à comprendre l’importance que revêt, pour leur parent camerounais, l’idée d’être un « aîné » lors de ses rencontres du dimanche avec d’autres Bassa. D’ailleurs, même dans la perspective des migrants, la finalité des mécanismes de régulation inventés n’est pas leur pérennisation.

Bien des éléments prêtent ainsi à penser que les rapports établis dans les groupes de migrants correspondent à des expériences spontanées de l’individuation qui ne sont pas véritablement destinées à réguler la vie en société. La qualification des pratiques observées de « juridiques » peut, à cet égard, paraître discutable. Même des auteurs admettant une définition large du phénomène juridique relèvent l’importance toute particulière de la perpétuation pour pouvoir qualifier des actes ou des relations de juridiques. Pour Pierre Legendre, la « reproduction de l’humanité » est la finalité même du Droit[9]. Michel Alliot, quant à lui, souligne que le Droit occupe nécessairement des domaines « vitaux » pour la société[10].

Sans doute faut-il être prudent avant de disqualifier les pratiques observées parmi les migrants pour les raisons évoquées. L’inscription de ces pratiques dans des imaginaires partagés à différents endroits du globe les lie à d’autres enjeux de reproduction, à d’autres groupes et à d’autres univers sociaux que ceux définis par les groupes locaux de migrants ou par leur descendance directe. Bien qu’appelés à disparaître localement peu de temps après leur invention, les nouveaux statuts et leurs attributs juridiques continuent à subsister sous d’autres formes et en d’autres lieux. Si, à Berlin, on n’en retiendra qu’un exercice d’improvisation dans lequel des imaginaires migratoires ont été temporairement traduits en relations sanctionnées comme obligatoires, à Douala, cette juridisation des imaginaires – aussi courte eusse-t-elle été – a une signification bien plus profonde.

Dans les grandes métropoles africaines, les entreprises d’individuation et la redéfinition des modèles de réussite sociale constituent des phénomènes sociaux particulièrement importants qui sont, d’ailleurs, abondamment étudiés en sociologie et en anthropologie politique contemporaine (Marie 1997 ; Séraphin 2000 ; Kohlhagen 2006a). À Douala, la réinvention d’attributs et de statuts rencontre ainsi un contexte particulièrement réceptif à ce type d’entreprise. Il est donc peu surprenant que de nombreux migrants, s’inspirant du modèle berlinois, tentent de renégocier leur place au Cameroun en mobilisant le même type de ressource que celui privilégié pour se dire « grand » parmi les migrants. Cette fois-ci, ce n’est pas l’aide proposée aux nouveaux-venus pour stabiliser leur situation administrative, mais la capacité à arranger des voyages et à faciliter la venue d’autres migrants depuis le Cameroun qui est habilement transformée en capital social.

Avoir la possibilité de proposer aux proches restés au pays de « faire venir » un autre membre de la famille à Berlin se révèle bénéfique à de nombreux égards. Première preuve tangible de la maîtrise de l’espace européen et de ses dispositifs normatifs, il s’agit d’abord d’un moyen d’affirmer une certaine forme de réussite. D’autre part, un tel service rendu est régulièrement compris comme un geste bienveillant, permettant un soulagement économique pour la famille et de nouvelles perspectives d’épanouissement personnel pour la personne assistée au départ. Sans même compter le bénéfice que procure l’« aide » pour asseoir son statut de « grand » à Berlin, la facilitation de la venue d’un autre membre de la famille correspond souvent à un pari sur l’avenir dans le pays d’origine. De manière plus ou moins consciente, beaucoup de migrants mettent à profit la maîtrise du droit des migrations pour une meilleure maîtrise, non seulement des rapports avec d’autres migrants, mais aussi de l’univers de socialisation originel.

La plupart des migrants rencontrés connaissent avec précision le nombre de personnes qu’ils ont « fait venir » en arrangeant un mariage, en facilitant une demande de visa ou l’obtention d’un titre de séjour. À Berlin, « faire venir » est une activité que seuls peuvent exercer les plus « grands » : les concernés s’y reconnaissent, comptent les occurrences et savent s’en vanter. Au Cameroun, la situation n’est pas sensiblement différente. Notamment parmi les jeunes déscolarisés, le prestige que confère la capacité à « faire venir » concourt à la validité des nouvelles hiérarchies consacrées. Même si la perception de la réussite entre acteurs migrants et non-migrants n’est pas toujours unanime, les communautés reconstituées autour des « vieux », des « novices » et des « petits » proclamés à Berlin correspondent à un laboratoire du possible qui est, en partie, repris à Douala.

De fait, la « réussite » des migrants – somme toute en premier lieu imaginaire – repose surtout sur la capacité de persévérance des migrants dans leurs imaginaires de la réussite. Cela dit, elle révèle des dynamiques intéressantes qui conjuguent différents espaces normatifs avec les statuts et attributions qui y sont rattachés. Le droit ainsi produit répond à des enjeux propres et à des logiques en partie imprévisibles, révélant la richesse de la production juridique dans des espaces parfois insoupçonnés.

Conclusion

Les dynamiques décrites au cours des pages précédentes illustrent la richesse des rapports juridiques dans un monde en mouvement et soulèvent des questionnements quant à la difficulté de les appréhender à travers la lecture habituellement privilégiée en sciences juridiques. Elles correspondent à des situations de perpétuels changements et réadaptations qui, pour pouvoir être rendues intelligibles, impliquent de comprendre les processus de juridicisation plutôt que de penser la régulation sociale à partir de systèmes de droit prédéterminés. Dans les situations observées, les rapports et actes sanctionnés comme obligatoires se dessinent à la conjonction de différentes temporalités, de différentes manières de se projeter dans l’espace ou de concevoir les limites entre l’imaginaire et le réel. L’expérience des Bassa de Berlin montre que cette complexité, pour les acteurs qui en maîtrisent suffisamment les paramètres, permet même de laisser cours à une certaine créativité et de prendre une part active dans la redéfinition de rapports juridiques.

À la différence du droit des livres, le Droit « qui est effectivement opérationnel sur le terrain résulte de compétitions, d’interactions, de négociations et de protectionnismes extrêmement complexes et de fait généralement imprévisibles » (Griffiths 1986 : 39, traduction libre). La complexité des situations de pluralisme juridique, amplifiée aujourd’hui par l’intensification des échanges entre les continents, entre les cultures et les groupes d’individus, rend de plus en plus pertinents les questionnements se rapportant aux interdépendances entre différents univers d’interaction et aux effets imprévisibles qui en résultent.

Singulièrement, ce sont les sciences dites exactes qui semblent aujourd’hui avoir pris les devants sur les sciences juridiques dans la prise en compte de la dimension de l’imprévisible. Principe d’indétermination et théorie du chaos en sciences physiques, théorèmes d’incomplétude en mathématiques, notion de hasard en biologie : l’absence de certitude absolue concernant les règles régissant l’environnement naturel de l’homme a été démontrée à répétition. La perspective du juriste sur son environnement social, elle, continue cependant à être marquée par un idéal dont la contradiction par les faits est de plus en plus manifeste.

Des conjugaisons juridiques similaires à celles qui s’opèrent entre Douala et Berlin s’observent aujourd’hui dans de nombreux groupes de migrants. Afin de les comprendre, il importe de dépasser certaines prémisses implicites et une vision trop figée du phénomène juridique.