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Fruit d’un séminaire pluridisciplinaire organisé conjointement par le Centre interuniversitaire d’études sur les lettres et les traditions (CÉLAT) et le Département d’études urbaines et touristiques de l’UQÀM, cet ouvrage offre une réflexion sur les liens théoriques et pratiques entre villes et identités. Lucie K. Morisset, Luc Noppen et leurs collègues conçoivent ces « identités urbaines » au sens large, à la lumière de la mondialisation et d’une certaine postmodernité. Elles sont changeantes, plurielles, démultipliées et fragmentées. L’ouvrage est à cette image, rassemblant plus d’une quinzaine de textes très variés autour de cette problématique. Devant l’impossibilité de rendre justice à l’ensemble de ces contributions, nous nous sommes attardé à celles qui nous semblent le mieux représenter les différentes perspectives avancées dans l’ouvrage.

Faisant écho à nos propres réserves, Olivier Lazzarotti fait état dès le départ de la popularité, de la richesse, mais aussi de l’ambivalence du concept d’identité. Mettant la géographie au service des questionnements que soulève le rapport de l’identité à la ville, il utilise le cas de la ville française d’Amiens pour explorer l’évolution des idées de ville et d’urbanité. Postulant que le déclin relatif de ce centre urbain à partir du 19e siècle s’explique par un « déficit d’urbanité » qui en a fait une « ville sans centre », il étudie et critique les efforts plus récents des élites municipales pour urbaniser Amiens en la dotant d’une nouvelle centralité. Selon Lazzarotti, ce projet se heurte à une notion changeante d’urbanité, qui passe de plus en plus par la mobilité des populations, par leur accès aux différents pôles des villes décentrées que favorise la mondialisation.

En s’intéressant aux efforts de restauration de la Vieille Havane, Alain Caron aborde sous un angle moins théorique un autre cas fascinant de mutation d’une identité urbaine. Étudiant la mise en oeuvre de ces projets et les discours qui les entourent et les justifient, il met à jour un processus dominé par les tensions persistantes entre les idéaux du régime castriste et les impératifs d’une économie qui dépend de plus en plus étroitement du tourisme. Il en résulte un équilibre toujours incertain entre la « muséification » identitaire de la Vieille Havane et l’aménagement d’un milieu de vie qui réponde aux aspirations des habitants de ce quartier.

Sans quitter les villes d’Amérique latine, Luis Octávio da Silva aborde la question à une autre échelle, s’intéressant à un « objet d’identité urbaine » : le quintal des villes brésiliennes. Cet espace ouvert, s’étendant à l’arrière des résidences unifamiliales et répondant à des besoins tant sociaux que sanitaires, alimentaires et domestiques, singularise l’organisation physique des villes brésiliennes. Da Silva se penche sur son apparition au 17e siècle, mais surtout sur son évolution et sur la manière dont, même aujourd’hui, il influence l’architecture des immeubles à appartements brésiliens. Sans réduire la question des identités urbaines à la configuration physique des villes, il parvient à illustrer clairement comment l’organisation spatiale dans laquelle s’inscrit le quintal contribue à transformer l’organisation sociale des ménages et des quartiers brésiliens.

Poussant dans le même sens, Michel Parazelli tourne son attention vers le rapport qu’entretiennent les jeunes de la rue à la ville et à certains de ses espaces. Utilisant le cas de Montréal et un appareillage théorique élaboré mais parfois un peu lourd, il explore ce rapport sur le plan épistémologique. Partant de la prémisse que l’espace urbain est plus que le simple reflet de la structure sociale qui s’y déploie, il suggère que l’appropriation de certains espaces urbains par le groupe social précaire que constituent les jeunes de la rue ne remplit pas seulement des objectifs fonctionnels. Ces espaces deviennent parties prenantes d’un processus de « recomposition identitaire » central à l’évolution de ces jeunes, un lieu de transition permettant d’échapper à un passé souvent difficile et d’entrer dans un après marqué par une certaine réintégration à la société.

Comme on aura pu le constater, l’ouvrage dirigé par Morisset et Noppen couvre beaucoup de terrain. Si, sur le plan matériel, il présente un certain nombre de défauts d’édition – quelques coquilles, des illustrations mal numérotées et, surtout, la « disparition » d’un article de Jean-François Simon annoncé en introduction – au niveau du contenu, il offre un éventail de recherches contribuant à des degrés divers à un élargissement de l’étude des rapports entre identités et villes.